Face à la crise, les entreprises françaises font preuve d’une « résistance exceptionnelle » !

Publié le 09/02/2023
Création d'entreprises
Yakobchuk Olena/AdobeStock

Pour la 5e année consécutive, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) a remis son bilan national des entreprises. À cette occasion, le 24 janvier dernier, son président, Thomas Denfer, a rappelé l’importance du rôle joué par les greffiers, qui, présents dans les tribunaux de commerce, sont de fins observateurs de la vie et de l’état de santé des entreprises françaises.

Thomas Denfer a voulu adresser un message rassurant : « Les entreprises françaises ont résisté face à la crise ou plutôt les crises  ! », cernées par des problématiques à la fois géopolitiques, sanitaires, économiques ou encore énergétiques. « Ces crises ont obligé les entrepreneurs à réagir et à résister », a-t-il résumé. Mais le contexte reste « précaire ». Immatriculations, créations, radiations, autant d’informations dont les greffiers des tribunaux de commerce sont détenteurs grâce à leur gestion aiguë du Registre du commerce et des sociétés. Ce dernier comporte « 6 millions d’entités immatriculées, commerçants, sociétés commerciales ou civiles », a précisé Thomas Denfer. Des entités vérifiées par les greffiers pour que leurs démarches « soient conformes au droit » et qu’ils puissent en assurer la « sécurité juridique », de leur création jusqu’à une éventuelle cessation d’activité.

« Une résistance exceptionnelle »

À ses côtés Laurent Frelat, vice-président de l’Institut Xerfi Specific, a apporté son analyse grâce aux données collectées dans l’ensemble des tribunaux de commerce. Il a commencé par une sorte de « mea culpa ». « L’année dernière, j’ai eu l’imprudence de diagnostiquer que le pire avait été évité, que le cortège de mesures gouvernementales permettraient d’envisager l’année 2022 avec sérénité. Mais c’était sans compter avec le choc du conflit russo-ukrainien », a-t-il introduit, et ses multiples conséquences sur le cours des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie, avec une inflation galopante et la baisse du pouvoir d’achat. « La dynamique entrepreneuriale française s’en est trouvée impactée mais fait preuve d’une résistance exceptionnelle », a-t-il cependant acté.

Les radiations connaissent une dynamique assez forte mais les procédures collectives, bien qu’en hausse, restent à un niveau inférieur à l’avant-crise. Les immatriculations d’entreprise marquent le pas, mais demeurent supérieures à 2019, qui était une excellente année de reprise économique.

Immatriculations : une excellente résistance

Les immatriculations ont baissé de 6,2 % par rapport 2021, mais restent à un niveau supérieur à l’avant crise (573 132 entreprises ont vu le jour sur l’ensemble de l’année 2022). En 2022, les créations d’entreprises connaissent encore une croissance forte (+24 %) et supérieure par rapport à 2019. Ces créations témoignent d’un rajeunissement des nouveaux entrepreneurs qui s’est interrompu après trois années de rajeunissement (passant de 41 ans à 39,5 ans en seulement trois années). Depuis les indicatifs ont montré un âge qui remonte en lien avec la situation. 2022 a en effet marqué le début d’un retour à la normalité, parallèlement au retour à des standards plus classiques de l’avant crise sanitaire, qui avait été l’occasion d’une dynamique exceptionnelle de créations d’entreprises, notamment de microentreprises dans des domaines comme la livraison à domicile, les plateformes, la digitalisation.

Le secteur des transports et entreposage, largement dopé par la crise sanitaire, se trouve être le grand perdant avec -41,1 % d’immatriculations mais continue de peser : il pèse pour 10 % des créations sur l’année.

La dynamique entrepreneuriale est une nouvelle fois tirée par l’auto-entrepreneuriat : un tiers des immatriculations de 2022 sont des entreprises individuelles, incluant les microentreprises.

Laurent Frétat note le poids considérable des activités immobilières (20,7 %), du commerce (17 %) et des conseils et services aux entreprises (14,8 %).

La régionalité joue également un grand rôle : trois régions (Île-de-France, Auvergne Rhône-Alpes et PACA) regroupent en effet la moitié des créations d’entreprises.

Le Grand Est, les Hauts-de-France et l’Occitanie comptent des immatriculations inférieures à la moyenne nationale et à l’inverse, connaissent des procédures collectives plus élevées par rapport au niveau national. L’Île-de-France tire à elle toute seule la dynamique vers le haut. « La région francilienne se distingue sans conteste des dynamiques régionales observées à l’échelle de l’hexagone », explique le rapport. « La création d’entreprises y enregistre son plus faible recul (- 4,2 % contre -6,2 % de moyenne nationale), les radiations s’y stabilisent (-0,4 % contre une hausse de +11,6 % en moyenne) et les procédures collectives se limitent à une progression de + 35 % par rapport à 2021 ».

Une envolée des radiations

Autre indicateur à la disposition des greffiers : les radiations. Laurent Frelat note une envolée des radiations en 2021 qui s’est poursuivie en 2022 mais a un rythme plus modéré (346 511) pour une hausse de +11,6. Le taux de radiations est de 6,4. Le début de 2022 a été marqué par un nombre de radiations important, prolongement du mouvement commencé en 2021. En revanche, la courbe du 2semestre correspond à une normalisation de la situation. Pour autant ces radiations sont en augmentation de + 25 % par rapport à 2019.

Une des explications est l’effet d’aubaine : paradoxalement la situation des entreprises a été assainie par la crise sanitaire et certains entrepreneurs ont anticipé la fin de leur activité plutôt que de risquer d’être à nouveau en difficultés. Cela explique l’augmentation des radiations volontaires (+ 19,8 % ), ce qui représente 51 % du total des radiations, tandis que les radiations d’office sont en régression -9,4 %. Le transport continue d’enregistrer les radiations les plus fortes (+33,2 %). Le secteur du commerce « paie le plus lourd tribut et se hisse en tête des radiations (22,3 % du total des radiations enregistrées sur l’année) », détaille encore le rapport de Xerfi Specific, comme des entreprises en difficulté (23,5 % des procédures collectives, en hausse de 56,1 % par rapport à 2021).

L’âge moyen des entreprises radiées est de 9,9 ans mais la situation est très hétérogène selon les secteurs (dans l’agriculture, sylviculture, les sociétés atteignent plus de 18 ans) contre 4 ans pour le secteur du transport et entreposage.

Le nombre d’entreprises concernées par des ouvertures de procédures collectives est de 37 468, soit une progression sensible (+52 %) par rapport à 2021. Mais cette proportion est à relativiser car le niveau de 2021 était historiquement bas. Par comparaison, elles restent inférieures de 15 % au niveau d’avant-crise, en 2019, une année de référence favorable en termes de créations d’entreprises avec un nombre de procédures collectives assez faible. Pour Laurent Frelat, un retour à la normale s’amorce.

Concernant les procédures collectives : l’hébergement et la restauration ont fait l’objet de la progression la plus forte (+ 103,5 %). Les services, l’enseignement, les activités manufacturières progressent aussi fort (+ 69,9 %) Mais c’est la boulangerie-pâtisserie qui représente le secteur qui présente le taux de procédures collectives le plus élevé : 2,5 % des entreprises ont fait l’objet d’une procédure, devant les transports routiers (2,1 %), le commerce d’alimentation générale et commerce (2 %).

Pour ainsi dire, c’est l’ensemble du commerce de proximité qui est touché. Les activités de proximité sont donc les plus affectées par les procédures collectives en 2022 et sont donc celles qui connaissent le plus de difficultés. 57 % des procédures collectives concernent le commerce et la construction. Parmi ces procédures collectives, 80 % d’entre elles sont des liquidations judiciaires, 19 % de redressement, et environ 2 % de sauvegardes.

Assainir les entreprises ?

En conclusion, « au-delà d’un retour à la normale, l’année 2022 n’a pas éteint le goût d’entreprendre apparu lors de la crise Covid », a asséné Laurent Frelat. L’élan entrepreneurial français perdure, favorisé par l’autoentrepreneuriat, même s’il y a moins d’immatriculations qu’en 2021. Les activités de service à destination des entreprises et des ménages sont au cœur de plus en plus de vocations d’entrepreneurs. Contrairement aux apparences, le haut niveau des radiations semble traduire une forme de vitalité. Si l’on prend en considération les difficultés financières croissantes et la disparition des aides gouvernementales, les chefs d’entreprise qui mettent volontairement un terme à leur activité font preuve d’une grande responsabilité et le font souvent dans le but de se redéployer sur d’autres cœurs de métier.

« La pandémie a modifié nos modes de vie et nos habitudes, favorisant l’émergence de nouvelles tendances de consommation, de débouchés et d’opportunités. Mais la crise énergétique, le resserrement des débouchés, la baisse du pouvoir d’achat ont fragilisé ces activités », a tempéré Laurent Frelat qui estime que le maintien de l’emploi et de l’investissement à un niveau élevé est « anachronique » car pas en adéquation avec la réalité de la situation économique : de peur de ne pas réussir à embaucher, les entreprises préfèrent encore conserver leur main-d’œuvre. Mais « faute d’un retour rapide à des niveaux modérés d’inflation, l’ajustement sur l’emploi risque d’être relativement brutal », analyse-t-il et d’avoir des « conséquences sur la demande » et la vitalité « du tissu entrepreneurial ».

Cependant il se veut confiant : « Le pire n’est jamais sûr, mais nous sentons l’amorce d’une certaine modération de l’inflation qui peut permettre d’espérer que ces conséquences sur la demande, la consommation et l’emploi soient modérées ». Affaire à suivre donc…

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