La nouvelle procédure de contrôle des crédits de TVA remboursables

Publié le 17/03/2017

La procédure de contrôle sur place des demandes de remboursement de crédit TVA issue de la loi de finances 2016, applicable au 1er janvier 2017, a pour but d’accentuer la présence de l’Administration sur le terrain afin d’accroître l’effet dissuasif vis-à-vis des fraudeurs potentiels. Elle répond aussi à un objectif budgétaire étant donné le poids que représente le remboursement de crédit TVA : 49,5 Mds € en 2015.

La vérification de comptabilité générale est une « arme lourde » qui doit rester réservée à des contrôles à finalité répressive. Verra-t-on pour autant davantage de vérificateurs sur le terrain ?

Introduction. Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l’imputation n’a pu être opérée est prévu par les dispositions de l’article 242-0 A, annexe II du CGI. Ce remboursement doit faire l’objet d’une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté dans l’entreprise au terme de chaque année civile ou de chaque mois1.

Un nouvel article2 L. 198 A du livre des procédures fiscales (LPF) prévoit l’entrée en vigueur d’une nouvelle procédure de contrôle sur place des demandes de remboursement de crédits de TVA qui sera applicable aux demandes déposées à compter du 1er janvier 2017.

Les raisons de cette nouvelle procédure (I) résident dans l’inefficacité des procédures existantes et la pression budgétaire mise sur l’administration fiscale. Celle-ci en est restée à la maîtrise d’un savant équilibre (II) entre la suspicion légitime envers les entreprises et la volonté d’accélérer les remboursements, facteurs d’amélioration de la trésorerie des firmes.

I – Les raisons d’une nouvelle procédure

On se perd en conjectures sur la nécessité de la création d’une nouvelle procédure de vérification des entreprises à propos du remboursement de crédit TVA. À l’heure où un candidat3 à l’élection présidentielle a émis l’idée d’un contrôle fiscal limité à une seule année d’exercice comptable de l’entreprise, les pouvoirs publics créent au sein du LPF une nouvelle procédure4 visant à instaurer, à partir du 1er janvier 2017, des contrôles sur place ciblés auprès des entreprises. Rappelons que le nombre des contrôles sur place est déjà très important, soit 46 2665 opérations menées en 2015, 50 000 avec les examens de situation fiscale personnelle. Si la pertinence de la création d’une nouvelle procédure est contingente à la volonté politique de marquer la lutte contre la fraude, la faisabilité de l’augmentation du nombre des opérations de contrôle est discutable dans un contexte de diminution des effectifs de la fonction publique6.

Le nombre7 de demandes de remboursement de crédit de TVA est passé de 1,49 million, pour un montant à rembourser de 42,940 Mds €, en 2010 à 1,53 million, pour un montant à rembourser de 48,5 Mds €, en 2014. Corrélativement, le taux de rejet des demandes de remboursement de crédit de TVA a augmenté de plus de 10 %, passant de 3,7 % à 4,1 % du nombre de demandes.

A – Des procédures existantes sous-utilisées

On peut s’étonner d’une telle disposition alors que le droit de contrôle du crédit TVA existe déjà de toute manière selon deux possibilités.

Le contentieux d’assiette assuré sur place. La forme la moins répandue est le contrôle sur place de la réalité des factures conduisant au remboursement dans le cadre du contentieux d’assiette. En effet, la demande de remboursement de crédit TVA est analysée traditionnellement comme un contentieux d’assiette où le rejet8 doit être motivé et susceptible de recours mais l’administration fiscale ne dispose pas de statistiques sur le contentieux relatif à la déductibilité de la TVA9. L’attente trop longue du redevable de la décision administrative est par ailleurs susceptible d’un référé-provision10. De fait, le service des impôts n’utilise donc guère la possibilité de contrôler sur place dans la cadre du contentieux ordinaire car une méfiance s’est installée de longue date entre l’Administration et le contribuable qui pourrait faire croire que cette opération, pourtant limitée, serait de facto une vérification de comptabilité sans l’accord des garanties nécessaires à la défense.

Néanmoins, l’agent instructeur peut théoriquement11 contrôler sur place, dans l’entreprise, les pièces justificatives correspondant au relevé des factures d’achats demandé à l’appui d’une demande de remboursement. Cette intervention peut aussi être effectuée dans le cadre du droit de communication, conformément aux dispositions des articles L. 81 à L. 102 B du LPF, après remise d’un avis de passage.

Le refus de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible ne constitue pas un redressement fiscal mais une prise de position administrative sur les éléments de fait présentés par l’entreprise à l’appui de sa demande.

Le contrôle fiscal partiel ou ponctuel. La procédure de vérification partielle de comptabilité limitée aux opérations liées à la déductibilité de la TVA est également possible mais demeure d’un emploi étréci12 car tant qu’à faire intervenir un vérificateur sur place, autant qu’il contrôle l’ensemble des opérations de l’entreprise. Le jeu des statistiques fiscales visant à apprécier le « rendement » des vérificateurs serait par ailleurs faussé en cas de généralisation de la vérification partielle car le niveau d’expertise entre la vérification générale et la vérification partielle n’est pas le même pour des rendements différents. Qui plus est, la nouvelle procédure introduite par la loi de finances permettra sans doute de décharger les vérificateurs des brigades départementales et régionales au bénéfice des vérificateurs des ICE13. Une place importante de ce nouveau contrôle sur place devrait par ailleurs être le fait des contrôleurs des impôts, grade que l’administration centrale encourage depuis de longues années à mener des travaux de terrain sans remporter un réel succès jusqu’ici.

Contrairement donc à ce qu’indiquent les motifs de l’introduction de la procédure nouvelle dans l’exposé soumis au Parlement, la vérification générale de la comptabilité de l’entreprise n’est pas le seul moyen dont dispose l’Administration pour le contrôle du remboursement de crédit. La vérification partielle constitue une procédure de vérification de comptabilité qui donne toutes les garanties au contribuable vérifié : envoi obligatoire de l’avis de vérification et de la charte du contribuable vérifié ; délai raisonnable à respecter avant la première intervention sur place ; limitation de la durée des vérifications (LPF, art. L. 52), droit du contribuable au débat oral et contradictoire et droit d’information sur les conséquences financières du contrôle (LPF, art. L. 48). L’avis de vérification (imp. mod. n° 3927) fait apparaître le caractère ponctuel des investigations diligentées en se limitant à l’examen des droits à déduction ayant concouru à la formation du crédit ou vise également la TVA collectée si l’Administration soupçonne un manquement en ce domaine (absence de chiffre d’affaires déclaré, opérations d’auto liquidation). Aucune possibilité de confondre vérification partielle et vérification générale n’est donc permise.

En quoi consiste le contrôle de l’Administration ? Quelle que soit la procédure utilisée, le vérificateur cherche à savoir si le coefficient de déduction applicable à un bien ou un service acheté en amont est correct. Ce coefficient est depuis 2008 le produit entre trois coefficients qui répondent à trois questions :

  • dans quelle proportion le bien ou le service est-il utilisé pour la réalisation d’opérations situées dans le champ d’application de la TVA ? On parle ici de coefficient d’assujettissement (art.206-II, ann. II) ;

  • dans quelle proportion le bien ou le service est-il utilisé pour la réalisation d’opérations donnant droit à déduction ? On parle ici de coefficient de taxation (art 206-III, ann. II) ;

  • le bien ou le service est-il, en tout ou partie, exclu du droit à déduction ? On parle ici de coefficient d’admission (art 206-IV, ann. II).

C’est le décret de 200714 qui a institué une approche nouvelle des règles de déduction de la TVA, par une réécriture à droit quasi-constant des textes de l’annexe II au CGI. En effet, le décret a substitué à l’approche du droit à déduction fondée sur la qualité de l’opérateur (assujetti total ou partiel, redevable partiel ou total) une approche centrée sur les opérations économiques que l’assujetti va réaliser avec le bien ou service qu’il acquiert. Ainsi, le principe de l’affectation du bien ou service a été renforcé. Cette refonte a mis en œuvre un dispositif fondé sur la formule arithmétique du coefficient de déduction permettant de calculer, pour chaque bien ou service, le montant de taxe déductible lors de l’acquisition.

B – La pression du politique

Une administration fiscale qui n’a pas su se mettre en valeur. On n’oublie pas que l’Assemblée nationale a de longue date déjà stigmatisé l’administration fiscale en indiquant que les remboursements de crédit d’impôt étaient soumis à un pilotage déficient15. La DGFiP16 a mis en place des outils dédiés aux remboursements de crédits de TVA avec une application informatique nommée REBECA17 et une grille d’analyse risque des demandes18. La gestion se caractérise selon la commission parlementaire par l’existence d’un aiguillage des demandes de remboursement entre deux circuits, qui intervient à l’issue des premiers contrôles formels et s’appuie largement sur l’analyse risque :

  • le circuit court consiste en un contrôle allégé, qui permet à la décision de remboursement d’intervenir dans un délai dont l’objectif est fixé à 25 jours entre la réception de la demande et le paiement au redevable. Le circuit court draine la majorité des demandes de remboursement.

  • le circuit long concerne de manière systématique les entreprises sous contrôle fiscal externe, ainsi que d’autres, sélectionnées par l’analyse des risques ou sur demande des services. Dans le cas des entreprises en dehors du champ de la DGE, le dossier fait alors l’objet d’une instruction approfondie par l’ICE du centre des impôts ; à la DGE19 c’est la même équipe qui y procède.

On comprend bien que le logiciel REBECA est suffisant pour donner une information sur le nombre des demandes de remboursement TVA admises partiellement ou totalement. L’article 3 de l’arrêté créant le système informatique précise en effet que figurent « le montant du rejet ou de l’admission totale ou partielle, le montant ordonnancé, le montant de la compensation » au cas où celle-ci serait applicable. Ces données ont sans doute été jugées insuffisantes pour valoriser le travail administratif de contrôle fiscal autant orienté par la culture procédurale que par la culture du chiffre.

Une fraude évaluée pour la TVA à un haut niveau. Pour résumer, la nécessité d’une nouvelle procédure est surtout due au besoin qu’a l’Administration de quantifier le montant des taxes non remboursées en TVA et le nombre des assujettis concernés tout en confiant ce travail aux échelons locaux de contrôle. Cette nécessité s’impose d’autant plus que la fraude fiscale en matière de TVA est la plus forte20.

Le carrousel TVA est évidemment la technique la plus connue dont le procédé consiste à déduire la TVA en vue d’un remboursement alors que des entreprises dites « éphémères » ont disparu sans jamais payer l’impôt dû en amont. La pratique de fausses factures pour des prestations ou des livraisons fictives de biens corporels est également prisée alors que les circuits commerciaux sont nombreux et internationaux, donc tous difficilement contrôlés.

Mais la fraude se réalise aussi au niveau tout simple de chaque entreprise qui peut être tentée de surévaluer21 ses droits à déduction alors que les biens et les services acquis ne sont pas utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables. Et les petits ruisseaux font les grandes rivières.

II – L’équilibre entre la suspicion légitime et la confiance dans les entreprises

On comprend bien que l’objectif pour les pouvoirs publics est d’assurer aux entreprises un bon délai de remboursement des créances qu’elles possèdent sur le Trésor tout en assurant un bon niveau de sûreté dans la liquidation de la créance.

A – Le niveau de sûreté requis pour le remboursement

L’administration fiscale doit veiller à ne pas rembourser n’importe quoi et un niveau de contrôle nécessaire s’impose en conséquence. Si le contrôle a posteriori est toujours possible en cas de suspicion, il est peu opérationnel en cas d’entreprises ayant organisé leur insolvabilité et dont le seul but serait une escroquerie à la TVA. Un minimum de précautions a priori est donc indispensable mais encore faut-il pouvoir fonder la motivation de rejet si nécessaire.

Un développement continu de logiciels intégrateurs de données. On conçoit aisément que les services fiscaux aient dû réfléchir à l’établissement d’une analyse risque comme l’indique le rapport de l’Assemblée nationale cité supra. Sans avoir une connaissance précise de cette analyse, on peut néanmoins identifier les risques à partir d’éléments logiques de réflexion et la consultation des arrêtés de création de différents logiciels. L’Administration a ainsi développé un système informatique dénommé OASIS22. Celui-ci reprend les données afférentes aux liasses fiscales et aux déclarations de TVA, les agrège et les restitue sous forme de ratios qui alertent les vérificateurs sur des discordances potentielles entre les documents fiscaux de l’entreprise ou entre ceux-ci et les ratios moyens de la profession grâce à la prise en compte du numéro APE23. Cet outil est toutefois fort mal apprécié des vérificateurs car jugé peu fiable24.

Face à cet outil obsolète et caractérisé par un fort accent d’analyse financière peu prisé des vérificateurs, l’Administration s’est orientée vers un système dénommé « Sirius Pro »25, lui-même réformé par la mise en place de techniques de datamining avec envoi de listes d’entreprises à contrôler « Prodata ». L’accord de la Cnil repose sur le postulat que toutes les listes issues du datamining sont exploitées par des agents spécialisés dans la programmation du contrôle fiscal. Le datamining est un outil mis à la disposition des services de programmation du contrôle fiscal. Il permet une diffusion rapide de listes d’entreprises à contrôler avec des éléments d’explications concernant les critères de sélection des dossiers26.

Sans qu’il soit besoin d’utiliser un logiciel particulier, on peut aisément opérer un rapprochement comptable permettant de présager un gonflement frauduleux de TVA déductible. À partir de la liasse fiscale, le calcul peut être fait du montant de la TVA déductible théorique à partir des achats de biens et services qui sera comparé aux montants de TVA déductible opérés sur déclarations de chiffre d’affaires. Dans le même esprit, des investissements paraissant disproportionnés au regard du chiffre d’affaires réalisé peuvent inquiéter un vérificateur. En utilisant la loi des grands nombres et en traitant d’énormes bases de données incluant toutes les entreprises, une cotation de risque peut être ainsi effectuée, qui rapportée ensuite à chaque cas particulier constitue un indice. Évidemment plus le nombre d’indices est élevé, plus le risque global est sérieux. Le datamining ne fait rien d’autre que d’appliquer une méthode prédictive connue en brassant d’énormes quantités de données pour les reporter ensuite sur une seule entreprise « matchée ».

Éléments logiques de discrimination des entreprises permettant de situer les risques. On peut imaginer assez facilement que des rapprochements sont effectués entre le chiffre d’affaires déclaré en TVA et en BIC/IS27. Le dépouillement systématique des données TVA et IS dont la saisie est obligatoire au moment de la télé déclaration rend en effet possible ce traitement. L’analyse de la TVA est par ailleurs possible en elle-même en mettant en relation divers éléments. Ainsi peuvent être suspects à titre d’exemples : absence de chiffre d’affaires alors que l’entreprise est supposée exercer une activité mais présence de TVA déductible, entreprise nouvelle effectuant de forts investissements, demandes de remboursements de crédits refusés dans le passé, TVA figurant au passif de bilan, forte variation des acquisitions ou livraisons intracommunautaires, opérations exonérées inhabituelles. Les cas de défiance sont nombreux et il est difficile d’en faire l’inventaire. Les entreprises en redressement judiciaire par exemple sont généralement suspectes de vouloir différer la déduction de la TVA de la période précédant le jugement sur la période postérieure afin d’obtenir un remboursement sur la période de continuation et ainsi se constituer un fonds de roulement pour la reprise d’activité.

L’attention des services fiscaux est aussi portée sur des entreprises appartenant à des secteurs économiques comme suspects de fraude « par nature » tels que le bâtiment, la sécurité ou la vente de véhicules d’occasion par exemples ou encore l’achat revente de produits informatiques. En fait, cette suspicion doit naturellement s’exercer dans l’hypothèse où la TVA dont la déduction est demandée est susceptible de n’avoir jamais pu être versée par le fournisseur en amont. Le fournisseur difficilement traçable est un indice de soupçon : absence de déclarations sur une période, numéro TVA intracommunautaire inexistant28 ou numéro TVA29 non porté sur les factures, relevé de factures d’achats nécessitant des éclaircissements, absence de siège réel par l’entremise d’une domiciliation, confusion possible entre l’entreprise/fournisseur et l’entreprise/client ayant le même dirigeant, prestations immatérielles importantes. L’existence d’un ratio d’endettement financier important par rapport aux capacités réelles de l’entreprise peut signifier le besoin de recours à une manœuvre de remboursement de crédit TVA afin d’obtenir une baisse de la contrainte de financement par des moyens frauduleux.

L’étude du risque se traduit aussi en termes de surveillance : surveillance des entreprises ayant obtenu un remboursement et ne réalisant pas encore des opérations imposables, compensation opérée par le comptable public entre la TVA dont le remboursement est demandé et les impôts non réglés par ailleurs.

La création de l’entreprise et le remboursement de crédit TVA. Lorsque l’entreprise est nouvelle, l’administration fiscale ne peut évidemment pas effectuer une analyse risque fondée sur des critères d’antériorité (par exemple : redressements antécédents avec pénalités de mauvaise foi, incohérences entre chiffres déclarés) et l’appréciation du risque répond donc à d’autres critères.

La jurisprudence communautaire30 est venue éclairer ce point. La qualité d’assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction est reconnue à une entreprise lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :

  • l’entreprise déclare son intention de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction ; la sincérité de cette intention est présumée dès lors qu’une déclaration d’existence a été souscrite par l’entreprise. Les critères objectifs permettant d’étayer la sincérité et la pérennité de cette intention sont étudiés par les services fiscaux à l’occasion de l’instruction de la première demande de remboursement de crédits de TVA ;

  • l’Administration estime que cette déclaration est suffisamment étayée par des éléments objectifs ; la production d’informations détaillées n’est pas systématiquement exigée mais des indices sérieux doivent marquer un début d’activité. À titre d’exemples, peuvent être mentionnés : l’acquisition de matériels et moyens d’exploitation, l’embauche de personnel, la réalisation d’un plan marketing, d’une étude de marché ou d’un business plan, l’exécution de dépenses publicitaires, l’ouverture d’un compte bancaire professionnel, l’accomplissement de stages professionnels par le déclarant, la souscription d’un contrat d’assurance propre à l’activité envisagée, etc.

Si l’Administration a admis la qualité d’assujetti à la TVA d’une entreprise qui a déclaré son intention de commencer une activité économique donnant lieu à des opérations ouvrant droit à déduction, elle ne peut pas, sauf en cas de situations frauduleuses ou abusives, lui retirer cette qualité de manière rétroactive lorsque la société concernée renonce finalement à réaliser de telles opérations31. Un remboursement partiel intervient dans ce cas.

B – La rapidité du remboursement

Le délai de remboursement de la TVA doit s’analyser comme le délai maximum de paiement interentreprises. En effet, la TVA suit le circuit commercial et a des effets de trésorerie sur les entreprises. Entre la suppression de la règle du décalage d’un mois pour la déduction de la TVA en 1993 et le remboursement mensuel, plutôt que trimestriel ou annuel, des crédits de TVA prévu par le plan de relance32 2009, la volonté des pouvoirs publics s’est toujours inscrite dans le sens de l’amélioration de la trésorerie des entreprises. Par ailleurs, suivant les dispositions de l’article L. 441-6 du Code de commerce, le délai de règlement33 des sommes dues entre entreprises est fixé au trentième jour suivant la date de réception ou d’exécution de la prestation. Les dispositions du même article (IV) prévoient que si une procédure de vérification permettant de certifier la conformité des marchandises ou des services au contrat est prévue, la durée de cette procédure n’excède pas trente jours à compter de la date de réception des marchandises ou de réalisation de la prestation des services. Ce que l’État impose aux entreprises, il doit le respecter pour lui-même34 si on considère que le remboursement de crédit TVA est un droit pour le créancier, soumis à la vérification nécessaire de l’État débiteur. Le chef d’entreprise qui ne demande pas un remboursement de crédit TVA ou qui ne relance pas l’Administration après le dépôt d’une demande fait du crédit sans le savoir et diminue son financement à court terme.

Les indicateurs fiscaux existants qui permettent de contrôler le phénomène à mesurer sont au nombre de deux. D’une part, le taux de demandes de remboursement de crédit TVA non imputable et de restitutions d’impôts sur les sociétés remboursées dans un délai inférieur ou égal à 30 jours est de 80 % selon l’indicateur de performance publié par la DGFiP35. D’autre part, l’ancienneté moyenne des demandes de remboursements de crédits de TVA ayant fait l’objet d’un remboursement (total ou partiel) dans un délai strictement supérieur à 30 jours est de deux mois36. Seuls deux ratios sont donc avérés pour un calcul de durée de la réponse et mesurer la vitesse de résolution des dossiers.

Pour les services fiscaux, le coût du risque de remboursement à tort devrait être estimé. On relève pourtant que le nombre de crédits TVA remboursés et ensuite repris en vérification de comptabilité ne sont pas mentionnés dans les rapports de performance de la DGFiP ou les documents budgétaires de l’État, ni en nombre d’opérations de contrôle identifiées ni en valeur. Le nombre de remboursements jugés conformes par rapport au nombre total des demandes n’est pas non plus calculé. Il semble que l’application REBECA soit pourtant en mesure de faire ces calculs de façon ordinaire37.

De nouvelles modalités de contrôle comme variables de la rapidité de remboursement. On a vu supra que la législation ne prévoit pas de procédure spécifique pour le contrôle sur place des demandes de crédit de TVA et une nouvelle procédure a donc été créée avec l’article L. 198 A du LPF. Un ajout à l’article L. 13 F du LPF permet aussi aux agents de l’Administration de récupérer une copie des documents qui leur seront présentés dans le cadre de la nouvelle procédure de contrôle sur place des demandes de remboursement de crédit de TVA. Les contribuables ne peuvent s’opposer à ce droit éventuellement effectué sous une forme dématérialisée.

Cette procédure est distincte de toute vérification de comptabilité (LPF, art. L. 198 A). En conséquence, une vérification de comptabilité ultérieure pourra bien inclure dans son champ des transactions ayant précédemment donné lieu à une procédure d’instruction sur place de demande de remboursement de crédits de TVA, même si cette instruction s’est conclue par l’acceptation de la demande. La logique administrative est assez implacable puisque pour éviter des contrôles trop lourds, le fisc est prêt à les accomplir deux fois !

Dans les faits, en cas de doute sur la régularité d’une demande de remboursement de crédit de TVA transmise par une entreprise, l’Administration lui adressera un « avis d’instruction sur place ». Cet avis ne devrait pas entraîner la sanction de l’opposition à contrôle fiscal en cas d’empêchement mais seulement le rejet de la demande de remboursement. La notification à l’entreprise de l’avis d’instruction sur place constitue le point de départ d’un délai de quatre mois laissé à l’Administration pour prendre sa décision sur la demande de remboursement mais, à compter du premier déplacement, l’Administration ne dispose plus que d’un délai de soixante jours pour prendre sa décision. Le dépassement de l’un ou l’autre de ces délais sans prise de décision oblige le fisc à accorder38 le remboursement demandé par l’entreprise.

La décision prise sur une demande de remboursement d’un crédit de TVA qui n’accorde pas entièrement satisfaction au contribuable n’a pas le caractère d’une procédure de reprise ou de redressement39 de la nature de celles visées au 5 de l’article 1932 du code même si elle est précédée d’opérations de vérifications ou de contrôle. Elle doit donc être contestée directement devant le tribunal administratif.

Conclusion. Une option était ouverte aux pouvoirs publics entre le contrôle sur place du remboursement de crédit TVA selon la procédure contentieuse ou selon la procédure de vérification. La méthode à choisir devait afficher l’expertise de la vérification sur place dans un contexte de lutte contre la fraude à la TVA. Mais de fait, la nouvelle procédure introduite par la loi de finances 2016 est l’exercice d’un pouvoir contentieux exercé sur place.

Cela pourrait relever de l’esprit d’une présence d’aide à l’entreprise dans un climat de confiance qui semble inspirer l’Administration avec la mise en place de la relation de confiance40. L’image n’est pas brouillée mais on retiendra pour autant que la confiance n’exclut pas le contrôle.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Présentation du régime de remboursement mensuel : instruction du 4 févr. 2009, BOI 3 D-2-09.
  • 2.
    Créé par l’art. 17 de la L. n° 2016-1918, 29 déc. 2016, de finances rectificative pour 2016 : JO n° 0303, 30 déc. 2016.
  • 3.
    V. Sarkozy N., in Tout pour la France, p. 56.
  • 4.
    V. Rapp. AN n° 4272 fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2016, art. 14.
  • 5.
    Ibid.
  • 6.
    Signalé par le Rapp. AN n° 2260 fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2015, p. 9 : « Le rapporteur spécial continue de s’interroger sur les capacités à venir de la DGFiP à mener à bien l’ensemble de ses missions avec des effectifs toujours plus réduits ».
  • 7.
    Chiffres donnés par le rapport de Dian J., « La gestion de l’impôt et la fraude à la TVA », CPO, juin 2015, rapport particulier n° 5, tableau p. 28. Ce rapport fait état de sources DGFiP.
  • 8.
    L’Administration formule une décision expresse et motivée en cas de rejet partiel ou total mentionnant les délais de recours (CGI, art. 410 et LPF, art. R* 198-10) et le défaut de réponse dans un délai de six mois équivaut à un rejet tacite.
  • 9.
    Question écrite n° 21821 de Commeinhes F. (Hérault – Les Républicains) : JO Sénat, 19 mai 2016, p. 2076.
  • 10.
    CE, 9e ss-sect., 10 juill. 2002, n° 244411 : D. 2002, p. 2583 ; Sarl Grey Diffusion, CE, sect., 10 juill. 2002, n° 244411, PB. Si dans les cas où la créance invoquée par le demandeur n’apparaît pas sérieusement contestable, le référé provision est possible, il n’en est pas de même si une autorisation d’effectuer des visites et des saisies en application de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales existe afin de conforter les soupçons de fraude fiscale à l’encontre de l’entreprise qui est présumée avoir réalisé des livraisons intracommunautaires fictives.  La ténacité du contribuable est aussi un moyen d’obtenir parfois satisfaction, ainsi l’exemple d’un contribuable qui a fait trois fois la démarche : CAA Lyon, 2e ch., 9 juill 2013, n° 12LY01907.
  • 11.
    V. chapitre du Bulletin officiel des impôts consacré à l’instruction des réclamations, BOI-CTX-PREA-10-70-20130603 : « Il appartient à l’agent instructeur, si nécessaire, de se mettre, autant que possible, en rapport avec le contribuable lui-même ou ses représentants, pour obtenir d’eux ou leur fournir les explications utiles. L’agent des finances publiques peut même procéder à des investigations dans la comptabilité du contribuable, notamment lorsque la réclamation porte sur les bases des impôts sur les revenus ou des taxes sur le chiffre d’affaires ».
  • 12.
    V. rapport de Jerôme Dian, préc. cit., p. 83 : « Sur la période 2010-2013, le nombre (1340 opérations en 2013) de vérifications préalables à un remboursement a diminué de plus de 23 % et les droits rappelés (22 780 € médiane des droits rappelés) ont suivi la même tendance ». Quant au contrôle sur pièces des demandes de remboursement de crédit TVA, « sur la période 2010-2013, le taux de rejet a augmenté sur la période de 0,4 point. Ce résultat ne doit pas masquer la diminution constante de la médiane des droits rappelés en contrôle fiscal externe préalable à remboursement de crédit. La dégradation constante de cet indicateur d’efficience du contrôle traduit ici aussi les difficultés, pour l’administration fiscale, de ciblage des déclarations dont le contrôle s’avèrerait pertinent ».
  • 13.
    ICE : inspection de contrôle et d’expertise des entreprises. Une ICE est compétente au niveau d’un service des impôts des entreprises donc au niveau local chargé en général d’instruire les demandes de remboursement de crédit TVA.
  • 14.
    D. n° 2007/566, 16 avr. 2007, codifié aux art.  205 à 210 de l’annexe II au CGI et commenté par le BOI 3 D-1-07 n° 66 du 9 mai 2007.
  • 15.
    Rapport d’information n° 8 (2007-2008) de Mme Beaufils M.-F., fait au nom de la commission des finances, 3 oct. 2007, 2e partie.
  • 16.
    Direction générale des finances publiques.
  • 17.
    V. A., 24 mai 1996, régissant un traitement informatisé de gestion des remboursements des crédits de taxe sur la valeur ajoutée dénommé REBECA à la Direction générale des finances publiques ; et A., 15 déc. 2009 : JO n° 12, 15 janv. 2010.
  • 18.
    Une grille d’analyse risque existe aussi pour le remboursement du crédit d’impôt recherche. Le ministère en charge de la Recherche a précisé que ses services ont été consultés par la DGFiP pour établir « une grille d’analyse de risques pour le traitement des demandes de remboursement de créances de CIR déposées par les entreprises ». Cette grille est actuellement expérimentée par la DGFiP. V. réponse à M. De Ganay C., n° 38813 : JO, 24 déc. 2013, et réponse à M. Estrosi C., n° 39471 : JO, 4 févr. 2014.
  • 19.
    Direction des grandes entreprises.
  • 20.
    V. LCI Économie, 22 déc. 2015 : le service de la gestion fiscale appartenant au département de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) a rédigé une note révélant que le montant de la fraude à la TVA pour l’année 2012 s’élevait à 17 milliards d’euros. V. aussi Masson V., Le Figaro économie, 22 déc. 2015.
  • 21.
    Pour un ex., v. CAA Bordeaux, 5e ch., 26 juin 2012, n° 11BX00096. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CAA/Bordeaux/2012/CETATEXT000026129769. V. égal. sur la justification comptable du droit à déduction : CAA Marseille, 4e ch., 6 nov. 2012, n° 09MA01458. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CAA/Marseille/2012/CETATEXT000026601548.
  • 22.
    OASIS : outil d’aide servant à la sélection de dossiers et à l’interrogation pour les inspections spécialisées. A., 13 déc. 2007, modifiant A., 27 avr. 2004, relatif à la mise en service par la Direction générale des impôts d’un traitement automatisé d’aide à la sélection et au contrôle des dossiers des entreprises : JO n° 0012, 15 janv. 2008, texte 64. Cet outil est en lien avec l’application RIALTO (A., 11 avr. 2006, relatif à la création par la Direction générale des finances publiques d’un traitement informatisé d’aide aux opérations de contrôle externe dénommé « RIALTO » : JO n° 95, 22 avr. 2006, texte 25).
  • 23.
    Le code APE (activité principale exercée) permet d’identifier la branche d’activité principale de l’entreprise ou du travailleur indépendant.
  • 24.
    Jugement porté en 2007, donc à relativiser, par les adhérents du syndicat Solidaires SNUI section de Haute Garonne, p. 13. Document accessible sur internet comme contribution au contrôle fiscal sur le site : http://solidairesfinancespubliques.fr/agt_adh/actualite/controle_fiscal/2007/SNUI_31_CF2007_1.pdf.
  • 25.
    A., 4 avr. 2011, relatif à la mise en service par la Direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé d’aide à la sélection et au contrôle des dossiers des professionnels dénommé « SIRIUS PRO » : JO n° 0093, 20 avr. 2011, texte 35.
  • 26.
    V. la fiche « Contrôle fiscal : il faut des moyens ! ! », UNSA concernant le groupe de travail contrôle fiscal du 8 sept. 2015, publiée sur le site de l’organisation syndicale.
  • 27.
    Bénéfice industriel et commercial/impôt société.
  • 28.
    Signalé par le Rapp. n° 2260, fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2015, préc. cit., p. 39.
  • 29.
    Vérification du numéro de TVA possible des entreprises étrangères sur le site http://ec.europa.eu/taxation_customs/vies/.
  • 30.
    CJCE, 14 févr. 1985, n° 268/83, Rompelman ; CJCE, 29 févr. 1996, n° C 110/94, INZO ; CJCE, 15 janv.1998, n° C 37/95, Ghent Coal Terminal.
  • 31.
    CJCE, 29 févr. 1996, n° C 110/94, INZO, préc.
  • 32.
    Pour une vision plus large, v. « La mise en œuvre du plan de relance de l’économie française », communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Cour des comptes, juill. 2010.
  • 33.
    La loi Sapin 2 renforce l’attention des pouvoirs publics sur les délais de paiement interentreprises avec un effet de dissuasion qui passe par un renforcement des sanctions se traduisant par le relèvement significatif de 375 000 € à deux millions d’euros du plafond de l’amende administrative encourue en cas de non-respect de la réglementation. L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 123.
  • 34.
    Pour les dépenses de l’État en général, v. le rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement 2015, févr.  2016, « Les délais de paiement dans le secteur public d’État », p. 37 : le délai global moyen a fortement baissé à compter de l’année 2012 pour atteindre 18,3 jours fin 2014.
  • 35.
    V. la page du site de performance du gouvernement : http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2015/pap/html/DBGPGMOBJINDPGM200.htm.
  • 36.
    Ibid.
  • 37.
    Toutefois, le Rapp. AN n° 4272 déjà cité donne quelques chiffres pour 2015 : « Le montant des droits rappelés par l’Administration au titre des remboursements de crédits de TVA a résulté, à 87 %, de contrôles faits par l’Administration depuis ses bureaux. Ainsi, ce montant de droits rappelés a été réparti de la manière suivante : 1,32 milliard d’euros rappelés au titre de décisions de rejet des demandes prises dans le cadre de contrôles depuis les bureaux de l’Administration et 195 millions d’euros rappelés au titre de décisions de rejet résultant de procédures de vérifications de comptabilité ».
  • 38.
    L’absence de réponse dans les délais vaut décision implicite de rejet. La jurisprudence analyse donc l’absence de décision comme valant rejet de la demande. Le nouveau texte constitue donc une nouveauté importante en inversant la conclusion à l’absence de réponse dans les délais. V. CE, 9/10 SSR, 20 oct. 2000, n° 198304, mentionné aux tables du recueil Lebon : « Ont le caractère d’un dégrèvement contentieux de la même nature que celui prononcé par un tribunal au sens de l’article L. 208 du Livre des procédures fiscales les remboursements d’un crédit de taxe sur la valeur ajoutée effectués après l’intervention d’une décision de rejet née du silence gardé dans un délai de six mois par l’Administration sur la réclamation d’un assujetti établi hors de France, alors même que le droit à remboursement ne procèderait pas, à l’origine, d’une erreur commise par l’Administration dans l’assiette ou le calcul d’une imposition. Ils doivent dès lors donner lieu au versement d’intérêts moratoires. Tel n’est pas le cas, en revanche, du remboursement effectué par l’Administration moins de six mois après la production par le contribuable des pièces justificatives requises à l’appui d’une demande de remboursement, soit dans le délai imparti à l’Administration pour statuer sur la réclamation par l’article R. 198-10 du Livre des procédures fiscales, lequel doit être regardé comme ayant le caractère d’un dégrèvement d’office ».
  • 39.
    CE, 7e, 8e et 9e ss-sect. réunies, 8 janv. 1982, n° 09766, association syndicale d’arrosage de Courbiac, PB.
  • 40.
    V. IFRAP, Servière S.-F., « Quand le fisc parle de "relation de confiance" aux entreprises », 8 févr. 2013. Lancé en 2013, ce programme vise à apporter stabilité et sécurité fiscale aux entreprises. Il permet à l’Administration d’accompagner l’entreprise dans ses processus déclaratifs avant dépôt, conduisant ainsi une revue de ses options et obligations fiscales.
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