Revirement de jurisprudence : la prescription biennale du Code de la consommation, une exception inhérente à la dette dont la caution peut se prévaloir

Publié le 21/06/2022

Si la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu’il s’agit d’une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir.

Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, no 20-22866

1. L’extinction du cautionnement peut être la conséquence de son caractère accessoire. Dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, l’article 2313, alinéa 1er, du Code civil permet à la caution d’opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette garantie. L’alinéa second précise toutefois qu’« elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur ». La qualification des exceptions suscite un contentieux important depuis l’arrêt d’une chambre mixte du 8 juin 20071. Publié au Bulletin, l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 avril 2022 anticipe la réforme du droit des sûretés et marque un revirement de jurisprudence sur l’épineuse question de la qualification que doit recevoir l’exception tirée de l’extinction de l’obligation principale par l’effet de la prescription biennale du droit de la consommation. À ce titre, il intéressera particulièrement les créanciers.

En l’espèce, par acte sous seing privé du 22 novembre 2007, une banque a consenti à des emprunteurs un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société CNP caution.

La banque a assigné les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt. Saisie de l’affaire, la cour d’appel de Lyon a, dans un arrêt du 16 novembre 2018, rejeté sa demande en paiement et ordonné à ses frais la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire.

La banque forma un pourvoi en cassation. Elle soutenait qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du Code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution. Dès lors, en énonçant, pour rejeter sa demande à l’encontre de la caution, que les emprunteurs s’étant prévalus de la prescription biennale, la dette était éteinte et que cette extinction profitait à la caution, la cour d’appel aurait violé l’article L. 218-2 du Code de la consommation et l’article 2313 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.

La Cour de cassation devait trancher la question suivante : la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation procédant de la qualité de consommateur constitue-t-elle une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux articles 2253 et 2313 du Code civil ?

Au terme d’un raisonnement en neuf points (§ 4 à 12), la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et rejette le pourvoi.

Elle rappelle d’abord que l’article L. 218-2 du Code de la consommation dispose que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. Selon l’article 2253 du Code civil, les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce. Il résulte de l’article 2313 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, mais ne peut lui opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.

Ensuite, la haute juridiction rappelle qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du Code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution (Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-16147, F-PBI).

Or, selon les hauts magistrats, une telle solution exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur contractant avec un professionnel fournisseur de biens ou de services, outre qu’elle conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, laquelle permet en principe à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur.

La Cour de cassation en conclut qu’il y a lieu de modifier sa jurisprudence et de décider désormais que, si la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu’il s’agit d’une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions précitées du Code civil.

En l’espèce, la cour d’appel, qui a constaté l’acquisition du délai biennal de prescription de l’action en paiement formée par la banque contre les emprunteurs, a relevé que la caution s’en prévalait pour s’opposer à la demande en paiement formée contre elle.

Par conséquent, la demande en paiement formée par la banque contre la caution ne pouvait qu’être rejetée.

Par l’arrêt du 20 avril 2022, la première chambre civile opère un véritable revirement de jurisprudence concernant la qualification de l’exception tirée de l’acquisition de la prescription biennale du Code de la consommation. Si ce revirement était souhaité (I), il apparaît cependant discutable (II).

I – Un revirement de jurisprudence souhaité

2. Mettant fin à une jurisprudence controversée (A), la Cour de cassation qualifie désormais l’acquisition de la prescription biennale d’exception inhérente à la dette (B).

A – L’abandon d’une solution controversée

3. L’article L. 218-2 du Code de la consommation dispose que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ». Si la dette principale est éteinte, par le jeu de l’accessoire, le cautionnement devrait s’éteindre également. Cette règle est contenue dans l’article 2313, alinéa 1er du Code civil. Selon ce texte, « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, mais ne peut lui opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur ».

En l’espèce, la banque faisait justement valoir qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du Code de la consommation ne peut être opposée au créancier par la caution. Selon elle, la prescription libératoire extinctive à l’égard du débiteur n’éteint pas le droit du créancier, mais lui interdit seulement d’exercer son action contre le débiteur.

4. La prescription de l’article L. 218-2 du Code de la consommation relève-t-elle de la catégorie des exceptions purement personnelles au débiteur ou de celle des exceptions inhérentes à la dette ?

Dans un arrêt du 11 décembre 2019, statuant à propos de faits similaires à ceux de l’arrêt rapporté, la première chambre civile avait approuvé la cour d’appel d’avoir retenu qu’« en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription prévue par l’article L. 218-2 du Code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution »2. Cette jurisprudence a été critiquée avec force par la doctrine majoritaire3. Plusieurs arguments ont été avancés. D’abord, la qualification même de la prescription d’exception purement personnelle au débiteur a été contestée. Ensuite, en obligeant la caution à payer une dette dont le débiteur a été libéré, la solution porterait atteinte au caractère accessoire du cautionnement4, lequel interdit de traiter la caution plus durement que le débiteur. Enfin, cette solution se révélerait inopportune à l’égard du débiteur principal puisque, disposant d’un recours personnel, la caution se retournera nécessairement contre lui après avoir payé le créancier.

Dans l’arrêt du 20 avril 2022, rompant avec sa jurisprudence antérieure, la première chambre civile rejette le pourvoi de la banque et affirme qu’« il y a lieu de modifier la jurisprudence et de décider désormais que, si la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu’il s’agit d’une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir ».

5. Prenant la mesure des critiques formulées par la doctrine, la Cour rappelle la jurisprudence antérieure et justifie sa décision d’opérer un revirement.

L’abandon de la solution ancienne trouve d’abord une explication au regard des conséquences particulièrement inéquitables produites à l’égard du débiteur principal. À l’instar de la doctrine5, les hauts magistrats constatent qu’une « une telle solution exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur contractant avec un professionnel fournisseur de biens ou de services ». Comme le soulignait déjà le professeur Pierre Crocq, « le succès obtenu par le débiteur principal à l’encontre du créancier n’est qu’une victoire sans lendemain puisque ce qu’il a pu refuser de payer au créancier, il devra le payer à la caution »6.

Ensuite, bien que rendue sous l’empire de l’ancien article 2313 du Code civil, la décision commentée s’inscrit dans la lignée de la réforme issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 et entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Comme le relèvent les hauts magistrats, l’application de la solution retenue dans l’arrêt du 11 décembre 2019 « conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, laquelle permet à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur ». Si l’ancien article 2313 du Code civil opérait une distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles purement personnelles au débiteur, l’ordonnance met fin à cette dichotomie largement contestée, laquelle entraînait bien souvent des solutions incertaines. Abandonnant l’ancienne typologie des exceptions, l’ordonnance pose d’abord un principe, celui de l’opposabilité des exceptions. Le nouvel article 2298, alinéa 1er, du Code civil prévoit ainsi que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293 ». Ensuite, ce principe est tempéré par deux exceptions limitativement énumérées par la loi, à savoir celle relative à l’incapacité du débiteur principal7 et celle résultant de la défaillance de ce dernier8. Enfin, l’article 2298, alinéa 2, du Code civil pose in fine une exception à l’exception, celle des dispositions spéciales contraires. Ces dispositions relevant du droit des procédures collectives ont pour objet de protéger la caution personne physique en cas de défaillance du débiteur principal9. Si l’arrêt commenté emploie toujours l’ancienne typologie, elle en modifie cependant le contenu et le choix de qualifier l’acquisition de la prescription du droit de la consommation d’exception inhérente à la dette apparaît en parfaite cohérence avec les nouveaux textes.

B – L’acquisition de la prescription biennale, une exception inhérente à la dette

6. Souhaitant mettre un coup d’arrêt définitif à la jurisprudence de 2019, la Cour de cassation inverse sa position et affirme désormais que « si la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu’il s’agit d’une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions précitées du Code civil ». Au terme d’un raisonnement en deux temps, la haute juridiction permet à la caution d’opposer au créancier l’exception tirée de la prescription.

7. Dans un premier temps, la prescription biennale du droit de la consommation est qualifiée d’exception inhérente à la dette. Reprenant le raisonnement qu’elle avait tenu en 2019, la Cour de cassation commence par rappeler que c’est en raison de sa qualité de consommateur que le débiteur principal bénéficie de la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation. Le moyen de défense qui résulte de cette protection offerte en raison de la personne même du débiteur devrait alors être qualifié d’exception purement personnelle au débiteur. Le statut de consommateur du débiteur est-il suffisant pour qualifier la prescription biennale d’exception purement personnelle ? Comme le souligne le professeur Rémy Libchaber, « le fait d’être un consommateur ne relève pas de l’intuitu personae : il s’agit d’une qualité partagée par un grand nombre d’individus, qui n’a rien de spécifique à la personne du débiteur »10. Pour exclure la qualification d’exception purement personnelle, la Cour relève ensuite que l’acquisition de cette prescription « affecte le droit du créancier, de sorte qu’il s’agit d’une exception inhérente à la dette ». Autrement dit, en ce qu’elle conduit à l’extinction du droit pour le créancier d’agir en justice, la prescription serait une exception inhérente à la dette.

8. Dans un second temps, se référant aux articles 2253 et 2313 du Code civil, la Cour de cassation affirme que cette exception peut être opposée par la caution au créancier. Dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 15 septembre 2021, l’article 2213 du Code civil permet à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui sont inhérentes à la dette. En outre, l’article 2253 du Code civil prévoit que « les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce ». Dès lors, comme l’explique le professeur Jean-Denis Pellier, « la caution devrait donc, à tout le moins, pouvoir opposer la prescription biennale profitant au débiteur principal sur le fondement de ce texte, car il est évident qu’elle y a intérêt »11. En l’occurrence, la cour d’appel, qui a constaté l’acquisition du délai biennal de prescription de l’action en paiement formé par la banque contre les emprunteurs, a relevé que la caution s’en prévalait pour s’opposer à la demande en paiement formée contre elle. Par conséquent, la demande en paiement formée par la banque ne pouvait qu’être rejetée.

En retenant la qualification d’exception inhérente à la dette, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et permet désormais à la caution de se prévaloir de la prescription biennale du droit de la consommation. Si elle ne paraît pas surprenante au regard des nouveaux textes issus de l’ordonnance du 15 septembre 2021, la solution nouvelle pose cependant des difficultés.

II – Un revirement de jurisprudence discutable

9. Encouragé par une doctrine majoritaire, ce revirement de jurisprudence est discutable et ce, à double titre : d’une part, la qualification retenue semble contestable (A), d’autre part, l’anticipation de la réforme s’avère dangereuse (B).

A – Une qualification juridique contestable

10. Pour permettre à la caution d’opposer au créancier l’exception tirée de la prescription, la Cour de cassation a choisi de la rattacher à la catégorie des exceptions inhérentes à la dette. Pourtant, la qualification retenue est loin d’être évidente.

11. On ne peut manquer de pointer la maladresse de l’arrêt commenté s’agissant du fondement technique de la nature de l’exception tirée de la prescription biennale du Code de la consommation. Pour justifier sa solution, la Cour de cassation se fonde sur l’article 2253 du Code civil. Or, ce texte a vocation à s’appliquer lorsque l’exception de prescription n’a pas été soulevée ou lorsque le débiteur a renoncé12, expressément ou tacitement13, à la prescription. Dans ces hypothèses, l’article 2253 permet alors au créancier du débiteur d’invoquer à sa place la prescription, par voie oblique. En l’occurrence, les débiteurs n’avaient pas renoncé à la prescription. Au contraire, celle-ci a été soit invoquée par les débiteurs, soit soulevée d’office par le juge, les débiteurs ayant la qualité de consommateurs14. Par conséquent, ce texte ne pouvait trouver à s’appliquer aux faits de l’espèce.

12. En outre, la solution nouvelle s’articule difficilement avec l’article L. 218-2 du Code de la consommation. La prescription biennale peut-elle être rattachée à la catégorie des exceptions inhérentes à la dette ? Dérogeant au droit commun de la prescription, ce délai spécial s’explique par la volonté du législateur de protéger le consommateur. Ainsi, l’application de ce texte suppose qu’un professionnel fournisse un bien ou un service à un consommateur. Bien que le contrat unilatéral de cautionnement ne remplisse pas la condition requise, la caution pourrait toutefois en bénéficier par la voie accessoire : le caractère accessoire du cautionnement justifie qu’elle bénéficie de la paralysie de la poursuite. Si elle est justifiée au regard du caractère accessoire du cautionnement, la solution à laquelle aboutit la Cour de cassation apparaît cependant inopportune : l’entorse à l’article L. 218-2 du Code de la consommation est flagrante lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’une société de caution puisque ce professionnel bénéficie alors indirectement, par la voie de l’accessoire, d’un délai prévu pour les consommateurs. L’opposabilité de la prescription du Code de la consommation par la caution au créancier peut se comprendre lorsque la garantie a été constituée par des proches de l’emprunteur puisqu’il s’agit d’un service amical, d’un contrat de bienfaisance. En revanche, elle est discutable lorsque le garant est, comme en l’espèce, une société de caution. Ne faudrait-il pas distinguer les cautionnements à titre onéreux des cautionnements à titre gratuit ? S’agissant d’un cautionnement à titre onéreux, la caution s’engage parce qu’elle perçoit une rémunération de la part du débiteur principal. Dès lors, est-il opportun d’accorder une telle protection à ces cautions ?

13. Par ailleurs, retenir la qualification d’exception purement personnelle et, par là même, l’inopposabilité de la prescription ne paraît pas excessive à l’égard de la caution. En effet, après avoir payé le créancier, la caution ne se trouve pas privée de tout recours. Il est vrai que l’intérêt d’un recours subrogatoire est neutralisé : le débiteur pouvant opposer à la caution les mêmes exceptions que celles qu’il pouvait invoquer à l’égard du créancier, son recours subrogatoire se heurtera nécessairement à l’extinction par prescription de la dette principale. Mais disposant d’un recours personnel15, la caution pourra obtenir le remboursement des sommes qu’elle a payées au créancier. Certes, on objectera que ce recours prive le débiteur principal du bénéfice de la prescription du droit de la consommation. Mais une telle solution serait-elle inéquitable ? Sans revenir sur le débat doctrinal relatif à la portée de l’effet extinctif de la prescription16, il résulte de la thèse « processualiste » que la prescription éteint seulement l’action en justice du créancier, mais laisse subsister l’obligation du créancier17. Dans la mesure où cette dernière subsiste, le paiement réalisé par le débiteur principal à la suite du recours personnel exercé par la caution paraît justifié.

14. Finalement, la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles purement personnelles au débiteur ne semble pas à même de régler la question de l’opposabilité des exceptions. Une nouvelle fois, un certain sentiment d’arbitraire se dégage. Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation modifie les qualifications au gré du sens de l’équité. Par exemple, l’exception liée au défaut de déclaration est devenue une exception purement personnelle au débiteur et par conséquent inopposable par la caution, alors qu’elle était auparavant une exception inhérente à la dette, opposable par la caution18. La dimension personnelle de l’exception est, en réalité, insaisissable. L’exception, même personnelle, a toujours une incidence sur la créance : la minorité du débiteur constitue, par exemple, une cause de nullité – la difficulté étant alors de déterminer à partir de quel moment la dimension personnelle l’emporte et sur la base de quel critère. Il s’agit, en quelque sorte, d’une question de degré, c’est pourquoi les anciens textes employaient l’expression d’exceptions « purement personnelles ». En l’absence de véritable critère de distinction entre ces deux catégories, la jurisprudence adopte l’une ou l’autre des qualifications. Si la présente solution se justifie au regard des nouveaux textes issus de la réforme du droit des sûretés, une telle anticipation de la réforme s’avère toutefois dangereuse.

B – Une anticipation dangereuse de la réforme

15. Le nouvel article 2298, alinéa 1er, du Code civil affirme un principe clair, celui de l’opposabilité de toutes les exceptions, qu’elles soient personnelles ou inhérentes à la dette. Conforme au caractère accessoire du cautionnement, ce principe doit permettre de réduire le contentieux relatif à la qualification des exceptions. La méthode retenue par les hauts magistrats dans l’arrêt rapporté est celle d’une application de l’ordonnance de 2021 par anticipation.

Si l’intention est louable, l’interprétation des règles du Code civil ancien à la lumière du droit nouveau est contestable dans la mesure où il s’agit d’une entorse aux dispositions de l’ordonnance du 15 septembre 2021. En effet, l’article 37, I, de l’ordonnance du 15 septembre 2021 dispose que « les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er janvier 2022 ». Le II vient préciser que « les cautionnements conclus avant la date prévue au 1er alinéa I demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ». En privant le créancier de son action contre la caution, alors que les dispositions issues de l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne trouvent pas à s’appliquer aux cautionnements souscrits avant leur entrée en vigueur, la solution renferme une sévérité certaine à son endroit.

16. Cette sévérité est encore plus importante en raison de la rétroactivité inhérente aux arrêts de revirement et il est à craindre que la solution porte directement atteinte à la sécurité juridique19. De prime abord, cet arrêt ne serait qu’une interprétation nouvelle venant remplacer la précédente. Mais en ce qu’il annule rétroactivement les interprétations antérieures et s’applique immédiatement à toutes les situations en cours, cet arrêt d’anticipation se révèle dangereux. Il est vrai que les justiciables ne sauraient revendiquer un droit au maintien d’une jurisprudence « figée »20, « immuable »21 ou encore « constante »22. Toutefois, en ce qu’il entraîne l’entrée dans le système juridique d’une règle de droit modifiée au regard du droit nouveau, cet arrêt de revirement porte atteinte aux prévisions du créancier. En l’espèce, le litige est tranché au regard du nouvel article 2298 du Code civil, lequel ne trouvait pas à s’appliquer à l’engagement souscrit par la caution au moment des faits. La soumission des cautionnements souscrits avant le 1er janvier 2022 au droit nouveau crée une injustice et place les créanciers dans une situation délicate, dans la mesure où ils n’ont pas pu en tenir compte dans leurs prévisions. Or, en raison de son effet rétroactif, la présente solution pourra être invoquée avec succès par les cautions devant les juridictions.

17. L’on peut raisonnablement penser que cet arrêt dispose d’une portée résiduelle dans la mesure où la décision a été rendue à propos de l’exception tirée de la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation. Toutefois, il est à craindre que le raisonnement tenu par la Cour de cassation ait une portée qui dépasse cette seule exception et qu’il soit transposé à toutes les exceptions.

Pour justifier l’abandon de la solution ancienne, la Cour de cassation relève, d’une part, que celle-ci « exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution ». Or, quelle que soit l’exception, si la caution ne pouvait pas l’opposer, elle bénéficierait néanmoins d’un recours à l’encontre du débiteur dès lors qu’elle a payé le créancier, ce qui aurait indirectement pour effet de priver le débiteur lui-même de l’exception. Sur le principe, admettre que la caution ne puisse opposer une exception revient, d’une certaine façon, à tourner en rond. À ce propos, il semble important d’observer que ce problème de recours ne se pose pas s’agissant des exceptions inopposables, désormais par détermination de la loi mais qui existaient auparavant. Concernant la minorité, le nouvel article 2293, alinéa 2, du Code civil dispose que celui qui savait que le débiteur était mineur « est tenu de son engagement », ce qui ne signifie pas que l’exception ne serait pas inopposable, mais que la caution ne dispose pas de recours. De même, dans l’hypothèse de l’ouverture d’une procédure collective, la caution se trouve soumise aux règles de la discipline collective et le recours n’annihile aucunement l’exception du point de vue du débiteur. D’autre part, la Cour souligne que l’application de la solution ancienne « conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance ». Toutes les exceptions, quelles qu’elles soient, pourraient alors être invoquées par la caution désirant échapper à son engagement.

18. L’arrêt commenté attirera l’attention des créanciers. En la qualifiant désormais d’exception inhérente à la dette, la Cour de cassation permet à la caution de se prévaloir de l’exception tirée de la prescription biennale du droit de la consommation. Si certains se réjouissent de la solution retenue, d’autres ne partageront pas ce sentiment. Fortement défavorable aux créanciers dont les prévisions sont sacrifiées, la solution s’inscrit dans le contexte jurisprudentiel plus général de sévérité à leur égard. Cet arrêt témoigne également de l’effet normatif des décisions de jurisprudence. Bien plus que de simples interprètes de la loi, les juges créent des règles qui s’imposent à tous. Finalement, cette décision invite à réfléchir de nouveau sur la question de l’encadrement des revirements de jurisprudence23. S’agissant du droit du cautionnement, une modulation dans le temps de ce revirement apparaît souhaitable.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15602 : D. 2007, p. 2201, note D. Houtcieff ; D. 2008, p. 514, note L. Andreu ; JCP G 2007, II 10138, note P. Simler ; Dr. et procéd. 2007, p. 295, note Y. Picod ; RTD com. 2007, p. 585, obs. D. Legeais ; D. 2008, Pan., p. 881, obs. R. Martin ; D. 2007, AJ, p. 1782, obs. V. Avena-Robardet.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-16147 : D. 2020, p. 523, note M. Nicolle ; D. 2020, p. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ Contrat 2020, p. 101, obs. D. Houtcieff ; Rev. prat. recouvrement 2020, p. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et U. Schreiber ; RTD civ. 2020, p. 161, obs. C. Gilsbers ; RDC juin 2020, n° RDC116u8, note R. Libchaber ; Dalloz actualité, 6 janv. 2020, note J.-D. Pellier ; GPL 18 févr. 2021, n° GPL370p0, note. M.-P. Dumont.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-16147 : Dalloz actualité, 6 janv. 2020, note J.-D. Pellier ; RDC juin 2020, n° RDC116u8, note R. Libchaber.
  • 4.
    Sur les atteintes portées au caractère accessoire du cautionnement : P. Simler, « Le cautionnement est-il encore une sûreté accessoire ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Gilles Goubeaux, 2009, LGDJ, p. 497 ; D. Houtcieff, « La remise en cause du caractère accessoire du cautionnement », RD bancaire et fin. 2012, § 38.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-16147 : Dalloz actualité, 6 janv. 2020, note J.-D. Pellier ; GPL 18 févr. 2021, n° GPL370p0, note. M.-P. Dumont.
  • 6.
    P. Crocq, obs. ss Cass. 1re civ., 8 oct. 1996, n° 94-16633 : RTD civ. 1997, p. 187.
  • 7.
    C. civ., art. 2298 nouv., al. 1 et C. civ., art. 2293, al. 2.
  • 8.
    C. civ., art. 2298 nouv., al. 2.
  • 9.
    S’agissant de la protection de la caution dans le cadre de la procédure de sauvegarde judiciaire, v. C. com., art. L. 622-28 et, s’agissant de la procédure de redressement judiciaire, v. C. com., art. L. 631-14 nouv.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-16147 : RDC juin 2020, n° RDC116u8, note R. Libchaber.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-16147 : Dalloz actualité, 6 janv. 2020, note J.-D. Pellier.
  • 12.
    C. civ., art. 2250.
  • 13.
    C. civ., art. 2251.
  • 14.
    Selon l’article L. 141-4 du Code de la consommation, « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ».
  • 15.
    C. civ., art. 2305 anc. et C. civ., art. 2308 nouv.
  • 16.
    Sur ce débat, v. M. Bandrac, La nature de la prescription extinctive en matière civile, 1986, Economica.
  • 17.
    Il résulte de l’article 2249 du Code civil que celui qui a payé une dette prescrite sans opposer la prescription ne peut agir en répétition.
  • 18.
    Cass. com., 12 juill. 2011, n° 09-71113 : RTD com. 2012, p. 405, note A. Martin-Serf ; D. 2011, p. 1894, obs. A. Lienhard ; D. 2012, p. 1573, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2011, p. 782, obs. P. Crocq ; RTD com. 2011, p. 625, obs. Legeais ; LPA 21 déc. 2011, p. 19, note S. Piedelièvre ; Gaz. Pal. 27 oct. 2011, https://lext.so/jNqyTO, note C. Juillet ; Gaz. Pal. 8 oct. 2011, n° I7256, p. 15, note P.-M. Le Corre ; JCP 2011, 1485, note N. Disseaux.
  • 19.
    Sur l’effet rétroactif de la jurisprudence, v. P. Voirin, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences », JCP 1959, I 1467 ; P. Hebraud, « Le juge et la jurisprudence », in Mélanges offerts à Paul Couzinet, 1974, Toulouse, Université des sciences sociales, n° 24, p. 366 ; D. Landraud, « À propos des revirements de jurisprudence », JCP 1982, I 3093 ; O. Dupeyroux, « La jurisprudence, source abusive de droit », in Mélanges offerts à Jacques Maury, t. 2, 1960, Sirey, p. 364 ; J. Roche, « Réflexions sur le pouvoir normatif de la jurisprudence », AJDA 1962, p. 532 ; P. Roubier, Le droit transitoire : conflit des lois dans le temps, 2e éd., 1960, Sirey, p. 25 et p. 263.
  • 20.
    Cass. 1re civ., 21 mars, 2000, n° 98-11982 : D. 2000, Jur., p. 593, note C. Atias ; RTD civ. 2000, p. 666, obs. N. Molfessis – Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14564 : D. 2001, p. 3470, rapp. P. Sargos, note D. Thouvenin ; RTD civ. 2002, p. 176, obs. R. Libchaber.
  • 21.
    Cass. soc., 7 janv. 2003, n° 00-46476 : RDC déc. 2003, p. 415, note C. Radé – Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-46479 : D. 2004, p. 1761, note M. Julien – Cass. soc., 26 nov. 2003, n° 01-45486 ; Cass. soc., 28 janv. 2004, n° 02-40173 et 02-40174 ; Cass. soc., 25 févr. 2004, n° 02-41306 ; Cass. soc., 18 janv. 2005, n° 02-46737 ; Cass. soc., 23 févr. 2005, n° 02-42615.
  • 22.
    Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-02073 : D. 2003, p. 513, note C. Atias – Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 03-14717 : Bull. civ. II, n° 361 ; D. 2004, IR, p. 2619.
  • 23.
    Entretien avec G. Canivet et N. Molfessis, « Les revirements ne vaudront-ils que pour l’avenir ? », Procédures 2004, entretien 1.
X