Activité de la Cour de cassation en droit de la concurrence (Juin 2017)

Publié le 22/01/2018

La présente étude porte sur les arrêts rendus par la Cour de cassation en droit de la concurrence au sens du livre IV du Code de commerce. Plusieurs domaines sont théoriquement concernés. La Cour de cassation se prononce d’abord sur les arrêts que la cour d’appel de Paris rend lorsqu’elle est saisie d’un recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence (ancien Conseil de la concurrence) ; elle est également saisie des arrêts rendus par les cours d’appel en matière de « transparence », « pratiques restrictives de concurrence » et « autres pratiques prohibées », au sens du titre IV du livre IV du Code de commerce ; elle est aussi compétente en matière de visites et de saisies opérées sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce ; enfin, elle se prononce sur les décisions rendues dans le cadre de litiges entre opérateurs économiques. L’étude porte sur la période de juin 2017. Les points suivants retiendront plus particulièrement l’attention : Légalité de l’ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie (I) ; Déroulement des opérations de visite et de saisie – refus d’accès de l’entreprise au juge des libertés et de la détention (II) ; Distribution sélective et droit des ententes (III) ; Dénigrement des produits d’un concurrent (IV) ; Abus de position dominante dans le secteur des bases de données d’informations médicales (V).

I – Légalité de l’ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie

A l’origine de cette affaire, le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance d’Évry a autorisé le directeur régional adjoint des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Île-de-France, à procéder, dans les locaux de l’entreprise ITM Alimentaire International, à des visites et saisies afin de rechercher la preuve d’agissements, qu’elle aurait commis envers ses fournisseurs, au titre de la « compensation de sa perte de rentabilité » due à la « guerre des prix », relatifs à des demandes d’avantages financiers et commerciaux hors convention et à des menaces d’arrêts de commandes et de déréférencements. Elle a donné lieu à deux arrêts de la chambre criminelle rendus le 28 juin 2017.

Notons en premier lieu que le premier président de la cour d’appel de Paris avait rejeté le recours de l’entreprise visant à prononcer la nullité de l’ordonnance du JLD. Le pourvoi en cassation n’a pas eu plus de succès. ITM Alimentaire International reprochait au premier président d’avoir rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance alors que, selon elle, elle reposait sur une enquête préalable irrégulière dès lors qu’elle reposait sur des rapports d’enquête (formule permettant, aux yeux de l’administration, de recueillir des déclarations anonymes) alors que l’article L. 450-2 du Code de commerce imposerait l’établissement de procès-verbaux.

Le moyen est rejeté : « Attendu qu’en l’état de ces énonciations et dès lors que, d’une part, toute contestation sur les éléments de l’enquête relève du contentieux au fond, d’autre part, le juge peut faire état de déclarations anonymes, dont l’article L. 450-2 du Code de commerce n’impose pas qu’elles soient consignées dans un procès-verbal, dans la mesure où elles lui sont soumises au moyen de documents établis signés par les agents de l’administration permettant d’en apprécier la teneur et qu’elles sont corroborées par d’autres éléments d’information et, enfin, le juge doit s’assurer du caractère suffisant des présomptions qui résultent des éléments d’informations qui sont en possession du demandeur et produites aux fins de justifier la visite, le premier président (…) a, sans méconnaître les principes conventionnels et légaux invoqués, souverainement apprécié par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, à partir de l’ensemble des éléments qui étaient soumis, l’existence de présomption d’agissement anticoncurrentiels à l’encontre de la société ITM, justifié sa décision ».

On notera encore le rejet d’un moyen qui invoquait le caractère incomplet du dossier présenté au JLD : « Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’ordonnance en raison du caractère incomplet du dossier présenté par l’administration, le premier président relève que les documents versés à l’appui de la requête qui contenaient les déclarations faites aux enquêteurs étaient synthétisés dans les rapports de l’administration et corroboraient les lettres ouvertes publiées par les fédérations de fournisseurs et que l’anonymat des fournisseurs devait être préservé en raison des risques de représailles, notamment économiques, pouvant être encourus ; Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que le premier président n’était pas compétent pour statuer sur une demande de communication de pièces et que l’exécution d’une opération de visite et saisie autorisée par le juge des libertés et de la détention ou, en appel, par le premier président de la cour d’appel en application de l’article L. 450-4 du Code de commerce, réalisée sous le contrôle du juge et dont le déroulement donne lieu à recours judiciaire, n’est pas subordonnée aux règles définies par la loi du 17 juillet 1978, modifiée, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le premier président a justifié sa décision »1.

II – Déroulement des opérations de visite et de saisie – refus d’accès de l’entreprise au juge des libertés et de la détention

L’affaire ITM Alimentaire International retiendra également l’attention en ce qu’elle a donné l’occasion à la chambre criminelle de refuser un droit d’accès direct de l’entreprise au juge des libertés et de la détention pendant le déroulement des opérations de visite et de saisie2.

L’entreprise faisait valoir que dès lors que le principe du contradictoire doit être respecté dès le début de l’enquête, c’est l’acte de notification qui ouvre les opérations qui doit informer la partie visitée de l’existence d’un contrôle exercé par le juge et que, pour rendre cette garantie effective, elle doit nécessairement figurer dans l’ordonnance d’autorisation au moment même où celle-ci est portée à la connaissance de l’occupant des lieux. En décidant le contraire, le premier président de la cour d’appel de Paris aurait violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et L. 450-4 du Code de commerce.

L’entreprise soutenait également que l’arrêt Ravon3 impose l’obligation légale de faire connaître aux intéressés leur droit de soumettre toute difficulté au juge pendant le déroulement des opérations.

La chambre criminelle n’accueille pas cette analyse et approuve au contraire, sans réserve, celle du premier président. Ce faisant, elle précise que, d’une part, l’article L. 450-4 du Code de commerce ne prévoit pas que l’occupant des lieux dans lesquels ont été autorisées, par le JLD, des opérations de visite et saisie aux fins de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, doit avoir connaissance des coordonnées du juge ni qu’il doit être informé de la possibilité de recourir à celui-ci afin qu’il exerce son contrôle sur la régularité des mesures en cours.

Elle précise, d’autre part, que l’occupant des lieux ne dispose pas du droit de saisir lui-même le juge qui a délivré l’autorisation, les officiers de police judiciaire chargés d’assister aux opérations devant, au cours de la visite, tenir ce magistrat informé des difficultés rencontrées4.

III – Distribution sélective et droit des ententes

La chambre commerciale de la Cour de cassation a, le 8 juin 2017, rendu deux arrêts qui retiennent l’attention en ce qu’ils s’inscrivent dans le contexte de l’extension récente, dans la jurisprudence, de la liberté dont bénéficie le fournisseur dans l’organisation de son réseau de distribution sélective. Le premier arrêt refuse de donner gain de cause à un distributeur qui se heurtait à un refus d’agrément alors qu’il invoquait le non-respect des critères de sélection par certains membres du réseau officiel. Le second permet à une tête de réseau de distribution sélective de refuser de renouveler un contrat de distribution sélective sans avoir à motiver ce refus.

A – Refus d’agrément à un réseau de distribution sélective

Un distributeur d’appareils électroménagers avait cru pouvoir contester le refus d’agrément que lui opposait la tête d’un réseau de distribution sélective en invoquant le non-respect des critères de sélection par de nombreux distributeurs agréés, mais la cour d’appel de Paris a refusé d’accéder à sa demande. La Cour de cassation approuve les juges parisiens : « Attendu que la société Candy fait grief à l’arrêt du rejet de ses demandes au titre des pratiques anticoncurrentielles alors, selon le moyen, que la société Candy faisait valoir dans ses conclusions en cause d’appel que la société Eberhardt mettait en œuvre une sélection quantitative, contraire aux dispositions de l’article L. 420-1 du Code de commerce ; qu’elle démontrait, preuves à l’appui, que de nombreux distributeurs avaient été agréés, sans pour autant satisfaire aux conditions fixées pour l’entrée dans le réseau de distribution ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen en affirmant qu’elle était saisie d’une pure allégation, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ; Mais attendu qu’après avoir énoncé qu’un réseau de distribution sélective ne saurait être prohibé lorsque le fournisseur choisit les distributeurs en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, sans discrimination et sans limitation quantitative injustifiée, sous réserve que les critères retenus soient en rapport avec la nature du produit et ne dépassent pas ce qui est nécessaire, l’arrêt retient que les conditions exigées par la société Eberhardt répondent à la qualité des produits Liebherr et que la société Candy n’a jamais répondu à ces critères, qu’elle connaissait parfaitement ; qu’il ajoute que la société Candy dispose en effet d’entrepôts et non de magasins, qu’il n’y a pas de surface de vente suffisante, que les étiquettes mentionnent le prix “discount” avant le prix lui-même, que son site internet comporte la même enseigne “Discount” et que son site internet “Super10home” n’a jamais été en état de fonctionnement, que ses conditions générales de vente, qui mentionnent qu’il n’y a pas toujours de disponibilité immédiate des produits et que la reprise de l’ancien matériel n’est pas gratuite, ne satisfont pas non plus aux conditions demandées, et qu’enfin le service après-vente est défaillant ; qu’ayant ainsi retenu que la société Candy ne satisfaisait pas aux critères exigés, la cour d’appel n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes »5.

B – Refus de renouvellement d’un contrat de distribution sélective

À l’origine de ce second litige, une tête de réseau a consenti à un distributeur un contrat de distribution sélective de ses produits pour une durée d’un an, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par l’une des parties. La tête de réseau a fait usage de cette faculté mais s’est heurtée à une assignation visant à obtenir la reprise des livraisons.

La cour d’appel de Paris ayant rejeté sa demande, le distributeur s’est pourvu en cassation en faisant valoir, sur le fondement de l’article L. 420-1 du Code de commerce et de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), que dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, un fournisseur n’est pas en droit de refuser le renouvellement du contrat à l’un de ses distributeurs dès lors que celui-ci remplit les conditions d’agrément de ce réseau.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel de Paris qui, ayant relevé que le fournisseur avait respecté les modalités contractuellement fixées pour dénoncer le contrat, en a déduit que le fournisseur n’était pas tenu de motiver sa décision de non-renouvellement.

La Cour de cassation énonce par ailleurs que le litige ne portant pas sur le refus d’un nouvel agrément du distributeur à l’issue du non-renouvellement de son contrat mais sur la cessation de celui-ci, c’est à juste titre que la cour d’appel a retenu que le respect ou non par le distributeur des conditions d’agrément était inopérant et que ce dernier invoquait à tort les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.

La Cour ajoute cependant que si nul n’est tenu de renouveler un contrat arrivé à son terme, c’est sous réserve que l’auteur du non-renouvellement ne se livre pas à un abus de droit6.

IV – Dénigrement des produits d’un concurrent

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par des producteurs de produits laitiers frais commercialisés en Martinique contre l’arrêt du 24 septembre 2015 par lequel la cour d’appel de Paris a confirmé pour l’essentiel les constatations de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de produits laitiers frais aux Antilles françaises. On se souvient que, dans cette affaire, l’Autorité avait sanctionné le leader des produits laitiers frais aux Antilles, la Société Nouvelle des Yaourts de Littée (SNYL) pour avoir, entre décembre 2007 et décembre 2009, abusé de sa position dominante en diffusant un discours jetant le discrédit sur la qualité sanitaire des produits concurrents Malo, utilisant notamment des résultats contestables d’analyses bactériologiques, et en mettant en cause, auprès des distributeurs, la pratique de la double date limite de consommation appliquée par la Laiterie de Saint-Malo (LSM) à ses produits laitiers, alors qu’aucun texte n’interdisait aux industriels de proposer deux dates de DLC, déterminées en fonction du lieu de destination des produits vendus (en métropole ou territoires ultra-marins).

La haute juridiction écarte l’ensemble des moyens soulevés par les requérantes. On retiendra notamment l’analyse de la Cour sur la position dominante de la SNYL et sur l’abus de cette position dominante.

S’agissant de la position dominante de la SNYL, la cour d’appel a pu retenir que l’intensification de la concurrence n’a pas modifié la structure du marché, caractérisée notamment par la présence d’un opérateur très puissant, qui détient une part de 68 %, et d’un principal concurrent ne détenant que 12 % et 25 % des marchés respectifs des fromages frais et des yaourts.

La cour d’appel a pu également retenir que la puissance d’achat des groupes de distribution doit être tempérée dans ses effets par les pratiques de prix conseillés et le respect de ces prix par la grande distribution.

Les juges parisiens ont dès lors pu déduire que la pression concurrentielle à laquelle est soumise la SNYL reste modeste et en tout cas insuffisante pour lui faire perdre sa position dominante.

En ce qui concerne l’abus de position dominante, les requérantes faisaient valoir que le dénigrement pouvant être constitutif d’abus de position dominante suppose que soit jeté publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié en vue de bénéficier d’un avantage concurrentiel en pénalisant un compétiteur déterminé. Or, la cour d’appel a expressément constaté que les analyses, effectuées à la demande de la société SNYL et communiquées au syndicat Syndifrais, portaient non sur les seuls produits laitiers de la société LSM mais également sur ceux de la société Savoie Yaourts. En retenant que la société SNYL avait, par la transmission des résultats erronés de ces analyses au syndicat, dénigré la société LSM, la cour d’appel n’aurait donc pas déduit les conséquences légales de ses constatations, en violation de l’article L. 420-2 du Code de commerce.

La Cour de cassation refuse de faire droit à ce moyen. Elle estime en effet qu’il importe peu que les analyses effectuées par la SNYL aient également concerné un autre concurrent7.

V – Abus de position dominante dans le secteur des bases de données d’informations médicales

À l’origine de l’affaire des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales, l’Autorité de la concurrence a condamné la société Cegedim sur le fondement tant de l’article 102 du TFUE que de l’article L. 420-2 du Code de commerce, pour avoir refusé de vendre aux clients de son concurrent Euris sa base de données OneKey d’informations médicales qui recensent notamment les coordonnées des médecins et toute information utile aux visiteurs médicaux ; base de données qui est utilisée par les logiciels de gestion de clientèle (CRM).

Elle a considéré que, en refusant de vendre sa base de données aux seuls clients actuels et potentiels de la société Euris, et donc en limitant son refus à une catégorie de clients, la société Cegedim a opéré, sur le marché connexe de l’utilisation des logiciels de gestion de clientèle, une discrimination entre des entreprises qui utilisent ou souhaitent utiliser un logiciel commercialisé par Euris, et celles qui travaillent ou désirent travailler avec un logiciel vendu par un concurrent.

Elle a en conséquence infligé à la société Cegedim une sanction pécuniaire de 5 767 000 € et lui a enjoint de ne pas opérer pour le futur de discriminations entre ses clients sur la base du choix du logiciel de gestion.

Saisie d’un recours, la cour d’appel de Paris avait, dans un arrêt du 24 septembre 2015, rejeté le recours d’Euris, ainsi que celui de la société Cegedim.

À son tour, la chambre commerciale confirme l’arrêt de la cour d’appel. Ce faisant, elle rejette l’ensemble des moyens soulevés par la société Cegedim et notamment ceux portant sur les points suivants.

A – Marché pertinent

Répondant à un moyen de la société Cegedim qui contestait la délimitation du marché pertinent adoptée par l’Autorité de la concurrence, la cour d’appel de Paris avait retenu qu’il existe, de la part des laboratoires pharmaceutiques, une demande spécifique de données relatives aux noms, adresses et spécialités des médecins prescripteurs de médicaments ou de produits relatifs à la santé, afin de connaître quels sont les médecins qui prescrivent leurs médicaments et les zones géographiques les plus concernées par leurs offres, et de pouvoir entrer en contact avec ces professionnels pour leur faire connaître de nouveaux médicaments et produits. Elle avait ajouté que ces informations, qui répondent à un besoin particulier et propre aux laboratoires pharmaceutiques, leur sont indispensables pour connaître les besoins de leur clientèle et ne peuvent être substituées par d’autres informations portant, par exemple, sur un ou plusieurs autres secteurs d’activités, qui ne seraient d’aucune utilité pour eux. La cour d’appel avait encore retenu qu’à cette demande spécifique et non substituable répond une offre de fourniture de ces informations, qui émane de divers acteurs, dont la société Cegedim.

Pour la chambre commerciale, de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire, sans avoir, comme le faisait valoir le pourvoi, à définir précisément la notion de laboratoire pharmaceutique, que la rencontre de cette offre et de cette demande, portant sur des produits spécifiques non substituables, constituait un marché pertinent, exactement défini par l’Autorité comme étant celui des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, peu important que les entreprises auxquelles la société Cegedim avait refusé l’accès à sa base de données n’aient pas eu le statut de laboratoires pharmaceutiques.

B – Position dominante

La cour d’appel de Paris avait par ailleurs confirmé l’analyse de l’Autorité de la concurrence sur la position dominante de la société Cegedim. Ce faisant, elle avait relevé que la société Cegedim évaluait la part de marché de sa base de données à 22 % et celle des bases concurrentes à 6 % et que Cegedim ne fournissait aucun chiffre pour les bases de données internes aux entreprises. La cour d’appel avait par ailleurs retenu que la part de marché détenue par des opérateurs non identifiés correspondait à celle de l’autoproduction, constituée par les bases de données internes des entreprises, et avait ajouté que l’autoproduction ne doit pas être prise en compte dans le calcul des parts de marché. Elle en avait déduit que l’Autorité doit être approuvée en ce que, rapportant la part de 22 % à la totalité du marché composé de la base de données One Key et des bases de données concurrentes, elle a chiffré à 78 % la part de marché de la société Cegedim. Elle avait ajouté que l’importance de cette part de marché était confortée par de nombreux autres éléments et notamment par les données qui figurent dans la décision de l’Autorité, dont il résulte que les plus grands laboratoires sont clients de la société Cegedim et utilisent son fichier OneKey, ainsi que par les informations que cette société a elle-même diffusées au public sur son site internet. La cour d’appel a encore retenu que la puissance de marché de Cegedim résultait également des qualités de la base de données Onekey, telles son exhaustivité et sa mise à jour quotidienne, lesquelles réclament un investissement important et continu, ce qui constitue une réelle barrière à l’entrée.

Pour la chambre commerciale, de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que la société Cegedim se trouvait en position dominante sur le marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques, peu important que la base OneKey ne puisse pas être qualifiée d’infrastructure essentielle, faute de remplir les conditions particulières nécessaires à cette qualification.

C – Connexité entre le marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion de leurs visites médicales et le marché des logiciels CRM

Devant la cour d’appel de Paris, la société Cegedim avait contesté l’analyse de l’Autorité de la concurrence en ce qu’elle avait retenu la connexité entre le marché des bases de données à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion de leurs visites médicales et le marché des logiciels CRM.

La cour d’appel avait refusé d’accueillir ce moyen. Pour retenir la connexité, elle avait relevé qu’il était établi que la société Cegedim refusait de vendre sa base de données Onekey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, cependant qu’elle acceptait de la vendre à des utilisateurs ayant recours à des logiciels concurrents. Elle avait retenu que ce refus discriminatoire a eu un effet anticoncurrentiel en créant, au préjudice de la société Euris, sans justification économique ou juridique, un désavantage en termes de coûts et d’image par rapport à l’ensemble de ses concurrents sur le marché des logiciels de gestion de la relation clients dans le secteur de la santé, faussant ainsi le jeu de la concurrence sur ce marché. Elle avait estimé que la société Cegedim n’était pas fondée à soutenir l’absence de lien de connexité entre le marché des bases de données d’informations médicales, sur lequel les pratiques abusives ont été commises, et celui des logiciels CRM dans le secteur de la santé, dès lors que ce lien se déduit de l’interdépendance fonctionnelle de ces logiciels et des bases de données, les logiciels CRM ne pouvant fonctionner sans base de données.

Selon la chambre commerciale, en l’état de ces seules constatations et appréciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.

D – Justification du comportement en cause

La Cour de cassation approuve également l’analyse de la cour d’appel de Paris en ce qu’elle a rejeté un moyen par lequel la société Cegedim tentait de justifier son comportement par la légitime défense : « Mais attendu qu’après avoir relevé que la société Cegedim ne reconnaissait qu’un seul refus de vente, à l’égard de l’association Santélys, qu’elle estimait justifié par les soupçons de contrefaçon qu’elle nourrissait à l’encontre de la société Euris, l’arrêt retient que la pratique mise en œuvre par la société Cegedim ne s’est pas limitée à ce seul refus mais s’est inscrite dans le cadre d’une stratégie commerciale consistant à opposer à tous les utilisateurs, actuels et potentiels, du logiciel de la société Euris un refus d’accès à la base de données Onekey ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations qui rendaient inopérant le moyen, soutenu devant elle, tiré du caractère légitime et proportionné du seul et unique refus de vente reconnu par la société Cegedim, la cour d’appel a pu retenir, sans avoir à effectuer d’autres recherches, que les pratiques mises en œuvre par cette société, qui ne s’étaient pas limitées à ce seul refus, constituaient des pratiques discriminatoires qui allaient au-delà de la défense légitime de ses droits et procédaient d’une exploitation abusive de sa position dominante, cependant que les soupçons sur d’éventuelles pratiques de contrefaçon ne pouvaient la conduire qu’à introduire les actions judiciaires prévues pour la protection de ses droits, ce qu’elle avait d’ailleurs fait »8.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81414.
  • 2.
    Ce faisant, elle s’inscrit dans la ligne qu’elle a tracée dans un arrêt : Cass. crim., 9 mars 2016, n° 14-85324.
  • 3.
    CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon et a. c/ France : D. 2008, AJ, p. 1054.
  • 4.
    Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81413 ; Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81414.
  • 5.
    Cass. crim., 8 juin 2017, n° 16-15372.
  • 6.
    Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-28355 ; Villey Desmeserets H. et Dauba F., « De la liberté pour la tête de réseau de ne pas renouveler le contrat de distribution sélective », RLC 2017/64, n° 3244.
  • 7.
    Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-26151.
  • 8.
    Cass. com., 21 juin 2017, n° 15-25941.
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