L’Ile-de-France, pôle d’excellence de la foodtech

Publié le 19/04/2018

En janvier dernier, le DigitalFoodlab confirmait la montée en puissance du secteur de la foodtech, alliance entre le numérique et l’alimentaire. Selon le dernier rapport de cette plate-forme d’accompagnement aux entreprises et investisseurs qui cherche à faire de la France le leader mondial du secteur, entre 2014 et 2016, le nombre de start-ups dédiées à la foodtech a été multiplié par trois. Mais mal réparties sur le territoire, elles se concentrent en Ile-de-France : plus de 60 % d’entre elles y sont d’ailleurs installées. Elles assurent 66 % des levées de fonds et 80 % des montants de levées de fonds. Focus sur l’un des secteurs d’excellence du Val-de-Marne (94), notamment par sa proximité avec le marché d’intérêt national (MIN) de Rungis et pour lequel la Chambre de commerce et d’indutrie 94 est aux petits soins avec les entrepreneurs.

« Quand j’ai ouvert mon affaire Mozza & Co en 2012, j’ai réalisé qu’au moment où mon restaurant avait besoin de denrées, les commerçants d’à côté étaient fermés ! », lâche Thibault Mérendon, 33 ans. C’est de son expérience, concrète, quotidienne de restaurateur qu’est née l’idée de ce qui allait devenir Fresh Me Up. Sa start-up, fondée il y a deux ans est une plate-forme qui met en place des partenariats locaux afin de lutter contre le gaspillage alimentaire. « On a voulu montrer qu’avoir de l’éthique peut avoir un fort impact pour l’écologie, le développement durable… mais aussi pour l’économie de son entreprise ! ».

Le principe ? Grâce à un compte créé sur Fresh Me Up, véritable plate-forme de ventes privées de produits frais, les fournisseurs (petits producteurs, commerçants de Rungis…) créent une notification lorsqu’ils sont en situation de surplus ou d’invendus : de l’autre côté de la chaîne, les Ehpad, les établissements de restauration, peuvent avoir accès à cette information, et surtout, bénéficier, « par rapport au prix catalogue, d’un rabais d’en moyenne 30 % », avance-t-il. Et « quand les stocks n’ont pas tous été achetés, on pousse les fournisseurs vers des associations », qui ont besoin de denrées. « Les notifications partent en bons, et les associations viennent les récupérer directement », explique encore Thibault Mérendon.

Une bonne idée qui a vu le jour dans un contexte particulier : celui d’une prise de conscience globale des enjeux de transparence dans la chaîne alimentaire, et l’envie de lutter, à son échelle contre le gaspillage : au lieu de partir à la poubelle, des produits encore bons connaissent une fin heureuse.

Répondre aux préoccupations sociales

« La tendance est de fond, reconnaît aisément Thibault Mérendon. La loi Hollande de 2015 (sur le gaspillage alimentaire, ndla), même si elle a été retoquée par le Conseil constitutionnel, est la première loi à avoir été votée à l’unanimité ! », s’enthousiasme le trentenaire. « Aujourd’hui, le premier pacte national contre le gaspillage alimentaire est actif et signé par la grande distribution, les grands groupements de producteurs, les consommateurs, les restaurateurs ». Fresh Me Up s’engage : l’entreprise fait partie du pôle « éducatif » afin de sensibiliser les professionnels à ces thématiques.

Du côté de la société civile, l’émergence de la foodtech prend du sens, surtout quand elle propose des projets engagés. Nicolas Guarino, scénographe et designer, entrepreneur francilien, né à Créteil dans le Val-de-Marne, a d’abord lancé un bar à cocktail, sans oublier ses premières amours, la restauration. Sans doute un héritage familial — il est issu d’une famille de restaurateurs — qui lui a transmis l’amour du terroir et des bons produits. Tombé dans la tech de façon personnelle, le scandale des œufs au fipronil de l’été 2017 résonne comme un catalyseur. « J’étais déjà sur cette thématique, mes recherches personnelles étaient dans le bon timing, et là, ça a été le scandale de trop », après les lasagnes de cheval, le concombre tueur, qui ont érodé la confiance des consommateurs, « il fallait redonner de la traçabilité des produits au consommateur », estime le designer. Inscrite dans ces valeurs, sa start-up Ethikchain (inspirée du nom de la blockchain, système de sécurisation des transactions) permet aux « technologies de simplifier et de transmettre ces infos qui sont très importantes », explique le fondateur. Ainsi, des deux côtés, producteur comme consommateur, la transparence devient le credo. « Le producteur, le transporteur, le transformateur s’enregistrent sur notre site, et chacun génère un QR code (code barre numérique) qui est scanné à chaque étape du produit ». L’utilisateur, lui, peut avoir accès aux magasins qui vendent les produits tracés de tel producteur, et une fois le produit sous les yeux, scanner le produit en question afin d’obtenir les informations sur « la race de la viande, le lieu d’abattoir, le mode de transport, etc. Ces informations relatives à la traçabilité redonnent confiance aux gens, et cela confère une valeur ajoutée pour la production du producteur », considère Nicolas Guarino.

Les solutions aux questionnements des consommateurs sont ainsi facilement disponibles… Sous réserve d’avoir un smartphone ou internet ! Car Nicolas Guarino souligne l’importance du retour d’expérience des utilisateurs. « Il existe toute la problématique du “back office’’ qu’on veut mettre en place. D’où nos discussions avec les producteurs pour simplifier l’interface au maximum ». Car, la start-up nation est en marche, mais pas encore pour tout le monde ! « Certains producteurs en sont encore à passer les commandes à la main », relève Nicolas Guarino. Thibault Mérendon se rappelle lui aussi avoir été confronté à ce frein de nature technologique. « Un artisan boucher nous contacte et il ne fait aucune transformation, donc il aurait des restes à fournir. Or il s’est avéré qu’il n’avait qu’un fax, pas d’internet et en guise de téléphone, un petit appareil classique, sans connexion à internet ! Pourtant, la bonne volonté était là », s’attendrit le jeune homme. « La restauration a pris les devants par rapport aux nouvelles technologies », avance-t-il, d’où un décalage à combler, et des ponts à créer pour lutter contre les réticences.

Mais le secteur suscite beaucoup d’espoirs : « nous aimerions atteindre le million d’utilisateurs en trois ans », table Nicolas Guarino, d’Ethikchain, persuadé que les clients y trouveront leur compte, et que son entreprise permettra, grâce à la traçabilité des produits, d’assainir la filière, et de pouvoir « retirer du marché, en un clic, les produits qui poseraient problème ».

Le Val-de-Marne se positionne

« Snacking bio sans allergènes, insectes consommables, mayonnaise sans œuf », autant de projets innovants auxquels s’intéresse Élodie Beiner, en charge de la foodtech et du Club régional Agroalia, à la CCI 94. Mais la foodtech francilienne ne tourne pas seulement autour de produits de consommation, puisqu’elle inclut « la tendance des box, les entreprises B to B, mais aussi le coaching alimentaire, les entreprises de supply chain ou encore la traçabilité », précise la jeune femme, qui a pour rôle d’orienter les entrepreneurs vers les bons interlocuteurs.

Le Club Agroalia aura un an en avril 2018, il regroupe déjà vingt entrepreneurs, sans compter « le parterre de partenaires dédiés à la filière agroalimentaire, acteurs institutionnels comme le Cervia (Centre régional de valorisation et d’innovation agricole et alimentaire), ou experts comme DigitalFoodLab », détaille-t-elle. Le but est de favoriser les échanges entre entrepreneurs, bien sûr, mais aussi d’organiser des ateliers mensuels, qui permettent d’aborder « une thématique chère aux entreprises : levées de fonds, développement des outils marketing, protection des données, structuration interne… et mise en relation avec des acteurs extérieurs ». En effet, le club a vocation à s’ouvrir à de grands groupes comme la grande distribution ou les Galeries Lafayette, les directions innovation des grands groupes qui s’intéressent aux potentiels de la foodtech.

« Parmi les membres du club, la majorité a entre 30 et 40 ans, certains ont des parcours de reconversion. Le club leur permet de mieux comprendre la filière de l’agroalimentaire. Face à des mastodontes, dont le marché de Rungis, il faut acquérir les bons codes, savoir comment aborder les choses, grâce notamment, aux retours d’expérience des autres », décrypte Élodie Beiner. Le fondateur de Fresh Me Up comme celui d’Ethikchain font partie de vingt membres du club. Pour Thibaut Mérendon, c’est une excellente idée de « mettre en réseau des start-ups de la gastronomie ». Il se réjouit des rendez-vous mensuels, occasion de « moment d’échange avec les formateurs » ou avec les autres professionnels.

Une chose est sûre, l’lle-de-France s’affiche comme leader dans le secteur, à côté du biomédical et des biosciences (l’Ile-de-France représente la première région européenne pour le nombre d’entreprises pharmaceutiques). En plus du Club Agrolia, il existe ainsi « une pépinière, Rungis & Co », précise Laura Chebab, responsable du service création d’entreprises à la CCI, qui a définitivement suivi le mouvement de la tech. Le lancement « d’un espace de coworking en septembre dernier, qui répond aux besoins des entrepreneurs nomades », précise Laura Chebab, comme leur permet de bénéficier de tout « l’écosystème des experts de la CCI », confirme cette tendance.

LPA 19 Avr. 2018, n° 135j4, p.4

Référence : LPA 19 Avr. 2018, n° 135j4, p.4

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