Activité de la Cour de cassation en droit de la concurrence (Janvier 2020)
La présente étude porte sur les arrêts rendus par la Cour de cassation en droit de la concurrence au sens du livre IV du Code de commerce.
Plusieurs domaines sont théoriquement concernés. La haute juridiction judiciaire se prononce d’abord sur les arrêts que la cour d’appel de Paris rend lorsqu’elle est saisie d’un recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence (ancien Conseil de la concurrence) ; elle est également saisie des pourvois en matière de « transparence », « pratiques restrictives de concurrence » et « autres pratiques prohibées », au sens du titre IV du livre IV du Code de commerce ; elle est aussi compétente en matière de visites et de saisies opérées sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce ; enfin, elle se prononce sur les décisions rendues dans le cadre de litiges entre opérateurs économiques. L’étude porte sur la période de janvier 2020. Les points suivants ont plus particulièrement retenu l’attention : (I) définition large du partenaire au sens de l’ancien article L. 442-6-I, 2°, relatif au déséquilibre significatif ; (II) annulation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans l’affaire des commissions interbancaires ; (III) rejet du pourvoi dans l’affaire de l’indemnisation des pratiques de la SNCF et Expedia dans le secteur des voyages en ligne ; (IV) précisions des conditions de motivation auxquelles est soumis le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence lorsqu’il décide de lever la protection accordée au titre du secret des affaires ; (V) confirmation de l’absence de risque de divulgation d’informations susceptibles de relever du secret des affaires de Randstad.
I – Définition large du partenaire au sens de l’ancien article L. 442-6, I, 2°, relatif au déséquilibre significatif
Un contentieux à l’initiative du ministre chargé de l’Économie, et visant notamment la société Cometik, offre l’occasion à la Cour de cassation de préciser la notion de « partenaire commercial » au sens de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce relatif au déséquilibre significatif, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 20191.
L’activité de cette entreprise consistait à proposer à des professionnels la création de sites internet dans le cadre d’un contrat d’une durée de 48 mois, étant précisé que le client avait la possibilité de signer un contrat d’abonnement de site internet et un contrat de licence d’exploitation de site internet, lequel était ensuite cédé à un loueur financier, la société Parfip ou la société Locam, qui devenait alors créancier des sommes dues périodiquement par le client.
Plusieurs clients ayant dénoncé les pratiques commerciales de la société Cometik, le ministre de l’Économie l’a assignée pour violation de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, à l’effet d’obtenir la cessation des pratiques incriminées, l’annulation des clauses contractuelles qui, par leur articulation, étaient de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment des clients, et le paiement d’une amende civile.
Non satisfait de la solution retenue par la cour d’appel de Paris, le ministre a formé un pourvoi. Celui-ci est accueilli partiellement.
La chambre commerciale rejette le deuxième moyen. Après avoir retenu que la société Locam était une société de financement, la haute juridiction énonce que, « ayant constaté que l’article L. 511-4 du Code monétaire et financier prévoit seulement que les articles L. 420-1 à L. 420-4 du Code de commerce sur les pratiques anticoncurrentielles s’appliquent aux établissements de crédit et aux sociétés de financement pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l’article L. 311-2 du même code, la cour d’appel en a justement déduit que, pour ces opérations, le législateur n’a pas étendu aux établissements de crédit et sociétés de financement l’application des textes relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, de sorte que les activités exercées par la société Locam dans le cadre des opérations de location financière litigieuses ne relèvent pas du Code de commerce mais des dispositions spécifiques du Code monétaire et financier ».
En revanche, le premier moyen est accueilli.
La haute juridiction observe d’abord que, au sens de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, « le partenaire commercial est la partie avec laquelle l’autre partie s’engage, ou s’apprête à s’engager, dans une relation commerciale ».
Elle constate ensuite que « pour rejeter la demande du ministre de l’Économie dirigée contre la société Cometik, [l’arrêt attaqué], après avoir relevé que les deux alinéas de [l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce] mentionnent la notion de “partenaire commercial”, et énoncé qu’un partenaire se définit comme le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus large d’agent économique ou plus étroite de cocontractant, retient que les contrats de mise à disposition de site internet conclus entre la société Cometik et ses clients sont des contrats de location ayant pour objet des opérations ponctuelles à objet et durée limités, de 5 ans, ne générant aucun courant d’affaires stable et continu et n’impliquant aucune volonté commune et réciproque d’effectuer, de concert, des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services ».
La chambre commerciale conclut qu’en statuant ainsi, en ajoutant à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.
En conséquence, elle casse et annule l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté les demandes du ministre de l’Économie dirigées contre les sociétés Cometik et Parfip, et remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée2.
II – Annulation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans l’affaire des commissions interbancaires
L’affaire a pour origine la décision 10-D-28 du 20 septembre 2010 par laquelle l’Autorité de la concurrence a condamné plusieurs banques pour avoir instauré entre elles diverses commissions interbancaires, à savoir une commission d’échange image chèque (CIEC), versée par la banque remettante à la banque tirée à l’occasion de chaque paiement par chèque et destinée à compenser la perte de trésorerie subie par la banque tirée du fait de la réduction du temps de traitement des chèques, pour une période de 3 ans, et huit commissions occasionnelles dites commissions pour services connexes (CSC), parmi lesquelles les commissions d’annulation d’opérations compensées à tort (AOCT), également uniformes, liées à certains services rendus par les banques pour l’exécution des paiements par chèques dans le nouveau système.
Après une double cassation, l’affaire a fait l’objet d’un nouveau recours3 et revient maintenant devant la Cour de cassation, qui retient l’existence d’une restriction par objet, dans la ligne de la jurisprudence de l’Union. La chambre commerciale observe en effet que la CJUE a rappelé que, s’agissant de la notion de restriction par objet, elle « a jugé que celle-ci doit être interprétée de manière restrictive et ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence »4 (pt 7).
Or pour décider que la CIEC et les commissions AOCT avaient un objet anticoncurrentiel, la cour d’appel de Paris a retenu que, s’agissant de la CIEC, l’accord prévoyant son instauration a, pour maintenir les équilibres financiers entre les banques, introduit un élément artificiel de coût pour les banques remettantes et de recette pour les banques tirées, ce caractère artificiel résultant de ce que la CIEC ne correspondait à aucun service rendu entre elles. En ce qui concerne les commissions AOCT, la cour d’appel a constaté que leur montant avait été fixé d’un commun accord à un niveau unique, identique d’une banque à l’autre, sans tenir compte des coûts propres de chacune d’entre elles, de sorte que la création de ces commissions a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques pour ces services connexes (pt 8).
La cour d’appel a ensuite relevé que, pour la rémunération des services qu’elles proposent, les banques recherchent la rentabilité globale au niveau de chaque client et non service par service, qu’ainsi, dans le cadre de cette relation globale, tous les flux de paiement (cartes bancaires, chèques, espèces, etc.), les crédits, les placements ou encore la gestion du compte peuvent être pris en compte par la banque afin de déterminer le prix des services bancaires qui seront facturés à un client donné, aboutissant ainsi à ce que, par un système dit de subventions croisées, un service puisse être proposé à un prix impliquant une perte si un autre poste permet de couvrir cette perte (pt 9).
La cour d’appel a en conséquence retenu que, par l’accord litigieux, les banques ont fait obstacle à leur liberté de détermination de leurs tarifs, et indirectement des prix, puisque ces commissions devaient nécessairement, compte tenu du système de financement des services bancaires par subventions croisées et du fait que les banques doivent, comme toute entreprise, couvrir leurs coûts, être répercutées sur les prix. Rappelant ensuite que les comportements consistant, pour les opérateurs d’un marché, à se concerter et à fixer ensemble un élément de leurs coûts, en ce qu’ils font obstacle à la libre fixation des prix qui doivent prévaloir sur les marchés, entrent dans la catégorie des accords ayant pour objet la fixation des prix et sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, la cour d’appel en a déduit que sont ainsi caractérisées des pratiques anticoncurrentielles par objet (pt 10).
Pour la chambre commerciale, en statuant ainsi, en se fondant sur la présomption, contestée, d’une répercussion nécessaire des commissions litigieuses sur les prix finaux, la cour d’appel qui, en l’absence d’expérience acquise pour ce type de commissions interbancaires, a méconnu le principe d’interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet, a violé les articles 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du Code de commerce (pt 11).
La cour d’appel a par ailleurs estimé que les banques ont, par l’instauration de la CIEC, fait en sorte que la dématérialisation de l’encaissement, qui entraînait de nombreuses transformations dans leurs méthodes et était porteuse de gains et de pertes, n’emporte aucune modification dans la structure de marché, de sorte que la pratique est particulièrement nocive au regard de son impact sur le jeu de la concurrence et, partant, caractérise une pratique anticoncurrentielle par objet (pt 14).
Selon la chambre commerciale, en se déterminant ainsi, sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour affirmer que la recherche du maintien des équilibres financiers entre les banques conduisait à la cristallisation de la structure de marché, la cour d’appel a privé sa décision de base légale (pt 15).
En conséquence, la haute juridiction casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Paris mais seulement en ce que, réformant la décision n° 10-D-28, il a prononcé des sanctions pécuniaires à l’égard de quatre banques. Par ailleurs, elle remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée5.
III – Rejet du pourvoi dans l’affaire de l’indemnisation des pratiques de la SNCF et Expedia dans le secteur des voyages en ligne
On se souvient que, par une décision n° 09-D-06 du 5 février 2009, l’Autorité de la concurrence, saisie par plusieurs sociétés, dont la société Switch, a sanctionné la SNCF et la société Expedia pour avoir mis en œuvre, en violation des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, une entente ayant pour objet et pour effet de favoriser leur filiale commune, l’Agence VSC, sur le marché des services d’agence de voyages prestés pour les voyages de loisirs, au détriment des concurrents.
Le liquidateur judiciaire de la société Switch a ultérieurement assigné la SNCF en réparation du préjudice subi par cette société résultant de la pratique anticoncurrentielle. Devant la Cour de cassation, la SNCF faisait grief à la cour d’appel de Paris de l’avoir condamnée à payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts, alors que, selon l’opérateur historique, l’indemnisation d’une perte de clientèle éventuelle, en conséquence d’une entente privilégiant une société proposant des produits concurrents, consiste tout au plus en une perte de chances de réaliser les ventes escomptées. Le moyen précisait que, en écartant en l’espèce l’existence d’une perte de chances et en accordant à la société Switch « l’indemnisation du préjudice concurrentiel qu’elle a subi en raison de l’impossibilité pour elle de proposer ses produits à la clientèle détournée par la SNCF au profit de l’Agence VSC » à hauteur du manque à gagner correspondant à la perte du chiffre d’affaires qu’elle aurait pu réaliser, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article 1382 devenu 1240 du Code civil.
Cette critique est écartée : « Mais attendu (…) qu’après avoir rappelé (…) que, durant l’entente, les agences de voyages en ligne concurrentes de l’Agence VSC n’avaient eu aucune possibilité d’accéder au canal mis en place par la SNCF pour vendre leurs propres produits et relevé que la société Switch était un concurrent de l’Agence VSC sur le marché des services d’agences de voyages prestés pour les voyages de loisirs, l’arrêt retient que la société Switch a subi un manque à gagner correspondant à la perte du chiffre d’affaires qu’elle aurait pu réaliser auprès de la clientèle internaute de la SNCF, dont elle a été évincée du fait de la pratique anticoncurrentielle ; qu’ayant ainsi caractérisé un préjudice certain, c’est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d’appel a retenu que le préjudice subi par la société Switch ne s’analysait pas en une perte de chance[s] ».
On notera également le rejet d’un grief reprochant à la cour d’appel d’avoir apprécié le préjudice en prenant en compte le marché affecté par la pratique en cause, et non le marché pertinent : « Attendu (…) qu’après avoir constaté que, dans le cadre de l’atteinte à l’économie engendrée par la pratique anticoncurrentielle, l’autorité avait défini le marché pertinent comme étant celui des services d’agences de voyages prestés pour les voyages de loisirs sur le territoire français sans distinguer les différents canaux de distribution, agences en ligne, agences physiques ou centres d’appels, au motif qu’ils étaient substituables, c’est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d’appel a retenu que, s’agissant de l’appréciation du préjudice subi par la société Switch, il convenait de prendre en compte le segment du marché spécifiquement affecté par la pratique anticoncurrentielle ».
Enfin, la chambre commerciale écarte une critique qui reprochait à la cour d’appel d’admettre l’indemnisation du préjudice correspondant à l’effet différé de la pratique : « Attendu (…) qu’après avoir précisé qu’il existait une perte directe et immédiate de volume d’affaires du fait de la pratique anticoncurrentielle, l’arrêt retient qu’il existe également une perte certaine due à un effet différé de la pratique, défini par l’expert judiciaire comme correspondant à une baisse du volume d’affaires induite par l’absence de fidélisation de la clientèle détournée ; qu’après avoir relevé que l’évaluation que faisait la société Switch de cet effet différé conduisait, ainsi que l’avait souligné l’expert judiciaire, à des effets cumulatifs dépassant le montant du préjudice direct, l’arrêt retient que le montant du préjudice demandé à ce titre doit être réduit ; qu’ayant ainsi caractérisé la certitude du préjudice causé par cet effet différé, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et sans violer le principe de la réparation intégrale du préjudice que la cour d’appel en a fixé le montant »6.
IV – Précisions des conditions de motivation auxquelles est soumis le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence lorsqu’il décide de lever la protection accordée au titre du secret des affaires
Un arrêt rendu par la chambre commerciale le 29 janvier 2020 est venu préciser les conditions de motivation auxquelles est soumis le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence lorsqu’il décide de lever la protection accordée au titre du secret des affaires.
Au début de cette affaire, l’autorité ayant été saisie, par la société Sodiwal, de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation à Wallis-et-Futuna, consistant en des accords exclusifs d’importation entre la société General Import et ses fournisseurs, la société General Import a communiqué, à la demande de la rapporteure chargée de l’instruction de l’affaire, des informations portant sur ses relations commerciales avec ses fournisseurs. Par une décision du 28 septembre 2017, la rapporteure générale adjointe de l’autorité a fait droit à la demande de la société General Import de protection de ces informations au titre du secret des affaires ; la rapporteure en charge de l’instruction l’ayant informée que certaines pièces sur lesquelles portait la protection paraissaient devoir être communiquées à toutes les parties, pour les besoins du débat devant l’autorité, la société General Import s’est opposée à la levée du secret des affaires ; par une décision du 30 novembre 2017, la rapporteure générale adjointe a rendu les pièces en cause accessibles à l’ensemble des parties ; la société General Import a formé un recours contre cette décision.
Pour rejeter ce recours, le premier président de la cour d’appel de Paris a relevé que les produits commercialisés par la société General Import et ses fournisseurs ne font pas l’objet d’accords écrits et retenu qu’en l’absence de tels accords, l’existence d’une éventuelle infraction aux dispositions de l’article L. 420-2-1 du Code de commerce7 ne pourrait être établie que par la technique dite du faisceau d’indices. Il en a déduit que la production des informations communiquées par la société General Import, en version confidentielle, était nécessaire pour les débats devant l’autorité, afin de caractériser ou non une telle pratique.
La chambre commerciale censure cette solution à laquelle elle reproche de ne pas avoir précisé en quoi il était nécessaire de communiquer les informations protégées pour les besoins du débat devant l’autorité : « En se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi il était nécessaire, pour les besoins du débat devant l’autorité, qui dispose elle-même de la version confidentielle des informations communiquées par la société General Import, que d’autres parties à la procédure, dont la partie saisissante, puissent prendre connaissance de ces informations relevant du secret des affaires, le premier président n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Elle casse et annule, en toutes ses dispositions, l’ordonnance attaquée, entre les parties, et remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris, autrement composée8.
V – Confirmation de l’absence de risque de divulgation d’informations susceptibles de relever du secret des affaires de Randstad
Dans le cadre d’une enquête relative à des pratiques anticoncurrentielles susceptibles d’être mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, des opérations de visites et saisies ont été menées, en juillet 2013, par les services de l’instruction de l’Autorité de la concurrence, dans les locaux de plusieurs sociétés du groupe Randstad. Au vu des éléments recueillis, l’autorité s’est saisie d’office, en mai 2015, de l’examen du respect par Randstad des engagements qu’elle avait pris et qui avaient été acceptés et rendus obligatoires par une décision du 2 février 2009 du Conseil de la concurrence. Le rapporteur général de l’autorité, par plusieurs décisions adoptées entre juillet et octobre 2017 à la demande de Randstad, a accordé la protection, au titre du secret des affaires, à de nombreuses pièces du dossier. Par lettres des 16 et 23 octobre 2017, le rapporteur en charge de l’instruction de l’affaire a informé Randstad qu’il entendait procéder au déclassement d’un certain nombre de pièces confidentielles visées par les décisions précitées, ces pièces étant nécessaires pour les besoins du débat devant l’autorité. Randstad s’est opposée à la levée du secret des affaires envisagée et a proposé de nouvelles versions non confidentielles des documents en cause. Par une décision du 29 novembre 2017, le rapporteur général a accepté les nouvelles versions non confidentielles de certaines pièces mais a procédé au déclassement de toutes les autres, les rendant intégralement accessibles dans leur version confidentielle.
Randstad a formé un recours contre cette décision. La solution retenue par le premier président de la cour d’appel de Paris n’ayant pas donné satisfaction à l’entreprise, un pourvoi a été formé, sans plus de succès :
« Mais attendu, en premier lieu, que lorsque l’instruction ne concerne qu’une seule entreprise, il n’existe, à ce stade de la procédure, aucun risque de divulgation d’informations susceptibles de relever du secret des affaires de l’entreprise mise en cause, dès lors qu’aucune autre partie n’a accès à la procédure ; qu’après avoir constaté que l’instruction de l’affaire ne concernait que les sociétés Randstad, lesquelles constituaient une seule entité et partie à la procédure, l’ordonnance retient, à bon droit, qu’en l’absence d’une ou plusieurs tierces parties, ces sociétés ne peuvent justifier d’une quelconque atteinte à leurs droits, au motif de la levée de la protection du secret des affaires ; que si c’est à tort que le premier président en a déduit que leur recours était irrecevable, les sociétés Randstad sont sans intérêt à demander la cassation de l’ordonnance de ce chef, dès lors qu’il résulte des constatations et appréciations précitées que le recours, quoique recevable, devait être rejeté ; »
« Et attendu, en second lieu, qu’en l’absence de tout risque de divulgation d’informations susceptibles de relever du secret des affaires des sociétés Randstad, aucune méconnaissance du droit au secret des affaires de ces sociétés ni violation des articles 6, § 1, et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales n’est caractérisée »9.
Notes de bas de pages
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1.
C. com. art. L.442-6, I, 2° anc. : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
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2.
Cass. com., 15 janv. 2020, n° 18-10512.
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3.
CA Paris, 5-7, 21 déc. 2017, n° 15/17638.
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4.
CJUE, 26 nov. 2015, n° C-345/14, Sia Maxima Latvija, pt 18.
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5.
Cass. com., 29 janv. 2020, nos 18-10967 et 18-11001.
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6.
Cass. com., 29 janv. 2020, n° 17-15156.
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7.
C. com., art. L. 420-2-1 : « Sont prohibés, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises ».
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8.
Cass. com., 29 janv. 2020, n° 18-11725.
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9.
Cass. com., 29 janv. 2020, n° 18-11726.