Cession de créance, limite des exceptions
Une décision qui semble être une application restrictive des principes jusqu’ici appliqués est l’occasion de faire le point en matière de cession de créance.
Cass. com., 15 mai 2019, no 17-27686, PB
La présente décision est l’occasion de faire le point en matière de cession de créance et de limite des exceptions qu’il est possible d’y opposer. À l’occasion d’une affaire dans laquelle des factures qui lui avaient été cédées dans les conditions prévues par le Code monétaire et financier1, une banque, bénéficiaire de la cession de créance (le cessionnaire), assigne le débiteur cédé en paiement de créances résultant de factures qui lui ont été cédées. Ce débiteur cédé demande la résolution de la vente, et, en conséquence le rejet de la demande de la banque, en invoquant que les factures résultent d’une vente de matériels qui ne lui ont pas été livrés. Cette argumentation a convaincu la cour d’appel qui a jugé que le mécanisme de la cession de créance induit que le cessionnaire, qui n’a pas la qualité de tiers à l’opération2, obtient la propriété de la créance, et vient aux droits et obligations du cédant, de sorte que le débiteur cédé peut lui opposer les différentes exceptions inhérentes à la créance, sans avoir à appeler le cédant en cause, le cessionnaire pouvant toujours l’appeler en garantie. La Cour de cassation, à l’inverse, a estimé qu’en l’absence du cédant, la cession d’une créance ne confère pas au cessionnaire la possibilité de se défendre, contre une demande de résolution du contrat dont procède cette créance3. On peut en conclure qu’en cas de cession de créance4, ce n’est pas le cessionnaire qui se défendra contre la résolution de l’opération à l’origine de la créance. Cela amène à faire le point sur le problème de la cession de créance (I) en général5, et celui de l’opposabilité des exceptions6 contre le cessionnaire (II)7 et des conditions de sa mise en œuvre.
I – Le principe de la cession de créance
La cession de créance8 est une convention par laquelle le créancier transfère à autrui, le cessionnaire, sa créance contre le débiteur.
A – Modalité
Cela s’applique aux sommes d’argent ou autres créances. Elle peut être à titre gratuit ou à titre onéreux, porter sur une ou plusieurs créances, présentes ou futures, déterminées ou déterminables. Elle ne requiert pas le consentement du débiteur cédé, à moins que la créance n’ait été stipulée incessible9. Aujourd’hui, à part l’écrit, obligatoire sous peine de nullité10, elle ne requiert plus aucune autre formalité, ni le consentement du débiteur cédé11.
Sauf stipulation contraire, le cessionnaire acquiert la créance à concurrence de son montant nominal, quel que soit le prix qu’il a payé.
B – Effet
L’effet principal de la cession de créance est translatif, le débiteur cédé devient débiteur du cessionnaire qui devient son créancier. Il se réalise à la date de l’acte et de la cession, mais est différé au jour de sa naissance si la cession porte sur une créance future12.
II – Opposabilité de la cession de créance
Sous réserve que soient respectées certaines conditions, la cession de créance est opposable au débiteur cédé (A) qui pourra cependant opposer des exceptions (B) au cessionnaire.
A – L’opposabilité de la cession de créance
La cession de créance est opposable au débiteur cédé, à compter de la date de l’acte de notification s’il n’y a pas consenti par anticipation, ou dans l’acte de cession13. L’acceptation de la cession de créance par le débiteur cédé peut être expresse, faite par un mandataire, une procuration sous seing privé est suffisante14, ou tacite, par exemple un paiement partiel aux mains du cessionnaire. Elle résulte de tout fait impliquant la connaissance de l’existence de la cession de créance, une acceptation non équivoque est nécessaire15. La simple perception de loyers payés par le cessionnaire ne constitue pas une acceptation tacite de la cession du bail16.
Le débiteur de la créance cédée qui n’a pas accepté la cession ne peut refuser de payer le cédant parce qu’il est tiers à la cession17. Le débiteur cédé se libère valablement entre les mains du cédant. Ses paiements sont opposables au cessionnaire, à charge pour lui de justifier de ses versements, mais sans qu’il lui soit imposé de produire des quittances authentiques18, la connaissance de l’opération par le biais d’une lettre recommandée suffit. Cependant, au cas où le débiteur cédé aurait commis une faute, une imprudence ou une fraude, il est tenu au paiement entre les mains du cessionnaire19.
La cession de créance entraîne le transfert de la créance elle-même mais aussi de ses accessoires.
La cession de créance a désormais l’opposabilité immédiate. Entre les parties, le transfert de la créance s’opère à sa date, elle doit être constatée par écrit20. La preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire, qui peut la rapporter par tout moyen21. Une créance future n’est prise en compte qu’à compter du jour de sa naissance.
L’opération entraîne la substitution de la qualité de créancier du cédant au cessionnaire, qui acquiert la créance et toutes les garanties accessoires, si le cédant transmet sa créance au cessionnaire avec tous ses accessoires. Il doit la lui transmettre également avec toutes les exceptions qu’elle comporte, tant avec ses avantages qu’avec ses faiblesses, ce qui permet au débiteur de faire valoir contre les cessionnaires les exceptions qu’il aurait pu opposer à son créancier initial.
B – Opposabilité des exceptions
La cession porte sur la créance et ses accessoires, y compris les intérêts moratoires, les actions en justice, les droits réels et personnels22. Le débiteur cédé pourra donc opposer au cessionnaire toutes les exceptions23, personnelles ou réelles, qu’il aurait été amené à faire contre le cédant : action en nullité, en rescision, et causes diverses d’extinction24.
Il ressort de la présente décision qu’en cas de cession de créance, ce n’est pas le cessionnaire qui se défendra contre la résolution de l’opération à l’origine de la créance, ce qui est de nature à limiter l’application du principe lié à l’opposabilité de la cession de créance et à ses conséquences.
Pour les exceptions inhérentes à la dette25 antérieures à la cession, le débiteur peut les opposer au cessionnaire. Le débiteur est recevable à refuser de payer, en se fondant sur ses relations avec l’ancien créancier : le cédant. Il pourra invoquer, et il s’agit là d’une liste non exhaustive26, la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation des dettes connexes, etc.
Dans les rapports cédant/cédé, il existe deux cas envisageables : nullité et résolution, le contrat aura disparu pour le passé, le présent et l’avenir. En l’absence de contrat entre eux, le cédant n’aura donc jamais eu de droits contre le cédé. Dans ce cas, en application de l’adage nemo plus juris, nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a reçus. Le créancier cédant ne dispose donc de rien à transmettre à un tiers : le cessionnaire. Seul le débiteur cédé doit quelque chose au bénéficiaire, le cessionnaire. Pour échapper aux procédures du cessionnaire, le débiteur cédé pourra soulever tous les types d’arguments auxquels il avait droit envers l’ancien créancier. Ce n’est pas le cessionnaire qui se défendra contre la résolution de l’opération à l’origine de la créance.
Notes de bas de pages
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1.
C. mon. fin., art. L. 313-23 ; Billiau M., Transmission des créances et des dettes, 2002, LGDJ ; Richevaux M., Régime général des obligations, 2018, Ellipses, p. 99, v. fiche n° 15 (les cessions simplifiées).
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2.
Larroumet C. et Ibarra Garza R., La transmission de l'obligation, 2017, éditions Panthéon-Assas.
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3.
Cass. com., 15 mai 2019, n° 17-27686.
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4.
C. civ., art. 1321 à C. civ., art. 1326.
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5.
Gijsbers C., « Le nouveau visage de la cession de créance », Dr. & patr. mensuel 2016, n° 260, p. 46.
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6.
Jacob T., Cession de créance et opposabilité, thèse, 2015, Strasbourg.
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7.
C. civ., art. 1324, al. 2.
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8.
C. civ., art. 1321 à C. civ., art. 1326 ; Huc T., Traité théorique et pratique de la cession et de la transmission des créances, 189 ; Richevaux M., Régime général des obligations, 2018, Ellipses, p. 87, v. fiches nos 13 (la cession de créance) et 14 (l’opposabilité de la cession de créance).
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9.
C. civ., art. 1321.
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10.
C. civ., art. 1322.
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11.
C. civ., art. 1324.
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12.
C. civ., art. 1323.
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13.
C. civ., art. 1323.
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14.
Cass. civ., 20 juill. 1892 : DP 1893, 1, 42.
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15.
CA Reims, 11 avr. 1984,: Juris-Data n° 1984-000645 – CA Nîmes, 10 mai 1983,: Juris-Data n° 1983-044118.
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16.
Cass. 3e civ., 22 avr. 1971, n° 69-14206 : Bull. civ. III, n° 247 – Cass. 3e civ., 16 juill. 1975, n° 74-11449 : Bull. civ. III, n° 252.
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17.
Article 1165 du Code civil devenu l’article 1199 du même code ; Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations; Cass. civ., 20 juin 1938 : DP 1939, 1, 26, note Weill P.
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18.
Cass. civ., 17 févr. 1874 : DP 1874, 1, 281 – Cass. civ., 3 avr. 1905 : DP 1909, 1, 497.
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19.
CA Rouen, 29 oct. 1955 : JCP G 1956, II 9509.
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20.
C. civ., art. 1322.
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21.
C. civ., art. 1322, al. 2.
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22.
C. civ., art. 1324.
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23.
C. civ., art. 1324, al. 2.
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24.
Cass. civ., 23 déc. 1902 : S. 1907, 1, 443.
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25.
C. civ., art. 1324, al. 2.
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26.
C. civ., art. 1324, al. 2.