Paris (75)

Impact économique du Covid-19 : « L’Île-de-France a été touchée davantage que le reste de la France »

Publié le 08/03/2021

Sur la période allant de mars à octobre dernier, l’Institut Paris Région a rassemblé les données disponibles afin de livrer un dossier détaillé sur les impacts de la crise liée au coronavirus sur le territoire de la région Île-de-France. Les auteurs parlent à la fois d’un « choc d’offre » et d’un « choc de demande », affectant « aussi bien l’économie résidentielle que l’économie productive ». Entreprises et salariés ont alors été mis « sous perfusion » tandis que le déconfinement du 11 mai dernier a permis une « reprise ». Mais la crise sanitaire persiste et les conséquences à long terme sont encore incertaines. Entretien avec Carine Camors, coordinatrice de l’étude et socio-économiste au sein de l’Institut Paris Région.

Les Petites Affiches : Dans quel cadre ce dossier a-t-il été réalisé ?

Carine Camors : Nous travaillons avec la région Île-de-France à la préparation du schéma régional de développement économique, un dossier technique pour la région et nos partenaires économiques. Le but est d’apporter un éclairage supplémentaire. Les experts du département économie de l’Institut ont fait une veille des données disponibles depuis mars dernier et ont produit une synthèse à partir des observations et des informations qui arrivaient au compte-gouttes. Il a fallu confronter plusieurs sources pour essayer de faire un état des lieux. L’idée était de faire un bilan de cette période pour avoir une trace et dresser les enjeux. Tous ces travaux alimentent un bilan qui va permettre d’envisager le nouveau schéma pour les cinq prochaines années.

LPA : Pourquoi avoir arrêté l’étude au mois d’octobre dernier ?

C.C. : Le dossier technique est paru en octobre 2020 mais une « note rapide » est sortie en février 2021 avec une actualisation et des éléments sur le deuxième confinement en précisant qu’il avait été moins pesant et dévastateur que celui de mars dernier. On note tout de même un recul de 4 % au 4e trimestre par rapport au 3e et – 8,3 % du PIB sur l’année 2020 selon l’Insee Île-de-France.

LPA : En quoi l’économie francilienne a-t-elle été « désavantagée » par rapport au reste du territoire ?

C.C. : L’Île-de-France a été touchée davantage que le reste de la France, au regard de la typologie de son économie, très dépendante des secteurs les plus impactés par la pandémie : culture, tourisme, industrie et commerce. Le confinement qui s’en est suivi a été dramatique pour ces secteurs, un choc soudain et brutal.

LPA : L’étude montre également une hétérogénéité sur l’ensemble du territoire…

C.C. : Nous n’avons pas de données très fines, mais les territoires particulièrement touchés se situent dans le nord-est de la région, notamment en Seine-Saint-Denis, avec les populations les plus précaires et un taux de chômage élevé. La crise a démultiplié les inégalités socio-spatiales. Ce sont aussi dans ces territoires que se trouvent les « travailleurs-clés » des activités « essentielles » (livreurs, agents de nettoyage, aides à domicile, etc.). Nous en avions conscience mais nous ne nous rendions pas compte à quel point ils étaient surreprésentés en Seine-Saint-Denis : 25 % des livreurs y habitent, 25 % des éboueurs, des conducteurs de transport public, des agents de propreté et 18 % des aides à domicile, des routiers, alors que ce département concentre 12 % de l’emploi régional. Les pôles d’Orly et de Roissy ont été très impactés également avec l’arrêt des vols. Tout comme le centre de Paris qui concentrait des emplois de bureaux, des lieux touristiques et culturels majeurs, et qui a souffert du départ de beaucoup d’habitants : 450 000 personnes ont quitté Paris au moment du confinement.

LPA : L’étude dénombre 180 000 emplois « détruits ». Qu’est-ce que cela signifie ?

C.C. : Au premier semestre, l’économie enregistre une perte de 180 000 emplois. Sachant que cette baisse apparaît dans un contexte de dynamique économique, en croissance d’emploi avec des pics à + 100 000 emplois en 2018 et + 92 000 en 2019. Le choc a été très soudain, imprévisible. Il a fallu l’absorber, notamment par des plans de relance : 100 M€ pour protéger les secteurs très impactés et reconstruire un modèle économique et social plus résilient. Le soutien public a permis d’éviter l’effondrement de l’économie via le chômage partiel notamment.

LPA : Quelles filières ont réussi à tirer leur épingle du jeu ?

C.C. : Les « gagnants » sont les plateformes du numérique. La culture s’est consommée à distance, notamment par la diffusion en streaming de films, de spectacles ou de concerts. L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) fait état d’une hausse de 30 % du trafic internet durant le printemps 2020. Le e-commerce sort également son épingle du jeu, un modèle qui s’est imposé pendant le confinement, au détriment des magasins physiques. Ces nouveaux comportements des Franciliens et Franciliennes se sont démocratisés. Ces consommateurs ont l’intention de continuer leurs achats en ligne, ce qui implique des besoins grandissant en termes de logistique, de stockage et de livraison.

LPA : Le télétravail s’est généralisé. Cette pratique induit-elle des changements profonds ?

C.C. : Tout à fait. Le télétravail est devenu la norme pendant le confinement. Cette pratique du télétravail à domicile pose la question des mètres carrés de bureaux inutilisés. Peut-être va-t-on aller vers des modes de travail plus hybrides. On pourra travailler de chez soi, mais aussi dans des espaces autres, par exemple de coworking, dans des tiers lieux, chez des amis ou des parents. La crise questionne les lieux de travail, mais aussi les mobilités. Tout le monde est d’accord pour lisser les heures de pointe, décaler les horaires d’arrivées et de départ. On n’est plus obligé de venir sur son lieu de travail, la « performance » n’est plus corrélée au temps de présence au bureau. Les entreprises qui avaient anticipé cette mutation s’en sont mieux sorti que les autres.

L’Institut Paris Région réfléchit aux grands défis au cœur de ce nouveau modèle. En premier lieu, nous proposons la recherche d’un modèle plus sobre en termes de ressources, avec pour objectif la neutralité carbone. Ensuite, derrière la baisse du PIB, on constate une amélioration d’indicateurs environnementaux, ce qui amène à s’interroger : la croissance économique est-elle compatible avec la neutralité carbone (zéro émissions nettes) ? Il faut prendre conscience de cette période et ralentir. Il y a une nécessité pour beaucoup de secteurs de repenser leur modèle. Des mutations ont été confirmées et accélérées. Pour le télétravail, nous avons gagné 10 ans alors qu’il y avait beaucoup de freins et de réticences à sa mise en place. Cela a quand même bousculé les services de RH et les services informatiques.

LPA : Vous dressez un bilan assez sombre. Pourquoi ?

C.C. : Tout le secteur industriel est complètement ravagé. L’arrêt des vols a été une catastrophe pour l’aéronautique. Or l’Île-de-France est la première région aéronautique d’Europe, avec plus de 100 000 personnes, dont beaucoup de sous-traitants. Les perspectives sont assombries pour un secteur florissant avant la crise. Le tourisme a également passé une année noire. On note – 60 % de fréquentation des hôtels au premier semestre. Quant à la culture, c’est dramatique. L’Île-de-France compte près de la moitié des emplois culturels de la France (45 %). Une étude du ministère de la Culture a montré une baisse de 25 % du chiffre d’affaires du secteur, et jusqu’à 72 % pour le spectacle vivant.

LPA : Que proposez-vous pour dépasser cette crise ?

C.C. : La quatrième partie du dossier est consacrée aux grands défis : la sobriété, déjà citée (neutralité carbone, économie décarbonée, etc.) ; l’inclusion (avec un développement qui profite à tous et qui vise à réduire les inégalités, solidarité, vieillissement de la population, services de qualité et inclusifs dans l’éducation, etc.) ; la résilience (relocalisation, circuit court, souveraineté, etc.) et l’innovation (numérisation, investissement filières vertes, recherche, formations, etc.).

LPA : Y-a-t-il eu des résultats inattendus ?

C.C. : Je dirais que nous avons été surpris par la rapidité avec laquelle l’économie et la société en général s’est adaptée à la vie « en distanciel ». La crise a changé notre manière de travailler, d’habiter, de se déplacer, de se soigner, de vivre la ville et de la concevoir… Mais la grande question est : comment penser la croissance économique dans ces conditions, avec l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050 ? Il va falloir innover dans les énergies bas carbone et ne plus produire autant qu’on le faisait afin de répondre aux objectifs de l’Accord de Paris pour le climat, à savoir limiter le réchauffement à 2 degrés. Pour la France, qui souhaite ne plus émettre de CO2 à l’horizon 2050 alors que les énergies fossiles représentent environ 80 % des émissions de CO2, il faut investir dans des énergies renouvelables et décarbonées, et accélérer la transition énergétique de la manière la plus efficiente et la plus soutenable possible, d’un point de vue environnemental, social et économique. Les citoyens sont en train de prendre conscience de ces bouleversements. On ne s’attendait pas, en parlant de crise liée à la pandémie, à avoir une occasion d’accélérer la révolution verte.

LPA : Que peut-on espérer pour l’avenir ?

C.C. : Il est difficile de faire de la prospective. L’avenir dépendra de la situation sanitaire (diffusion du vaccin) et des choix qui vont être faits par le gouvernement. Les tendances se sont tellement accélérées. On se rendait compte que le modèle était en train de changer mais on ne mesurait pas la vitesse à laquelle les choses étaient en train de bouger.

Ce qui est vraiment nouveau, c’est l’intégration de la gestion des risques sanitaires, les épidémies mais aussi les crues, les incendies, les risques sécuritaires dans tous les scénarios de développement du nouveau modèle francilien. Comment maintenir l’activité s’il y a de fortes perturbations ? Avant de le vivre, personne n’anticipait à ce point la façon dont l’activité pouvait continuer et s’adapter.

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