Entreprises préparez-vous à la facturation électronique !

Publié le 20/04/2023
Entreprises préparez-vous à la facturation électronique !
©leszekglasner / AdobeStock

L’obligation de facturation électronique, e-invoicing, va prochainement modifier les habitudes des entreprises. En effet, à partir du 1er juillet 2024, la facture électronique devient une obligation légale pour toutes les entreprises assujetties à la TVA. Quelles sont les entreprises concernées ? Comment fonctionnera la facture électronique ? Quelles sont les mentions obligatoires ? Comment s’y préparer au mieux ? Le point avec Boris Sauvage, vice-président en charge des études numériques du Conseil national de l’ordre des experts-comptables.

Actu-Juridique : Pourquoi la facturation électronique est-elle devenue obligatoire ?

Boris Sauvage : La facturation électronique – encore appelée e-invoicing – en tant que système permettant d’échanger entre fournisseur et client des données structurées, ne date pas d’aujourd’hui. Cela remonte à la fin des années 1990, notamment dans le secteur de la grande distribution. L’objectif étant pour les grandes enseignes d’obtenir les factures de leurs fournisseurs dans un format structuré directement intégrable dans leur système d’information (ERP) afin d’automatiser leur processus. À la base, l’idée est bien celle de la performance mise en œuvre par le secteur privé. Certains États dont la TVA est la principale ressource fiscale et accusant d’importants écarts dans la collecte, ont vu l’opportunité de s’immiscer dans ce processus afin de récupérer les données relatives à cet impôt. D’un système initialement volontaire et privé, il est donc devenu contraint et étatique au début des années 2000 dans certains pays d’Amérique du Sud. Jusqu’à gagner l’ensemble des continents.

Ainsi l’obligation en Italie date du 1er janvier 2019 et aurait permis de récupérer depuis sa mise en œuvre plus de deux milliards de TVA. En France, l’écart de TVA est estimé à plus de 12 milliards par an. Cette obligation devrait donc permettre de le réduire, tout en permettant des gains de productivité aux entreprises. En effet, on estime le coût de traitement d’une facture papier de 5 à 20 € selon qu’elle soit entrante ou sortante, tandis qu’il est inférieur à 1 € dans le cadre de l’e-invoicing.

Bien d’autres avantages viennent soutenir cette obligation tels que la réduction des délais de paiement et un meilleur pilotage par l’État de ses politiques économiques.

AJ : Quelles sont les entreprises concernées ?

Boris Sauvage : Les entreprises assujetties à la TVA et domiciliées en France sont concernées. Y compris les entreprises non redevables comme les micros entreprises ou les autoentrepreneurs, ceci afin d’exercer une surveillance sur le dépassement des seuils. Cela signifie notamment que les particuliers ne sont pas concernés par la facturation électronique ni les associations à objet non commercial. Les entreprises non domiciliées en France ne sont pas plus soumises, car il n’était pas concevable de les contraindre à ouvrir des comptes de réception sur des plate-formes françaises.

AJ : Qu’est-ce qu’une facture électronique ? En d’autres termes une facture « papier » scannée, un PDF de document généré par le logiciel de facturation puis envoyé par mail est-il considéré comme une facture électronique ?

Boris Sauvage : Dans le cadre de la réforme, on parle de « facturation électronique » ce qui est plus large que la « facture électronique ». Dans le langage courant, parler de facture électronique équivaut à parler d’une facture PDF établie par un fournisseur et envoyée par mail à son client. La facturation électronique, c’est beaucoup plus que cela.

Pour bien comprendre, il faut concevoir qu’une facture PDF, équivaut à l’image comme celle d’un « chat » pour un ordinateur. Ça ne lui dit rien des informations qu’elle contient. Autrement dit, elle n’est pas directement exploitable par un logiciel de gestion ou comptable. Il faut passer un OCR qui est entraîné à reconnaître des caractères puis les étiqueter pour leur donner une signification. Or cette reconnaissance n’est pas fiable à 100 % ce qui nécessite une étape de vérification par un opérateur, voire de correction. C’est seulement après cette étape que les factures sont dites « structurées » c’est-à-dire lisibles et interprétables par un logiciel partageant le même langage.

Avec la facturation électronique, il s’agit d’éditer nativement les factures dans un format structuré. Et pas n’importe lequel : il faut que le format soit compréhensible par les logiciels de traitement. C’est pour cela que trois formats sont admis : l’UBL, le CII et le Factur-X.

Un projet de directive au niveau européen prévoit de faire évoluer l’acception du terme « facture électronique » qui signifierait « facture électronique structurée ».

AJ : Quelles sont les mentions obligatoires ?

Boris Sauvage : Toutes les mentions contenues dans une facture ne seront pas nécessairement obligatoires, certaines ayant un caractère exclusivement commercial et convenues entre fournisseur et client.

Celles qui seront obligatoires correspondent aux données qui devront être transmises à l’administration fiscale. Elles seront au nombre de 26 dans un premier temps puis à terme de 34, comprenant ce que l’on qualifie de « ligne de facturation » correspondant à la description du produit ou à la prestation objet de la transaction. Les professions soumises au secret professionnel en seront naturellement exonérées.

AJ : À partir de quand les entreprises devront-elles être en mesure de recevoir des factures électroniques ?

Boris Sauvage : Toutes les entreprises assujetties à la TVA et domiciliées en France devront être en mesure de recevoir des factures électroniques au format structuré à compter du 1er juillet 2024. Pour cela elles devront avoir choisi un compte de réception sur une plateforme privée dite de dématérialisation partenaire (PDP) dûment immatriculée par les services de l’État, soit sur le portail public de facturation (PPF). À défaut de choix exprès, ce compte devrait être créé sur le PPF.

AJ : À partir de quand doivent-elles les émettre ?

Boris Sauvage : L’obligation d’émission sera progressive selon un calendrier en trois étapes séquencées selon la taille des entreprises assujetties à la TVA et domiciliées en France :

  • 1er juillet 2024 pour les grandes entreprises ;

  • 1er janvier 2025 pour les établissements de taille intermédiaire ;

  • 1er janvier 2026 pour les petites et moyennes entreprises.

La taille de l’entreprise est appréciée selon les critères définis à l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie et s’appréciera au 30 juin 2023, sur la base du dernier exercice clos avant cette date ou, en l’absence d’un tel exercice, sur celle du premier exercice clos à compter de cette date.

Les entreprises pourront toujours devancer leur échéance.

Au regard de ce calendrier, on comprend naturellement que toutes les entreprises, y compris les TPE-PME, seront concernées dès le 1er juillet 2024 car, si elles n’ont pas d’obligation d’émission, elles recevront nécessairement des factures en provenance de grandes entreprises. Je pense en particulier à leurs fournisseurs d’énergie ou de téléphonie. C’est la raison pour laquelle elles ne doivent pas ignorer ce phénomène au risque de compromettre leurs approvisionnements.

AJ : Y a-t-il des opérations exclues de l’obligation d’émettre une facture électronique au sens de la réforme ?

Boris Sauvage : Certaines opérations doivent, par leur nature, être exclues du champ de l’obligation de facturation électronique. Logiquement, il s’agit des opérations bénéficiant d’une exonération de TVA au titre des articles 261 à 261 E du Code général des impôts, à moins que l’assujetti opte pour la soumission à la TVA. Ces situations recouvrent notamment :

  • les prestations effectuées dans le domaine de la santé (CGI, art. 261-4, 1°) ;

  • les prestations d’enseignement et de formation (CGI, art. 261-4, 4) ;

  • les opérations immobilières (CGI, art. 261-5) ;

  • les opérations réalisées par les associations à but non lucratif (CGI, art. 261-7) ;

  • les opérations bancaires et financières et les opérations d’assurance et de réassurance (CGI, art. 261 C).

À titre subsidiaire, les opérations rentrant dans le cadre du secret-défense sont également exclues.

AJ : Comment fonctionne la facturation électronique ?

Boris Sauvage : En matière d’e-invoicing, outre le premier principe qui est celui de devoir éditer ses factures dans un des formats structurés fixés par la réglementation, le deuxième consiste à devoir router ces factures via des plateformes interconnectées sur lesquelles les assujettis devront avoir créé un compte. Les factures partent donc du compte d’émission du fournisseur pour atterrir dans le compte de réception du client et ce de manière totalement sécurisée.

Ces plateformes sont alors chargées de contrôler la validité du format des factures ainsi que leur conformité aux exigences réglementaires en particulier à la complétude des mentions obligatoires. La plateforme de l’émetteur de la facture sera chargée d’extraire les données de facturation obligatoires qui sont transmises à l’administration via le portail public de facturation (PPF). Ceci à moins que la plateforme du destinataire ne soit le PPF qui aura la charge de cette opération.

Ce mode de routage est impératif : interdiction donc de transmettre une facture par des voies extérieures comme le courriel ou le courrier postal ou encore en main propre.

Un troisième principe consiste à gérer le cycle de vie des factures. En effet, il est important que certains statuts ayant un impact sur la TVA soient communiqués à l’administration fiscale. Il s’agit des statuts d’émission, de rejet ou de refus de la facture ainsi que d’encaissement dans le cadre des prestations de service. D’autres statuts sont également et possiblement échangés entre fournisseurs et clients et leur permettront de dialoguer autour d’une facture dont elles connaîtront en temps réel le cheminement. Pour faire fonctionner ce système d’information, la France a choisi de s’appuyer sur des plateformes privées autrement dénommées « plateformes de dématérialisation partenaires » (PDP) et un portail public de facturation (PPF) construit sur la base de l’actuel Chorus pro déjà éprouvé dans le cadre de la facturation vers la sphère publique.

Chaque entreprise aura le choix d’utiliser la solution la mieux adaptée à son mode de fonctionnement. Ce pourra être le PPF, gratuit, notamment lorsque le volume de facturation est faible, tout aussi bien qu’une PDP, payante, conçue pour un dialogue optimal entre l’entreprise et son système d’information ou celui de son expert-comptable, par exemple.

AJ : Les entreprises non concernées par la facturation électronique auront toutefois une obligation de e-reporting…

Boris Sauvage : Lorsqu’une entreprise assujettie à la TVA et domiciliée en France réalisera une transaction avec un particulier ou une entreprise non domiciliée en France, il n’y aura pas d’obligation d’e-invoicing. Néanmoins, elle sera tenue de transmettre à rythme régulier à l’administration fiscale, via le PPF ou une PDP certaines données relatives à chaque transaction. C’est ce qu’on nomme le « e-reporting ». Ces données à transmettre à l’administration se distinguent selon deux cas de figure. D’une part, s’agissant des transactions avec les non-assujettis (B2C), dix mentions obligatoires sont à transmettre permettant notamment de déterminer s’il s’agit d’opérations ayant donné lieu à facture. Dans le cas contraire elles pourront être regroupées par période tout en précisant le nombre de transactions concernées. D’autre part, s’agissant des opérations avec les assujettis non domiciliés en France (B2B international), les données à transmettre seront identiques à celles transmises dans le cadre du e-invoicing à l’exclusion du numéro unique d’identification (SIREN) de l’assujetti non établi en France qui sera remplacé par un identifiant à définir par arrêté ministériel.

Contrairement au e-invoicing qui organise une transmission des données de facturation concomitante au dépôt de la facture sur la plateforme d’émission, le e-reporting permet une transmission de données regroupée, décalée à un rythme déterminé selon le régime fiscal de l’assujetti.

L’obligation de e-reporting s’imposera progressivement aux mêmes échéances que l’obligation d’émission du e-invoicing.

AJ : Existe-t-il des sanctions en cas de non-respect des obligations de facturation électronique et de transmission des données ?

Boris Sauvage : Le non-respect de ses obligations en matière d’e-invoicing expose l’assujetti à une pénalité de 15 € par facture, dans la limite de 15 000 € par an.

Le non-respect par l’assujetti des obligations en matière d’e-reporting sera sanctionné, quant à lui, d’une amende de 250 € par transmission, dans la limite de 15 000 € par an.

AJ : Comment l’entreprise doit-elle se préparer à la facturation électronique ?

Boris Sauvage : Les entreprises qui sortiront gagnantes de cette réforme sont celles qui, plutôt que d’y voir que les contraintes, en saisiront toutes les opportunités. Celles d’une automatisation et d’une meilleure gestion de ses cycles de facturation. Ce qui doit permettre de bonifier sa trésorerie, de mieux piloter son activité avec des informations contemporaines et enfin de réduire ses charges administratives. Mais cela demande un investissement initial de compréhension et d’analyse. Qui sont mes clients et, partant, quelle est la place du e-invocing et du e-reporting dans mon activité ? Quels sont mes processus de facturation, de validation, de comptabilisation et d’archivage ? Comment puis-je automatiser tout cela ?

L’exercice le plus épineux concernera le e-reporting qui, s’il n’est pas automatisé, représentera une opération fastidieuse et chronophage obligeant le chef d’entreprise à se connecter régulièrement au PPF ou à sa PDP pour saisir ses données de transaction, voire ses données de paiement. Lorsqu’il y a lieu et en particulier pour les nombreux commerces, l’idéal sera de pouvoir connecter sa caisse à une plateforme d’émission pour y déverser automatiquement les données.

Lorsque l’entreprise établit une facture, et plus spécifiquement dans le cadre des prestations de service, l’intérêt serait de pouvoir l’éditer sous le même format que celles émises dans le cadre du e-invoicing. Et ainsi de la déposer sur sa PDP qui se chargera d’extraire et transmettre les données de transaction puis de router la facture vers son destinataire en utilisant l’email. Seules les PDP pourront proposer une telle prestation, le PPF ne gérant pas la facturation en dehors du champ du e-invoicing.

Pouvoir gérer tous les flux de facturation mais également de transmission des données à l’administration sera à n’en pas douter, une valeur ajoutée décisive des PDP pour permettre aux entreprises de rationaliser leur processus de facturation. Pour cela, les entreprises pourront s’appuyer sur les experts-comptables. La gestion de ces processus est au cœur de leur activité. Avec une efficacité inégalée, forts d’une expérience forgée et mutualisée auprès de leurs nombreux clients, mais également de l’Ordre qui accompagne la profession.

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