Condamnation pour abus de position dominante de discrimination et de prix excessifs

Publié le 31/03/2023
Concurrence, compétition, affaires
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L’Autorité de la concurrence condamne une entreprise en position dominante pour avoir pratiqué des discriminations et des prix excessivement élevés.

Aut. conc., déc., 22 déc. 2022, no 22-D-26 : https://lext.so/ZraVd9

L’affaire rapportée vient rappeler que les discriminations et les prix excessifs pratiqués par une entreprise en position dominante peuvent être sanctionnés pour abus de position dominante par l’Autorité de la concurrence. Elle a pour origine une enquête de l’Administration portant sur des pratiques mises en œuvre par la société Contrôle technique Poids lourds-Antilles Guyane (CTPL-AG) sur le marché du contrôle technique des poids lourds en Guadeloupe.

En application des articles L. 464-9 et R. 464-9-1 à R. 464-9-2 du Code de commerce, une proposition d’injonction et de transaction a été adressée à l’entreprise, mais celle-ci a refusé les mesures qui lui ont été proposées. Le ministre de l’Économie a en conséquence saisi l’Autorité. Rappelons que le dispositif de l’article L. 464-9 permet d’enjoindre aux entreprises de mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles constatées en réglant à l’État un montant pouvant s’élever jusqu’à 150 000 € dans la limite de 5 % de leur chiffre d’affaires en France. Il permet donc d’apporter une solution rapide et efficace à des pratiques anticoncurrentielles. En cas de refus de l’entreprise de se soumettre aux injonctions ou transactions prononcées par l’Administration, l’affaire est, comme en l’espèce, transmise à l’Autorité de la concurrence.

Au terme de l’instruction, le collège de l’Autorité a retenu deux griefs portant respectivement sur des pratiques de discrimination et de prix excessifs de CTPL-AG.

I – Pratiques discriminatoires

On sait que les pratiques discriminatoires ne sont plus interdites per se depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Cependant, l’abrogation de l’interdiction per se des discriminations n’a jamais signifié l’élimination de l’interdiction des discriminations du droit de la concurrence. Ainsi, et comme le montre la présente affaire, les discriminations peuvent toujours être appréhendées sous l’angle de l’interdiction des abus de position dominante de l’article L. 420-2 du Code de commerce.

En l’espèce, il a été établi que la société CTPL-AG, qui opère sur le marché du contrôle technique des poids lourds en Guadeloupe, a mis en œuvre un ensemble de pratiques discriminatoires à l’égard des sociétés actives sur le marché connexe de la présentation au contrôle technique. Ce faisant, elle a favorisé la société Standard Tachy Antilles-Guyane (STAG), sa société sœur, en lui consentant des prix, des délais de paiement et de rendez-vous ainsi que des modalités de facturation plus favorables qu’à ses concurrents.

L’application de l’article L. 420-2 ne pouvait être envisagée que si les différences de traitement constituaient pour les entreprises concurrentes de STAG un désavantage de nature à affecter leur position concurrentielle.

Cette condition est satisfaite en l’espèce. L’Autorité précise que les discriminations infligées se sont cumulées pour affecter la position concurrentielle des concurrents de STAG sur le marché de la préparation au contrôle technique, en entravant leur capacité à proposer des prestations compétitives en termes de prix ou de qualité.

CTPL-AG aurait pu échapper à une condamnation si elle avait fourni des explications permettant de justifier objectivement les discriminations mises en œuvre, mais elle n’a pas été en mesure d’apporter de telles justifications.

II – Prix excessifs

Rappelons que les opérateurs économiques peuvent, conformément au principe de la liberté du commerce et de l’industrie, rivaliser entre eux pour élargir leur clientèle. La seule limite est celle de l’abus. Les prix anormalement élevés peuvent ainsi être interdits sur le fondement de l’article L. 420-2.

Certes, cette pratique ne figure pas dans la liste visée à l’article L. 420-2. Cependant, on sait que l’énumération des pratiques prohibées figurant dans cet article n’est pas limitative, et il résulte d’une jurisprudence constante que l’Autorité « peut, dans certaines circonstances, s’assurer, sur la base de l’article [L. 420-2], que les prix pratiqués par une entreprise en position dominante ne sont pas manifestement abusifs ; (…) il en va notamment ainsi lorsqu’une entreprise détient un monopole qu’aucune autre entreprise n’est susceptible de venir contester et que le gouvernement n’a pas réglementé les prix sur le fondement de l’article [L. 410-2 du Code de commerce] »1.

L’Autorité rappelle par ailleurs que pour apprécier le caractère excessif d’un prix, elle retient la même analyse que celle développée par la cour de justice, en considérant qu’« une pratique de prix abusivement élevés peut être établie s’il existe une disproportion manifeste entre ce prix et la valeur du service correspondant, et que cette disproportion ne s’appuie sur aucune justification économique (…) ». Et l’Autorité de rappeler que, s’« il n’est pas possible d’établir cette disproportion par examen des coûts, la jurisprudence permet de recourir à une évaluation par comparaison avec les prix pratiqués par des entreprises placées dans des situations équivalentes »2.

Au cas d’espèce, les éléments du dossier font apparaître que l’Autorité a constaté que les tarifs pratiqués par la société CTPL-AG étaient, entre janvier 2013 et septembre 2018, à des niveaux substantiellement plus élevés que durant la période antérieure ou postérieure aux pratiques et qu’ils étaient sans rapport raisonnable avec les coûts des prestations.

Ni les explications apportées par CTPL-AG, ni aucun autre facteur susceptible d’affecter la valeur économique des prestations concernées ne permettent d’expliquer l’ampleur de cet écart.

Bien que cette démarche s’avère superfétatoire, l’Autorité a également comparé la situation de CTPL-AG à celle d’autres opérateurs. Elle a ainsi pu conclure que l’entreprise active en Martinique dans le secteur du contrôle technique a pratiqué des prix nettement inférieurs à ceux de CTPL-AG.

III – Sanctions

CTPL-AG s’est ainsi rendue responsable d’une pratique de discrimination abusive et d’une pratique de prix excessivement élevés. L’Autorité lui inflige une sanction de 25 000 € dans le cadre d’une procédure de transaction, en application des dispositions du III de l’article L. 464-2 du Code de commerce. Rappelons que cette procédure permet à une entreprise qui ne conteste pas les faits d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire à l’intérieur d’une fourchette proposée par le rapporteur général, fixant un montant maximal et minimal, et ayant donné lieu à un accord des parties.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Aut. conc., 28 juill. 2009, n° 09-D-24.
  • 2.
    Aut. conc., 13 avr. 2005, n° 05-D-15, pt 9.
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