Condamnation à une amende totale de 20 millions d’euros de divers organismes professionnels et entreprises du secteur du bisphénol A pour entente illicite
La présente affaire, dite affaire bisphénol A, a conduit l’Autorité de la concurrence à condamner, sur le fondement de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article L. 420-1 du Code de commerce, divers organismes professionnels et de nombreuses entreprises du secteur du bisphénol A, pour entente illicite.
Aut. conc., 29 déc. 2023, no 23-D-15 : https://lext.so/d5CqBn
Divers organismes professionnels et de nombreuses entreprises du secteur du bisphénol A (BPA) se sont vu infliger une amende totale de 20 millions d’euros pour avoir mis en œuvre une entente visant à empêcher les industriels de se faire concurrence sur la question de la présence ou non de BPA dans les contenants alimentaires (conserves, canettes, etc.).
À l’origine de l’affaire, l’Autorité s’est saisie d’office dans le secteur de la fabrication et la vente de denrées alimentaires en contact avec des matériaux pouvant ou ayant pu contenir du BPA et ses substituts (le BPA est une substance chimique de synthèse utilisée dans la fabrication de résines, notamment utilisées pour la protection intérieure des boîtes métalliques de denrées alimentaires).
Deux griefs ont été notifiés. Le premier concernait une entente relative à la limitation de la communication sur l’absence de BPA, l’encadrement de la commercialisation et la réduction des dates limites d’utilisation optimale des produits avec BPA. Le second grief concernait une entente visant à restreindre l’information sur les substituts au BPA employés dans les matériaux au contact avec les denrées alimentaires. Seul le premier grief a été retenu par l’Autorité.
Au terme de l’instruction, elle a infligé une amende totale de 20 millions d’euros à divers organismes et entreprises pour avoir participé à une infraction unique, complexe et continue visant à empêcher les industriels du secteur de la fabrication et de la vente des matériaux destinés à être en contact avec des denrées alimentaires de communiquer sur l’absence de BPA dans leurs produits et, ainsi, de se faire concurrence sur ce paramètre.
Cette infraction s’est déroulée dans le contexte de l’adoption de la loi n° 2012-1442 du 24 décembre 2012 visant à suspendre l’utilisation du BPA dans tous les contenants alimentaires à compter du 1er janvier 2015 et dont l’application a entraîné une période de mise sur le marché simultanée de boîtes avec et sans BPA.
Notons encore que cette affaire a été examinée selon la procédure simplifiée, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence ayant décidé au début de la procédure que l’affaire serait examinée sans établissement préalable d’un rapport.
Le présent commentaire s’attardera plus particulièrement sur les éléments suivants de la décision de l’Autorité : (I) les restrictions accessoires ; (II) l’exemption individuelle ; (III) le plafond de l’amende (IV) les circonstances atténuantes ; (V) la réitération.
I – Restrictions accessoires
Dès lors que la théorie des restrictions accessoires a été invoquée par les parties pour justifier les pratiques en cause, l’Autorité rappelle la jurisprudence Mastercard selon laquelle « si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 81, paragraphe 1, CE, en raison de sa neutralité ou de son effet positif sur le plan de la concurrence, une restriction de l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus dudit principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre »1.
Le droit national s’inscrit dans la même lignée2.
Certaines parties mises en cause ont soutenu que la pratique relative à la non-communication sur l’absence de BPA constitue une restriction accessoire à la coopération principale constituée par les travaux de recherches et de développements expérimentaux (R&D) mis en œuvre dans le cadre de la transition vers le « sans BPA ».
L’Autorité rejette l’argument en énonçant notamment que la restriction de la communication sur l’absence de BPA n’était pas indissociable de la coopération mise en place afin de trouver des substituts au BPA. Une communication des entreprises sur l’absence de BPA n’aurait pas compromis l’existence et la poursuite de la R&D qui était, de toute façon, nécessaire (pt 1119).
II – Exemption individuelle
Plusieurs parties ayant fait valoir que les pratiques qui leur étaient reprochées devraient bénéficier d’une exemption individuelle, l’Autorité énonce que lorsque sont en cause, comme en l’espèce, des pratiques susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, le bénéfice de l’exemption prévue par l’article L. 420-4 du Code de commerce ne peut être accordé que pour autant que les conditions prévues par l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sont cumulativement réunies (pt 1132).
Elle constate ensuite que ces conditions ne sont pas satisfaites en l’espèce.
En premier lieu, il a été soutenu que des gains auraient résulté de l’absence de communication sur le BPA. Cependant, pour l’Autorité, ces gains d’efficacité sont le fruit des travaux de R&D sur les substituts. Or, selon la jurisprudence de la cour de justice, les gains d’efficacité doivent être la conséquence directe de l’accord restrictif (pt 1141).
Le respect de la législation invoqué par les parties mises en cause ne saurait davantage constituer un gain permettant de justifier une pratique anticoncurrentielle, ce d’autant plus qu’une période transitoire vers les produits sans BPA avait été prévue par la loi n° 2012-1442 pour permettre aux parties de bénéficier d’un temps d’adaptation (pt 1142).
En deuxième lieu, l’Autorité observe que, si les parties soutiennent qu’une part équitable des gains a bénéficié aux consommateurs, elles omettent de préciser que la pratique leur a permis d’empêcher les consommateurs d’être informés de la présence ou de l’absence de BPA au contact des denrées alimentaires et de pouvoir opérer leurs choix en fonction de ce paramètre de concurrence.
L’Autorité ajoute que les parties ne sauraient utilement invoquer l’absence de mise sur le marché, à des fins commerciales, de produits dont la sécurité et l’innocuité n’auraient pas été garanties dès lors que la loi le leur impose (pt 1143).
En troisième lieu, les arguments des parties relatifs au caractère indispensable ou strictement nécessaire de la restriction sont également écartés. Comme indiqué ci-dessus à propos des restrictions accessoires, l’absence de communication n’était pas nécessaire pour atteindre le but poursuivi par les travaux de R&D, ni même pour les atteindre plus rapidement (pt 1155).
Enfin, en quatrième lieu, la pratique en cause a annihilé toute concurrence sur la présence ou non de BPA dans le secteur des boîtes métalliques et donc sur la qualité des produits (pt 1161).
Les quatre conditions prévues à l’article 101, paragraphe 3, du TFUE n’étant pas satisfaites, l’Autorité refuse d’accorder l’exemption.
III – Plafond de l’amende
Les parties ont contesté l’applicabilité de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite loi DDADUE, et plus particulièrement la suppression du plafonnement de l’amende à 750 mille euros tel qu’il était prévu à l’article L. 464-5 du Code de commerce pour les affaires examinées sans établissement préalable d’un rapport, dans le cadre de la procédure dite « simplifiée ». Elles estimaient, sur le fondement du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, que le droit applicable à l’espèce est celui en vigueur lors de la commission des faits.
L’Autorité rejette l’argument en livrant sa lecture3 : « La loi DDADUE, en ce qu’elle a abrogé la procédure simplifiée et créé une nouvelle procédure à un tour de contradictoire écrit, est une loi de procédure et, comme telle, d’application immédiate. Elle n’a pas procédé à la seule suppression du plafond de 750 000 euros prévu à l’article L. 464-5 du Code de commerce, mais a modifié le régime applicable à la procédure sans établissement préalable d’un rapport, en faisant la procédure de droit commun, la procédure, plus lourde, à deux tours de contradictoire écrit devenant l’exception. L’objectif du législateur était, ce faisant, de permettre au rapporteur général d’accélérer les délais de traitement des dossiers. Cet objectif, permettant ainsi de généraliser en France la procédure à un tour de contradictoire écrit qui constitue la règle commune parmi les autorités de concurrence européennes, a d’ailleurs été souligné par la doctrine (…) et par les travaux préparatoires à l’adoption de la loi DDADUE » (pt 1647).
En tout état de cause, ajoute l’Autorité, l’abrogation de l’article L. 464-5 ne saurait être considérée comme une loi réprimant plus sévèrement les faits d’espèce dès lors que, au moment des faits, le plafond applicable était le plafond de 10 % du chiffre d’affaires prescrit au I de l’article L. 464-2, dont la rédaction est restée inchangée (pt 1648).
IV – Circonstances atténuantes
L’ensemble des parties a sollicité une diminution du montant de l’amende au motif que les comportements reprochés auraient été autorisés et encouragés par les pouvoirs publics.
L’Autorité est sensible à cet argument. Elle relève en premier lieu que la loi suspendant la présence du BPA dans le vernis intérieur des boîtes à compter du 1er janvier 2015 a ouvert une période au cours de laquelle les boîtes avec ou sans BPA étaient simultanément présentes sur le marché français. Les entreprises ont dû mettre au point des solutions de remplacement dans un délai bref et engager des frais de recherche. Dans ce contexte, le risque de déstabilisation de la filière n’était pas négligeable en cas de communication sur le sans BPA. Ainsi, si les pouvoirs publics n’ont jamais connu, encouragé ou autorisé la pratique litigieuse, il n’en demeure pas moins que le contexte d’adoption de la loi et la problématique du droit de la consommation ont pu créer une certaine confusion dans l’esprit des professionnels (pt 1706).
En conséquence, l’Autorité considère le cadre légal et réglementaire particulier dans lequel s’inscrivaient les pratiques en cause et le comportement plus général de l’administration vis-à-vis des acteurs du secteur comme une circonstance atténuante (pt 1707).
V – Réitération
Plusieurs parties ont été considérées comme étant en situation de réitération dès lors que les quatre conditions prévues par la jurisprudence étaient réunies : (i) une précédente infraction au droit de la concurrence a été constatée avant la fin de la commission de la nouvelle pratique ; (ii) la nouvelle pratique était identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d’infraction ; (iii) ce dernier a acquis un caractère définitif à la date à laquelle l’Autorité a statué sur la nouvelle pratique ; (iv) le délai écoulé entre le précédent constat d’infraction et le début de la nouvelle pratique était inférieur ou égal à 15 ans.
En revanche, la réitération n’a pas été retenue à l’encontre de General Mills et de Bonduelle, les décisions les ayant déjà condamnées pour des pratiques similaires ayant été adoptées après la fin des pratiques qui leur sont imputées en l’espèce (pt 1749).
Notes de bas de pages
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1.
CJUE, 11 sept. 2014, n° C-382/12 P, Mastercard e.a. c/ Commission européenne.
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2.
CA Paris, 21 déc. 2017, n° 15/17638.
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3.
E. Claudel, « Le volet concurrentiel de la loi DDADUE : issue d’un feuilleton à rebondissements ! », RTD com. 2020, p. 733 ; P. Arhel, « Volet “concurrence” de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (DDADUE) », LPA 12 févr. 2021, n° LPA158m5.
Référence : AJU012k9