Appréciation de la disproportion manifeste de la caution et devoir de mise en garde de la banque
Par un arrêt du 17 septembre 2017, la Cour de cassation estime que les juges du fait ont jugé à bon droit que le cautionnement n’était pas manifestement disproportionné, mais l’arrêt d’appel est censuré partiellement pour absence de caractérisation de devoir de mise en garde de la banque.
Cass. com., 13 sept. 2017, no 15-20294
1. Dans l’opinion traditionnelle, les obligations positives de l’État résultant d’une interprétation de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales imposent aux juges strasbourgeois d’opérer un contrôle de proportionnalité conduisant à vérifier le caractère acceptable ou insupportable de l’ingérence de l’État1 en matière de droits et libertés fondamentaux. Cela signifie que le standard de la proportionnalité requiert une application in concreto. On s’inquiète, à juste titre, du risque que la présentation traditionnelle du syllogisme soit affectée par le recours à la technique de la proportionnalité2. Dans la même veine, la Cour de cassation précise de manière catégorique que « si l’application d’un délai de prescription ou de forclusion, limitant le droit d’une personne à faire reconnaître son lien de filiation paternelle, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la fin de non-recevoir opposée aux consorts X est prévue à l’article 333 du Code civil et poursuit un but légitime, en ce qu’elle tend à protéger les droits et libertés des tiers ainsi que la sécurité juridique »3. À l’analyse, il faut d’ailleurs bien admettre que la haute juridiction tend à ramener l’engagement de la caution à de plus justes proportions4. En l’espèce5, le 29 novembre 2005, Mme X, compagne de M. Y, gérant de la société Alpes Auto Moto (la société), s’est rendue caution solidaire des sommes pouvant être dues par celle-ci à la société BNP Paribas, dans la limite de 480 000 € en principal, pénalités et intérêts de retard. Ce faisant, la société a été mise en redressement puis liquidation judiciaires. Conformément au droit des procédures collectives, la banque a déclaré sa créance et a assigné en paiement la caution, qui a invoqué la disproportion de son engagement et recherché la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde. La haute juridiction rejette le pourvoi en estimant que la caution n’a pas rapporté la preuve de la disproportion de l’engagement du contrat de cautionnement (I). Pour autant, la Cour de cassation censure partiellement l’arrêt d’appel pour défaut de caractérisation du devoir de mise en garde de la banque dispensateur de crédit (II).
I – Le contrôle de l’engagement disproportionné de la caution
2. On peut dire que l’exigence de proportionnalité régit le droit du cautionnement (A), et que la charge de la preuve de la disproportion manifeste de l’engagement de la caution incombe à cette dernière (B).
A – L’exigence de proportionnalité régit le droit du cautionnement
3. On sait que l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du Code de la consommation interdit à un créancier professionnel de se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation, ce texte ne lui impose toutefois pas de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus6. Cette technique de contrôle de proportionnalité a suscité de nombreux débats tant jurisprudentiels que doctrinaux. C’est ainsi que, s’il est aisé d’admettre que l’appréciation de la disproportion de la caution mariée relève du pouvoir souverain des juges du fond, tel n’est pas le cas de la nature de l’appréciation de la disproportion de l’engagement de la caution mariée. On enseigne généralement que « la disproportion s’apprécie de manière objective, indépendamment de toute référence à l’existence d’une erreur, d’une contrainte ou d’une défaillance des facultés mentales ; le parallèle doit être fait avec l’appréciation objective de la lésion »7. En effet, cette question se complique en droit des régimes matrimoniaux, car la Cour de cassation considère souvent que l’époux caution est condamné, car son épouse a certes donné son consentement-autorisation en vertu de l’article 1415 du Code civil mais elle n’est pas co-caution8. C’est ainsi que la Cour de cassation a rappelé : « Mais attendu qu’après avoir énoncé que le consentement de Mme X au cautionnement donné par son époux en garantie des dettes de la société, en application de l’article 1415 du Code civil, n’a pas eu pour effet de lui conférer la qualité de partie à l’acte (…) »9.
4. Au cas d’espèce, les juges du fond estiment, à juste titre aux yeux de la Cour de cassation, que « Mme X ne verse aux débats aucune pièce relative à sa situation financière et patrimoniale en 2005, a retenu l’existence et l’importance des biens et revenus de cette dernière au jour de son engagement en se fondant sur la fiche de renseignement préalablement remplie par M. Y et en a déduit que son engagement de caution n’était manifestement pas disproportionné par rapport à ses biens et revenus ». En d’autres termes, les juges du fond recherchent l’adéquation de l’engagement pris par la caution personne physique à ses biens et revenus, se traduisant par un rapport raisonnable entre le montant de la dette cautionnée et la situation financière de la caution10.
B – L’absence de définition précise de la « disproportion manifeste »
5. Pour la jurisprudence, le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir de cet engagement11. De plus, il appartient à la caution de rapporter la preuve du caractère disproportionné de son engagement et de son incapacité à y faire face12. En l’espèce, la caution ne convainc pas la Cour de cassation en soutenant que la banque aurait manqué à son devoir de mise en garde. La notion de disproportion manifeste entre les ressources de la caution et le montant du cautionnement qu’elle a souscrit est une question de fait appréciée par les juges du fond13. C’est ainsi que la doctrine estime que « considérer que la disproportion manifeste du cautionnement entraîne systématiquement sa nullité. Pour les juges parisiens, l’on ne peut valablement s’engager avec un consentement effectif et éclairé que s’il existe au moins une possibilité de faire face à l’engagement, ce qui exclut la validité d’un cautionnement dont le montant est gravement et manifestement disproportionné avec le patrimoine et les revenus de la caution »14. Dans le même ordre d’idées, la Cour de cassation a condamné une banque en relevant que M. Z avait souscrit un aval de 20 000 000 francs, « manifestement disproportionné » à ses revenus, d’un montant mensuel de 37 550 francs, et à son patrimoine, d’un montant inférieur à 4 000 000 francs et que la cour d’appel, tout en estimant que M. Z n’avait pas commis d’erreur, viciant son consentement, a pu estimer, en raison de « l’énormité de la somme garantie par une personne physique », que, dans les circonstances de fait, exclusives de toute bonne foi de la part de la banque, cette dernière avait commis une faute en demandant un tel aval, « sans aucun rapport » avec le patrimoine et les revenus de l’avaliste15.
II – Devoir de mise en garde de la banque dispensateur de crédit
6. Dans l’arrêt rapporté, la décision d’appel est censurée partiellement au regard du devoir de mise en garde de la banque (A) qui doit être apprécié in concreto (B).
A – Limites raisonnables du devoir de mise en garde du banquier
7. En dépit des études doctrinales et des avancées jurisprudentielles, l’obligation de conseil pesant sur les banquiers à l’égard des cautions n’a pas livré la majeure partie de ses secrets. La raison essentielle en est que la jurisprudence hésite à systématiser le devoir de mise en garde du banquier16. Néanmoins, pour les emprunteurs profanes, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que le banquier a manqué à son devoir de mise en garde17.
8. Dans l’arrêt annoté, le demandeur au pourvoi soutenait que la banque qui ne s’est pas enquise auprès de la caution elle-même de sa situation patrimoniale ne peut ensuite reprocher à celle-ci de ne pas démontrer que son engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. La charge de la preuve de la disproportion alléguée incombe à la caution qui l’invoque18, selon un arrêt de la Cour de cassation qui précise que : « Mais attendu que Mme X, qui n’a jamais prétendu que la banque aurait eu sur la situation du débiteur principal dont elle-même avait d’ailleurs reconnu avoir une parfaite connaissance ou sur le défaut de viabilité de l’opération financée des informations qui lui auraient été dissimulées, se bornait à reprocher à l’établissement de crédit de ne pas avoir attiré son attention sur la portée de son engagement et les aléas qu’il comportait et à prétendre que ces manquements, qui l’avaient induite en erreur, justifiaient l’annulation de celui-ci ; que l’intéressée, qui n’est pas fondée à soutenir avoir ignoré la nature d’un engagement de cautionnement, n’a rapporté, ainsi qu’elle en avait la charge, aucune preuve de l’erreur alléguée ; que le moyen n’est pas fondé »19.
B – Le standard de la proportionnalité requiert une application in concreto
9. Dans sa ligne générale, le principe de proportionnalité s’apprécie dans des situations in concreto, tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce, mais en se fondant également sur plusieurs critères dégagés par la jurisprudence20. Dans son article intitulé « La proportionnalité du cautionnement et les revenus escomptés de l’opération garantie », Christophe Juillet estime, à juste titre : « En matière de devoir de mise en garde, la qualité de caution avertie ou profane n’est pas une science exacte. Elle se détermine in concreto au regard des connaissances et des compétences dont jouit effectivement la caution »21. En effet, depuis un arrêt de la Cour de cassation rendu le 11 avril 2012, la haute juridiction accepte l’analyse in concreto de la notion de caution avertie faite par les juges du fond22.
10. La question juridique de savoir si la caution est avertie ou profane n’est pas aisée à appréhender tant la jurisprudence est fournie et fluctuante, d’autant plus que la Cour de cassation exerce un contrôle minimum de motivation sur cette question de fait. En l’espèce, les juges du fond écartent la qualification de la caution avertie23 malgré la présence d’un banquier dispensateur de crédit pour protéger le principe de non-ingérence. En effet, selon la haute juridiction, « les époux A ont apporté à la société la somme de 96 030 € et mis à la disposition de leur fille, préalablement à la souscription de leurs engagements, des fonds pour lui permettre d’effectuer des versements en compte courant ; que l’arrêt relève ensuite que les époux A, qui souhaitaient ne plus investir directement dans l’entreprise, étaient assistés d’un conseiller, lors de la souscription de leurs engagements de caution, lesquels faisaient suite au courrier de la banque du 22 novembre 2002 signifiant la rupture du découvert ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les époux A étaient des cautions averties, de sorte que la banque n’était pas tenue à leur égard d’un devoir de mise en garde, et qu’ils avaient souscrit leurs engagements en pleine connaissance de la situation de la société, la cour d’appel, qui n’avait pas à répondre à la simple allégation dépourvue de précision mentionnée à la troisième branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé »24.
Notes de bas de pages
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1.
Laurent-Boudot C., Giraudeau G., Guérin-Bargues C. et Haupais N., Le fait religieux dans la construction de l’État, actes du colloque de l’université d’Orléans, 17-18 juin 2014, p. 215.
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2.
Entretien avec Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, « Pour exercer pleinement son office de Cour suprême, la Cour de cassation doit adapter ses modes de contrôle », JCP G 2015, 1122, spéc. n° 43 ; Jamin C., « Contrôle de proportionnalité : “Juger et motiver. Introduction comparative à la question du contrôle de proportionnalité en matière de droits fondamentaux” », https://www.courdecassation.fr.
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3.
Cass. 1re civ., 6 juill. 2016, n° 15-19853, PBI.
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4.
Fages B., Fleury P. et Mestre J., « Une sanction originale », Le Lamy Droit du Contrat, n° 1602.
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5.
Delpech X., « Cautionnement : charge de la preuve de la disproportion », Dalloz actualité, 28 sept. 2017 ; Mauriès V., « Cautionnement : charge de la preuve de la disproportion de l’engagement et caution avertie », Lamyline, 20 sept. 2017 ; « Cautionnement – Charge de la preuve du caractère disproportionné de la caution et notion de personne avertie », JCP E 2017, act. 654, n° 38 ; « La charge de la preuve de la disproportion du cautionnement », 7 mai 2014, http://actu.dalloz-etudiant.fr.
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6.
« Proportionnalité de l’engagement de caution : charge de la preuve et notion de caution avertie », Gaz. Pal. 19 sept. 2017, n° 303v0, p. 38.
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7.
Bout R. †, Bruschi M., Luby-Gaucher M., Poillot-Péruzzetto S. et Soltani S., « Appréciation du caractère disproportionné du cautionnement », Le Lamy Droit Économique 2016, n° 5999, Raymond G., note sous CA Paris, 27 mai 1997 : Contrats, conc., consom. 1998, n° 47.
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8.
Delpech X., « Appréciation de la proportionnalité de l’engagement de la caution mariée », Dalloz actualité, 7 mars 2017.
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9.
Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-20304 ; Marraud des Grottes G., « Cautionnement : rappel sur le contour de mise en garde de la banque et l’appréciation de la disproportion de la caution », Documentation expresse, Journal des avocats et des notaires, n° 2017-05, p. 7.
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10.
« La charge de la preuve de la disproportion du cautionnement », 7 mai 2014, http://actu.dalloz-etudiant.fr/.
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11.
Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-11313.
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12.
Ibid.
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13.
Fages B., Fleury P. et Mestre J., « Erreur sur les éléments du cautionnement », Le Lamy Droit du Contrat, n° 568.
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14.
Ibid.
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15.
Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14105.
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16.
Cass. com., 13 sept. 2017, n° 15-20294 : « Que la banque qui ne s’est pas enquise auprès de la caution elle-même de sa situation patrimoniale ne peut ensuite reprocher à celle-ci de ne pas démontrer que son engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus ; d’où il suit qu’en statuant comme elle l’a fait quand la banque ne justifiait pas avoir demandé à Mme X de souscrire une déclaration de revenus et de patrimoine préalablement à la signature du cautionnement du 29 novembre 2005, la cour d’appel a violé l’article L. 341-4 du Code de la consommation, ensemble l’article 1134, alinéa 3, du Code civil » ; « La vulnérabilité de l’emprunteur et de la caution », https://www.courdecassation.fr ; Carolle-Brisson D., « Les limites raisonnables du devoir de mise en garde du banquier », RLDA 2009/41, p. 37.
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17.
Brun P., Pierre P., Chamouard-El Bakkali S. et Mestre J., « Responsabilité liée à la conclusion du contrat de cautionnement », Lamy Droit de la responsabilité civile, n° 473-59.
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18.
« La vulnérabilité de l’emprunteur et de la caution », https://www.courdecassation.fr/.
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19.
Cass. com., 19 avr. 2005, n° 03-14533.
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20.
Guilbaud-Seguin L., Méjias de Haro A. et Nivelles V., « Le cas des étrangers de la deuxième génération », Le Lamy Mobilité Internationale, n° 101-62.
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21.
Juillet C., « La proportionnalité du cautionnement et les revenus escomptés de l’opération garantie », D. 2015, p. 2044.
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22.
Cass. com., 11 avr. 2012, n° 10-25904, FS-PB ; Delpech X., « Dirigeant social = caution avertie ? », Dalloz actualité, 23 avr. 2012.
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23.
Delpech X., « Cautionnement : charge de la preuve de la disproportion », préc.
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24.
Cass. com., 12 nov. 2008, n° 07-15949.