Mini-crédits et options de virement instantané : pourquoi l’ACPR se montre-t-elle si timide ?

Publié le 12/05/2022
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L’émergence des néo-banques, des Fintech et de certaines catégories de banques en ligne, dans un contexte d’innovation économique disruptive, pèse de plus en plus lourd sur les marchés de la finance et bancaire. Le domaine du mini-crédit est le dernier en date à être secoué par cette tornade avec l’émergence ultra rapide de nouveaux acteurs proposant aux consommateurs des solutions de crédits souvent trompeuses et dans l’irrespect de la réglementation applicable et ce, notamment, au travers d’un système d’options tarifaires opaques. Alors que ce phénomène associé à une croissance éclair du nombre d’entités bancaires et/ou financières « nouvelle génération » devrait inciter le régulateur français à être en état d’alerte, ce dernier semble passif et dans l’incertitude. Son absence de positionnement précis, alors pourtant que l’association UFC-Que Choisir a engagé une procédure devant les juridictions pénales et que des journalistes l’ont alertée, fait naître bien des questions d’ordre juridique relatives au droit de la consommation, au droit de la concurrence ou encore au droit bancaire.

Depuis quelques années, la révolution numérique touche tous les secteurs économiques et le monde bancaire n’est pas en reste.

L’apparition des néo-banques, des Fintech et de certaines catégories de banques en ligne dans le paysage bancaire et financier a progressivement fait évoluer les habitudes des consommateurs d’une part, le positionnement économique et commercial des établissements bancaires et financiers d’autre part. C’est ainsi que l’encadrement juridique d’une sphère qui était jusqu’alors perçue comme quasi inamovible a dû évoluer.

Le contexte économique complexe actuel et le nombre grandissant de travailleurs précaires a récemment fait exploser l’offre relative au mini-crédit. Si le fait de parler de crédit fait instinctivement penser aux établissements bancaires classiques, ces derniers mois ont démontré que de nouveaux acteurs de la « new tech » se sont engouffrés sur ce secteur qui semble porteur et simple mais non moins réglementé pour autant.

Ainsi, depuis 2008, ces structures ont notamment investi le monde de la finance ainsi que l’univers bancaire en utilisant la technologie et l’innovation technologique afin d’appréhender sous un angle nouveau ces domaines qui étaient très souvent perçus comme vieillissants et complexes.

Si la volonté clairement affichée est de revenir à plus de simplicité (car ces structures présentent a priori moins de contraintes que les groupes bancaires nationaux et internationaux), il n’en demeure pas moins qu’elles ont enfoncé la porte de l’un des domaines les plus réglementés.

Dès lors, en proposant des produits bancaires aux consommateurs dont le mini-crédit fait désormais partie, ces structures sont censées se retrouver automatiquement soumises aux contraintes et obligations pesant sur les acteurs bancaires et dont l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ci-après « ACPR ») est censée être un régulateur actif et même pro actif.

La particularité du mini-crédit réside dans le fait qu’il s’agit d’un acte semblant « anodin » notamment en raison du fait que les montants en jeu sont faibles. Présenté comme tel auprès d’un public très souvent jeune et profane, de nouveaux acteurs n’hésitent pas utiliser des termes décorrélés de la notion de « crédit » dont notamment les termes « coups de pouce » ou encore « avance ». De plus, ces mêmes acteurs présentent leurs crédits comme gratuits alors pourtant que se cachent derrière leurs offres des options tarifaires qui, une fois mises en exergue, révèlent que la prétendue gratuité mise en avant n’est qu’illusoire.

Ce dernier point renvoie de facto à une autre interrogation, à savoir celle de savoir si ces offres peuvent être qualifiées de crédits à la consommation ?

Par ailleurs, selon l’Autorité bancaire européenne, le mini-crédit est normalement accordé par une banque1. Cette précision est tout à fait intéressante et assez logique en raison de l’existence du monopole bancaire. Ce qui, en pratique, soulève des interrogations vis-à-vis de ces nouveaux acteurs.

L’apparition de néo-banques, de certaines Fintech ciblées, sur le marché du mini-crédit avec options tarifaires spécifiques, aurait pu ne pas soulever de questions juridiques particulières au regard du libre jeu de la concurrence. Néanmoins, ces options tarifaires en question n’étant pas toujours clairement exposées au consommateur ni même prises en compte dans le calcul du coût réel du mini-crédit, présenté comme gratuit, est de nature à faire naître des risques de non-respect de la législation et de la réglementation applicable (I). Par ailleurs, la frilosité apparente d’un côté et l’ambiguïté de traitement des acteurs du marché d’un autre côté, dont fait preuve l’ACPR (II), ont conséquemment soulevé de nombreuses interrogations.

I – De nouveaux acteurs à la structuration protéiforme et aux options de virement express controversées

Si au fil des années passées, aussi bien les néo-banques que les Fintech ou encore les banques en ligne ont su acquérir une véritable légitimité sur le marché bancaire et financier, leur récente pénétration massive sur le marché du mini-crédit, révélant pour un certain nombre, la proposition d’options complémentaires dites « options tarifaires » et non mises en avant dans leurs techniques d’accroche commerciale soulève un certain nombre de questions d’un point de vue légal et réglementaire.

A – Des options de virement express flirtant avec les pratiques commerciales trompeuses et ne respectant pas les recommandations de l’ACPR

1 – Les pratiques commerciales trompeuses

Il y a un an, l’association de consommateurs UFC Que Choisir se penchait sur la question des options de virement express dans une étude en date du 29 avril 20212. Dans son étude, l’association visait notamment des banques ou encore des Fintech.

En plus de révéler que ces options étaient de nature à faire exploser le taux d’intérêt réellement applicable, l’étude démontrait par ailleurs que ces options n’étaient ni comptabilisées dans le taux applicable par ces acteurs, ni mises en avant dans ces publicités.

Les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 du Code de la consommation, constituent l’une des catégories de pratiques commerciales déloyales3.

Elles se subdivisent en deux types : les pratiques commerciales trompeuses « par action » et les pratiques commerciales trompeuses « par omission ». Ces catégories ne sont pas étanches : une pratique trompeuse par omission répond également aux critères d’une pratique trompeuse par action, de sorte que sa validité peut également être examinée au regard des dispositions applicables à celle-ci4.

Le caractère trompeur d’une pratique fait le plus souvent l’objet d’une appréciation au cas par cas, mais certaines pratiques sont d’emblée réputées trompeuses.

Le délit de pratique commerciale trompeuse recouvre la publicité trompeuse, ancien délit auparavant défini par l’ex-article L. 121-1 du Code de la consommation, tout en englobant des pratiques qui n’étaient pas visées par ce texte, et ce alors même que la notion de publicité avait été entendue dans un sens très large par les tribunaux.

La notion de « pratique commerciale » vise uniquement les pratiques émanant d’un professionnel.

Le délit est constitué dès lors que la pratique commerciale trompeuse est mise en œuvre ou qu’elle produit ses effets en France5. De plus, une pratique commerciale trompeuse n’est susceptible d’être sanctionnée que si, d’une part, elle est trompeuse au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la consommation relatifs respectivement aux pratiques trompeuses par action et par omission et, d’autre part, elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l’égard du bien ou service, conformément à l’article L. 121-1 relatif à l’interdiction des pratiques commerciales déloyales.

En ce sens, une pratique commerciale sera considérée comme trompeuse notamment lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur6.

En pratique et en ce qui concerne les acteurs cités dans l’étude UFC Que Choisir, comment ne pas analyser leur mode de fonctionnement comme relevant purement et simplement de pratiques commerciales trompeuses ?

En effet, certaines entités communiquent ouvertement sur des offres présentées comme gratuites, sans frais cachés en prenant le soin de faire de ces arguments un avantage exclusif et ce au regard des offres de crédit à la consommation proposées par les acteurs traditionnels du marché. D’autres encore, ne cachent pas le coût de leur offre mais communiquent d’une telle manière que le consommateur pense légitimement que le caractère instantané de l’avance financière proposée fait partie intégrante de l’offre standard alors qu’en réalité cette offre est bien payante et optionnelle. Enfin, certaines n’hésitent absolument pas à communiquer à la fois sur la gratuité de leur offre et sur le caractère instantané des avances financières proposées.

D’une part, le consommateur profane ne peut être qu’induit en erreur car les options relatives à l’instantanéité de la mise à disposition des fonds ne se révélant à lui que dans une seconde étape du processus de souscription du mini-crédit, viennent en réalité contredire les arguments publicitaires mis en avant et ayant emporté sa conviction.

D’autre part, au stade où il découvre qu’il va devoir payer pour un service qu’il pensait gratuit, ce dernier accepte car en réalité sa volonté de contracter a déjà été déterminée par la pratique commerciale.

La notion de pratique commerciale doit être appréciée dans son ensemble. Ainsi, des informations contractuelles écrites dont les personnes intéressées ne prennent connaissance qu’après avoir été déterminées à contracter par un argumentaire de vente délibérément mensonger ne peuvent suffire à ôter à la pratique son caractère trompeur7.

En effet, les acteurs visés par l’association de consommateurs, offre la possibilité par exemple d’obtenir les fonds dans un délai très rapide moyennant la souscription d’une offre payante. Le caractère payant de l’instantanéité de l’offre n’est jamais mis en avant alors pourtant que les publicités utilisent des termes entrant directement dans le champ lexical de l’immédiateté : « rapide, express, en quelques minutes, tout de suite ». De la même manière la prétendue gratuité de l’offre, ayant inévitablement participé à emporter le consentement du consommateur, tombe à cet instant précis seulement, alors que les mots utilisés dans les campagnes publicitaires de ces acteurs mettent la gratuité au centre de l’offre.

Le caractère déloyal des pratiques relevées ne fait aucun doute et ceci au détriment du consommateur.

Or la protection du consommateur est fondamentale et est consacrée dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette protection correspond à une exigence de notre société moderne qui la situe au carrefour d’une logique de marché et d’une aspiration grandissante à la protection des droits fondamentaux de chacun8.

En dépit de cela, nous ne pouvons que constater que les acteurs déjà pointés du doigts par l’UFC Que Choisir en 2021, n’ont pas cessé leurs pratiques qui, nous l’avons vu, révèlent un caractère trompeur certain. Pire encore, de nouveaux acteurs9 empruntant les mêmes codes et modes opératoires ont investi le marché et sans être inquiétés par l’autorité de tutelle. Tous ces acteurs semblent bafouer la « sacrosainte » protection du consommateur et cela sans que le régulateur français ne donne l’impression d’y prêter attention alors pourtant qu’il est lui-même gardien de la protection des consommateurs et à l’origine de nombreuses règles.

2 – Les recommandations de l’ACPR

L’ACPR est aujourd’hui créatrice de soft law10 à part entière dont les recommandations ont la particularité d’avoir un véritable caractère contraignant.

L’article L. 612-29-1 du Code monétaire et financier offre en effet la possibilité à l’ACPR de « formuler des recommandations définissant des règles de bonne pratique professionnelle en matière de commercialisation et de protection de la clientèle ». Ainsi, en émettant ses recommandations, l’ACPR se dote elle-même d’un certain rôle normatif.

En effet, l’ACPR tend à donner une importance précise à ses recommandations11. D’une part, celles-ci sont très précises et édictent des normes détaillées. D’autre part, dans certaines recommandations, l’ACPR ajoute une date à compter de laquelle les recommandations trouveront à s’appliquer, ce qui facilite le contrôle. Ce dernier point peut d’ailleurs conduire à se demander si l’ACPR ne serait pas un législateur « occulte »12.

Néanmoins, en ce qui concerne la question des options de mise à disposition instantanée des fonds proposées par les acteurs considérés, il semble que l’Autorité ne remplisse pas son rôle de « gendarme » et ce malgré les alertes qui lui sont faites. À tout le moins, c’est l’image qu’elle renvoie tant elle reste statique et silencieuse notamment depuis l’alerte lancée il y a un an par l’UFC Que Choisir. Ainsi, comment peut-elle vouloir faire respecter des normes à des entités agissant dans le même secteur sans inquiéter les entités qui ne semblent rien respecter ?

Néanmoins, ces acteurs ont-ils non seulement conscience que leurs pratiques relèvent directement de pratiques commerciales trompeuses mais qu’en plus, ils portent également atteinte au monopole bancaire tout en relançant le débat sur l’applicabilité des règles du droit de la consommation ?

B – Le non-respect des règles relatives au taux de l’usure et l’atteinte au monopole bancaire

1 – Les règles relatives au taux de l’usure

La pratique révèle une problématique majeure en ce qui concerne les acteurs concernés, à savoir le dépassement du taux de l’usure.

En la matière, des règles spécifiques doivent être respectées en ce qui concerne la détermination du taux annuel effectif global applicable.

Aux termes de l’article L. 314-1 du Code de la consommation : « Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l’emprunteur et connus du prêteur à la date d’émission de l’offre de crédit ou de l’avenant au contrat de crédit, ou dont le montant peut être déterminé à ces mêmes dates, et qui constituent une condition pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées ».

L’article R. 314-4 du Code de la consommation précise notamment que : « Sont compris dans le taux annuel effectif global du prêt, lorsqu’ils sont nécessaires pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées, notamment : 1° Les frais de dossier ; 2° Les frais payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations, correspondent à des débours réels ; 3° Les coûts d’assurance et de garanties obligatoires ; 4° Les frais d’ouverture et de tenue d’un compte donné, d’utilisation d’un moyen de paiement permettant d’effectuer à la fois des opérations et des prélèvements à partir de ce compte ainsi que les autres frais liés aux opérations de paiement ; 5° Le coût de l’évaluation du bien immobilier, hors frais d’enregistrement liés au transfert de propriété du bien immobilier ».

Certains acteurs concernés, qu’ils soient des banques ou des Fintech, se positionnent sur une frange restreinte du mini-crédit, frange que nous pourrions qualifier de « crédit miniature », et proposent aux consommateurs d’obtenir le versement anticipé des fonds empruntés, options qui s’avèrent en réalité payantes et qui devraient être intégrées au calcul du TAEG, en application de l’article L. 314-1 du Code de la consommation, ce qu’elles ne font pas13. Sauf que ceci révèle que le taux présenté est en réalité erroné et peut même friser avec la notion de taux usuraire.

En la matière, les dispositions de l’article L. 314-6 du Code de la consommation précisent que : « Constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l’autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier ».

La pratique et l’étude réalisée par l’UFC Que Choisir en 2021, révèlent en ce sens que les mini-crédits présentés comme gratuits ou à un taux minime par certains acteurs, sont en réalité accordés à un TAEG exorbitant (si nous intégrons le prix de ces options payantes comme la législation le prévoit et comme ces acteurs le devraient), et dépassant considérablement le plafond prévu par les textes, ce qui constitue un taux usuraire sanctionné pénalement.

Notons en effet que la mise à disposition instantanée des fonds qui repose sur une opération de paiement (« l’instant SEPA ») est facturée par plusieurs acteurs sans être inclue dans le calcul du TAEG. Or, comme nous l’avons vu, les notions de TAEG et de taux de l’usure sont définies par le Code de la consommation leurs champs d’application couvrent tout type d’opérations, y compris les opérations d’une durée inférieure à 90 jours et les opérations conclues entre des particuliers et des sociétés qui opèrent en dehors des dispositions prévues par le Code monétaire et financier. Dès lors, les acteurs ne respectant pas ces dispositions devraient logiquement être inquiétés juridiquement et règlementairement parlant, mais force est de constater qu’il n’en est rien.

2 – L’atteinte au monopole bancaire

L’article L. 511-5 du Code monétaire et financier dispose « qu’il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel. Il est, en outre, interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement ».

Le monopole dont jouissent les banques est ancien et sa forme « actuelle » trouve son origine primitive dans la crise financière de 1929 où les banques n’étaient alors assujetties à aucune réglementation particulière, ni dans leur création ni dans leur fonctionnement.

Pour appréhender le monopole bancaire en France, il faut se référer à la loi bancaire de 198414 établissant un monopole des établissements de crédit. Dès lors, même si les sociétés de financement ont été rattachées aux dispositions relatives au monopole bancaire afin de bénéficier de son régime protecteur pour les activités de crédit, ce qui revient à les faire entrer « dans le champ » du monopole bancaire, il n’en demeure pas moins que, au sens strict, le monopole bancaire est aujourd’hui réduit par l’entrée même de sociétés de financement dans le paysage juridique français.

En pratique, le monopole bancaire se trouve aujourd’hui être fortement réduit, mais n’a pas pour autant disparu. En ce sens, en droit, l’exercice d’une activité de crédit de manière habituelle et à titre onéreux sans agrément viole le monopole bancaire et est sanctionnée pénalement.

L’opération de crédit est définie à l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier : « Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie ».

Ainsi, la mise à disposition de fonds constitue une opération de crédit au sens de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier lorsqu’elle est effectuée de manière habituelle et « à titre onéreux », c’est-à-dire en contrepartie d’une rémunération.

Par ailleurs, le Conseil d’État et les régulateurs français considèrent de manière unanime que, dès lors qu’un prêteur perçoit un avantage économique en lien avec la mise à disposition de fonds, il s’agit d’un crédit octroyé à titre onéreux.

L’ACPR et l’AMF précisent que le caractère habituel, également caractéristique d’une opération de crédit, est retenu par la jurisprudence dès lors que deux ou plusieurs personnes sont financées.

En pratique, les nouveaux acteurs qui ont fait du mini-crédit une spécialité avec la mise en place d’options tarifaires représentant un avantage économique direct. Cette mise à disposition de fonds est la plupart du temps présentée comme étant gratuite, ceci permettant à ces nouveaux arrivants sur le marché, d’échapper au caractère onéreux de l’opération de crédit. Or en étudiant un peu plus en détail les conditions générales de vente de certains d’entre eux, il est possible de voir que ces dernières, proposent en effet des options payantes de mise à disposition anticipée des fonds par exemple. Par conséquent, la mise à disposition de fonds réalisée dans le cadre d’une option payante présente un caractère onéreux et doit donc être qualifiée d’opération de crédit au sens de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier15.

En plus de cette atteinte au monopole bancaire, il s’avère que le positionnement très agressif et dangereux pour le consommateur, de ces acteurs, est de nature à relancer le débat sur le fait de savoir si certaines dispositions du Code de la consommation relatives au crédit à la consommation ne devraient pas trouver à s’appliquer.

Au regard de ces constats et du risque patent que cela représente pour les consommateurs, la Commission européenne semble vouloir réviser sa directive sur les contrats de crédit aux consommateurs, datant de 2008, qui impose un socle réglementaire minimal et commun en Europe. Un certain nombre d’États membres ont appliqué la directive n° 2008/48/CE à des domaines qui ne relèvent pas de son champ d’application afin de relever le niveau de protection des consommateurs.

En effet, elle relève que parmi les contrats de crédit qui n’entrent pas dans le champ d’application de cette directive, plusieurs peuvent être préjudiciables pour les consommateurs, notamment les prêts à court terme et à coûts élevés, dont le montant est généralement inférieur au seuil minimum de 200 euros appliqué par la directive n° 2008/48/CE. Dans ce contexte, le champ d’application de la directive, revu et corrigé, devrait permettre de couvrir certains contrats qui étaient exclus de celui de la directive n° 2008/48/CE, tels que les contrats de « crédits minuscules ». C’est en tout état de cause ce qu’a proposé le Parlement européen le 30 juin 202116.

Cette proposition de révision vise donc à appliquer aux prêts inférieurs à 200 euros les mêmes règles et mesures de protection de l’emprunteur que pour les prêts de trésorerie classiques : envoi d’une offre de contrat de prêt mentionnant le taux annuel effectif global qui englobe tous les frais, droit de rétractation de 14 jours, respect du taux d’usure, vérification de la solvabilité de l’emprunteur…

Dans ce contexte, il serait logique de penser que l’ACPR se montre extrêmement vigilante et proactive vis-à-vis de ces entités qui, pour certaines, sont des banques à part entière. Toutefois, la pratique démontre l’existence d’une certaine forme de frilosité et d’ambiguïté dans l’approche de l’autorité et l’existence d’un nouveau sujet sur lequel elle va également devoir se positionner, à savoir le « paiement fractionné ».

II – Un régulateur national frileux au positionnement ambigu

La pratique a permis de révéler que l’ACPR ne semblait pas prendre clairement position face au constat précédemment fait, en plus de favoriser la création d’une divergence de traitements entre des entités ayant pourtant le même statut (A). De plus, d’une certaine forme de retard dans l’encadrement des nouveaux acteurs innovants de la finance, elle doit s’apprêter à faire face à un nouveau sujet sur lequel son positionnement est attendu, à savoir le « paiement fractionné » (B).

A – L’absence de positionnement clair du régulateur français et le traitement inégal des acteurs du marché

Les problématiques soulevées supra se trouvent être au carrefour entre l’interprétation et l’application de règles de droit pur d’une part et l’analyse pratique d’un marché ultra concurrentiel et en pleine effervescence d’autre part.

L’ACPR a pourtant été alertée, notamment par l’association UFC Que Choisir afin d’obtenir un positionnement précis sur les pratiques constatées.

Il semble en effet logique que le régulateur lui-même apporte une clarification aux questions que pourraient se poser certains acteurs du marché. Néanmoins, l’ACPR n’apporte pas toujours de réponse ou alors des réponses évasives. Il a également été constaté que cette dernière faisait régulièrement le choix de ne pas se positionner au motif par exemple que des acteurs n’ont parfois pas leur siège social installé sur le territoire national.

Or d’une part, même une succursale d’une société étrangère doit obtenir un agrément de l’ACPR17 adéquat pour exercer sur le territoire français et notamment dans le domaine du crédit. D’autre part, l’Autorité française doit être le garant des activités exercées sur le territoire national et ce a minima dans le but de protéger les consommateurs. Enfin, cette absence de positionnement clair et de prise de décision donne aujourd’hui naissance à une réelle rupture d’égalité entre les acteurs qui disposent du même agrément bancaire par exemple ou à tout le moins du même statut (dont de nombreuses banques) et qui pour autant ne semblent pas être contrôlés de la même manière, ceci pouvant relever d’un véritable cas de distorsion de concurrence.

La pratique mais aussi la doctrine, démontrent que les questions régulièrement posées à l’ACPR consistent à savoir si les éventuels manquements relevés sont effectivement considérés comme des manquements avérés par l’Autorité elle-même ; à savoir également si le vide juridique que cela créé est pris en considération ; mais aussi à savoir si l’Autorité effectue des contrôles pour s’assurer de la bonne application de la réglementation par l’ensemble des acteurs du marché18 et ce, de manière égalitaire.

Le constat effectué est quelque peu inquiétant dans la mesure où d’une part, nous faisons face à une croissance importante des nouveaux acteurs sur le marché dont certains réalisent des levées de fonds considérables. D’autre part, ce flou juridique, non éclairci à ce jour par l’ACPR, ne permet pas aux différentes entités d’être sur un pied d’égalité et semble même permettre à certaines de tirer profit d’une certaine forme de passivité du régulateur.

L’intérêt grandissant des consommateurs pour les services numériques nécessite encore plus le besoin de les protéger, notamment car les utilisateurs des nouveaux acteurs de ces « crédits minuscules » peuvent être des adhérents au sens du nouvel article 1110 du Code civil19 institué par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. En effet, les conditions générales des contrats qui sont conclus sont soustraites à toute négociation et donc déterminées à l’avance par l’une des parties, ce qui renforce le risque d’abus.

Outre la nécessité de protéger le consommateur, l’apparente passivité de l’Autorité de contrôle française semble être en contradiction même avec la Commission européenne20 qui souhaite encourager le développement du secteur en prenant soin de garantir un environnement régulé permettant de favoriser à la fois l’installation de la confiance entre les entreprises et les investisseurs, la protection des consommateurs et un espace suffisant pour que l’industrie se développe dans le respect des règles de concurrence.

En effet, tant les néo-banques que les Fintech ou encore les banques en ligne peuvent apporter davantage de concurrence sur un marché qui se nivèle vers le haut grâce à une concurrence saine ; il est toutefois nécessaire de garantir l’intégrité du marché.

Or en pratique, le fait que certains de ces acteurs semblent jouir d’un vide juridique évident, accentué par l’inertie du régulateur mais aussi que d’autres encore, constatent qu’ils ne sont pas « logés à la même enseigne » que des concurrents ayant pourtant le même agrément, n’est-il pas révélateur d’un risque majeur de distorsion de concurrence et de rupture d’égalité ne permettant pas de garantir l’intégrité du marché en plus de fragiliser la nécessaire sécurité des consommateurs ?

La situation révèle à tout le moins une perturbation du marché du mini-crédit, ce qui est susceptible d’en modifier le fonctionnement à terme. D’autant plus que les causes de distorsions peuvent résider dans l’application ou l’absence d’application des réglementations21. Ce risque concurrentiel et notamment d’atteinte au marché a été relevé par l’Autorité de la concurrence dans un avis rendu le 29 avril 202122.

Enfin, il faut souligner l’existence d’un contraste saisissant depuis 2008, entre une avancée relativement rapide des réformes de la réglementation prudentielle des banques, marquée par son durcissement significatif et l’absence d’évolutions tangibles et adaptées s’agissant de la réglementation des nouveaux acteurs et ce d’autant plus dans le secteur des « crédits-minuscules ».

La France devient rapidement une place montante de l’innovation en matière financière. Dès lors, le régulateur ne peut plus ignorer la nécessité de développer rapidement une réglementation ad hoc applicable à ces acteurs en plus de devoir répondre à de nouvelles questions.

B – Le « paiement fractionné » : le nouveau sujet sur lequel l’ACPR doit se pencher dans les prochains mois

La notion de « paiement fractionné » n’est pas entrée dans notre langage commun alors pourtant que ce qu’elle désigne, est aujourd’hui inévitable dans le monde de la consommation.

En effet, payer en trois ou quatre fois, sur des sites de e-commerce ou en magasin est quelque chose devenu habituel et commun. Cette facilité de paiement est proposée soit gratuitement soit à titre payant. Lorsque le délai de paiement octroyé est sans frais et supérieur à trois mois, il est qualifié de « crédit gratuit », et doit donc être traité comme un crédit à la consommation.

La crise sanitaire a été l’un des propulseurs du recours au paiement fractionné, dans un contexte économique dans lequel les consommateurs se sont retrouvés et se situent de plus en plus en carence de trésorerie. Entre 2018 et 2020, le marché mondial du paiement fractionné a atteint 80 milliards de dollars23. Ce procédé, également connu sous le terme de « buy now, pay later » semble avoir augmenté de 292 % sur la même période. Sur le marché français en 2021, 31 % des français ont eu recours à ce procédé de paiement au moins une fois, ce qui représente 10 % d’augmentation par rapport à l’année précédente24. Le marché français du paiement fractionné étant susceptible de représenter 25 milliards d’euros d’ici à 202525, de nouveaux acteurs du marché se sont engouffrés dans la brèche, au risque parfois de mettre en péril la sécurité des consommateurs notamment car cette option de paiement s’intègre le désormais le plus souvent directement dans le panier d’achat en ligne des consommateurs.

Ainsi, l’endettement des particuliers a bondi et ce au travers de procédés aux intitulés moins anxiogènes que le terme de « crédit à la consommation », dont notamment le « paiement fractionné ».

L’adoption de la DSP2 en 201826 a révolutionné le monde bancaire et notamment l’ère de l’« open banking »27 permettant ainsi à de nouveaux acteurs, de proposer ce nouveau mode de paiement. Néanmoins, la problématique majeure rencontrée est que certains acteurs du domaine ne se fient qu’à la carte bancaire pour analyser la solvabilité du client et notamment en vérifiant uniquement si la première mensualité peut être payée. Effectivement, le paiement fractionné est souvent proposé par le biais de la mise à disposition d’une carte bancaire par ces établissements de paiement, carte utilisée pour régler le premier versement puis les deux ou trois échéances de remboursement restantes.

Les autres problématiques rencontrées dans le cadre du « buy now, pay later » se situent à plusieurs niveaux.

D’une part, ce système repose sur un fort partenariat commercial avec les commerçants car c’est en achetant le produit chez lui que le consommateur pourra avoir recours à ce service. Ainsi, le business model repose sur l’acceptation par les commerçants de proposer un tel service en partenariat avec un acteur du marché.

Sauf que pour obtenir l’accord des commerçants, il faut naturellement les « séduire » en leur présentant des taux d’acceptation importants des demandes de paiements fractionnés. Ceci étant de nature à convaincre le commerçant car il y verra l’opportunité d’augmenter ses chiffres de vente tout en permettant au prestataire proposant le service de gagner des parts de marché.

Dès lors, ce procédé permet certes au consommateur de consommer en payant de manière fractionnée mais l’expose surtout à un risque d’endettement important et ce sans que ses capacités financières n’aient été étudiées de manière aussi minutieuse qu’en matière de crédit à la consommation classique où l’utilisation du « scoring » est devenu la base.

Ainsi, bon nombre de prestataires ne vont se fier qu’à la carte bancaire attachée au service et ceci dans un souci de rapidité permettant au consommateur d’acquérir le bien en quelques étapes seulement et donc au commerçant de réaliser la vente. Or, de facto, il est possible de se rendre compte que ce qui devrait être traité comme une opération de crédit à part entière avec toute la vigilance requise, s’apparente en réalité à un simple paiement classique, mettant dès lors en danger le consommateur car l’analyse de sa solvabilité est presque inexistante.

D’autre part, la problématique du taux de l’usure réapparait ici. En effet, afin de concilier la nécessité de présenter aux commerçants un service garantissant un taux d’acceptation élevé et la rapidité avec laquelle doivent être traitées les opérations, certains acteurs n’ont pas d’autre choix que d’appliquer une tarification élevée de ce service permettant ainsi d’absorber les risques d’insolvabilité des consommateurs par exemple. Dès lors, cette tarification bien plus élevée et devant être incluse dans le calcul du TAEG ferait exploser le taux de l’usure. Ainsi, afin de contourner la problématique, les acteurs concernés ne facturent pas directement le consommateur mais les commerçants. Ceci n’étant ni plus ni moins qu’un « maquillage » concernant l’application d’un taux ne respectant pas les seuils de l’usure.

Ainsi, les régulateurs semblent réfléchir à des solutions alors même que des plans d’action concrets seraient désormais souhaités. En effet, le principal danger est que le recours massif à ce mode de financement fasse exploser l’endettement des plus jeunes consommateurs. Le législateur français, main dans la main avec l’ACPR, entend vouloir légiférer et ce d’autant plus que les paiements fractionnés étalés sur moins de 3 mois échappent aujourd’hui à la réglementation applicable au crédit à la consommation et notamment aux règles applicables en matière de taux d’usure.

Or force est de constater que l’ACPR reste muette sur le sujet alors qu’une étude approfondie du sujet s’annonce inévitable et ce dans la mesure où le consommateur obtient certes un produit immédiatement mais contracte aussi une dette immédiate avec ce procédé.

De plus, le « Bureau de protection des consommateurs » aux États-Unis s’est emparé du sujet en invitant les entreprises liées au paiement fractionné à clarifier leurs pratiques pour que les clients soient parfaitement informés des risques qu’ils prennent en ayant recours au paiement fractionné28. Outre-Manche, l’autorité britannique a lancé une consultation sur le paiement fractionné dans le but d’aboutir à une réglementation adéquate et a même enjoint des acteurs du domaine à clarifier leurs clauses contractuelles29. En Suède, terre d’origine du leader mondial en matière de paiement fractionné, il est interdit depuis 2020 de proposer une solution de paiement fractionné avant d’autres options de paiement.

Alors pourquoi l’ACPR ne se prononce pas ?

Il semble que pour la France, le sujet doive attendre le positionnement de Bruxelles qui entend réviser la directive européenne sur le crédit à la consommation. Toutefois, les délais sont longs, cette nouvelle directive devra par ailleurs être adoptée par les 27 États membres. Ainsi, la nécessité d’un positionnement de l’autorité française devient indispensable. En effet, le paiement fractionné est présenté comme un mode de règlement alternatif au crédit à la consommation mais ne correspond pas exactement à un crédit car il est présenté comme une facilité de paiement.

Quand le paiement fractionné est proposé sans frais, cela sous-entend que les frais, représentant le coût du service, peuvent en réalité être pris en charge par le commerçant lui-même ou facturés au consommateur. Dans ce dernier cas, le coût est fréquemment exprimé en pourcentage du montant total de l’achat, dans la limite d’un montant en euros. Or, ce coût ne peut pas être comparé au taux annuel effectif global (TAEG) d’un crédit à la consommation, qui est calculé sur une période annualisée.

De plus, ce type de paiement n’excédant pas plus de 90 jours dans la majorité des cas, il n’est donc pas soumis aux dispositions du Code de la consommation protégeant l’emprunteur.

L’établissement financier, directement ou par l’intermédiaire du vendeur, n’est pas tenu de faire une analyse préalable de la capacité de remboursement de l’emprunteur. Celui-ci n’est pas tenu de fournir les pièces justificatives relatives à sa situation financière pourtant indispensables pour évaluer sa solvabilité.

De plus, des crédits gratuits peuvent-ils réellement exister ? La pratique révèle que non car le coût du service est pris en charge par le consommateur ou par le commerçant, et donc quand la durée du paiement excède trois mois, alors il devrait être soumis au respect des dispositions relatives au crédit à la consommation avec la remise d’une fiche d’information précontractuelle et le respect d’un délai de rétractation de quatorze jours calendaires.

Par ailleurs, une autre problématique se situe dans le fait que le commerçant prend toujours à sa charge tout ou partie des frais.

Ceci permet donc de dépasser le taux de l’usure car la partie payée par le consommateur est calculée de sorte à ne pas dépasser le seuil légal.

Dès lors, en dépassant le taux de l’usure via la mise en place d’un système de tarification appliquée au côté commerçants, les acteurs du marché concerné peuvent dégager une rentabilité bien plus importante que les acteurs traditionnels du crédit et ceci créé une vraie rupture dans le jeu de la concurrence. En effet, ces derniers peuvent non seulement contourner les règles applicables au taux de l’usure mais aussi inonder le marché en acceptant des profils de consommateurs plus risqués et ce, dans la mesure où le risque est compensé par les frais très élevés qui sont appliqués. Cela représentant un risque de surendettement énorme pour les consommateurs qui normalement n’obtiendraient pas de crédit en raison de leur situation financière fragile.

Les consommateurs ne sont par ailleurs pas toujours bien renseignés. Par exemple, lorsque le paiement fractionné est d’une durée de moins de trois mois, le coût du service est indiqué en euros et non en intérêt, ce qui ne permet pas de comparer les offres et encore moins de se rendre réellement compte du réel coût que ce service représente. En effet, même des frais de quelques euros pour un paiement d’un montant minime sur moins de trois mois, peut représenter un taux d’intérêt exorbitant en réalité tout comme cela est le cas en matière de mini-crédit30.

Dès lors, l’étude de l’ACPR sur ce nouveau type de « crédit à la consommation déguisé » est primordiale pour l’ensemble des acteurs du marché d’une part, mais aussi pour garantir la protection des consommateurs d’autre part, et enfin afin de garantir une concurrence saine.

Malgré le récent communiqué de presse de l’ACPR en date du 31 mars 2022, dans lequel elle rappelle que seuls les professionnels disposant d’un agrément sont autorisés à commercialiser des crédits de faible montant et que par ailleurs, les frais de toutes natures réglés par les souscripteurs de ces prêts pour obtenir les sommes promises dans les conditions annoncées, compris de façon « accélérée », doivent respecter les limites fixées par la prohibition de l’usure31, cela ne saurait suffire à ce stade. Un positionnement plus détaillé et complet serait appréciable.

En définitive, il n’est pas ici question de blâmer l’innovation en matière bancaire et financière ainsi que tous les nouveaux acteurs, ou encore l’apparente timidité du régulateur, mais de rappeler que l’un des facteurs clefs du succès de l’innovation en matière financière et de l’inclusion doit résider dans le développement d’outils et de stratégies d’accompagnement et de contrôle par le régulateur.

C – La timidité du régulateur français en matière de régulation des innovations sur le marché bancaire et financier

Le droit financier a pour objectif d’encadrer et de faciliter les activités sur les marchés financiers ainsi que les activités des nouveaux acteurs sur ces marchés mais également sur d’autres marchés dont le marché bancaire.

Dès lors, il s’agit d’un droit qui nécessite une célérité certaine et une souplesse évidente au regard de la rapidité avec laquelle le contexte qu’il tend à encadrer évolue chaque jour. De prime abord, il serait logique de penser qu’il faille laisser les nouveaux acteurs organiser librement leurs rapports entre eux mais aussi avec les acteurs historiques sans avoir nécessairement besoin de créer un cadre juridique spécifique. Néanmoins, si cette vision s’entend économiquement parlant, elle ne semble pas concevable d’un point de vue juridique.

En effet, face à la diversité des réglementations applicables aux nouvelles formes d’acteurs ou au contraire, face à l’absence de réglementation, ces derniers peuvent être tentés de choisir les dispositions juridiques qui leur semblent être les plus adaptées à leur activité et donc écarter celles qui seraient susceptibles de les « freiner », quand bien même des concurrents y seraient soumis. Ce qui ne semble pas logique au regard d’une bonne concurrence et de la nécessaire protection des consommateurs.

Un rapport des Nations unies, relatif à l’innovation réglementaire au bénéfice des Fintech et de l’inclusion financière, souligne le grand potentiel des acteurs de la new tech dans le domaine de la finance, ceci induisant leur développement exponentiel et par voie de conséquence la nécessité de développer des dispositifs de soutien et de contrôle réglementaire32.

C’est ainsi qu’il est possible de constater que de nombreux pays dans le monde sont pionniers en la matière et ont développé des initiatives fortes dont notamment la création de « sandboxes ».

Littéralement, les « sandboxes » correspondent à des « bacs à sable réglementaires ». Cette innovation, inspirée des processus applicables dans le monde de l’informatique, consiste pour les petites et nouvelles structures à bénéficier d’un « guichet unique » afin d’être accompagnées, ce guichet faisant le lien direct avec le régulateur. L’objectif est de permettre le développement de ces nouveaux acteurs tout en leur offrant un cadre et un accompagnement réglementaire sur mesure, pour ne pas les laisser seuls et donc tentés par le fait de faire le choix des règles qu’elles souhaitent se voir appliquer.

L’Angleterre et les États-Unis ont été précurseurs en la matière et en 2016, les Anglais sont allés encore plus loin en développant une « regulatory sandbox » destinée aux acteurs supposés être l’avenir de la finance. Le but est de tester leur modèle économique, pouvant être utile au marché, sans leur appliquer une réglementation existante trop stricte pendant cette phase de test et de développement33.

Ainsi, en Angleterre, le système permet un accompagnement individuel de ces derniers tout en permettant de contrôler le nouvel acteur en lui apportant une aide à l’identification des garanties de protection des consommateurs appropriées à intégrer dans ses développements technologiques et dans ses nouveaux produits et services.

Aujourd’hui, les plus grandes places financières mondiales ont développé des « sandboxes » similaires dont notamment Hong Kong, Singapour34, Maurice35 grâce à « l’Investment Promotion Act36 », l’Australie ou encore le Canada.

L’objectif du pionnier anglais en la matière est double. D’une part, il s’agit d’encourager les innovations dans le secteur de la finance sans pour autant laisser les Fintech s’auto réguler37. D’autre part, le régulateur anglais souhaite préserver un niveau de concurrence indispensable entre les acteurs, sans oublier de protéger les consommateurs.

Dans ce contexte, quid de la France ? Quid de l’encadrement des nouveaux acteurs sur le marché et plus précisément sur le marché du mini-crédit ?

En la matière, l’ACPR se montre assez réfractaire au système des « sandboxes » même si son positionnement officiel consiste à affirmer sa volonté d’accompagnement des nouveaux acteurs et des innovations38, permettant ainsi d’encourager l’inclusion financière39.

Son objectif est visiblement de maintenir un cadre réglementaire ouvert et neutre dans le but de ne pas favoriser des acteurs plus que d’autres et cela dans un esprit de libre concurrence40.

Or sur le marché du mini-crédit, l’émergence massive de nouveaux venus, exerçant une activité susceptible de relever des dispositions relatives au crédit à la consommation, pose de nombreuses questions dont notamment celle de savoir pourquoi l’ACPR ne tente pas de développer des systèmes allant au-delà de son pôle Innovation ? Certains pourraient même se demander si le régulateur français, dans son objectif de libre concurrence, n’en oublierait pas que libre concurrence peut également rimer avec atteinte caractérisée à la concurrence ?

L’ACPR a choisi d’adopter un système d’« innovation offices » permettant d’instaurer un canal d’information et de dialogue entre le régulateur et les nouveaux acteurs afin de leur apporter l’éclairage indispensable sur la réglementation applicable et les agréments utiles à leurs activités.

Or force est de constater que sur le marché du mini-crédit, cela peut être insuffisant.

Sans aller jusqu’à la mise en place de « sandboxes », il serait tout à fait possible de développer d’autres outils comme les « RegTech » et dont l’objectif est de mesurer la conformité des nouveaux acteurs sur un marché au regard des textes réglementaires.

La problématique majeure autour de la mise en place de « sandboxes » semble être le fait qu’il faille que l’Autorité concernée soit encline à investir financièrement dans un tel dispositif mais aussi à investir du temps et des ressources alors qu’elle doit déjà faire face à une surcharge de travail. Est-ce le cas de l’ACPR ? Difficile à dire, mais le constat est sans appel en ce qui concerne le marché du mini-crédit.

Les trois objectifs majeurs (meilleure compréhension entre les nouveaux acteurs et le régulateur ; protection accrue de l’utilisateur final ; préservation de la stabilité financière), associés au respect indispensable de la réglementation et du monopole bancaire, ne semblent pas atteints. D’un point de vue externe, l’ACPR peut sembler fermée, frileuse, et dans l’incapacité à prendre position alors que de nombreux acteurs tirent le signal d’alarme.

L’un des facteurs clefs du succès de l’innovation en matière financière et de l’inclusion doit pourtant résider dans le développement d’outils et de stratégies s’inscrivant sur le long terme et respectant ainsi la méthodologie du « learning by doing ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    https://www.abe-infoservice.fr/.
  • 2.
    « Minicrédits L’UFC-Que Choisir s’attaque aux nouveaux usuriers », Que Choisir, https://www.quechoisir.org/.
  • 3.
    C. consom., art. L. 121-1, al. 4.
  • 4.
    CJUE, 26 oct. 2016, n° 611/14.
  • 5.
    C. consom., art. L. 132-1.
  • 6.
    C. consom., art. L. 121-2.
  • 7.
    Cass. crim., 22 nov. 2016, n° 15-83559, F-PB : RJDA 2/17, n° 126.
  • 8.
    F. Picod, « Protection des consommateurs », JCl. Europe Traité, 15 oct. 2021.
  • 9.
    Exemple : https://joe-app.com.
  • 10.
    La soft law représente un ensemble de normes qui n’émane pas directement du pouvoir législatif et réglementaire.
  • 11.
    J. Bessrmann, « L’émergence d’un régulateur actif au service des assurés », L’argus de l’assurance.com, 25 avr. 2014, https://www.argusdelassurance.com/.
  • 12.
    T Bonneau, « L’ACPR, un législateur occulte ? », RD bancaire et fin. 2013.
  • 13.
    « Minicrédits L’UFC-Que Choisir s’attaque aux nouveaux usuriers », Que Choisir, https://www.quechoisir.org/.
  • 14.
    L. n° 84-46, 24 janv. 1984, relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit.
  • 15.
    Y. Gérard, T. Bonneau, P. Guillermin et A. Gourio, « Table ronde : Crédits gratuit et promotionnel : vraies et fausses rémunérations », RD bancaire et fin. 2007, dossier 11.
  • 16.
    Proposition du Parlement européen de modification de la directive relative aux crédits à la consommation, 30 juin 2021 COM(2021) 347 final, 2021/0171(COD).
  • 17.
    L’article L. 511-10 du Code monétaire et financier prévoit que les succursales établies sur le territoire français d’établissements de crédit ayant leur siège social dans un État qui n’est pas partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) doivent, avant d’exercer leur activité, obtenir un agrément délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
  • 18.
    L’ACPR apprécie également les éléments permettant d’assurer une gestion saine et prudente de l’établissement.
  • 19.
    C. civ., art. 1110 : « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. Le contrat d’adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ».
  • 20.
    Communication de la Commission européenne sur les Fintech, 16 sept. 2016.
  • 21.
    E. Nyahoho et P.-P. Proulx, Le commerce international : théories, politiques et perspectives industrielles, 2006, PUQ.
  • 22.
    Autorité de la concurrence, avis 21-A-05, 29 avr. 2021.
  • 23.
    Institut Kaleido Intelligence, « Open banking & payments », rapport 2021.
  • 24.
    Baromètre Opinion Way, Floa pay, https://www.floapay.com/opinion-way.
  • 25.
    P. Chassaing, rapport Prévention du surendettement et développement du microcrédit, 22 oct. 2021.
  • 26.
    Deuxième Directive Européenne sur les Services de Paiement, en vigueur dans l’Union européenne depuis le 13 janvier 2018.
  • 27.
    Le terme désigne la technologie qui permet aux banques de partager certaines de leurs données, à la fois entre elles mais aussi avec d’autres acteurs du secteur financier.
  • 28.
    https://lext.so/JjM8Cz.
  • 29.
    https://lext.so/ZzIgMK.
  • 30.
    https://lext.so/RSz45p.
  • 31.
    https://lext.so/qoVS2g.
  • 32.
    Nations unies, rapport sur l’innovation réglementaire au bénéfice des services Fintech et de l’inclusion financière, 14 févr. 2019, https://www.unsgsa.org/.
  • 33.
    Financial Conduct Authority, « The regulatory sandbox allows businesses to test innovative propositions in the market with real consumers », 10 mai 2015, https://www.fca.org.uk/.
  • 34.
    https://www.mas.gov.sg/.
  • 35.
    Place financière majeure de la zone Asie Pacifique.
  • 36.
    Investment Promotion Act, 30 déc. 2000.
  • 37.
    Regulatory innovation plan, avr. 2017.
  • 38.
    Création en 2017 du Pôle Fintech-Innovation.
  • 39.
    ACPR, Accompagnement des acteurs innovants : les crypto-actifs et la transformation de l’écosystème financier, oct. 2021.
  • 40.
    ACPR, « Une Sandbox réglementaire, pour quoi faire ? », mars 2019.
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