Mention manuscrite, exigence de proportionnalité et devoir de mise en garde : une accumulation des moyens de défense témoignant de la nécessité d’une réforme en matière de cautionnement

Publié le 29/07/2021

L’arrêt rappelle trois solutions. D’abord, il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1, L. 343-2, L. 331-2 et L. 343-3 du Code de la consommation, interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions. Ensuite, la déclaration de patrimoine effectuée 3 mois après le cautionnement peut servir de base à l’appréciation du caractère disproportionné. Enfin, le créancier est dispensé de toute obligation de mise en garde à l’égard de la caution avertie.

Cass. com., 5 mai 2021, no 19-21468

Homme signant un contrat sur une table
Pitchayaarch / AdobeStock

1. À l’heure où la consultation publique de la Chancellerie relative à l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés vient de s’achever, l’actualité jurisprudentielle montre une nouvelle fois qu’une réforme est indispensable en matière de cautionnement. Considéré à juste titre comme un acte dangereux, le cautionnement est strictement encadré. De nombreuses exigences sont ainsi imposées : mention manuscrite, proportionnalité, devoir de mise en garde. Aujourd’hui, ces exigences sont source d’un contentieux pléthorique. Si elles permettent de protéger la caution, elles lui offrent également la possibilité d’échapper à son obligation. Mais l’accumulation des moyens de défense ne permet pas toujours de libérer la caution de son obligation. En témoigne l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 mai 2021.

En l’espèce, par acte du 1er avril 2015, deux sociétés ont conclu un contrat de crédit-bail portant sur divers matériels. À la suite d’impayés de loyers, le crédit-bailleur a, par avenant du 5 novembre 2010, accordé au crédit-preneur des échéanciers. Par un acte du 9 décembre 2010, le dirigeant de la société s’est rendu caution solidaire du paiement des sommes dues au titre du contrat de crédit-bail. De nouveaux loyers étant restés impayés, le crédit-bailleur et le crédit-preneur ont conclu, le 19 avril 2013, un protocole de règlement se substituant à l’avenant du 5 novembre 2010. Ce protocole n’ayant pas été respecté, le crédit-bailleur a assigné la société et la caution en paiement.

Saisie de l’affaire, la cour d’appel de Nancy a, dans un arrêt du 29 mai 2019, condamné la caution à payer au crédit-bailleur la somme de 304 509,28 € au titre de la créance en principal, des pénalités et intérêts de retard et l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour manquement par le crédit-bailleur à son obligation de mise en garde.

La caution forma un pourvoi en cassation articulé autour de trois moyens. Elle faisait d’abord valoir que son engagement était nul car la mention manuscrite n’avait pas été rédigée de sa main. Ensuite, la caution estimait que la cour d’appel ne pouvait écarter le caractère manifestement disproportionné de son engagement en se fondant sur la déclaration de patrimoine signée le 9 mars 2011, soit 3 mois après la date de conclusion du cautionnement. Enfin, elle reprochait aux juges du fond d’avoir rejeté sa demande de dommages et intérêts pour manquement du crédit-bailleur à son obligation de mise en garde.

La Cour de cassation devait donc répondre à trois interrogations.

D’abord, il était question de savoir si la caution qui a sciemment détourné le formalisme de protection peut s’en prévaloir pour invoquer la nullité de son engagement. Rejetant le pourvoi, la Cour affirme qu’il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1, L. 343-2, L. 331-2 et L. 343-3, du Code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions.

Ensuite, se posait la question de la portée de la déclaration de patrimoine faite à une date proche du cautionnement. Sur ce point, la Cour écarte également le pourvoi constatant que, loin de se fonder sur la seule fiche de renseignements signée par la caution le 9 mars 2011, l’arrêt d’appel retient que le salaire annuel indiqué sur cette fiche, postérieure à la date du cautionnement de 3 mois seulement, corroborait le niveau de rémunération résultant des fiches de paie afférentes à l’année 2010, et que, s’agissant du patrimoine immobilier détenu par la caution, cette dernière s’était abstenue de justifier de sa consistance précise et chiffrée. En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel qui a retenu que la caution ne rapportait pas la preuve de la disproportion manifeste alléguée, à la date de son engagement, a légalement justifié sa décision.

Enfin, la Cour de cassation devait trancher la question de savoir si le crédit-bailleur est tenu d’un devoir de mise en garde à l’égard du gérant de la société cautionnée. Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation rappelle que le crédit-bailleur est tenu à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie, lorsqu’au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières du crédit preneur. Or en l’espèce, les juges du fond ont relevé que la caution était le gérant de la société cautionnée depuis de nombreuses années, faisant ressortir son expérience de la vie des affaires, de sorte que ne s’étant pas fondée sur la seule qualité de gérant, elle a pu retenir le caractère averti de la caution, dispensant le crédit-bailleur de toute obligation de mise en garde.

Le pourvoi formé par la caution est l’occasion, pour la chambre commerciale de la Cour de cassation, de revenir sur les exigences que constituent la mention manuscrite (I), la proportionnalité (II) et le devoir de mise en garde (III).

I – La portée de la fraude de la caution en matière de mention manuscrite

2. L’article L. 341-2, devenu L. 331-1, du Code de la consommation exige, à peine de nullité1, que la signature de la caution soit précédée d’une mention manuscrite reproduite scrupuleusement. Le champ d’application de ce texte est large puisqu’il concerne tous les cautionnements souscrits par une personne physique à l’égard d’un créancier professionnel. Le cautionnement étant un acte dangereux, le recours au formalisme semble justifié puisqu’il a pour but de faire prendre conscience de la gravité de son engagement à la caution. Destiné à protéger la caution, ce formalisme ad validatem offre également aux personnes peu scrupuleuses la possibilité de contester la validité de leur engagement en invoquant une irrégularité matérielle.

En l’espèce, la caution reprochait aux juges du fond d’avoir déclaré valide l’acte de cautionnement souscrit par elle alors que les mentions n’ont pas été rédigées de sa main, mais de celle de sa secrétaire. Ce raisonnement ne convainc guère la Cour de cassation. Pour écarter ce moyen, elle affirme qu’il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1, L. 343-2, L. 331-2 et L. 343-3, du Code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions. Or s’agissant des mentions manuscrites, elle relève que la cour d’appel a constaté qu’en dépit des précisions données dans l’acte, lequel comporte trois pages, toutes paraphées par le souscripteur, dont la dernière précise de manière très apparente et en caractères gras, que la signature de la caution doit être précédée de la mention manuscrite prévue par loi, la caution a néanmoins « cru devoir faire » rédiger la mention manuscrite par sa secrétaire, au lieu d’y procéder elle-même, détournant ainsi sciemment le formalisme de protection dont elle se prévaut désormais pour tenter de faire échec à la demande en paiement. Dès lors, la cour d’appel a exactement déduit de la faute intentionnelle que la caution ne pouvait invoquer la nullité de son engagement.

3. Afin de permettre à la caution de prendre la mesure de la nature et de la portée de son engagement, le législateur exige que la mention soit apposée de la main de son auteur. Mais qu’advient-il du cautionnement lorsque la mention a été rédigée par un tiers ?

Dans un premier temps, se montrant favorables envers les cautions, les juges ont appliqué strictement la règle de droit et ont annulé leurs engagements. Ainsi, dans un arrêt du 13 mars 2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu que le cautionnement dont la mention manuscrite a été rédigée par la secrétaire de la caution était nul2. De la même manière, dans une décision du 9 juillet 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a refusé la possibilité, pour la caution illettrée, de faire rédiger la mention manuscrite par un tiers3. Cette solution a été discutée. Si le cautionnement par acte authentique4 ou par acte contresigné par un avocat5 permet d’éclairer le consentement des personnes illettrées, son coût est cependant plus élevé que celui d’un acte sous seing privé6.

Dans un second temps, statuant à propos de faits similaires, la chambre commerciale a procédé à un revirement de jurisprudence. Dans un arrêt du 20 septembre 2017, les hauts magistrats ont approuvé les juges du fond d’avoir retenu que le contrat de cautionnement était valable alors que la mention manuscrite n’avait pas été rédigée par la caution, mais par sa secrétaire. La cour d’appel avait alors relevé que les « circonstances établissent que la conscience et l’information de la caution sur son engagement étaient autant assurées que si elle avait été capable d’apposer cette mention de sa main, dès lors qu’il avait été procédé à sa rédaction, à sa demande et en sa présence » et en a déduit « l’existence d’un mandat régulièrement donné à sa secrétaire par [la caution] »7. En ce qu’elle met un frein aux stratégies élaborées par les cautions de mauvaise foi pour renier leur engagement, la solution doit être approuvée. Cependant, la référence à l’existence d’un mandat, tout comme l’interprétation souple de l’article L. 331-1 du Code de la consommation sont discutables8.

L’arrêt rapporté semble s’éloigner de cette jurisprudence. La chambre commerciale revient à une interprétation plus stricte de l’article L. 331-1 du Code de la consommation : la caution qui a instrumentalisé le formalisme pour souscrire un cautionnement en se ménageant la possibilité de contester son efficacité ne peut se prévaloir du non-respect des exigences formelles. Il en résulte que, conformément à ce texte, le cautionnement dont la mention manuscrite a été rédigée par un tiers est nul. Cependant, en cas de fraude, la caution ne pourra invoquer la nullité de son engagement. La solution est parfaitement justifiée. Définie comme un « acte accompli dans le dessein de préjudicier à des droits que l’on doit respecter »9, la fraude corrompt tout. En l’espèce, la caution a sciemment demandé à sa secrétaire de rédiger la mention manuscrite dans le but de se prévaloir ensuite de la nullité de son engagement. La mauvaise foi de la caution permettait donc de caractériser l’existence d’une faute intentionnelle. Sur ce point, il semble intéressant de relever que, dans des circonstances sensiblement identiques à celles de l’arrêt commenté, le problème de la faute de la caution a été abordé par les hauts magistrats sous un angle bien différent, celui de la responsabilité civile10. Ce faisant, une nouvelle question se pose, celle de déterminer à quelle partie incombe l’exigence rédactionnelle. Faire peser cette exigence sur le créancier, solution qui s’impose naturellement, n’entraîne aucune conséquence tangible : le cautionnement est irrégulier et il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Mais si l’on admet que cette exigence puisse peser sur la caution, un résultat intéressant se produit : le cautionnement sera certes inefficace, mais le créancier pourra rechercher la responsabilité de la caution.

Le moyen tiré du non-respect des exigences formelles souligne la maladresse des textes. On peut toutefois douter de l’efficacité du futur article 2297 du Code civil11. Si la formule sacramentelle disparaît, il semble peu probable que le contentieux relatif à la mention manuscrite disparaisse avec elle. Ne faudrait-il pas supprimer l’exigence de mentions manuscrites12 ? En effet, la caution bénéficie d’autres protections telles que le devoir de mise en garde ou encore l’exigence de proportionnalité.

II – La portée de la déclaration de patrimoine faite à une date proche du cautionnement dans l’appréciation de la disproportion

4. Énoncée à l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-4, du Code de la consommation, l’exigence de proportionnalité impose au créancier de s’assurer que le montant du cautionnement est adapté aux ressources de la caution pour qu’elle soit capable d’y faire face si elle est appelée à payer. Le domaine d’application de ce texte étant vaste13, le devoir de proportionnalité bénéficie aux cautions averties14. Aujourd’hui, la disproportion demeure un moyen de défense largement employé par les cautions désireuses de se soustraire à leur obligation.

En l’espèce, la caution estimait que la cour d’appel ne pouvait écarter le caractère manifestement disproportionné de son engagement en se fondant sur la déclaration de patrimoine signée le 9 mars 2011, soit 3 mois après la date de conclusion du cautionnement. L’argument ne parvient pas à convaincre les hauts magistrats. Ces derniers relèvent que loin de se fonder sur la seule fiche de renseignements signée par la caution le 9 mars 2011, la cour d’appel a retenu que le salaire annuel de 27 000 € indiqué sur cette fiche, postérieure à la date du cautionnement de 3 mois seulement, corroborait le niveau de rémunération résultant des fiches de paies afférentes à l’année 2010, mentionnant un salaire d’environ 2 250 € par mois, et que, s’agissant du patrimoine immobilier détenu par la caution, cette dernière s’étant abstenue de justifier de sa consistance précise et chiffrée, les documents produits par la caution étaient insuffisants, en l’absence de précision complémentaire, à démontrer l’inadéquation existant, à la date de la signature de l’acte de cautionnement, soit au 9 décembre 2010, entre la valorisation du patrimoine immobilier de la caution et le montant de son engagement. Dès lors, en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a retenu que la caution ne rapportait pas la preuve de la disproportion manifeste alléguée, à la date de son engagement, a légalement justifié sa décision.

5. La date d’appréciation de la disproportion est double15. Le juge vérifie d’abord si la proportionnalité entre l’engagement de la caution et ses ressources existait au jour de la conclusion du cautionnement. Si l’engagement de la caution était proportionné à ses ressources à cette date, la caution reste tenue de son engagement. En revanche, si l’engagement de la caution n’était pas proportionné à ses ressources à cette date, le juge doit vérifier si cette disproportion demeure ou si elle a disparu au jour des poursuites du créancier. Ce schéma altère considérablement la sécurité juridique puisque le créancier accepte à son insu un cautionnement excessif et ce n’est que par la suite, lors de la demande en paiement, que le moyen lui est opposé par la caution. Aussi, pour vérifier d’emblée que l’engagement de la caution n’est pas disproportionné, et donc s’assurer de son efficacité, le créancier lui demande de remplir une fiche de renseignements dans laquelle elle indique ses biens, ses revenus et ses charges.

À quelle date la déclaration de patrimoine doit-elle être effectuée ? La jurisprudence considère que seule est admissible la déclaration de patrimoine faite au créancier16 à une date suffisamment proche du cautionnement. Ainsi, une déclaration de patrimoine effectuée 7 ans17 ou même 2 ans18 avant le cautionnement contesté ne peut servir de base à l’appréciation du caractère disproportionné. Doit encore être écartée la fiche de renseignements rédigée par la caution lors de son engagement contenant des informations relatives à sa situation patrimoniale 2 ans auparavant19. Néanmoins, faisant preuve d’une certaine tolérance, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel a pu se fonder sur une fiche de renseignements remplie par la caution 7 mois avant la souscription de son engagement pour conclure à l’absence de disproportion manifeste dans la mesure où la caution « ne prétendait pas que sa situation aurait évolué entre ces deux dates »20. Plus récemment, cette solution a également été retenue à propos d’une déclaration de patrimoine complétée 9 mois avant la signature du cautionnement21. S’agissant de la fiche de renseignements remplie après l’engagement de la caution, le raisonnement adopté est le même. Dans une décision du 26 juin 2019, la chambre commerciale a, par exemple, approuvé les juges du fond d’avoir écarté une déclaration de patrimoine établie plus d’un an après le cautionnement litigieux22. En considérant qu’une fiche de renseignements complétée 3 mois après le cautionnement peut constituer un élément de preuve permettant aux juges d’apprécier la disproportion, la décision commentée s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence. Toutefois, comme le relève la Cour de cassation, la fiche de renseignements faite à une date proche du cautionnement n’est qu’un élément de preuve parmi d’autres. La charge de la preuve du caractère disproportionné de l’engagement continue alors de peser sur la caution23. À l’inverse, la déclaration de patrimoine concomitante au cautionnement sert de base à l’appréciation de la disproportion et résout le problème de la charge de la preuve. Si la déclaration de patrimoine doit contenir des informations contemporaines à la souscription de l’engagement de la caution, la déclaration décalée ne peut être assimilée à la déclaration concomitante. Par conséquent, les créanciers ont tout intérêt à demander à la caution de remplir la fiche de renseignements au jour de son engagement.

D’une ampleur considérable, le contentieux relatif à l’exigence de proportionnalité témoigne de la nécessité d’une réforme. Sur ce point, le futur article 2299 du Code civil24 suscite peu d’espoirs. D’une part, ce texte ne précise pas le contenu du patrimoine qu’il s’agit de prendre en compte ; d’autre part, le bénéfice du devoir de proportionnalité est étendu à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques, que le créancier soit professionnel ou non. À l’avenir, le contentieux pourrait donc se développer. Par ailleurs, une autre exigence suscite des difficultés : le devoir de mise en garde.

III – L’absence de devoir de mise en garde du créancier à l’égard d’une caution avertie

6. La jurisprudence fait peser sur le créancier bénéficiaire d’un cautionnement un devoir de mise en garde de la caution non avertie25. Celui-ci consiste à attirer son attention sur le risque de non-remboursement du crédit par le débiteur principal26 et sur le risque, pour elle, de ne pouvoir y faire face27. En cas de manquement à cette obligation, le créancier engage sa responsabilité civile. Par le jeu de la compensation, l’allocation de dommages et intérêts à la caution viendra alors réduire sa dette. Ainsi, le devoir de mise en garde constitue l’un des derniers recours de la caution pour échapper, au moins en partie, à son engagement.

En l’espèce, la caution reprochait aux juges du fond d’avoir rejeté sa demande de dommages et intérêts pour manquement du crédit-bailleur à son obligation de mise en garde. Elle n’obtient pas davantage de succès sur ce terrain. La Cour de cassation rappelle que « le crédit-bailleur est tenu à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu’il existe un risque [d’]endettement né de la conclusion du crédit-bail garanti, lequel résulte de l’inadaptation dudit contrat aux capacités financières du crédit preneur ». En l’occurrence, la cour d’appel a relevé que la caution était le gérant de la société cautionnée depuis de nombreuses années, faisant ressortir son expérience de la vie des affaires, de sorte que ne s’étant pas fondée sur la seule qualité de gérant, elle a pu retenir le caractère averti de la caution, dispensant le crédit-bailleur de toute obligation de mise en garde à son égard.

7. Le bénéfice du devoir de mise en garde est réservé aux seules cautions non averties28. Que faut-il entendre par « caution non avertie » ? La caution dirigeante peut-elle bénéficier de cette protection ?

Dans un premier temps, la jurisprudence s’est montrée sévère à l’égard des dirigeants. La caution dirigeante était considérée comme avertie au regard de son statut29. La qualité de dirigeant ou d’associé permettait de présumer d’une connaissance suffisante des risques liés au cautionnement des engagements de la société30. Toutefois, s’agissant d’une présomption simple, la preuve contraire pouvait être apportée. L’absence d’expérience professionnelle a, par exemple, été retenue pour écarter la qualité de caution avertie31. Aujourd’hui, la seule qualité de dirigeant ne saurait suffire à en faire une caution avertie32. L’appréciation in concreto de la qualité du garant invite les juges à motiver soigneusement leurs décisions en relevant les éléments de fait permettant de considérer la caution comme avertie ou non avertie.

Reposant sur une analyse concrète des circonstances de fait, la décision commentée s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence. En l’espèce, pour retenir la qualité de caution avertie, l’arrêt d’appel avait relevé que la caution était le gérant de la société cautionnée depuis de nombreuses années, faisant ressortir son expérience de la vie des affaires. La qualité de caution avertie ayant été retenue au regard de l’expérience professionnelle et de la durée de celle-ci, la décision n’encourait pas la censure.

Si la réponse apportée par la Cour de cassation n’est pas nouvelle, elle met cependant en lumière l’ampleur du contentieux suscité par le devoir de mise en garde en raison des incertitudes entourant la qualification de caution avertie. À la différence de l’avant-projet de l’association Capitant, l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés comporte une disposition relative au devoir de mise en garde, la distinguant ainsi de l’obligation précontractuelle d’information33. En généralisant ce devoir au profit de toutes les cautions personnes physiques, le futur article 2300 du Code civil34 met fin aux doutes nés de la distinction entre les cautions averties et non averties. Ce texte précise également le contenu du devoir de mise en garde, lequel ne porte désormais plus sur les capacités financières de la caution, celles-ci relevant de l’exigence de proportionnalité.

Publié au Bulletin, l’arrêt commenté montre que, destinés à protéger la caution, la mention manuscrite, l’exigence de proportionnalité et le devoir de mise en garde constituent autant de moyens de défense offerts aux cautions désireuses de se soustraire à leur engagement. Si l’accumulation des moyens de défense ne permet pas toujours de libérer la caution, elle a cependant tout intérêt à tenter sa chance devant les tribunaux. Les protections offertes à la caution nécessitant une appréciation circonstanciée, la réforme annoncée ne peut suffire à réduire le contentieux relatif au cautionnement.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. com., art. L. 343-2 : « Les formalités définies à l’article L. 331-2 sont prévues à peine de nullité ».
  • 2.
    Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27814 : Gaz. Pal. 28 mars 2012, n° I9252, p. 15, obs. C. Albiges ; RD bancaire et fin. 2012, p. 56, obs. A. Cerles ; Dr. & patr. juill.-août 2012, n° 216, p. 101, obs. L. Aynès ; RDC 2012, p. 1263, obs. A.-S. Barthez.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, n° 14-21763 : D. 2015, p. 1533 ; D. 2016, 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; JCP 2015, 1069, note J.-D. Pellier ; RTD civ. 2015, p. 915, note P. Crocq ; Dr. & patr. mai 2016, n° 258, p. 117, obs. A. Aynès ; RLDC 2015/11, n° 131, note C. Le Gallou ; Gaz. Pal. 10 déc. 2015, n° 249r2, p. 12, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Banque et droit 2015, n° 164, p. 26, obs. G. Helleringer ; Banque et droit 2015, n° 163, p. 77, obs. N. Rontchevsky ; Gaz. Pal. 10 nov. 2015, n° 247h3, p. 24, obs. P. Pailler.
  • 4.
    C. civ., art. 1369, al. 3. Pour une illustration jurisprudentielle, v. Cass. 1re civ., 6 juill. 2010, n° 08-21760 : RTD civ. 2010, p. 593, obs. P. Crocq ; Banque et droit 2010, n° 130, p. 44, obs. N. Rontchevsky ; Gaz. Pal. 9 sept. 2010, n° I2634, p. 17, note M.-D. Dumont-Lefrand ; JCP E 2010, 1764, note D. Legeais ; JCP G 2010, 789, obs. J.-F. Barbièri ; RJ com. 2011, p. 320, obs. F. Macorig-Venier ; RDC 2010, p. 1349, obs. D. Houtcieff ; RLDC 2010/75, n° 3966, obs. J.-J. Ansault. – V. aussi Cass. com., 14 juin 2017, n° 12-11644 : AJCA 2017, p. 344, note D. Houtcieff ; D. 2017, p. 1748, note P. Bouathong ; RD bancaire et fin. 2017, comm. 157, obs. D. Legeais ; JCP G 2017, 866, note P. Simler.
  • 5.
    C. civ., art. 1374, al. 3.
  • 6.
    V. notamment P. Crocq, « Exigence d’une mention manuscrite et caution illettrée », note sous Cass. com., 9 juill. 2015, n° 14-21763 : RTD civ. 2015, p. 915.
  • 7.
    Cass. com., 20 sept. 2017, n° 12-18364 : Gaz. Pal. 21 nov. 2017, n° 307d6, p. 27, note C. Albiges ; RTD civ. 2018, p. 176, note P Crocq ; JCP G 2017, 1239, obs. P. Simler.
  • 8.
    D’une part, comme le relève le professeur Crocq, « ce revirement est effectué contra legem ». D’autre part, « la référence effectuée par l’arrêt commenté à l’existence d’un mandat ne convainc guère ici, car le mandat de se porter caution doit obéir aux mêmes règles de forme que l’acte de cautionnement lui-même et se trouve donc soumis à la même exigence de mention manuscrite » (P. Crocq, « La mention manuscrite peut être écrite de la main d’autrui », note sous Cass.  com., 20 sept. 2017, n° 12-18364 : RTD civ. 2018, p. 176).
  • 9.
    « V° Fraude, in G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 13e éd., 2020, PUF, Quadrige.
  • 10.
    Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-20911. En l’espèce, la mention avait été rédigée par un tiers. La cour d’appel avait considéré qu’il appartenait au créancier, professionnel du crédit, de veiller à la conformité de la mention. Pour censurer sa décision, la Cour de cassation relève, au visa notamment de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, qu’ « en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, et sans rechercher si, en faisant reproduire cette mention par un tiers, en dépit des précisions données dans les actes soumis à sa signature, la caution n’avait pas commis une faute, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
  • 11.
    L’article 2297, alinéa 1er de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés prévoit que « la caution personne physique appose elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffre ».
  • 12.
    Sur ce point, v. G. Piette, « Solutions pour mettre un terme au contentieux relatif aux mentions manuscrites dans le cautionnement », D. 2017, p. 1064 ; J. Lasserre Capdeville, « Portée des mentions manuscrites requises de la part de la caution », D. 2013, p. 1460.
  • 13.
    Ce texte a vocation à s’appliquer à tous les cautionnements souscrits par une personne physique à l’égard d’un créancier professionnel : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation » (C. consom., art. L. 332-1 et C. consom., art. L. 343-4).
  • 14.
    Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-66309 : D. 2011, p. 406, obs. P. Crocq ; RLDC juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault. – Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-67814 : D. 2010, p. 1985, note D. Houtcieff ; D. 2011, p. 406, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2010, p. 593, obs. P. Crocq ; RTD com. 2010, 552, obs. C. Champaud et D. Danet ; RTD com. 2011, p. 171, obs. A. Martin-Serf ; JCP E 2010, n° 29, p. 37, note D. Legeais – Cass. com., 19 oct. 2010, n° 09-69203 : D. 2011, p. 406, obs. P. Crocq ; RLDC 2010, p. 33, obs. J.-J. Ansault.
  • 15.
    C. consom., art. L. 314-18 ; C. consom., art. L. 332-1 et C. consom., art. L. 343-4.
  • 16.
    Cass. com., 7 nov. 2018, n° 15-24762 : en l’espèce, la Cour a considéré que la déclaration de patrimoine transmise par une banque à une autre banque à l’occasion du cautionnement ne pouvait être retenue pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de la caution.
  • 17.
    Cass. com., 20 avr. 2017, n° 15-18239.
  • 18.
    Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-19756.
  • 19.
    Cass. com., 27 sept. 2017, n° 16-15039 : en l’espèce, la déclaration de patrimoine a été rédigée le 2 mars 2010, la caution a souscrit son engagement le 7 avril 2010, mais les revenus annuels déclarés étaient ceux de l’année 2008.
  • 20.
    Cass. com., 3 oct. 2018, n° 17-20271.
  • 21.
    Cass. com., 9 juill. 2019, n° 18-15224 : Gaz. Pal. 5 nov. 2019, n° 362d7, p. 23, note C. Albiges.
  • 22.
    Cass. com., 26 juin 2019, n° 18-10981.
  • 23.
    Il appartient à la caution qui entend se prévaloir de la disproportion de son engagement d’en rapporter la preuve (Cass. com., 22 janv. 2013, n° 11-25377 : D. 2013, p. 1175, obs. H. Guillou ; D. 2013, p. 2802, obs. P. Delebecque ; Gaz. Pal. 21 mars 2013, n° 122z5, note C. Albiges ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 55, obs. D. Legeais ; JCP G 2013, 585, 7, obs. P. Simler) et il incombe au créancier qui entend se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné de prouver le retour à meilleure fortune de la caution au moment où il agit en paiement (Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-13683 – Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-11313 : Gaz. Pal. 5 juin 2014, n° 180v2, note C. Albiges ; D. 2014, p. 868, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014, p. 1010, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou et F. Arbellot ; D. 2014, p. 1610, obs. P. Crocq).
  • 24.
    Selon ce texte, « si le cautionnement souscrit par une personne physique était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager. Toutefois, la caution demeure tenue de la totalité de son engagement lorsqu’elle est en mesure d’y faire face au moment où elle est appelée ».
  • 25.
    Cass. ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21104 : D. 2007, p. 2081, note S. Piedelièvre ; JCP E 2007, 2105, note D. Legeais.
  • 26.
    V. par ex. Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-20387 ; Cass. com., 13 janv. 2015, n° 13-24875 : Gaz. Pal. 19 mars 2015, n° 216u5, p. 13, note C. Albiges – Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-16790 : BJS janv. 2018, n° 117e5, p. 34, note C. Juillet ; JCP E 2018, 1010, note D. Legeais.
  • 27.
    V. par ex. Cass. com., 26 janv. 2010, n° 08-70423 ; Cass. 1re civ., 3 juill. 2013, n° 12-16655 ; Cass. com., 27 nov. 2012, n° 11-25967 : D. 2013, p. 1706, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2013, p. 423, note I. Riassetto.
  • 28.
    Cass. com., 11 mai 2010, nos 09-12906 et 09-13347 : Dr. & patr. 1995, n° 195, p. 86, obs. L. Aynès et P. Dupichot – Cass. 1re civ., 16 sept. 2010, n° 09-15058 : RD bancaire et fin. 2010, comm. 213, obs. D. Legeais ; JCP G 2011, I, 770, obs. P. Simler – Cass. com., 17 mai 2011, n° 10-14936 : JCP G 2011, I 770, obs. P. Simler – Cass. com., 27 mai 2014, nos 13-17287 et 13-17288 ; Cass. com., 13 mai 2014, n° 12-26948 – Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-10.834.
  • 29.
    Cass. com., 17 fév. 2009, n° 08-15324 ; Cass. com., 9 févr. 2010, n° 09-11436 ; Cass. com., 22 nov. 2011, n° 10-25197 : Gaz. Pal, 22 déc. 2011, p. 13, n° 356, obs. C. Albiges – Cass. com., 27 mars 2012, n° 10-20077 : D. 2012, p. 1455, obs. A. Lienhard ; D. 2012, p. 1573, obs. P. Crocq ; D. 2012, 2196, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés 2012, p. 398, obs. P. Roussel Galle ; Rev. sociétés 2013, 91, note I. Riassetto ; RTD com. 2012, p. 984, obs. D. Legeais.
  • 30.
    Cass. com., 28 avr. 2009, n° 08-13002.
  • 31.
    Cass. com., 11 avr. 2012, n° 10-25904.
  • 32.
    Cass. com., 13 nov. 2012, n° 11-24178 : D. 2013, 1706, obs. P. Crocq – Cass. com., 27 nov. 2012, n° 11-25967 : D. 2013, 1706, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2013, p. 423, note I. Riassetto – Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-20216 : BJS mai 2016, n° 114z3, p. 247, note J.-F. Barbièri ; D. 2016, 1955, obs. P. Crocq – Plus récemment, v. Cass. com., 3 févr. 2021, n° 18-24334.
  • 33.
    C. civ., art. 1112-1.
  • 34.
    L’article 2300, alinéa 1er, de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés prévoit que « le créancier professionnel est tenu de mettre en garde [gratuitement] la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier ».