Propos introductifs à la troisième table ronde
« La troisième table ronde de ce colloque est consacrée à l’amélioration de l’indemnisation des préjudices économiques.
Améliorer c’est donner plus de valeur.
Pour évoquer cette amélioration, j’ai un quatuor absolument magnifique.
Au premier pupitre, un juge.
Nous commencerons par celui qui clôt le chemin judiciaire. Il nous a paru intéressant que ce soit le juge qui parle le premier pour nous dire, par son retour d’expérience, les difficultés qu’il rencontre, les soucis qu’il a dans le traitement des dossiers judiciaires.
Y a-t-il véritablement une sous-évaluation du préjudice économique ?
Pourquoi refusons-nous les dommages et intérêts punitifs ?
Si certains trichent, ne faut-il pas que les tricheurs soient punis ?
Pour en parler, donc, Olivier Douvreleur, président de la chambre 5-7 à la cour d’appel de Paris. Le pôle 5, c’est le pôle économique, l’entreprise, la concurrence, le droit économique et financier, et la chambre 5-7, c’est celle qui est en charge de la régulation économique et des finances publiques.
Après Olivier Douvreleur, vous entendrez un avocat, puis un expert et celui que j’ai appelé un sachant éclairé, car ce sachant est, pour la matière qu’il va traiter, une référence absolue.
M. Douvreleur, vous avez la parole.
(…)
Merci, monsieur le président, vous avez, de Tacite, la concision, et votre propos était parfait pour introduire cette table-ronde et placer la barre au niveau qu’il convient.
Le deuxième pupitre du quatuor, c’est celui de l’avocat.
J’aime les avocats. J’allais dire, ontologiquement, le bâtonnier aime les avocats. L’avocat, dans une société moderne comme la nôtre, c’est celui qui conseille, avise le justiciable, propose des solutions.
Or, c’est une vulgate de dire que la production législative, la multiplication des textes rendent l’appréhension des situations très difficile et que, en face du droit civil, du droit commercial, du droit prud’homal, du droit pénal, il est parfois très délicat de faire des choix.
Le choix, le conseil, c’est l’avocat qui le donne. L’avocat est un ingénieur du droit mais un ingénieur avec une âme, et cette âme, c’est sa déontologie.
C’est aussi le premier instrument de la sécurité juridique.
Si l’avocat se trompe, il n’y a pas de sécurité juridique. S’il n’y a pas de sécurité juridique, il n’y a pas de confiance. S’il n’y a pas de confiance, il n’y a pas une économie saine.
Le rôle de l’avocat est donc majeur.
Et puis, il doit parfois plaider, convaincre, persuader, emporter la conviction du juge…
Alors, est-ce que la situation de la réparation du préjudice économique est si inquiétante que cela ? À quel moment faut-il indemniser ?
C’est toujours intéressant de se poser la question de l’indemnisation lorsque l’auteur de la faute a disparu parce qu’il a déposé le bilan et qu’il est en liquidation, ou que la victime a disparu parce que c’est elle qui a été frappée d’une liquidation judiciaire en raison des comportements fautifs qu’elle a subis.
Quid des rapports d’expertise ? Nous y reviendrons. Des rapports d’expertise compliqués, difficiles à décrypter, parfois abscons, parfois contradictoires.
Je plains les juges ; un rapport qui dit blanc, un rapport qui dit noir. Que faut-il décider ?
Eh bien, l’avocat de notre colloque, c’est Thibaud d’Alès. Thibaud d’Alès, HEC, est associé de Clifford Chance. C’est à lui maintenant, avec grand intérêt, que je cède la parole.
(…)
Merci cher Thibaud d’Alès. En l’écoutant, vous avez constaté que les avocats sont inventifs, mais je le dis, pour madame le premier président, les propos de Thibaud d’Alès n’engagent ici que lui, et je le dis d’autant plus que je voyais le regard perplexe du secrétaire général de notre ordre, cela n’engage bien sûr pas l’ordre des avocats ; ce sont des idées prospectives pour améliorer les choses, que nous a exposées, avec beaucoup de talent, Thibaud d’Alès.
Troisième pupitre du quatuor, un expert.
L’expert judiciaire, dans le monde que nous vivons, est particulièrement important. C’est celui qui examine, analyse et avise. C’est celui qui va dire au juge, sur une question technique : “voilà, en conscience, ce qu’il faut penser du problème factuel que vous avez à juger”.
Dans les questions économiques, cela implique que l’expert connaisse, bien sûr, les marchés et l’entreprise. Il se trouve confronté aux avocats, partisans par nature, et au juge, parfois bien perplexe devant la solution qu’il doit apporter.
L’expert doit éclairer le juge.
Je suis toujours inquiet quand l’expert tente de se substituer au juge car l’expert n’est pas un juge.
Alors comment expertiser utile ? Comment faire que l’expertise permette d’arriver à une solution pertinente du litige dont le juge est saisi ? Faut-il, dans les dossiers économiques, que nous envisagions une nomenclature, à l’instar de la nomenclature Dintilhac ? Quid si la victime disparaît – je l’évoquais tout à l’heure ?
Et alors là, Mme le premier président, vous nous offrez un moment de bonheur absolu.
Vous savez les bâtonniers sont de grands mégalomanes et, comme tout grand mégalomane, je me suis imaginé un instant être Lorenzo de Médicis et voir dessiner dans mon palais, d’un côté, Léonard de Vinci, et, de l’autre, Michel-Ange.
Sous le regard de Maurice Nussenbaum, j’allais dire Leonardo Nussenbaum, nous allons avoir Olivier Peronnet, Michelangelo Peronnet. Un expert formidable, un expert lumineux pour nous parler aujourd’hui.
HEC, j’allais dire bien sûr, DESS de fiscalité, expert-comptable, commissaire aux comptes, expert près la cour d’appel depuis quinze ans, expert près la Cour de cassation, M. Peronnet, c’est avec infiniment de plaisir et beaucoup d’intérêt que je vous laisse la parole.
(…)
Merci, cher Olivier Peronnet, merci monsieur l’expert, vous l’avez tous compris, Didier Faury, cité huit fois, Didier Faury, c’est Donatello.
Alors, le quatrième et dernier pupitre, c’est celui consacré à l’amélioration de l’indemnisation des préjudices économiques en matière de droit de la concurrence, et j’ai parlé tout à l’heure du sachant éclairé qui allait maintenant prendre la parole.
Comment apprécier le préjudice économique en matière de droit de la concurrence et comment indemniser justement le consommateur ? Faut-il d’ailleurs l’indemniser ? Peut-on l’indemniser ? Quid des entreprises victimes ?
Et quid si le comportement fautif n’a pas changé les choses, c’est-à-dire si la mauvaise entente, si l’abus de position dominante a échoué dans la tentative d’éliminer d’autres acteurs du marché ? Est-ce qu’il y a là un préjudice non indemnisable, alors qu’il y a une faute absolument incontestable ?
Il y a, en matière de préjudice économique, dans le droit de la concurrence, une infinité de questions mêlées de droit et d’économie, et, pour en parler, Frédéric Jenny1.
Le nom de Frédéric Jenny est consubstantiellement lié au droit de la concurrence.
Frédéric Jenny a fait l’ESSEC. Il est docteur de l’université d’Harvard et docteur d’État en sciences économiques.
Mais ce n’est pas pour cela qu’il est connu. Il est connu parce qu’il a ensuite été rapporteur, puis rapporteur général, puis vice-président du Conseil de la concurrence et qu’il a enfin été conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire pendant de longues années.
Alors, écouter Frédéric Jenny parler droit de la concurrence est un pur bonheur. Pur bonheur auquel je vais me laisser aller maintenant, en lui cédant la parole.
(…)
Merci M. Jenny, c’est vraiment un plaisir de vous entendre.
Mesdames, messieurs, il nous reste quelques minutes avant de laisser la parole à Mme le professeur Chagny. Donc, s’il y a une ou deux questions dans l’assistance, nous allons essayer d’y répondre.
Monsieur, s’il vous plaît. (…)
Est-ce qu’il y a une autre question ? Madame. (…)
La question posée (problème de micro) était la suivante : les orateurs ont évoqué le damnum emergens, le lucrum cessans et la perte de chance, est-ce que ces préjudices sont cumulables ou est-ce qu’ils sont exclusifs les uns des autres ?
(…)
Je vais vous proposer de laisser la parole au professeur Chagny qui a la charge de la synthèse des travaux et qui pourra répondre à la question que vous venez de poser.
Merci infiniment de votre attention. Merci, madame le premier président, de nous avoir permis de participer à ce colloque ».
Notes de bas de pages
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1.
Dont l’intervention n’a pas été publiée dans ce numéro.