Le succès de la composition administrative se confirme !

Publié le 10/11/2016

À l’occasion du colloque annuel de la commission des sanctions de l’AMF, le 6 octobre dernier, le gendarme boursier a fait le point sur cinq années d’application de la composition administrative. À n’en pas douter, c’est un succès.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a mis de longues années à obtenir du législateur qu’il lui accorde, dans le cadre de son pouvoir de sanction, la possibilité de transiger. Le principal problème auquel se heurtait le projet était la crainte qu’une procédure de transaction ne soit suspectée de servir à étouffer les affaires financières sensibles, type EADS. C’est finalement la loi de régulation bancaire et financière du 29 novembre 2010 qui a créé le mécanisme de la composition administrative.

À l’issue de l’enquête, le collège de l’AMF notifie les griefs au mis en cause et peut, à ce stade, lui proposer d’entrer en voie de composition administrative. Si l’intéressé accepte, une négociation s’ouvre sur le montant de l’amende. En cas d’accord, la transaction est soumise pour homologation à la commission des sanctions de l’AMF. La composition administrative, fortement inspirée des procédures négociées en matière pénale (transaction, CRPC, composition pénale), affiche cependant une différence de taille avec ses cousines judiciaires : elle n’emporte pas reconnaissance de culpabilité. C’était la condition pour que celle-ci présente une certaine attractivité aux yeux des entreprises. Cela permet en effet de ne pas mentionner l’existence de la procédure dans le cadre d’un appel d’offre. L’autre avantage est celui du coût.

La composition épargne les frais de défense d’une procédure de sanction, et même souvent les frais d’avocat tout court car les entreprises à ce stade ne voient généralement pas l’intérêt de faire appel à un conseil extérieur ; elles mènent les négociations toutes seules. Enfin, cela diminue le risque de médiatisation du dossier. Certes, la transaction est publiée sur le site de l’AMF, c’était la condition pour éviter tout soupçon de manipulation, mais elle passe facilement inaperçue, surtout quand l’entreprise n’est pas célèbre. Au contraire d’une procédure de sanction qui donne lieu à une séance publique en présence notamment des journalistes spécialisés et donc à un article le soir même dans la presse économique, suivi d’un deuxième article quelques semaines plus tard au moment de la publication de la décision.

Du côté de l’AMF, la procédure de composition administrative a le mérite de permettre le traitement rapide des dossiers peu complexes. C’est également un moyen de sanctionner des cas pas suffisamment graves ou caractérisés pour aller en commission des sanctions.

Un taux de réussite exceptionnel

Ces atouts expliquent le succès de la procédure. Lors du colloque annuel de la commission des sanctions le 6 octobre dernier, le secrétaire général de l’AMF, Benoît de Juvigny, a indiqué que depuis cinq ans, 43 dossiers étaient allés en commission des sanctions contre 44 en composition administrative. L’AMF n’a connu jusqu’ici qu’un seul refus de la part d’un mis en cause d’entrer en voie de composition et quatre échecs de négociations. L’une des clés du succès est l’absence de reconnaissance de culpabilité. C’est aussi, a précisé Benoît de Juvigny, le fait que les mis en cause ne peuvent contester les faits mais sont toutefois autorisés à apporter des précisions sur ce qui leur est reproché dans la transaction qui sera publiée. Le texte qui autorise la composition administrative évoque une sanction pécuniaire, mais l’AMF, s’inspirant de la transaction pénale, a ajouté en pratique des demandes d’engagement. Les entreprises sont priées de se mettre en conformité avec la réglementation, voire d’indemniser leurs victimes quand il y en a. Benoît de Juvigny a précisé sur ce point que depuis 2010, deux compositions administratives ont prévu l’indemnisation des clients tandis que deux autres ont échoué sur ce sujet, ce qui a conduit l’AMF à alourdir le montant de la sanction infligée aux entreprises récalcitrantes.

Les procédures négociées sont relativement récentes

Didier Rebut, professeur de droit pénal à l’université Panthéon-Assas (Paris 2), a confirmé lors du colloque que cette composition administrative s’inscrivait dans la droite ligne des procédures négociées en matière pénale. Celles-ci sont d’apparition relativement récentes. Elles sont nées de la pratique, à l’initiative de procureurs qui cherchaient une solution pour sortir de l’alternative entre poursuite et classement dans les cas où il fallait une réponse pénale mais où le procès n’était pas adapté. En 1995, une première loi prévoit la mise en place d’une procédure alternative mais elle est censurée par le Conseil constitutionnel en raison du fait que c’est la même autorité qui négocie puis homologue la convention. C’est ainsi que par la suite toutes les procédures négociées, qu’elles soient pénales ou administratives, prévoiront précisément l’homologation par une autorité indépendante. En 1998, le législateur a créé la composition pénale, une négociation entre le parquet et l’auteur d’un délit qui se situe avant l’ouverture des poursuites, puis en 2004 la CRPC qui est négociée après le déclenchement des poursuites et, en 2015, la transaction qui porte sur de petites infractions et peut être conclue par un officier de police judiciaire. La composition administrative s’inscrit dans cette logique et semble appelée à se développer comme se développent les procédures négociées en matière pénale.

Leur seul véritable inconvénient réside dans le fait qu’elles échappent au débat public d’un procès ou d’une séance de sanction. Il leur manque donc une dimension répressive symbolique. Certains pourraient s’en émouvoir, comme l’ONG Transparency International qui milite contre la corruption. En réalité, c’est tout l’inverse. Toujours lors de ce colloque de l’AMF, Daniel Lebègue, président de Transparency International, a salué le développement de ces procédures et tout particulièrement l’insertion dans le projet de loi anti-corruption dit Sapin II d’un dispositif de transaction. « En 16 ans, la France n’a prononcé aucune condamnation en matière de corruption internationale », a-t-il rappelé, ce qui signe à ses yeux l’échec de la procédure judiciaire. C’est donc au nom de l’efficacité qu’il prône le développement des procédures négociées avec les entreprises. « Ce qui est efficace, c’est d’adapter la sanction aux gains mal acquis et de négocier des mesures positives pour éviter la récidive », estime-t-il.

Extension du domaine de la composition

Le législateur lui-même semble convaincu de l’intérêt de développer ce type de procédure puisqu’il a décidé dans la loi du 21 juin dernier réformant le système de répression des abus de marché d’étendre le champ de la composition administrative devant l’AMF. Limitée à l’origine à l’activité disciplinaire du gendarme boursier, autrement dit aux fautes commises par les sociétés de gestion et les prestataires de services d’investissement, la transaction a en effet été étendue aux abus de marché, autrement dit à la fausse information financière, au manquement d’initié et à la manipulation de cours. L’AMF évidemment s’en félicite, elle espérait cette généralisation sans imaginer qu’elle l’obtiendrait aussi vite et sur un champ aussi large. Toutefois, lors du colloque, Benoît de Juvigny a indiqué que la composition administrative ne s’appliquerait sans doute pas aux cas les plus complexes mais paraissait plus adaptée aux petits manquements d’initié commis par une seule personne ou encore dans les manquements relatifs à l’information financière des PME. La complexité est-elle la limite sur laquelle vont systématiquement buter les procédures négociées ou n’est-ce qu’une criante conséquence liée au manque de pratique ? Affaire à suivre…