Une première application de la composition administrative en matière d’abus de marché par l’Autorité des marchés financiers

Publié le 11/12/2017

L’Autorité des marchés financiers a publié le 26 septembre 2017 une transaction homologuée. Introduite par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, la composition administrative ne cesse de se développer, la transaction homologuée en est l’illustration. Elle est inédite puisqu’il s’agit de la première fois qu’une telle transaction porte sur un abus de marché.

1. Faits. Le 26 septembre 2017, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié sur son site internet une transaction homologuée. Le caractère inédit de cette transaction réside dans son objet. En effet, l’accord porte sur un abus de marché. Il s’agit là de la première transaction en la matière prononcée par l’AMF.

En l’espèce, un trader d’une banque avait procédé à des opérations sur des titres de nombreuses sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur les marchés financiers français.

L’enquête ouverte par le secrétaire général de l’AMF concluait que ces opérations étaient susceptibles de constituer une manipulation de cours en vertu des articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l’AMF en vigueur à l’époque.

L’AMF proposa à la banque concernée, lors de sa notification des griefs, d’entrer en voie de composition administrative, ce que la banque accepta.

Après des négociations, les parties parvinrent à un accord le 29 mai 2017. Cet accord fut validé par le collège de l’AMF puis homologué par la commission des sanctions de l’AMF. Enfin, la transaction homologuée fit l’objet d’une publication sur le site internet de l’Autorité.

2. Plan. Nous aborderons dans un premier temps les bases légales du pouvoir de composition administrative de l’AMF (I) avant de nous intéresser à la procédure de composition (II).

I – Les bases légales du pouvoir de composition administrative de l’AMF

3. L’étude du pouvoir de composition administrative nous amène à traiter en premier lieu des pouvoirs de l’AMF (A) afin de nous concentrer plus spécifiquement sur son pouvoir de composition administrative (B).

A – Présentation des pouvoirs de l’AMF

4. L’AMF, autorité de régulation des marchés financiers. L’AMF est une autorité publique indépendante notamment chargée de la protection de l’épargne investie sur les marchés, de l’information des investisseurs et du bon fonctionnement des marchés financiers1. Autrement dit, l’AMF est chargée de la régulation des marchés financiers en France.

5. Les pouvoirs de l’AMF. Les pouvoirs de l’AMF sont les pouvoirs que l’on retrouve généralement auprès des autres autorités administratives indépendantes2. Ils peuvent être présentés en plusieurs catégories : un pouvoir consultatif, un pouvoir de décision3, un pouvoir réglementaire4, un pouvoir d’investigation5, un pouvoir de prise de mesures conservatoires6, un pouvoir de sanction et un pouvoir de règlement des différends ou de transaction7. C’est ce dernier pouvoir qui est mis en œuvre dans la transaction commentée.

B – Le pouvoir de composition administrative

6. Définition de la composition administrative. À titre liminaire, il faut préciser que la composition administrative peut être définie comme un compromis entre une autorité et une ou plusieurs personnes agissant sur le secteur contrôlé par l’autorité, en vue de mettre fin à un litige.

7. Genèse de la composition administrative. C’est l’article 7 de la loi de régulation bancaire et financière, du 22 octobre 20108 (loi RBF), codifiée à l’article L. 621-14-1 du Code monétaire et financier, qui a doté l’AMF du pouvoir de proposer une transaction9. La loi du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché10 puis la loi du 9 décembre 2016 dite loi Sapin 2 ont modifié par la suite cet article.

8. Le champ d’application de la composition administrative. À chaque nouvelle loi, le pouvoir de composition administrative a vu son champ d’application s’étendre tant au niveau des personnes visées qu’au niveau des manquements pouvant faire l’objet de la composition.

La loi RBF visait initialement les manquements à des obligations professionnelles puis la loi du 21 juin 2016 a étendu le champ de la composition administrative aux abus de marché. Enfin la loi Sapin 2 a étendu la composition aux infrastructures de marché (entreprises de marché, systèmes de règlement-livraison et dépositaires centraux) et à l’ensemble des manquements prévus par le II de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier. En conséquence, la diffusion de fausses informations à l’occasion d’une offre au public de titres est désormais susceptible de faire l’objet d’une transaction11.

9. Les avantages et inconvénients de la composition administrative. La composition administrative présente l’avantage de la célérité12. En l’espèce, entre la notification des griefs accompagnée de la proposition d’entrer en voie de composition administrative en date du 6 janvier 2017 et la conclusion de l’accord le 29 mai 2017, se sont écoulés presque 6 mois, ce qui est relativement peu par rapport à une procédure devant la commission des sanctions. Ce gain de temps peut également constituer un gain pécuniaire, ne serait-ce qu’au regard des honoraires des conseils.

De plus, la conclusion de l’accord de composition n’emporte pas condamnation, la personne signataire de l’accord est donc présumée innocente puisque la procédure visant à démontrer sa culpabilité n’a pas eu lieu.

Concernant les inconvénients de la composition administrative, on a pu souligner qu’en entrant en voie de composition administrative les professionnels renonçaient aux garanties d’un procès équitable, que les montant infligés lors des transactions homologuées étaient du même ordre que celles infligées par la commission des sanctions, que les signataires de la transaction pouvaient être amenés à indemniser les victimes et qu’ils renoncent à l’anonymisation13.

10. La publicité de la transaction homologuée. La transaction homologuée fait l’objet d’une publication14. Une question se pose alors à nous : la transaction homologuée fait l’objet d’une publicité à l’instar d’une décision de la commission des sanctions de l’AMF, dès lors cette publication peut-elle avoir un effet négatif sur le cours des titres de la personne cosignataire de la transaction ? Il ne nous appartient pas de répondre à cette interrogation, signalons cependant que des études économiques ont pu avancer l’hypothèse selon laquelle l’absence ou le peu de couverture médiatique pouvait expliquer l’absence de réaction des marchés financiers15.

Le pouvoir de proposer la voie de composition administrative est encadré par la loi et obéit à un calendrier précis qu’il convient de détailler.

II – La procédure de composition

11. Une procédure s’insérant dans le cadre procédural classique de l’AMF. La lecture de l’article L. 621-14-1 du Code monétaire et financier nous permet de dire que la voie de la composition administrative s’insère dans le cadre procédural classique de l’AMF puisque la proposition d’entrer en composition est délivrée lors de la notification des griefs.

Présentation de la procédure de composition administrative auprès de l’AMF :

Étape 1. Phase d’enquête et de contrôle : le secrétaire général de l’AMF, ou le secrétaire général adjoint spécialement délégué à cet effet, décide d’ouvrir des enquêtes. Les résultats de l’enquête font l’objet d’un rapport écrit indiquant les faits susceptibles de constituer des manquements au règlement général de l’AMF16. Le rapport est transmis au collège de l’AMF.

Étape 2. Information du procureur de la République (Mécanisme de l’aiguillage)17 : dialogue entre l’AMF et le procureur de la République afin de déterminer si les poursuites se feront sur la base des délits ou des manquements boursiers.

Étape 3. Notification des griefs et en même temps proposition d’entrée en voie de composition : après avoir examiné le rapport d’enquête, le collègue de l’AMF peut décider de notifier les griefs à la personne concernée s’il décide l’ouverture d’une procédure de sanction18. Le collège pourra décider d’envoyer une proposition d’entrer en voie de composition administrative en même temps que la notification des griefs.

Étape 4. La saisine de la commission des sanctions : deux voies sont possibles en fonction de l’existence d’une proposition d’entrer en voie de composition administrative.

  • Si aucune proposition : transmission des griefs au président de la commission des sanctions de l’AMF19. La procédure de sanction poursuivra alors son cours.

  • S’il y a une proposition : Les parties entrent en phase de négociation20. Si la personne concernée accepte la négociation et qu’elle aboutit à un accord homologué21, la procédure s’arrête tant que la personne respecte les obligations prévues par la transaction. En cas de défaut d’homologation ou de validation22, lorsque la négociation échoue ou n’a pas lieu, la procédure reprend son cours. Le collège transmet les griefs à la commission des sanctions23 et la procédure de sanction reprend son cours.

La transaction commentée illustre cette procédure. Les stipulations indiquent de manière précise les différentes étapes de la procédure qui ont été suivies.

12. Le recours contre les décisions de l’AMF. La transaction commentée n’appelle pas de remarques spécifiques. Cependant nous pouvons signaler que l’alinéa 6 de l’article L. 621-14-1 dispose que « les décisions du collège et de la commission des sanctions mentionnées au présent article sont soumises aux voies de recours prévues à l’article L. 621-30 ». A priori, le principe est relativement simple. Nous pouvons cependant nous interroger sur la question de savoir si l’absence de proposition d’entrer en voie de composition administrative est une décision individuelle prise par l’AMF24 et partant, susceptible de recours afin d’obtenir le droit d’entrer en voie de composition administrative25. Faute de précisions dans le Code monétaire et financier, il faut, à notre sens, faire appel aux mécanismes du droit administratif pour nous éclairer et se demander si la décision de proposer ou non d’entrer en voie de composition administratif fait grief ou non26. Dans ce cas, un recours sera susceptible d’être intenté.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. mon. fin., art. L. 621-1.
  • 2.
    Précisons que les autorités publiques indépendantes sont des autorités administratives indépendantes jouissant de la personnalité morale. La loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017, portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, est venue mettre en place un régime juridique commun à ces différentes autorités. Elle a également retiré dans certains cas la personnalité juridique. Nous pouvons citer à titre d’exemple le cas de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
  • 3.
    V. not. C. mon. fin., art. L. 621-6, al. 2 et L. 621-8 à L. 621-8-3.
  • 4.
    C. mon. fin., art. L. 621-6 et s.
  • 5.
    C. mon. fin., art. L. 621-9 et s. Il s’agit du pouvoir de contrôle et d’enquête.
  • 6.
    C. mon. fin., art. L. 621-13 et s.
  • 7.
    C. mon. fin., art. L. 621-14-1. Notons que la transaction peut être divisée en deux catégories : la transaction administrative et pénale. Cette dernière se distinguant par l’intervention du procureur de la République lors de l’homologation de la transaction.
  • 8.
    L. n° 2010-1249, 22 octobre 2010, de régulation bancaire et financière : JO n° 0247, 23 oct. 2010, p. 18984. V. not. Le Nabasque H., « Commentaire des principales dispositions de la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 intéressant le droit des sociétés et le droit financier », Rev. sociétés 2010, p. 547 ; Bompoint D., « Autorité des marchés financiers. La réforme des pouvoirs de sanction administrative de l’Autorité des marchés financiers par la loi RBF du 22 octobre 2010 », RD bancaire et fin. 2011, dossier 12. Des précisions sur la composition administrative ont été apportées par voie de décret (D. n° 2011-977, 16 août 2011, relatif aux pouvoirs de sanction de l’Autorité des marchés financiers et à la procédure de composition administrative (rectificatif) : JO n° 0191, 19 août 2011, p. 14075 ; Conac P.-H., « Décret n° 2011-968 du 16 août 2011 relatif aux pouvoirs de sanction de l’Autorité des marchés financiers et à la procédure de composition administrative ; Décret n° 2011-977 du 16 août 2011 relatif aux pouvoirs de sanctions de l’Autorité des marchés financiers et à la procédure de composition administrative (rectificatif) », Rev. sociétés 2011, p. 586 ; Notté G., « Procédure de transaction et de sanction de l’AMF », JCP E 2011, n° 34, act. 413).
  • 9.
    Vilmart C., « AMF : une réforme de procédure controversée », Dr. sociétés 2011, étude 14.
  • 10.
    L. n° 2016-819, 21 juin 2016, réformant le système de répression des abus de marché : JO n° 0144, 22 juin 2016, texte 1.
  • 11.
    Notons que le manquement d’entrave aux enquêtes ou contrôles reste exclu du champ de la composition administrative (C. mon. fin., art. L. 621-14-1, al. 1er : cet article exclut les personnes mentionnées à l’article C. mon. fin., art. L. 621-15, II, f).
  • 12.
    V. en ce sens Maréchal A., « La transaction de l’Autorité des marchés financiers : un premier bilan très positif », D. 2017, p. 288 ; de Roulhac B., « L’AMF anticipe une augmentation des transactions », L’AGEFI Quotidien, 16 janv. 2017.
  • 13.
    Mirieu de Labarre C., « AMF : la composition administrative. 5 ans après, l’heure du bilan », Dr. sociétés 2015, étude 20 ; Pour une étude de l’indemnisation dans le processus de transaction, v. Mathey N., « L’intervention des autorités de régulation du secteur bancaire et financier dans la réparation civile du préjudice », RD bancaire et fin. 2012, dossier 33.
  • 14.
    C. mon. fin., art. L. 621-14-1, al. 4.
  • 15.
    V. not. Lafontaine J.-P. et Pecchilo B., « Les marchés financiers sanctionnent-ils les sociétés impliquées dans des accidents industriels graves ? Le cas du groupe TOTAL entre 1999 et 2012 », Finance Contrôle Stratégie 2015, n° 18-3, mis en ligne le 27 oct. 2015, consulté le 4 octobre 2017,
  • 16.
    http://fcs.revues.org/1669 (article traitant de la survenance des accidents industriels) ; Barnett (M. L.), « Why stakeholders ignore firm misconduct. A cognitive view », Journal of Management, mars 2014, vol. 40, n° 3, p. 676-702.
  • 17.
    C. mon. fin., art. R. 621-36.
  • 18.
    C. mon. fin., art. L. 465-3-6. Pour des développements sur ce mécanisme : v. not. article collectif, « Poursuite et sanction des abus de marché : le droit français à l’épreuve des textes communautaires et des jurisprudences récentes (CEDH, CJUE, Conseil constitutionnel) », rapport du club des juristes, mai 2015.
  • 19.
    C. mon. fin., art. L. 621-15, I. La notification se fait selon les conditions prévues par l’article R. 621-38, al. 1er, du Code monétaire et financier. La notification peut se faire par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, remise en main propre contre récépissé ou par exploit d’huissier.
  • 20.
    C. mon. fin., art. R. 621-38, al. 3.
  • 21.
    La négociation se fait avec le secrétaire général de l’AMF. Les parties ont 4 mois pour parvenir à un accord (C. mon. fin., art. R. 621-37-3).
  • 22.
    L’accord est transmis au collège qui, s’il le valide, est transmis à la commission des sanctions pour homologation.
  • 23.
    Le collège de l’AMF peut décider de ne pas valider l’accord. Cependant, il pourra demander au secrétaire général de soumettre un nouveau projet d’accord à la personne à qui il a été proposé d’entrer en voie de composition administrative. La conclusion du nouvel accord devra avoir lieu impérativement dans un délai d’un mois à compter de la notification du refus de validation (C. mon. fin., art. R. 621-37-4).
  • 24.
    C. mon. fin., art. R. 621-37-4, al. 1er.
  • 25.
    C. mon. fin., art. L. 621-6, al. 2. : Sur le pouvoir de l’AMF de prendre de telles décisions.
  • 26.
    Le recours n’est pas la seule implication d’une telle qualification. En tant qu’acte administratif, ces décisions devraient être motivées. V. en ce sens de Vauplane H. et Bornet J.-P., Droit des marchés financiers, 3e éd., 2001, Litec, p. 168, n° 153-1.
  • 27.
    Notons que le professeur Gaudemet estime qu’il s’agit « d’une décision faisant grief adoptée par un organe collégiale à compétence nationale (…) » : Gaudemet A., « Composition administrative. Critères de l’offre d’entrée en voie de composition administrative », RD bancaire et fin. 2013, comm. 32.
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