Activité de la Cour de cassation et du Conseil d’État en droit de la concurrence (Janvier à avril 2018)

Publié le 07/06/2018

La présente étude porte sur les arrêts rendus par la Cour de cassation et le Conseil d’État en droit de la concurrence au sens du livre IV du Code de commerce. Plusieurs domaines sont théoriquement concernés. La Cour de cassation se prononce d’abord sur les arrêts que la cour d’appel de Paris rend lorsqu’elle est saisie d’un recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence (ancien Conseil de la concurrence) ; elle est également saisie des pourvois en matière de « transparence », « pratiques restrictives de concurrence » et « autres pratiques prohibées », au sens du titre IV du livre IV du Code de commerce ; elle est aussi compétente en matière de visite et de saisies opérées sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce ; enfin, elle se prononce sur les décisions rendues dans le cadre de litiges entre opérateurs économiques. Quant au Conseil d’État, il suffit, pour mesurer l’étendue de sa compétence, de rappeler que le droit de la concurrence fait partie intégrante du bloc de la légalité administrative. L’étude porte sur la période de janvier à avril 2018. Les points suivants ont plus particulièrement retenu l’attention : confirmation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans l’affaire des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en métropole (I) ; absence d’intérêt à agir du bailleur d’un magasin contre une décision autorisant une concentration (II) ; défaut d’effet rétroactif de la limitation du pouvoir de la cour d’appel de Paris en matière de pratiques restrictives (III) ; conformité au droit européen de l’interdiction de la revente à perte (IV) ; inapplicabilité de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce à l’exécution d’un bail commercial (V) ; imposition d’un caractère minimal au prix de revente d’un bien (VI) ; contentieux des opérations de visites et de saisies (VII).

I – Confirmation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans l’affaire des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en métropole

On se souvient que la cour d’appel de Paris a, pour l’essentiel, validé la décision par laquelle l’Autorité avait condamné la société Orange France et la société SFR pour avoir abusé de la position dominante que chacune d’elles détient sur leurs marchés de terminaison d’appel respectifs en mettant en œuvre, à partir d’avril 2005, une différenciation tarifaire abusive entre les appels « on net » (passés sur leur propre réseau) et les appels « off net » (à destination d’un réseau concurrent). Les juges parisiens avaient néanmoins réduit les sanctions respectivement infligées à Orange et à SFR de 20 % afin de tenir compte de la spécificité de la pratique en cause par rapport aux pratiques de différentiation tarifaire précédemment sanctionnées1.

À son tour, la chambre commerciale de la Cour de cassation approuve en tous points l’arrêt de la cour d’appel, rejetant ce faisant l’ensemble des moyens des pourvois formés par les sociétés Orange et SFR et portant respectivement sur le test économique utilisé en l’espèce, le lien de causalité entre la position dominante et le comportement abusif, les sanctions infligées aux entreprises, et les demandes de renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne.

A – Test économique utilisé en l’espèce

SFR reprochait à la cour d’appel de Paris d’avoir approuvé l’Autorité de la concurrence de s’être affranchie en l’espèce du test de ciseau tarifaire antérieurement admis par les instances européennes.

La haute juridiction écarte le moyen en relevant d’abord qu’ayant constaté que les pratiques dénoncées consistaient dans la commercialisation d’offres, dites d’abondance, sur les appels « on net », qui étaient différentes, tant dans leur expression que dans leurs effets potentiels, de celles ayant donné lieu à la jurisprudence invoquée par les sociétés SFR et Orange et plus complexes que celles jusque-là examinées par la Cour de justice de l’Union européenne, la cour d’appel a retenu que le test de ciseau tarifaire n’est pas un test adapté à l’espèce dès lors qu’il ne permettrait pas d’appréhender la totalité des répercussions que les pratiques de différenciation abusive en cause sont susceptibles d’entraîner sur le marché et, notamment, l’effet de regroupement des clients ainsi que les effets statistiques. Elle énonce ensuite qu’ayant relevé que la méthode mise en œuvre par l’Autorité, qui visait à traduire en termes monétaires la différence entre le prix des communications « on net » et « off net », du fait de la présence d’avantages qui n’étaient pas, eux, définis en ces termes, était construite sur des hypothèses qui permettaient une comparaison objective des prix, qu’elle reposait sur des éléments objectifs et sur une analyse logique clairement exposée et permettait de faire ressortir une quantification des éléments de l’offre, la cour d’appel a retenu que cette méthode était, dès lors, appropriée pour analyser la construction tarifaire en cause et justifiée d’un point de vue économique. Les hauts magistrats ajoutent qu’en cet état, c’est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations ni le principe de sécurité juridique que la cour d’appel en a déduit que l’Autorité avait pu utiliser un test économique autre que celui utilisé dans les précédents, permettant d’appréhender l’ensemble des effets anticoncurrentiels des pratiques.

B – Lien de causalité entre la position dominante et le comportement abusif

SFR reprochait également à la cour d’appel de Paris de ne pas avoir caractérisé l’existence d’un lien entre la position dominante que chacune des entreprises détient sur leurs marchés de terminaison d’appel respectifs et la pratique consistant en une différenciation tarifaire abusive.

Le moyen est également rejeté, la Cour de cassation approuvant l’analyse de la cour d’appel de Paris. Celle-ci avait rappelé que les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE sont susceptibles de s’appliquer alors même que l’abus est constaté sur un marché autre que celui sur lequel l’entreprise en cause détient une position dominante, dès lors que sont réunies deux conditions tenant à l’existence, d’une part, de liens étroits entre ces marchés et, d’autre part, de circonstances particulières justifiant cette application. Or elle avait relevé que l’existence de liens étroits entre les marchés amont de la terminaison d’appel vers leur propre réseau, sur lesquels les sociétés Orange et SFR sont en position dominante, et le marché aval de détail de la téléphonie mobile, sur lequel les pratiques abusives ont été mises en œuvre, résulte de ce que la terminaison d’appel constitue une prestation technique intermédiaire, nécessaire à la réalisation d’un appel depuis le réseau de l’appelant vers le réseau de l’appelé. Elle avait également relevé, s’agissant de l’exigence de circonstances particulières, que la position dominante détenue par les sociétés Orange et SFR sur les marchés de leurs terminaisons d’appel respectives leur avait permis de facturer cette prestation à leurs concurrents à des prix supra-concurrentiels en s’alignant sur les tarifs maximums fixés par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui étaient, au cours de la période en cause, significativement supérieurs aux coûts réels supportés par elles, ce dont il était résulté une élévation sensible des coûts des concurrents et un effet d’éviction sur le marché de détail. Elle avait ajouté que, à l’inverse, si les opérateurs s’étaient trouvés en position de concurrence sur le marché de la terminaison d’appel vers leur réseau, les prix de ces prestations auraient convergé vers les coûts, de sorte que les opérateurs de petite taille auraient pu commercialiser des offres d’abondance cross-net (offres d’abondance de téléphonie mobile à destination de tous les réseaux de téléphonie mobile), tandis que les offres d’abondance « on net » auraient été moins attractives. La cour d’appel en avait déduit que, du fait de la position dominante détenue par les sociétés Orange et SFR sur le marché de la terminaison d’appel, combinée à leurs parts de marché significatives sur le marché de détail de la téléphonie mobile, les pratiques de différenciation tarifaire mises en œuvre par ces opérateurs étaient de nature à affaiblir la concurrence sur le marché de détail en évinçant ou en affaiblissant les concurrents au moins aussi efficaces sur ce marché.

Pour la Cour de cassation, en cet état, la cour d’appel a exactement retenu que ces circonstances, tenant en particulier au lien unissant la position dominante détenue sur les marchés amont et les pratiques abusives mises en œuvre sur le marché aval de détail, constituaient, au vu de la spécificité de ces marchés, des circonstances particulières propres à justifier l’application des articles 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce.

C – Sanctions pécuniaires

Les sanctions pécuniaires infligées par la cour d’appel de Paris étaient également visées par les pourvois, Orange et SFR n’entendant pas se contenter que la réduction de 20 % que leur a accordée la cour d’appel. Les deux sociétés ont soutenu qu’à défaut d’une interprétation jurisprudentielle accessible et antérieure au comportement dénoncé, lui conférant un caractère infractionnel, un tel comportement ne peut pas être sanctionné dans la mesure où il était difficile voire impossible pour son auteur de savoir, au moment des faits, qu’il pourrait entraîner une sanction.

La Cour de cassation refuse de faire droit à ce moyen. Elle le rejette en relevant que la cour d’appel avait certes constaté que l’application au cas d’espèce d’un grief de différenciation tarifaire se distinguait des précédents connus jusqu’alors en jurisprudence et dans la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et relevé le caractère, à certains égards, inédit de l’application de la qualification d’abus de position dominante aux faits de la cause. Mais elle a retenu également que cette circonstance ne fait pas disparaître ni même n’atténue la contrariété au droit de la concurrence des pratiques reprochées aux sociétés Orange et SFR, avec les conséquences qui s’y attachent en ce qui concerne la responsabilité de ces opérateurs. Ayant ainsi fait ressortir qu’il était raisonnablement prévisible, au moment où les pratiques ont été commises, que la qualification d’abus de position dominante leur était applicable, la Cour de cassation ajoute que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la proportionnalité de la sanction que la cour d’appel a retenu qu’il n’y avait pas lieu de ramener à un montant symbolique les sanctions pécuniaires prononcées, ainsi que le demandaient les sociétés, mais qu’il convenait d’en diminuer le montant dans la proportion qu’elle a appréciée.

D – Demandes de renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne

Rejetant un moyen soulevé par Orange qui reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté ses demandes de renvoi de neuf questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 267 TFUE, une juridiction dont les décisions sont susceptibles d’un recours de droit interne n’est pas tenue, lorsqu’une question d’interprétation du traité est soulevée devant elle, de demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

La Cour de cassation rejette également les demandes de transmission à la Cour de justice des neuf questions préjudicielles que lui a présentées Orange, la haute juridiction judiciaire estimant qu’il n’y a pas de doute raisonnable quant à l’interprétation de l’article 102 TFUE et son application aux faits de l’espèce2.

II – Absence d’intérêt à agir du bailleur d’un magasin contre une décision autorisant une concentration

Le bailleur d’un magasin d’une société n’exerçant son activité sur aucun des marchés concernés par une opération de concentration entre cette société et une autre société ne justifie pas, en sa qualité de bailleur, d’un intérêt à agir pour attaquer la décision de l’Autorité de la concurrence relative à la prise de contrôle exclusif de cette autre société par la société dont il est le bailleur. Tel est l’enseignement que l’on tirera de l’arrêt rendu par le Conseil d’État dans le sillage de la décision Fnac/Darty de l’Autorité de la concurrence.

On se souvient que par décision n° 2016-DCC-111 du 27 juillet 2016, l’Autorité a autorisé la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac sous réserve de la réalisation d’engagements consistant notamment en la cession du magasin Fnac Beaugrenelle. Le bailleur de celui-ci a fait valoir que l’engagement pris par la Fnac porte directement atteinte aux droits qu’il tient du contrat de bail relatif audit magasin dans la mesure où l’exécution de la décision attaquée lui imposerait un changement de locataire sans que le nouvel exploitant soit tenu de commercialiser l’ensemble des produits qui y sont actuellement vendus, notamment les produits dits « éditoriaux » (musique, vidéo, livres, jeux de société), ce qui constituerait une violation du contrat de bail.

Le Conseil d’État rejette comme irrecevable la requête du bailleur tendant à l’annulation pour excès de pouvoir, à titre principal, de la décision de l’Autorité prise dans son ensemble et, à titre subsidiaire, de cette décision en tant seulement qu’elle prévoit la réalisation de l’engagement de cession du magasin Fnac Beaugrenelle.

Ce faisant, il énonce que l’engagement litigieux s’exécute sans préjudice des droits que le bailleur tient du contrat de bail et dont le respect relève du contrôle du juge judiciaire. Dès lors, le bailleur, dont les droits ne sont pas directement affectés par la décision attaquée, ne justifie pas d’un intérêt à agir contre celle-ci3.

III – Défaut d’effet rétroactif de la limitation du pouvoir de la cour d’appel de Paris en matière de pratiques restrictives

La Cour de cassation juge que le revirement de sa jurisprudence concernant la compétence de la cour d’appel de Paris en matière de pratiques restrictives n’a pas d’effet rétroactif.

Rappelons qu’en application de l’article L. 442-6, III, du Code de commerce, les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du même code sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret et que l’article D. 442-3 du Code de commerce, issu du décret du 11 novembre 2009, fixe la liste des juridictions de première instance appelées à connaître de ces litiges et désigne la cour d’appel de Paris pour connaître des décisions rendues par ces juridictions.

Traditionnellement, la chambre commerciale jugeait que, la cour d’appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif était sanctionnée par une fin de non-recevoir, de sorte qu’était irrecevable l’appel formé devant une autre cour d’appel4. Cette règle a été appliquée à toutes les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’article L. 442-6, même lorsqu’elles émanaient de juridictions non spécialement désignées.

Cette dernière solution conduisait au maintien de décisions rendues par des juridictions non spécialisées, les recours formés devant les autres cours d’appel que celle de Paris étant déclarés irrecevables, en l’état de cette jurisprudence.

Il est donc apparu nécessaire, pour la chambre commerciale, d’amender cette jurisprudence, ce qu’elle a fait, par une série d’arrêts rendus le 29 mars 20175, en retenant qu’en application des articles L. 442-6, III, et D. 442-3, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées sont portés devant la cour d’appel de Paris.

La question s’est posée de savoir si ce revirement de jurisprudence était applicable aux procédures en cours. La chambre commerciale répond par la négative en précisant que l’application rétroactive, qui conduirait à retenir l’irrecevabilité de l’appel formé devant la cour d’appel de Paris, aboutirait à priver la société ayant formé le recours, qui ne pouvait ni connaître, ni prévoir, à la date à laquelle elle a exercé son recours, la nouvelle règle jurisprudentielle limitant le pouvoir juridictionnel de la cour d’appel de Paris, d’un procès équitable, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales6.

IV – Conformité au droit européen de l’interdiction de la revente à perte

La question de la conformité au droit européen de l’interdiction de la revente à perte prévue à l’article L. 442-2 du Code de commerce s’est posée après l’arrêt par lequel la Cour de justice a jugé que la directive n° 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit une interdiction générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs7.

Il semble que cet arrêt invitait le législateur national à s’interroger sur la pertinence d’une modification du champ d’application de l’article L. 442-2, qui prévoit une interdiction générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte. Il n’en a rien fait. En effet, si la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a modifié plusieurs dispositions de ce texte, notamment celles relatives au seuil de revente à perte8, en revanche, elle n’a pas touché aux dispositions relatives au champ d’application de l’interdiction de la pratique.

La Cour de cassation a également été appelée à intervenir dans ce débat. Elle l’a fait, dans un arrêt du 22 novembre 2017, en rejetant le pourvoi d’une entreprise poursuivie sur le fondement de l’article L. 442-2 qui s’était prévalue de la directive de 11 mai 2005. Selon la haute juridiction, la revente à perte en cause en l’espèce portait sur des pratiques commerciales entre une centrale d’achat et des détaillants, soit des transactions entre professionnels et ne relevait donc pas du champ d’application de la directive qui s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs. Le moyen avait donc été jugé inopérant9.

Cette solution est à nouveau retenue par la chambre commerciale dans un arrêt du 16 janvier 2018 rendu dans l’affaire Central’Vet. En l’espèce, la chambre commerciale répondait à nouveau à un moyen tiré de violation de la directive du 11 mai 2005 en énonçant que l’arrêt de condamnation de la cour d’appel de Paris n’encourt pas le grief allégué dès lors que la pratique commerciale en cause ne concerne que des professionnels, s’agissant d’une vente à perte par une centrale d’achat à des détaillants. En effet, rappelle la chambre commerciale, la directive du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne ne trouve à s’appliquer qu’aux pratiques qui portent directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs et, ainsi, ne s’applique pas aux transactions entre professionnels. Le moyen est donc jugé inopérant10.

V – Inapplicabilité de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce à l’exécution d’un bail commercial

Pour la troisième chambre civile de la Cour de cassation, l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est inapplicable aux litiges portant sur l’exécution d’un bail commercial. À l’origine de cette affaire, le locataire d’un local commercial a assigné le bailleur devant le tribunal de grande instance de Paris en indemnisation sur le fondement des articles 1134 et 1719 du Code civil pour manquement à ses obligations contractuelles et de délivrance et sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2°, en ce que les clauses de non-responsabilité et de fixation du loyer à un minimum garanti, contenues dans le bail, traduiraient un déséquilibre significatif. Le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de grande instance de Paris seul compétent pour connaître de l’ensemble du litige en application de l’article D. 442-4 du Code de commerce. Cette ordonnance a été infirmée par la cour d’appel de Paris qui a désigné le tribunal de grande instance de Bobigny compétent pour connaître du litige.

La troisième chambre civile approuve l’arrêt d’appel : « attendu qu’ayant retenu à bon droit que seules les activités de production, de distribution ou de services entrent dans le champ d’application de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, la cour d’appel, sans excéder ses pouvoirs, en a exactement déduit que le litige, qui portait sur l’exécution d’un bail commercial, ne relevait pas des juridictions spécialement désignées pour statuer en application de ce texte »11.

VI – Imposition d’un caractère minimal au prix de revente d’un bien

L’affaire Central’Vet, examinée ci-dessus sous l’angle de la revente à perte, comporte également un volet « prix imposé ».

Pour déclarer la centrale d’achat Central’Vet, une société organisatrice de campagnes publicitaires (PM Dis), ainsi que le gérant de celle-ci coupables d’imposition d’un caractère minimal au prix de revente des produits livrés aux magasins à l’enseigne Vet’Affaires, la cour d’appel de Rennes a relevé que les investigations menées par les services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont révélé que sur le logiciel des caisses des magasins, les prix étaient intégrés depuis la centrale d’achat, toutes les informations relatives aux prix, aux chiffres de vente de tous les magasins du groupe étant centralisés par ce dernier grâce au système informatique qui comportait un logiciel programmé. Elle a également relevé que les vêtements arrivaient pré-étiquetés, les gérants n’ayant aucun pouvoir à ce niveau. Enfin les juges ont retenu que la marge de manœuvre des cogérants des magasins était très réduite, ceux-ci n’ayant aucune réelle autonomie de gestion, tout étant décidé pour eux au niveau national à l’échelon du groupe qui définissait un coefficient pour calculer les prix de vente.

Pour la Cour de cassation, l’infraction était constituée : « en l’état de ces seules énonciations, d’où il résulte que l’organisation et le fonctionnement du réseau de distribution privaient d’une façon générale les exploitants des magasins Vet’Affaires de toute liberté de fixer le prix de revente de leurs produits, et constituaient un moyen indirect, au sens de l’article L. 442-5 du Code de commerce, d’imposer un caractère minimal au prix de revente défini par la centrale d’achat, la cour d’appel a justifié sa décision ».

La haute juridiction censure néanmoins l’arrêt d’appel pour défaut de motivation. Pour déclarer la société PM Dis et son gérant coupables d’imposition d’un caractère minimum au prix de revente, l’arrêt attaqué énonce que la fixation des prix relevait à la fois de la société Central’Vet et de la société PM Dis qui concevait les messages publicitaires figurant sur les prospectus mentionnant les prix, et qui par conséquent reprenait à son compte la politique commerciale du groupe et avalisait les prix annoncés.

Pour la chambre criminelle, « en se prononçant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que le prix de revente était déterminé exclusivement par la centrale d’achat, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ».

En conséquence, elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, en ses dispositions ayant déclaré la société PM Dis et son gérant coupables d’imposition d’un caractère minimal aux prix de revente d’un bien et relatives aux peines prononcées à leur encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

Elle renvoie par ailleurs la cause et les parties devant la cour d’appel de Rennes, autrement composée, pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée12.

VII – Contentieux des opérations de visites et de saisies

Par un arrêt rendu le 21 mars 2018, la chambre criminelle confirme l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris qui avait validé l’autorisation, par le juge des libertés et de la détention, des opérations de visites et de saisies réalisées, sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce, par la DGCCRF, dans les locaux de l’opérateur des télécommunications Free. Ce faisant, elle écarte les trois moyens du pourvoi.

Par le premier moyen, Free relevait que pour écarter son moyen faisant valoir que l’intrusion des agents de la puissance publique dans ses locaux risquait de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et exigeait des mesures de précaution spéciales, l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris avait relevé que les opérations de visites et saisies administratives obéissent à un régime distinct de celui des perquisitions pénales, et que ce régime particulier ne prévoit aucune procédure spéciale pour les visites et saisies effectuées au siège d’entreprises de presse ou de communication.

Pour la chambre criminelle, en l’état de ces énonciations, dépourvues d’insuffisance comme de contradiction, et dès lors qu’il résulte des dispositions spécifiques de l’article L. 450-4 du Code de commerce qu’après avoir vérifié que la demande qui lui est soumise est fondée, le juge des libertés et de la détention peut autoriser des opérations de visite et saisie dans toute entreprise, quelle que soit son activité, de telles opérations ayant pour seul objet la recherche de preuves de pratiques commerciales prohibées, le premier président a justifié sa décision.

Par le deuxième moyen, le pourvoi reprochait au premier président de ne pas avoir organisé un accès effectif et concret au juge. Dans le sillage des deux arrêts qu’elle a rendus le 28 juin 201713, la chambre criminelle rejette le moyen en énonçant que l’article L. 450-4 du Code de commerce ne prévoit pas que l’occupant des lieux dans lesquels ont été autorisées, par le juge des libertés et de la détention, des opérations de visite et saisie aux fins de rechercher la preuve de pratiques prohibées, doive être informé de la possibilité de recourir à ce juge afin qu’il exerce son contrôle sur la régularité des mesures en cours, des modalités de sa saisine, ou encore de ses coordonnées. Et d’ajouter que, si l’occupant des lieux ne dispose pas du droit de saisir lui-même le juge qui a délivré l’autorisation, il appartient aux officiers de police judiciaire, chargés d’assister aux opérations, de tenir ce magistrat informé des difficultés rencontrées au cours de la visite.

Enfin, le troisième moyen faisait valoir que l’occupant des lieux n’aurait pas eu accès à la totalité des pièces invoquées par l’administration au soutien de sa requête ; celui-ci aurait dès lors été empêché de les contester ensuite devant le premier président.

Il est également rejeté. Selon la chambre criminelle, le premier président, qui a retenu que l’administration est libre de choisir les éléments qu’elle estime devoir présenter au soutien de sa demande d’autorisation, dès lors que les pièces produites à l’appui de la requête ont une origine apparemment licite, et qui s’est assuré que le juge des libertés, qui apprécie souverainement le caractère suffisant des présomptions d’agissements frauduleux en se référant aux éléments d’information fournis par l’administration, et qui, s’il ne s’estime pas suffisamment informé, peut réclamer des pièces complémentaires, a caractérisé l’existence de présomptions de pratiques commerciales trompeuses, a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles et légales invoquées, dès lors que l’accès au complet dossier et la discussion des pièces produites pourront s’exercer en cas d’engagement des poursuites pendant la phase juridictionnelle et lors de laquelle les principes du contradictoire et de l’égalité des armes sont garantis14.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 19 mai 2016, n° 13/01006.
  • 2.
    Cass. com., 5 avr. 2018, n° 16-19186 ; Cass. com., 5 avr. 2018, n° 16-19274.
  • 3.
    CE, 4 avr. 2018, n° 405343.
  • 4.
    Cass. com., 24 sept. 2013, n° 12-21089 : Bull. civ. IV, n° 138.
  • 5.
    Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-17659 ; Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-24241 ; Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-15337.
  • 6.
    Cass. com., 21 mars 2018, n° 16-28412.
  • 7.
    CJUE, 7 mars 2013, n° C-343/12, Euronics Belgium CVBA c/ Kamera.
  • 8.
    Arhel P., Rép. com. Dalloz, v° Transparence tarifaire et pratiques restrictives, nov. 2017.
  • 9.
    Cass. com., 22 nov. 2017, n° 16-18028.
  • 10.
    Cass. crim., 16 janv. 2018, n° 16-83457.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 15 févr. 2018, n° 17-11329.
  • 12.
    Cass. com., 16 janv. 2018, n° 16-83457.
  • 13.
    Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81413 ; Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81414.
  • 14.
    Cass. crim., 21 mars 2018, n° 16-87189.
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