La protection de la résidence de l’entrepreneur au Canada et aux États-Unis
Le droit canadien de la faillite n’offre aucune protection particulière à la résidence de l’entrepreneur, se limitant plutôt à exclure de la saisine du syndic les biens que le droit des provinces déclare insaisissables. Le droit provincial offre une protection limitée à la résidence familiale ou principale de l’individu failli.
I – Considérations préliminaires : les risques et responsabilités encourus par l’entrepreneur
A – Responsabilité personnelle statutaire de l’administrateur pour certaines créances de l’entreprise
La législation canadienne et québécoise impose à l’administrateur d’une société la responsabilité personnelle d’acquitter certaines dettes de la société en cas d’incapacité de payer de la société, par exemple les taxes de vente, les déductions à la source du salaire des employés ou les dommages de nature environnementale. Cette responsabilité personnelle de l’administrateur peut généralement être contestée par le biais d’une défense de diligence raisonnable. En cas de restructuration financière de la société, la législation fédérale (loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI), et loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies) permet toutefois de libérer tant la société que les administrateurs des dettes auxquelles l’administrateur est tenu personnellement.
B – Responsabilité personnelle de l’administrateur en regard des décisions prises dans l’administration de la société
La jurisprudence canadienne reconnaît essentiellement le droit à l’erreur de l’administrateur (« Business judgment rule ») en limitant en principe la responsabilité personnelle de l’administrateur pour des décisions prises dans la gestion de la société à des cas graves (fraude, usage abusif de la société).
Dans l’arrêt rendu dans l’affaire Magasins à rayons People inc. (Syndic de) c/ Wise1, devant se prononcer quant à la responsabilité personnelle des administrateurs d’une société pour des actes posés dans la gestion et l’administration de la société, la Cour suprême du Canada a refusé de conclure, à l’instar des tribunaux américains, que les créanciers d’une société puissent être bénéficiaires des devoirs fiduciaires des administrateurs. Restreignant la responsabilité personnelle potentielle des administrateurs, la Cour s’exprime ainsi : « Les décisions prises doivent constituer des décisions d’affaires raisonnables compte tenu de ce qu’ils (les administrateurs) savaient ou auraient dû savoir. Lorsqu’il s’agit de déterminer si les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence, il convient de répéter que l’on n’exige pas d’eux la perfection. Les tribunaux ne doivent pas substituer leur opinion à celle des administrateurs qui ont utilisé leur expertise commerciale pour évaluer les considérations qui entrent dans la prise de décision des sociétés. Ils sont toutefois en mesure d’établir, à partir des faits de chaque cas, si l’on a exercé le degré de prudence et de diligence nécessaires pour en arriver à ce qu’on prétend être une décision d’affaires raisonnable au moment où elle a été prise ».
II – Les mécanismes de protection des biens meubles de l’entrepreneur
A – Survol de l’approche canadienne
En cas d’insolvabilité d’un individu, qu’il soit ou non entrepreneur, la législation canadienne exclut certains biens du gage commun des créanciers en les déclarant insaisissables et, de ce fait, exclus des biens dévolus au syndic de faillite pour fins de liquidation et de distribution aux créanciers. La LFI prévoit en effet que les biens que la loi provinciale considère insaisissables par les créanciers du failli sont exclus de la saisine du syndic de faillite et, du coup, demeurent dans le patrimoine du failli qui en garde la propriété et l’usage pendant sa faillite et après sa libération de faillite. Selon l’article 67(1)(b) de la LFI, « les biens d’un failli constituant le patrimoine attribué à ses créanciers ne comprennent pas les biens suivants : (b) les biens qui, selon le droit applicable dans la province dans laquelle ils sont situés et où réside le failli, ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’exécution ou de saisie contre celui-ci ».
Il faut donc s’en rapporter au droit applicable dans chacune des provinces canadiennes afin d’identifier les biens dévolus au syndic de faillite pour acquitter les créances du failli. La protection est généralement rattachée à des catégories de biens spécifiques et non au statut d’entrepreneur de l’individu insolvable.
B – Les biens déclarés insaisissables en vertu du droit provincial québécois
Les dispositions pertinentes du Nouveau Code de procédure civile en vigueur au Québec depuis le 1er janvier 2016 prévoient l’insaisissabilité de divers biens meubles. Les principaux sont les suivants :
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les instruments de travail nécessaires à l’exercice personnel de l’activité professionnelle du débiteur (NCPC, art. 694) ;
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le véhicule nécessaire au maintien du revenu du travail ou d’une démarche active en vue d’occuper un emploi ou nécessaire pour assurer la subsistance, les soins requis par l’état de santé ou l’éducation du débiteur ou des personnes à sa charge (NCPC, art. 695) ;
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jusqu’à concurrence d’une valeur marchande de 7 000 $, les meubles du débiteur qui garnissent ou ornent sa résidence principale, servent à l’usage de la famille et sont nécessaires à la vie de celle-ci (NCPC, art. 694) ;
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la portion des revenus et salaires du débiteur considérée comme n’excédant pas ce qui est nécessaire au maintien d’un niveau de vie raisonnable compte tenu des normes applicables (LFI, art. 68) ;
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les biens donnés ou légués sous condition d’insaisissabilité lorsque la stipulation est faite dans un acte à titre gratuit, qu’elle est temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime (NCPC, art. 696(2)) ;
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le remboursement des frais engagés en raison d’une maladie, d’un handicap ou d’un accident.
L’on constate dans cette liste non exhaustive que les seuls biens insaisissables rattachés au statut de travailleur ou d’entrepreneur sont les « instruments de travail » ainsi que les véhicules liés au maintien du revenu du travail. Il n’existe donc pas, en droit québécois, de protection plus générale des biens meubles qui découlerait du statut d’entrepreneur du propriétaire de ces biens.
C – L’insaisissabilité des régimes d’épargne retraite (REER)
Au Canada, la loi de l’impôt sur le revenu permet à un contribuable d’accumuler, à l’abri de l’impôt, des fonds destinés à une éventuelle retraite. Ce mode d’économie favorable d’un point de vue fiscal est utilisé par la vaste majorité des canadiens. Pour mettre un terme à diverses controverses jurisprudentielles relatives à la disponibilité des fonds détenus dans un REER en cas d’insolvabilité ou de faillite de son titulaire, en 2009, le législateur canadien a amendé la LFI et prévu que toutes les sommes détenues dans un REER par un failli sont insaisissables et ne sont donc pas distribuées aux créanciers du failli afin d’acquitter les dettes de ce dernier. Du même fait, une fois libéré de sa faillite, le titulaire du REER peut en retrouver l’usage et accéder aux fonds y détenus aux conditions applicables (généralement à la retraite). Cette protection des REER, bien qu’elle ne se rattache pas de façon particulière au statut d’entrepreneur puisqu’elle est offerte à tous les titulaires de tels régimes, revêt une importance particulière au Canada ; elle consacre en effet le principe suivant lequel un particulier failli gardera néanmoins la propriété des fonds qu’il a accumulés en vue de sa retraite dans un tel régime.
III – Les mécanismes de protection des biens immeubles
A – Survol de l’approche québécoise
Le droit québécois n’offre aucune protection particulière de la résidence en raison du statut d’entrepreneur de son propriétaire. Le droit québécois choisit plutôt d’offrir une protection somme toute limitée à la « résidence familiale ». La résidence familiale jouit en effet d’une protection particulière en droit civil québécois, protection d’ordre public, pour les épouses et les conjoints unis civilement. Cette protection subsiste jusqu’à la dissolution des liens du mariage ou de l’union civile ou de la séparation de corps. Selon les articles 404 et 405 du Code civil du Québec : « 404. L’époux propriétaire d’un immeuble de moins de cinq logements qui sert, en tout ou en partie, de résidence familiale ne peut, sans le consentement écrit de son conjoint, l’aliéner, le grever d’un droit réel ni en louer la partie réservée à l’usage de la famille. À moins qu’il n’ait ratifié l’acte, le conjoint qui n’y a pas donné son consentement peut en demander la nullité si une déclaration de résidence familiale a été préalablement inscrite contre l’immeuble. 405. L’époux propriétaire d’un immeuble de cinq logements ou plus qui sert, en tout ou en partie, de résidence familiale ne peut, sans le consentement écrit de son conjoint, l’aliéner ni en louer la partie réservée à l’usage de la famille. Si une déclaration de résidence familiale a été préalablement inscrite contre l’immeuble, le conjoint qui n’a pas donné son consentement à l’acte d’aliénation peut exiger de l’acquéreur qu’il lui consente un bail des lieux déjà occupés à des fins d’habitation, aux conditions régissant le bail d’un logement ; sous la même condition, celui qui n’a pas donné son consentement à l’acte de location peut, s’il ne l’a pas ratifié, en demander la nullité ».
Ainsi, un conjoint ne peut, sans le consentement de l’autre conjoint, aliéner ou grever d’un droit réel la résidence familiale, sous peine de nullité lorsqu’une déclaration de résidence familiale est préalablement inscrite contre l’immeuble. Mais l’immeuble n’est pas de ce fait exclu du gage commun des créanciers en cas de faillite du propriétaire. Les tribunaux québécois ont en effet confirmé que le syndic à l’actif du propriétaire failli conserve le droit de vendre l’immeuble pour satisfaire aux réclamations des créanciers et ce, même si une déclaration de résidence familiale a été préalablement inscrite contre l’immeuble. La résidence familiale du failli fait ainsi partie du patrimoine sous saisine d’un syndic de faillite, sauf dans les rares cas où l’ensemble des créances à l’encontre du failli est d’un montant inférieur à 20 000 $ (NCPC, art. 700 et LFI art. 67(1)(b)).
B – Survol de l’approche dans certaines autres provinces canadiennes
La législation des autres provinces canadiennes offre une protection très limitée à la résidence principale (« principal residence ») d’un particulier. À nouveau, aucune protection particulière n’est offerte en relation avec le statut d’entrepreneur du propriétaire de la résidence, mais seulement si l’équité dans l’immeuble (soit la valeur excédant le montant des hypothèques) est inférieure à une certaine somme : par exemple, en vertu des lois de la Colombie-Britannique, la résidence principale d’un particulier ne sera déclarée insaisissable que si l’équité est inférieure à 12 000 $ (dans la région de Vancouver) ou à 9 000 $ (à l’extérieur de Vancouver) ; en vertu des lois de l’Ontario, ce sera en dessous de 10 000 $.
À notre connaissance, dans les provinces canadiennes, les seuls immeubles bénéficiant de la protection particulière rattachée au statut d’« entrepreneur » du propriétaire sont ceux détenus par une personne exploitant des terres agricoles : à titre d’exemple, en Alberta, un créancier ne peut saisir une ferme au sein de laquelle réside son débiteur et cette protection s’étend à une superficie d’au plus 160 acres de terres agricoles2.
C – Survol de l’approche américaine (USA)
Le Bankruptcy Code américain exclut également du patrimoine du failli les biens qui ne peuvent faire l’objet d’exécution forcée par les créanciers d’un failli en vertu du droit applicable des États3. Bien que le droit varie d’un État à l’autre en ce qui a trait à la protection de la résidence du failli, à notre connaissance, la protection dont bénéficie la résidence d’un débiteur américain est généralement rattachée à son statut de résidence principale, communément appelée homestead exemption en droit américain. En vertu de cette homestead exemption, les lois des États américains offrent une protection à portée variable à la résidence principale du débiteur, parfois sans limite de valeur (par exemple au Texas ou en Floride). Divers autres États, dont le Nouveau Mexique, l’Alaska et le Colorado, offrent une protection limitée à une valeur maximale de la valeur de l’équité dans la résidence. À titre d’exemple, les lois de la Californie protègent jusqu’à concurrence de la somme de 75 000 $ la résidence principale (homestead) d’un débiteur. Cette résidence n’est donc pas susceptible d’exécution forcée par les créanciers du propriétaire si sa valeur nette (une fois payées les hypothèques) est inférieure à 75 000 $. Si l’équité est d’une valeur supérieure à 75 000 $, les créanciers pourront en provoquer la liquidation mais le propriétaire pourra en conserver le produit jusqu’à concurrence de la somme de 75 000 $.
Ainsi, tout comme au Canada, le droit américain n’offre pas de protection particulière à la résidence en raison du statut d’entrepreneur de son propriétaire. La protection découlant des lois des États américains est essentiellement rattachée à la notion de homestead qui est liée à la notion de résidence principale et non au statut professionnel du propriétaire de la résidence.