Activité de la cour d’appel de Paris dans le domaine de la concurrence (Janvier-Mars 2019)

Publié le 20/05/2019

Le présent article porte sur les arrêts rendus par la cour d’appel de Paris en droit de la concurrence, au sens du livre IV du Code de commerce, au cours de la période de janvier à mars 2019. Les décisions suivantes ont plus particulièrement retenu notre attention.

I – Confirmation du droit de Mazda de mettre un terme au contrat d’un réparateur agréé

Le présent litige oppose la société Automobiles Palau au constructeur automobile japonais Mazda. Les deux entreprises étaient liées, depuis 2003, par un contrat de concessionnaire agréé portant sur la vente des véhicules neufs Mazda, et un contrat de réparateur agréé portant sur leur entretien et leur réparation ainsi que la vente des pièces de rechange nécessaires à cette fin. En 2014 la société Mazda a notifié à la société Palau la résiliation des deux contrats, décision motivée par l’absence de partenariat constructif de celle-ci et le désintérêt manifesté par elle à l’égard de la marque du constructeur.

Souhaitant poursuivre l’activité de réparateur agréé, la société Palau a assigné la société Mazda devant le tribunal de commerce de Paris afin qu’il soit enjoint à celle-ci de l’agréer. Cette demande a été rejetée, le tribunal estimant que le refus de la société Mazda d’agréer la société Palau était un acte unilatéral qui ne relève pas du droit des ententes et qu’en conséquence, les dispositions des articles 101, § 1, du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ne sont pas applicables en l’espèce.

L’appel interjeté par la société Palau devant la cour d’appel de Paris n’a pas eu plus de succès. Certes, celle-ci infirme le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que le refus d’agrément constituait une pratique unilatérale, mais elle juge par ailleurs que le refus ne revêt pas le caractère d’une entente anticoncurrentielle.

Sur le premier point, la cour constate que le réseau mis en place par Mazda est un réseau de distribution sélective qualitative, aucun critère de sélection quantitative n’étant prévu dans le contrat de réparateur agréé.

Elle appuie ensuite son analyse sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en rappelant que l’adhésion des distributeurs à un système de distribution sélective, concrétisée par la signature d’un contrat entre le fournisseur-tête du réseau et les distributeurs, traduit l’existence d’un accord de volontés entre le fabricant-fournisseur tête de réseau et chacun de ses distributeurs. La mise en œuvre d’une clause anticoncurrentielle, comme une clause de prix imposé, contenue dans le contrat, révèle donc une entente répréhensible sur le fondement du droit de la concurrence.

Lorsque le fabricant-fournisseur invite ses distributeurs à commettre une pratique anticoncurrentielle non contenue dans le contrat de distribution, par exemple, lorsqu’un fabricant automobile adresse à ses concessionnaires agréés une circulaire dans laquelle il fixe les prix de vente d’un de ses modèles en exigeant d’eux de ne pas consentir de remises, ce qui est le cas dans l’arrêt Volkswagen, du 13 juillet 2006, la recherche de l’accord des distributeurs à cette invitation apparemment unilatérale du fournisseur nécessite un examen factuel plus poussé, d’autant que, dans cette affaire, les distributeurs n’avaient pas appliqué les consignes du fabricant.

Cette jurisprudence européenne a mis fin à la pratique décisionnelle passée de la Commission européenne qui consistait à considérer que toute invitation unilatérale prise par le fournisseur s’insérait automatiquement dans le cadre des relations commerciales continues de ce fournisseur avec ses distributeurs agréés, et était ainsi, de facto, considérée comme acceptée par avance par les distributeurs lors de la signature du contrat de distribution et donc susceptible d’être qualifiée d’entente.

En définitive, la Cour de justice a jugé que toute invitation adressée par un constructeur à ses concessionnaires ne constitue pas nécessairement un accord au sens de l’article 101 § 1 et ne dispense pas de démontrer l’existence d’un concours de volontés des parties au contrat de concession dans chaque cas particulier.

Pour autant, ajoute la cour d’appel, la jurisprudence Volkswagen n’a pas remis en cause la qualification d’un refus d’agrément de distributeurs par le fournisseur comme entente au sein du réseau, admise par la Cour de justice dans un arrêt AEG du 25 octobre 1983.

La cour d’appel précise cependant que le concours de volontés ne constitue une entente anticoncurrentielle qu’en cas de pluralité de refus discriminatoires, seuls à même de caractériser un comportement du fournisseur dont l’objet est anticoncurrentiel.

S’agissant de la question du caractère anticoncurrentiel du refus d’agrément, la cour d’appel constate que Mazda n’a pas résilié l’accord, et refusé un nouvel agrément à la suite de cette résiliation au motif que la société Palau aurait adopté un comportement favorisant la concurrence, consistant, par exemple, dans des ventes actives ou passives à des clients étrangers, le multimarquisme ou la sous-traitance des services de réparation et d’entretien. Le refus est en fait justifié par le désintérêt de la société Palau pour la marque. Il n’a donc pas d’objet anticoncurrentiel.

Le refus d’agrément n’est pas non plus de nature à éliminer ou restreindre la concurrence. En effet, compte tenu du nombre de réparateurs de toutes marques, des mécaniciens-réparateurs indépendants et des réseaux de franchise, la concurrence sur le marché de la réparation et de l’entretien des véhicules est réelle, de sorte que la circonstance qu’un réparateur agréé sorte du marché est indifférent pour les clients.

Par ailleurs, une quarantaine de marques automobiles sont présentes en France, qui offrent la possibilité de conclure des contrats de réparateur agréé, de sorte que la perte du contrat de réparation Mazda peut facilement être compensée pour la société Palau.

Le refus d’agrément litigieux, n’ayant ainsi ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la concurrence, est donc conforme à l’alinéa 1 de l’article 101 et à l’article L. 420-1 du Code de commerce.

Notons enfin que la cour d’appel refuse à Mazda le bénéfice de l’exemption par catégorie. Elle s’empresse cependant d’ajouter, à juste titre, que ce refus n’a aucun effet sur la solution à donner au présent litige, puisque la pratique est conforme à l’article 101, alinéa 1 du TFUE et à l’article L. 420-1 du Code de commerce1.

II – Sursis à exécution des injonctions prononcées contre le groupe STIHL dans l’affaire de la distribution de matériels de motoculture

Le premier président de la cour d’appel de Paris fait droit aux demandes des entreprises du groupe STIHL en ordonnant le sursis à exécution (dans l’attente de la décision de la cour d’appel de Paris sur le bien-fondé du recours au fond) des injonctions prononcées par la décision n° 18-D-23 rendue par l’Autorité de la concurrence en date du 24 octobre 2018.

On se souvient que, par cette décision, l’Autorité a retenu un grief à l’encontre de STIHL sur le fondement des articles 101 TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, caractérisé par une restriction de facto des ventes à distance sur internet depuis les sites internet de ses distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective. Cette restriction de facto des ventes en ligne réside dans l’obligation faite aux distributeurs d’assurer, pour des raisons de sécurité, une « mise en main » des machines dangereuses de la marque (exemple : tronçonneuses), laquelle postule un contact direct et personnel avec l’acheteur après l’achat sur internet, soit au magasin du distributeur, soit par une livraison assurée par le revendeur à une adresse indiquée par l’acheteur.

L’Autorité a prononcé une sanction pécuniaire de 7 millions d’euros ainsi que quatre injonctions à l’encontre de STIHL, dont la principale porte sur la modification de ses contrats de distribution sélective afin de supprimer l’obligation de « mise en main » pour les ventes en ligne (art. 4), et les trois autres sur la communication aux membres du réseau de distribution sélective de STIHL ainsi qu’au public, via la presse économique et spécialisée, du contenu de la décision et des modifications apportées à ses contrats (art. 5, 6 et 7).

Le sursis à exécution est motivé par les éléments suivants :

  • l’injonction de supprimer l’obligation de « mise en main » aura pour conséquence de modifier de façon substantielle le système et la nature de la distribution sélective au sein du réseau actuel du groupe STIHL et, corrélativement, d’entraîner des coûts substantiels pour les sociétés requérantes ;

  • il ne peut être exclu que cette modification du réseau de distribution sélective à l’échelon national soit étendue au niveau européen, sauf à instaurer la création de deux niveaux de services différents selon la localisation géographique du distributeur et dès lors, une distorsion de concurrence entre eux ;

  • le coût de la mise en place des mesures alternatives, à l’instar de celles adoptées par d’autres sociétés concurrentes, ne pourra ni être recouvré, ni faire l’objet d’une compensation en cas d’annulation ou de réformation de la décision de l’Autorité ;

  • on ne saurait exclure le risque juridique pouvant résulter du contentieux fondé sur la responsabilité des sociétés requérantes ainsi que celui de l’atteinte à la réputation induit par une moindre qualité de la prestation fournie.

Pour le premier président, ces éléments caractérisent les conséquences manifestement excessives prévues par l’article L. 464-8 du Code de commerce sans qu’il soit nécessaire de relever une quelconque urgence, dans l’hypothèse de la mise à exécution immédiate de la décision. Il ordonne le sursis à exécution des injonctions prévues non seulement à l’article 4 mais aussi aux articles 5, 6 et 7, celles-ci étant indissociables de l’injonction de supprimer l’obligation de « mise en main » pour les ventes en ligne2.

III – Infirmation d’un jugement qui a estimé prescrite l’action en réparation introduite par la société Doux Aliments à la suite de la condamnation du cartel des phosphates pour l’alimentation animale

La cour d’appel infirme le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 12 janvier 2017 qui a estimé prescrite l’action en réparation introduite par la société Doux Aliments contre la société Timab Industries et sa société-mère CFPR à la suite de la condamnation par la Commission européenne du cartel des phosphates pour l’alimentation animale.

Le litige oppose la société Doux Aliments, spécialisée dans l’élevage avicole et fabriquant des aliments destinés aux volailles, notamment à partir de matières minérales comme le phosphate, à la société Timab Industries, qui produit et commercialise des matières premières minérales destinées à l’alimentation animale.

De 1992 à 2004, des produits alimentaires destinés aux volailles ont été fabriqués par la société Doux qui y a incorporé du phosphate acheté auprès de la société Timab.

Par décision du 20 juillet 2010, la Commission européenne a condamné six groupes de producteurs de phosphates destinés à l’alimentation animale à hauteur de 175 647 000 €, pour avoir participé, pendant trente ans, à une infraction unique et continue ayant consisté en un partage d’une grande partie du marché européen des phosphates pour l’alimentation animale, sous la forme de quotas de vente par région et par client et de coordination des prix et des conditions de vente. Les sociétés Timab Industries et CFPR ont été condamnées pour avoir participé à cette entente, du 16 septembre 1993 au 10 février 2004.

S’estimant bien fondée à demander la réparation du préjudice subi du fait du cartel, la société Doux a saisi le tribunal de commerce de Rennes mais celui-ci a jugé l’action prescrite.

Contestant cette décision, la société Doux a fait valoir que son action n’est pas prescrite dans la mesure où le dommage ne lui a été révélé que par le prononcé de la décision de la Commission européenne.

La cour fait droit à cet argument et rejette en conséquence la date retenue par le tribunal comme point de départ de la prescription, à savoir le 29 janvier 2009, date à laquelle la Commission a ouvert sa procédure. L’assignation, délivrée le 17 décembre 2014, n’est donc pas prescrite.

La cour estime par ailleurs que la société Timab Industries n’a pas établi que la société Doux aurait pu exercer son droit plus tôt, aucun élément invoqué ne pouvant démontrer qu’elle savait ou aurait pu savoir qu’elle avait été victime de l’infraction, et connaître la consistance de celle-ci, son imputabilité et sa durée. Ainsi, la circonstance que, dès le 18 décembre 2008, un concurrent de la société Doux a assigné devant la haute cour de justice de Londres les groupes Tessenderlo et Kemira en vue d’obtenir réparation de préjudices qui auraient résulté de l’entente, ne peut qu’établir que ce concurrent devinait ou connaissait la pratique de cartel sur son propre marché, ce qui ne démontre pas qu’il en était de même sur d’autres marchés et ne démontre nullement que les éléments en sa possession étaient suffisants pour fonder son assignation, aucune preuve du succès de cette action n’étant fournie à la cour.

La cour statue ensuite sur le litige.

La faute civile découlant de la pratique anticoncurrentielle n’étant pas contestée, elle examine si la société Doux a démontré un préjudice en lien de causalité avec cette faute.

Elle retient à cet égard que la société Doux a démontré que les parties à l’entente ont à plusieurs reprises convenu d’augmenter les prix à son égard. Cet indice est conforté par la circonstance que les cartels entraînent généralement une hausse des prix ou empêchent une baisse des prix qui se serait produite si l’entente n’avait pas existé.

Dès lors, pour la cour, même si le surprix n’est pas établi par la victime au titre de chacune des années du cartel, son existence résulte de la pratique elle-même et des indices versés aux débats par la société Doux, démontrant à tout le moins la décision des membres du cartel d’augmenter les prix à son égard de 10 % certaines années. La cour en déduit que le lien de causalité est suffisamment établi en l’espèce.

Cependant, les factures produites par la société Doux n’apportent pas la preuve des prétendues surfacturations, en l’absence de scénario contrefactuel reflétant le niveau de prix qui aurait prévalu en l’absence d’entente. Les éléments dont dispose la cour sont donc insuffisants pour statuer sur la demande de la société Doux et chiffrer les éléments composant son préjudice.

La cour ordonne donc une expertise visant à évaluer les préjudices subis par la société Doux et résultant de l’entente et notamment à évaluer le surcoût occasionné à la sociétés Doux par la mise en place de cette entente3.

IV – Rejet, pour défaut de lien entre le dommage subi et les pratiques dénoncées, de la demande de réparation dans l’affaire des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d’électricité photovoltaïque

Par décision n° 13-D-20 du 17 décembre 2013, l’Autorité de la concurrence a condamné la société EDF pour pratiques d’abus de position dominante sur le marché des services aux particuliers souhaitant devenir producteurs d’électricité photovoltaïque. L’Autorité a reproché à la société EDF d’avoir enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que l’article 102 du TFUE, premièrement, en mettant à disposition de ses filiales intervenant dans le secteur photovoltaïque des moyens matériels et immatériels qui ont permis à ces dernières de bénéficier de l’image de marque et de la notoriété de la société EDF, et en utilisant les données dont elle dispose en sa qualité de fournisseur historique d’électricité pour faciliter la commercialisation des offres de sa filiale EDF ENR.

Par arrêt du 21 mai 2015, la cour d’appel de Paris a partiellement réformé cette décision. Elle a en effet jugé que la mise à disposition de ses filiales par la société EDF de sa marque et du logo EDF ENR, lui ayant permis de bénéficier de l’image de marque et de la notoriété d’EDF, n’enfreint pas les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce et celles de l’article 102 du TFUE.

Diverses sociétés actives dans le secteur de la vente et de l’installation de panneaux photovoltaïques pour la production d’électricité à destination des particuliers ont saisi le tribunal de commerce de Paris pour demander la réparation des préjudices subis du fait des pratiques anticoncurrentielles ainsi établies. Elles ont été déboutées, le tribunal de commerce ayant jugé que cette action était prescrite. Elles ont interjeté appel.

La cour d’appel de Paris estime au contraire que l’action n’est pas prescrite. Elle rejette néanmoins les demandes de réparation, jugeant non établi le lien entre le dommage subi et les pratiques dénoncées.

A – Prescription

Les sociétés appelantes soutenaient que le point de départ de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil ne saurait courir qu’à compter du jour où la pratique anticoncurrentielle a été, non pas soupçonnée, mais constatée et établie en fait et en droit, à savoir le 17 décembre 2013, date de la décision au fond de l’Autorité de la concurrence. Elles considéraient en effet que c’est à tort que le tribunal de commerce a fixé le point de départ de la prescription au 8 avril 2009, date à laquelle l’Autorité de la concurrence a prononcé des mesures conservatoires, ces mesures temporaires étant prononcées à raison d’une simple suspicion, et n’établissant pas les pratiques anticoncurrentielles.

La cour d’appel est sensible à cette analyse. Elle estime en effet que compte tenu de ses caractéristiques et de son contenu, la décision de mesures conservatoires du 8 avril 2009, retenue par le tribunal de commerce comme point de départ de la prescription, ne confère pas aux victimes des pratiques anticoncurrentielles la connaissance réelle ou supposée des faits leur permettant d’exercer en justice leur droit à réparation au sens de l’article 2224 du Code civil et ne saurait par conséquent faire courir le délai de prescription.

En effet, poursuit la cour d’appel, de façon générale, les décisions de mesures conservatoires établissent qu’une pratique « est susceptible » d’enfreindre le droit de la concurrence et sont temporaires, la Cour de cassation ayant rappelé que des mesures conservatoires peuvent être décidées « dès lors que les faits dénoncés, et visés par l’instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l’état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce ».

Donc, l’action consécutive en réparation exercée, le 11 décembre 2014, par les victimes d’abus d’éviction, n’est pas prescrite, le délai de prescription ayant commencé à courir à partir, non pas de la décision de mesures conservatoires du 8 avril 2009, mais seulement de la décision de condamnation au fond adoptée par l’Autorité de la concurrence, le 17 décembre 2013.

Mais, ajoute la cour d’appel, même à supposer que la date de la décision de mesures conservatoires constitue le point de départ de la prescription, la loi dite Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014 qui allonge le délai de prescription en prévoyant que l’ouverture d’une procédure devant l’Autorité de la concurrence interrompt la prescription, s’applique immédiatement au 19 mars 2014, alors que le délai de prescription de la présente action, courant à compter du 8 avril 2009, n’était pas expiré (le 8 avril 2014).

Par conséquent, le délai de prescription de l’action indemnitaire de cinq ans a été interrompu par le recours devant l’Autorité de la concurrence, jusqu’à sa décision du 17 décembre 2013, puis, en raison de l’appel interjeté à son encontre, jusqu’à la décision définitive rendue par la cour d’appel de Paris en date du 21 mai 2015.

Il en résulte que même à supposer le point de départ de la prescription fixé au 8 avril 2009, l’action consécutive en réparation exercée, le 11 décembre 2014, par les victimes des abus d’éviction, ne serait pas prescrite.

B – Lien de causalité

Les appelantes demandaient réparation, pour la période 2009 à 2014, des pratiques commises entre 2007 et avril 2009 par EDF et sanctionnées par l’Autorité de la concurrence et qui ont pris fin lors des mesures conservatoires en avril 2009.

Or, pour la cour d’appel, les nouvelles pratiques alléguées d’EDF ne constituent pas le prolongement des pratiques sanctionnées et aucune continuité des pratiques n’est établie sur la période d’indemnisation sollicitée de 2009 à 2014, les éléments versés aux débats pour démontrer ces nouvelles pratiques, isolés, et séparés dans le temps par un vaste laps de temps, étant tous postérieurs à 2014.

La cour estime par ailleurs que, s’agissant des pratiques d’abus d’éviction d’EDF, sanctionnées par l’Autorité pour la période de 2007 à avril 2009, il ne saurait être exclu qu’elles ont pu avoir des effets structurants à moyen terme sur les opérateurs plaignants, même après leur cessation et que, par conséquent, ils puissent en demander réparation, en raison des bénéfices dont ils auraient été privés après la cessation des pratiques, en raison d’effets toujours sensibles de l’infraction à laquelle il a été mis fin.

Mais il appartient aux victimes d’établir un lien de causalité. Or, ce lien entre les pratiques anticoncurrentielles et les prétendus dommages subis par les concurrents après la cessation des pratiques relève d’un niveau d’évidence plus complexe à établir que les dommages contemporains des pratiques.

Les sociétés appelantes prétendaient à cet égard avoir subi, à compter de 2010, soit plus d’un an après la cessation des pratiques, une baisse du taux de conversion, à savoir du nombre de prospects concluant un contrat avec elles après avoir consulté leurs offres. Une réparation était ainsi demandée pour la perte des bénéfices futurs sur une durée de quatre années.

Or elles ne produisaient aucun élément sérieux de nature à démontrer que la baisse du taux de conversion serait due aux pratiques d’EDF, alors que rien ne permet d’attester que les pratiques ayant consisté, pour EDF, à user de moyens matériels et immatériels ainsi que d’informations privilégiées pour avantager sa filiale, auraient continué à influencer les prospects après leur arrêt. Le seul grief susceptible d’influencer durablement les consommateurs, tenant à la confusion des logos, a été rejeté par la cour d’appel (v. ci-dessus, CA Paris, 21 mai 2015).

Par ailleurs, le secteur a traversé une crise sans précédent à partir de 2010. En effet, la fin des tarifs d’achat très avantageux consentis par EDF aux producteurs d’énergie photovoltaïque a compromis la rentabilité des acteurs du secteur.

En l’absence de tout commencement de preuve, la cour rejette donc la demande des appelants ainsi que leur demande d’expertise4.

V – Confirmation de la condamnation à 20 000 €, pour procédure abusive, d’une entreprise qui, dénonçant des pratiques anticoncurrentielles, avait engagé une action en réparation alors qu’elle ne disposait d’aucune preuve de nature à démontrer ses prétentions

La cour confirme un jugement du tribunal de commerce de Rennes ayant lourdement condamné, pour procédure abusive, une entreprise qui avait engagé une action en réparation sans disposer des preuves de nature à établir ses prétentions.

À l’origine du litige, la société Avi Charente, s’estimant victime de pratiques de prédation et de dénigrement a, dans un premier temps, saisi la DGCCRF d’une plainte puis, dans un deuxième temps, alors que l’instruction de cette plainte était encore en cours, a fait assigner les sociétés Lactalis Nestlé Ultra-frais (LNUF) et Groupe Lactalis devant le tribunal de commerce de Rennes.

La société Avi Charente demandait au tribunal de se déclarer compétent et, sur le fond de l’affaire, (i) dans l’attente des résultats de l’enquête menée par la DGCCRF, de surseoir à statuer et (ii) une fois les résultats de l’enquête transmis au tribunal, de déclarer les pratiques en cause comme constitutives d’abus de position dominante.

Les sociétés LNUF et Groupe Lactalis s’étant opposées à la demande de sursis à statuer, la société Avi Charente a déposé des conclusions de désistement d’instance auxquelles le tribunal a refusé de faire droit. Celui-ci a en outre débouté la société Avi Charente de ses demandes et l’a condamnée au paiement de la somme de 20 000 € à chacune des deux sociétés intimées pour procédure abusive.

Pour demander l’annulation de la partie du jugement qui l’a déboutée de toutes ses demandes, la société Avi Charente a exposé qu’en première instance, dans ses conclusions postérieures à son désistement d’instance, (i) elle a précisé que la DGCCRF avait indiqué oralement, qu’en l’état, les résultats de son enquête ne permettaient pas d’obtenir des preuves suffisantes dans le cadre de la procédure devant le tribunal et qu’elle n’avait par conséquent transmis aucun rapport d’enquête ; (ii) elle a soutenu que le tribunal n’était donc saisi que de sa demande de sursis à statuer et non de sa demande au fond, conditionnée aux résultats de l’enquête.

La cour d’appel rejette les demandes de la société Avi Charente. Ce faisant, elle énonce que « c’est pour le moins avec une légèreté blâmable et de mauvaise foi que la société Avi Charente a introduit sa procédure en affirmant dans son assignation qu’elle était victime d’une pratique de prix prédateurs et de dénigrement, lui faisant subir un préjudice d’un montant minimum de 30 311 190 €, sauf à parfaire, alors qu’elle ne disposait d’aucun élément en ce sens ; par la suite elle n’a pas communiqué les pièces visées dans son assignation et a tenté d’éviter que le tribunal se prononce sur le fond en dépit des demandes en ce sens des sociétés LNUF et Groupe Lactalis ; de surcroît, en ne se désistant que dans son instance, et non de son action, elle entendait encore se réserver le droit d’agir alors qu’elle n’apporte toujours pas le moindre élément pour étayer ses allégations ; sa procédure revêt ainsi un caractère abusif »5.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 23 janv. 2019, n° 16/16856.
  • 2.
    CA Paris, 23 janv. 2019, n° 18/26546 (ord).
  • 3.
    CA Paris, 6 févr. 2019, n° 17/04101.
  • 4.
    CA Paris, 6 mars 2019, n° 17/21261.
  • 5.
    CA Paris, 13 mars 2019, n° 17/21063.
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