Le cumul des actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif

Publié le 23/08/2017

L’action en reddition de comptes n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Dès lors, le liquidateur judiciaire, sans faire référence à une insuffisance d’actif, peut réclamer le remboursement d’une somme payée par le client de la société, que le dirigeant de celle-ci avait conservée entre ses mains.

Cass. com., 15 nov. 2016, no 15-16070, F–PB

1. Dans la gestion des affaires d’autrui, le mandataire est tenu de rendre des comptes à son mandant. Au cas de défaillance de celui-là, celui-ci peut exercer l’action en exécution forcée de l’obligation de rendre compte. Dans un autre domaine, en l’occurrence, en liquidation judiciaire, lorsqu’il apparaît une insuffisance d’actif d’une personne morale de droit privé, le tribunal peut mettre à la charge des mandataires de celle-ci tout ou partie de cette insuffisance d’actif. Quels sont les rapports entre l’action en reddition de comptes et l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ? Autrement dit, quelle est l’articulation entre les deux actions ? La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 15 novembre 2016, s’est prononcée à ce sujet.

2. En l’espèce, une société a été mise en liquidation judiciaire. Son gérant a reconnu avoir détourné une certaine somme au préjudice de la société. Invoquant l’obligation de reddition des comptes, le liquidateur l’a assigné en paiement de cette somme.

Une cour d’appel a déclaré cette action irrecevable. Elle a considéré qu’il s’agissait de sanctionner une faute de gestion du gérant, ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société, de sorte que seule l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif pouvait être exercée.

3. Cette décision est censurée par la Cour de cassation. Celle-ci, au visa des articles 1993 du Code civil et L. 651-2 du Code de commerce, retient, dans un chapeau de tête, que « l’action en reddition de comptes prévue par le premier [texte] n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue par le second ». Ainsi, selon elle, dès lors que « le liquidateur, sans faire référence à une insuffisance d’actif, ne réclamait que le remboursement d’une somme payée par un client de la société, que le dirigeant de celle-ci avait conservée entre ses mains, la cour d’appel a violé [les textes susmentionnés] ».

4. Cet arrêt a une certaine importance. Il revêt la valeur d’un arrêt de principe. À cet égard, il donne une certaine interprétation des règles de droit concernées. En particulier, il inaugure une solution dans les rapports des actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif. Sa solution se juxtapose, de plus, aux autres solutions posées relativement aux liens entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et les actions voisines.

5. L’arrêt commenté distingue l’action en reddition de comptes de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (I), puis en tire les conséquences (II).

I – La distinction des actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif

6. D’après l’arrêt commenté, l’action en reddition de comptes n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Elle se distingue, en d’autres termes, de celle-ci. En ce sens, elle présente des particularités (A). Il en va de même de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (B).

A – Le particularisme de l’action en reddition de comptes

7. Une obligation de rendre compte est posée à l’article 1993 du Code civil. Aux termes de ce texte, « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant. » Cette obligation de rendre compte s’adjoint, à l’égard du mandant, à l’obligation principale du mandataire d’exécuter sa mission. Elle ne caractérise pas le contrat de mandat1. Elle n’est pas en principe d’ordre public2. Elle est mise à la charge de tous ceux qui gèrent les affaires d’autrui, qu’ils interviennent à titre conventionnel ou extraconventionnel3. On en trouve trace, à Rome, dans le droit classique, où le mandataire, ne représentant pas son mandant, devait faire passer sur la tête de celui-ci les droits et obligations résultant de l’acte qu’il avait accompli4.

8. Deux aspects sont attribués à l’obligation de rendre compte5. Le mandataire doit, en effet, rendre compte de sa mission ainsi que de sa gestion.

S’agissant de la reddition du compte de mission, le mandataire doit, en cours de mission, informer le mandant du déroulement de celle-ci. À cet égard, il est tenu d’informer le mandant de l’état d’avancement et des éventuelles difficultés d’exécution de sa mission. En fin de mission, il doit informer le mandant du résultat de celle-ci, fût-il un succès ou un échec.

Quant à la reddition du compte de gestion, le mandataire doit, en cours de mission ou à son issue, fournir au mandant un compte de gestion. Celui-ci doit indiquer les dettes et les créances. En particulier, pour les dettes, il doit comporter mention de tout ce que le mandataire a reçu au titre du mandat ainsi que des sommes qu’il n’a pas perçues de par sa faute6. Le mandataire doit par la suite restituer tout ce qu’il a reçu du mandant lui-même pour accomplir sa mission, à l’exemple des fonds inutilisés, des documents ou des marchandises7. Il doit également restituer au mandant tout ce qu’il a reçu notamment du tiers contractant en vertu du mandat8, même de manière indue9 ou illicite10. Ainsi, la jurisprudence considère que le mandataire est tenu de faire raison au mandant de la totalité des sommes reçues en vertu du mandat, en l’occurrence, les sommes à lui remises pour le compte du mandant et dont il a, en son nom, donné décharge, sauf si, ajoute-t-elle, ce dernier a accepté expressément l’utilisation qu’il en a faite1112.

9. Dans l’arrêt rapporté, une société a confié à son gérant une mission. Celle-ci a été exécutée par le mandataire social. L’arrêt n’évoque pas l’obligation de rendre compte, pour ce qui concerne le compte de mission. Il fait appel à l’autre facette de cette obligation, qui est le compte de gestion. Sous ce rapport, le mandataire social a reçu du tiers contractant, en l’occurrence, un client de la société, une certaine somme. Il ne l’a pas restituée à la société. Il a reconnu l’avoir détournée. Ainsi, s’ouvrait à la société l’action en reddition de comptes. La société faisant l’objet d’une liquidation judiciaire, le liquidateur a exercé cette action. Il a, ici, demandé la restitution de la somme détournée, ce qui est conforme à l’obligation du mandataire de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu du mandat.

Cet aspect de l’obligation de rendre compte est au nombre de ses particularités. Il semble même avoir été seul perçu par les rédacteurs du Code du civil13. À cet égard, présentant l’article 1993 du Code civil, le rapporteur du projet de loi concernant le mandat affirma : l’obligation de rendre compte « est retracé[e] par le projet, qui, pour mieux l’exprimer, ajoute que le mandataire doit faire raison, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant. Il répugnerait, en effet, à la nature de ce contrat que le mandataire, chargé d’agir et de stipuler au nom et pour les seuls intérêts du commettant, se rendît le contradicteur des droits dont il lui a confié l’exercice »14.

10. L’action en reddition de comptes a ainsi un objet propre. Celui-ci constitue l’une de ses particularités. Il la distingue par là même de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif15, comme l’affirme la Cour de cassation. L’autre particularité de l’action en reddition de comptes a trait à la prescription. Cette action se prescrit par cinq ans16. Le point de départ de la prescription est le jour où le mandant a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit17.

L’arrêt rapporté n’évoque pas, à tout le moins, de manière directe, la prescription de l’action en reddition de comptes. Cette question n’en est pas moins présente, par rapport à l’autre action avancée, qui est l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Celle-ci est, en l’espèce, prescrite18. Dans notre arrêt, le jour où le mandant a connu ou aurait dû connaître les faits ouvrant l’action en reddition de comptes n’est pas indiqué. En effet, il n’est pas fait état de l’époque de la reddition du compte de gestion, que cette reddition ait eu lieu en cours de mission ou à son issue. La question de la prescription de l’action en reddition de comptes ne semble cependant s’élever. En ce sens, le mandataire a, selon toutes les apparences, examiné les conditions des deux actions en présence. Puis, il a considéré que seule pouvait être exercée l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et constaté que celle-ci était prescrite. En venant à l’action en reddition de comptes, il s’est limité à avancer son irrecevabilité en invoquant, non la prescription, mais des dispositions spéciales19.

11. Les particularités de l’action en reddition de comptes apparaissent ici relativement au contrat de mandat. Elles sont transposables aux autres gestions des affaires d’autrui. Par elles, l’action en reddition de comptes est recevable. Qu’en est-il de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ? Quelles sont ses particularités ?

B – Le particularisme de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif

12. Créée, à l’égard des dirigeants de sociétés anonymes, par une loi du 16 novembre 1940, l’action en comblement de passif est étendue, par un décret du 9 août 1953, aux gérants de sociétés à responsabilité limitée20. Elle est généralisée par la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes21. Sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, l’appellation d’action en comblement de l’insuffisance d’actif lui est attribuée. Depuis la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, elle porte la dénomination d’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

13. L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif résulte de l’article L. 651-2 du Code de commerce. En son premier alinéa, cet article prévoit que « lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ». En son deuxième alinéa, il pose que « lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif ».

De cet article, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est soumise, quant à ses conditions de fond22, à une insuffisance d’actif, à une faute de gestion et à un lien de causalité entre l’insuffisance d’actif et la faute de gestion.

L’insuffisance d’actif est posée comme la condition première de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Elle constitue le préjudice éprouvé par les créanciers de la personne morale ou du patrimoine affecté. Elle correspond à la différence entre le passif et l’actif23. Dans sa détermination, seules sont, en général, prises en considération, selon la jurisprudence, les dettes antérieures au jugement de liquidation judiciaire, à l’exclusion des dettes postérieures24. Son montant est apprécié par les tribunaux au moment où ils statuent25.

Pour ce qui concerne la faute de gestion, il s’agit de toute faute commise par action ou omission par le dirigeant ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée26. Il est question d’une erreur de gestion, d’une imprudence, d’une négligence27 ou de la transgression des règles légales ou statutaires28. Les tribunaux considèrent comme une faute de gestion, par exemple, la tenue d’une comptabilité manifestement incomplète29, la privation de la quasi-totalité de la trésorerie30, la conclusion de marchés à des conditions désavantageuses31. Ils retiennent une conception large de la faute de gestion. Par ailleurs, celle-ci doit avoir été commise antérieurement au jugement de liquidation judiciaire32. Sa preuve doit enfin être rapportée33.

À propos du lien de causalité entre l’insuffisance d’actif et la faute de gestion, il est question de la contribution de celle-ci à celle-là. On a affaire à une conception souple du lien de causalité. Il n’est pas exigé que la faute de gestion soit la cause exclusive et directe de l’insuffisance d’actif34. Tous les éléments qui ont conditionné celle-ci sont pris en considération. Il est fait application de la théorie causaliste de l’équivalence des conditions35. En outre, la preuve de la contribution de la faute de gestion à l’insuffisance d’actif est exigée36.

14. Ainsi, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif présente des particularités. Elle est, de surcroît, « une action en responsabilité civile délictuelle, à caractère non répressif (…), mais exclusivement indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers »37.

Par là même, elle se distingue de l’action en reddition de comptes. De la sorte, la Cour de cassation a pu, dans le chapeau de l’arrêt commenté, affirmer cette distinction, en particulier la différence d’objets des deux actions.

15. Il en allait autrement pour une cour d’appel. Celle-ci, considérant que le détournement par le mandataire social d’une certaine somme au préjudice de la société constituait une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, avait retenu que seule l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif pouvait être exercée. Elle avait dès lors déclaré irrecevable l’action en reddition de comptes engagée par le liquidateur judiciaire. Si cette position pouvait trouver, en l’espèce, les éléments d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, elle péchait par l’absence d’exercice de cette action par le liquidateur judiciaire. En d’autres termes, elle méconnaissait la distinction des actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif, en particulier la différence de leurs objets38.

16. L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif comporte par ailleurs une autre particularité. Celle-ci a trait au délai de prescription. À cet égard, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif se prescrit, d’après l’article L. 651-2, alinéa 3, du Code de commerce, par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire39. La date de commission de la faute de gestion reprochée n’est pas prise en considération40. En l’espèce, le jugement de liquidation judiciaire est intervenu le 11 juin 2009. L’action en reddition de comptes a été introduite par le liquidateur le 28 septembre 2012. Ainsi, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est prescrite au moment où le liquidateur exerce l’action en reddition de comptes. Elle aurait été déclarée irrecevable, sur opposition du mandataire social41, si elle avait été exercée.

17. L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif se distingue ainsi de l’action en reddition de comptes. Cette distinction emporte des conséquences.

II – Les conséquences de la distinction

18. Quelles sont les suites de la distinction des actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif ? Quel est le sort de l’action en reddition de comptes en cas de procédure collective ? La Cour de cassation considère, dans l’arrêt commenté, que l’action en reddition de comptes subsiste en cas de procédure collective (A). Au regard de cette position, on peut se demander quel est le sort des autres actions (B).

A – La subsistance de l’action en reddition de comptes en cas de procédure collective

19. De la distinction des actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif, la Cour de cassation retient que dès lors que « le liquidateur, sans faire référence à une insuffisance d’actif, ne réclamait que le remboursement d’une somme payée par un client de la société, que le dirigeant de celle-ci avait conservée entre ses mains, la cour d’appel a violé les articles susvisés [1193 du Code civil et L. 651-2 du Code de commerce] ». Ainsi, selon la haute juridiction, dans la mesure où le liquidateur ne faisait pas état d’une insuffisance d’actif, l’action en reddition de comptes était recevable. A contrario, peut-on poursuivre, si le liquidateur avait invoqué une insuffisance d’actif, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actifs aurait été seule recevable.

L’absence de référence à une insuffisance d’actif peut être rapprochée de l’absence d’insuffisance d’actif. Dans ce sens, on peut considérer qu’en l’absence d’une insuffisance d’actif ou encore lorsque la liquidation judiciaire ne fait pas apparaître une insuffisance d’actif, l’action en reddition de comptes est également recevable.

20. D’autres solutions jurisprudentielles étaient antérieurement intervenues dans le sillage de cette solution. La Cour de cassation avait, en effet, au cas d’une procédure collective, déclaré recevable une action autre que celle en responsabilité pour insuffisance d’actif, au motif de l’absence d’insuffisance d’actif ou de son allégation. Elle avait, en particulier, considéré que les actions en responsabilité fondées sur un texte propre au droit des sociétés étaient recevables, lorsqu’une insuffisance d’actif n’était pas alléguée42 ou lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire ne faisait pas apparaître une insuffisance d’actif43.

21. La solution rapportée n’était cependant pas à l’abri de la critique. La cour d’appel avait retenu, au sujet de l’action en paiement exercée par le liquidateur, qu’il s’agissait de sanctionner une faute de gestion commise par le gérant ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société, ce qui rendait, avait-elle ajouté, seules applicables les dispositions spéciales de l’article L. 651-2 du Code de commerce. Elle avait poursuivi que l’action intentée par le liquidateur sur le fondement de l’article 1993 du Code civil, sans allégation d’une insuffisance d’actif, tendait, en dépit de la prescription de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif44, à obtenir la condamnation pécuniaire du gérant et par là une diminution de l’insuffisance d’actif de la société.

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif était-elle ouverte ? Était-elle la seule action recevable ? Avait-on affaire dans cette perspective à un contournement de son délai de prescription ? Selon le moyen annexé à l’arrêt commenté, la cour d’appel a retenu, en l’espèce, une insuffisance d’actif. En cela, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif pouvait être exercée dans les conditions de l’article L. 651-2 du Code de commerce. Elle eût eu pour objet la réparation du préjudice éprouvé par la collectivité des créanciers. Elle n’a cependant pas été l’action exercée par le liquidateur judiciaire. Celui-ci a intenté une autre action, l’action en reddition de comptes. Celle-ci est une action en exécution forcée de l’obligation du mandataire de rendre compte. Elle peut tendre, en particulier, comme en l’espèce, à la restitution au mandant de ce que le mandataire a reçu du tiers contractant en vertu du mandat45. Elle a ainsi un objet différent de celui de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Il en résulte que les deux actions ne sont pas exclusives l’une de l’autre. En d’autres termes, elles se cumulent. De la sorte, l’action en reddition de comptes était, en l’espèce, recevable. Elle a poursuivi son objet propre.

22. Le cumul des actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif peut engendrer des questions. On peut se demander précisément ce qui advient des autres actions en cas de procédure collective.

B – Les autres actions en cas de procédure collective

23. Dans l’arrêt rapporté, après avoir posé que l’action en reddition de comptes prévue par l’article 1993 du Code civil n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue par l’article L. 651-2 du Code de commerce, la Cour de cassation a censuré un arrêt d’appel pour violation de ces textes. On peut considérer, pour ce qui concerne le premier texte, une violation par refus d’application et, s’agissant du second texte, une violation par fausse application. La Cour de cassation a exercé un contrôle normatif pour violation de la loi. Par ailleurs, la solution qu’elle a posée constitue une certaine interprétation des règles de droit concernées. Elle est nouvelle.

L’arrêt commenté revêt ainsi la valeur d’un arrêt de principe46. Il a une importance certaine. En ce sens, la haute juridiction l’a assorti de la référence F-PB. Le pourvoi a été ainsi examiné par une formation restreinte (F), sa solution s’imposant. En raison de la portée doctrinale de celle-ci, ici, sa nouveauté, l’arrêt a fait l’objet d’une publication au Bulletin des arrêts des chambres civiles (P). Il a été également mentionné au Bulletin d’information de la Cour de cassation (B) afin que son apport soit rapidement connu.

24. Par cette solution, la Cour de cassation réaffirme, de manière indirecte, les solutions admettant des limites à l’exclusivité de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ou son absence d’exclusivité et, a contrario, celles retenant le non-cumul de cette action avec d’autres actions.

À propos des solutions admettant des limites à l’exclusivité de l’action en responsabilité pour insuffisance ou son absence d’exclusivité, on a affaire aux limites du non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif avec d’autres actions ou au cumul de cette action avec d’autres actions. Sous ce rapport, la Cour de cassation, au travers de sa solution, conserve la jurisprudence admettant la recevabilité de l’action d’un créancier à l’encontre du dirigeant d’une personne morale débitrice en réparation d’un préjudice personnel distinct de celui de l’ensemble des créanciers47. Il en va de même de celle retenant la recevabilité de l’action en responsabilité de droit commun contre un dirigeant social pour des faits postérieurs au jugement d’ouverture d’une procédure collective48. Il en va également de celle jugeant recevable l’action civile formée devant une juridiction pénale contre le dirigeant d’une personne morale débitrice en réparation du préjudice résultant d’une infraction49. Il en va encore de celle décidant, par application de l’article L. 267 du Livre des procédures fiscales, que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne fait pas obstacle à l’action en responsabilité prévue par ce texte, celle-ci n’étant exclue que si, en vertu d’une autre disposition légale, le dirigeant d’une personne morale débitrice est tenu de la totalité de la dette fiscale50.

La solution posée par la haute juridiction est, en outre, conforme à la doctrine qui, sur les autres rapports entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et les autres actions, préconise, en l’absence d’identité d’objet, le cumul de cette action avec telle autre action. Ainsi en va-t-il des rapports entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et l’action en responsabilité environnementale pour insuffisance d’actif des sociétés mères de filiales exploitant une installation classée. On considère que ces deux actions sont cumulables contre l’actionnaire majoritaire51, dirigeant de la société débitrice, cette dernière action tendant au respect des obligations environnementales et non à la réparation du préjudice éprouvé par l’ensemble des créanciers52. De même, pour ce qui concerne les rapports entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et l’action en responsabilité pour gestion de fait d’une collectivité publique instituée à l’article 60-XI de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, on estime que ces deux actions sont cumulables53.

S’agissant des solutions retenant le non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et des autres actions, il résulte, a contrario, de l’arrêt rapporté le maintien de la solution posant le non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et de l’action en responsabilité civile du droit commun général54 ou du droit commun des sociétés55, cette solution étant déduite de la nature indemnitaire et du régime spécial de la première action56.

25. Selon l’arrêt commenté, les actions en reddition de comptes et en responsabilité pour insuffisance d’actif sont cumulables. Cette solution est nouvelle. Elle s’insère par ailleurs parmi les solutions posées ou préconisées relativement aux rapports entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et les autres actions. Elle est par là même dans le sens de la sécurité juridique.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. par ex. Collart Dutilleul F. et Delebecque P., Contrats civils et commerciaux, 10e éd., 2015, Précis Dalloz, n° 650 ; Decocq G., Grimaldi C., Huet J., Lécuyer H. et Ghestin J. (dir.), Les principaux contrats spéciaux, 2e éd., 2001, LGDJ, Traité de droit civil, n° 31223. Contra Le Tourneau P., v° Mandat, Rép. civ. Dalloz 2016, nos 197 et 266.
  • 2.
    Ainsi, le mandant peut en dispenser le mandataire, v. par ex. Aubry C. et Rau C., Droit civil français, t. 6, 6e éd. par Esmein P., 1951, Librairies techniques, § 413, note 4 ; Beudant C., Cours de droit civil français, 2e éd. par Beudant R. et Lerebours-Pigeonnière P., t. 12, Contrats civils divers - Travail et entreprise. Prêt. Dépôt et séquestre. Mandat. Transaction. Société, par Rodière R. et Percerou A., 1947, A. Rousseau, n° 314. La dispense peut être expresse ou tacite. Pour une dispense tacite, v. par ex. Cass. 1re civ., 12 nov. 1957 : Bull. civ. I, n° 431.
  • 3.
    V. Lozès L., « L’obligation de rendre compte », in Mélanges Michel Despax, 2001, Presse de l’Université des sciences sociales de Toulouse, p. 109 et s., et les références citées.
  • 4.
    Mazeaud H. et L. et Mazeaud J., Leçons de droit civil, t. 3, vol. 2, Principaux contrats, 2e partie, Baux d’habitation. Baux ruraux. Entreprise. Mandat. Prêt. Dépôt. Assurance. Jeu. Rente viagère. Transaction, 5e éd. par de Juglart M., 1980, Montchrestien, n° 1404.
  • 5.
    V. par ex : Malaurie P., Aynès L. et Gautier P.-Y., Les contrats spéciaux, 7e éd., 2014, LGDJ, Droit civil, n° 568 ; Pétel P., Les obligations du mandataire, Cabrillac M. (préf.), thèse Montpellier 1, 1988, Litec, Bibliothèque de droit de l’entreprise, n° 370.
  • 6.
    Antonmattei P.-H. et Raynard J., Droit civil, Contrats spéciaux, 7e éd. par Raynard J., 2013, LexisNexis, Manuel, n° 490.
  • 7.
    Bénabent A., Droit civil, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 9e éd., 2011, Montchrestien, Domat, n° 936.
  • 8.
    Le mandant ne dispose d’aucun droit sur les sommes reçues par le mandataire, non en vertu du mandat mais à l’occasion de l’exercice de celui-ci, v. par ex. Cass. civ., 24 juill. 1900 : S. 1901, 1, p. 9, note Tissier A. ; DP 1905, 1, p. 261, note L. S., à propos d’une somme supérieure à celle que le mandataire était chargé de percevoir, versée par suite d’une erreur purement matérielle.
  • 9.
    V. Bénabent A., Droit civil, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., n° 936, et les références citées.
  • 10.
    Ibid.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 8 juill. 1975, n° 72-13789 : Bull. civ. I, n° 226 ; D. 1976, p. 315, note Gaury C.
  • 12.
    Le fait pour le mandataire de détourner, au préjudice du mandant, ce qu’il a reçu en vertu du mandat, constitue un abus de confiance, délit puni d’un emprisonnement et d’une amende, v. C. pén., art. 314-1 et s., et par ex. Cass. crim., 15 févr. 1939 : Bull. crim., n° 34 ; JCP G 1939, II 1322 ; DH 1939, p. 294.
  • 13.
    V. Pétel P., Les obligations du mandataire, thèse préc., nos 369 et 370.
  • 14.
    V. Fenet P.-A., Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 14, 1968, réimpression éd. de 1927, Otto Zeller, Osnabrück, p. 598-599.
  • 15.
    Pour l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, v. infra, nos 12 et s.
  • 16.
    V. C. civ., art. 2224 ; Le Tourneau P., art. préc., n° 274.
  • 17.
    C. civ., art. 2224.
  • 18.
    V. infra, n° 16.
  • 19.
    Pour le fondement invoqué par le mandataire, v. infra, n° 15.
  • 20.
    V. par ex. : Ripert G. et Roblot R., Traité de droit commercial, t. 2, Effets de commerce. Banque. Contrats commerciaux. Procédures collectives, 17e éd. par Delebecque P. et Germain M., 2004, LGDJ, n° 3278 ; Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., 2016, LGDJ, Domat, n° 1437.
  • 21.
    V. art. 96 et s.
  • 22.
    Pour les conditions procédurales ou le régime de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, v. par ex. Jacquemont A. et Vabres R., Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., 2015, LexisNexis, Manuel, nos 1127 et s. ; Pérochon F., Entreprises en difficulté, 9e éd., 2012, LGDJ, Manuel, nos 1486 et s.
  • 23.
    Fortis E, vis Entreprises en difficulté (Responsabilité et sanctions), Rép. com., Dalloz 2015, n° 25.
  • 24.
    V. Saint-Alary-Houin C. (dir.), Code des entreprises en difficulté, 5e éd., 2015, LexisNexis, sous C. com., art. L. 651-2, n° 20, et les références citées. Pour un auteur, l’identité de traitement entre les créances antérieures et les créances postérieures non privilégiées devrait conduire à tenir compte de l’ensemble du passif, autrement dit du passif antérieur et assimilé, Pérochon F., Entreprises en difficulté, op. cit., n° 1516.
  • 25.
    V. par ex. Cass. com., 30 mars 1999, n° 95-17905 : BJS juill. 1999, n° 167, p. 759, note Saint-Alary-Houin C. – Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-11690 : JCP E 2007, 1117, note Delattre C.
  • 26.
    Comp. Ripert G. et Roblot R., Traité de droit commercial, t. 2, 17e éd. par Delebecque P. et Germain M., op. cit., n° 3285.
  • 27.
    L’article L. 651-2, alinéa 1er, in fine, issu de l’article 146 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, exclut la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif, en cas de simple négligence dans la gestion de la société.
  • 28.
    Saint-Alary-Houin C. (dir.), Code des entreprises en difficulté, op. cit., sous C. com., art. L. 651-2, n° 6.
  • 29.
    Cass. com., 11 févr. 2014, n° 12-21069 : Rev. sociétés 2014, p. 455, note Mastrullo T.
  • 30.
    Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-13464 : RJDA 11/2009, n° 994.
  • 31.
    Cass. com., 7 déc. 1999, n° 97-12173 : RJDA 4/2000, n° 458.
  • 32.
    V. par ex. Cass. com., 8 janv. 2002, n° 98-22077 ; Cass. com., 27 mai 2014, n° 12-27945.
  • 33.
    Et ce depuis la législation de 1985. Sous le régime de la législation de 1967, la faute de gestion était présumée.
  • 34.
    V. par ex. : Pérochon F., Entreprises en difficulté, op. cit., n° 1518 ; Le Corre P.-M., Droit et pratique des procédures collectives, 8e éd, 2014, Dalloz action, n° 922.41.
  • 35.
    V. par ex. : Le Corre P.-M., ibid.
  • 36.
    Il en est ainsi depuis la législation de 1985. Sous l’empire de la législation de 1967, une présomption de causalité était retenue.
  • 37.
    Le Corre P.-M., Droit et pratique des procédures collectives, op. cit., n° 922.11.
  • 38.
    Comp. supra, nos 7 et s.
  • 39.
    C. com., anc., art. L. 651-2, al. 2, où le point de départ de la prescription est le jour du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ou la résolution du plan. V. égal. C. com., anc., art. L. 624-3, al. 2, où l’action se prescrit à compter du jugement qui arrête le plan de redressement ou, à défaut, du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
  • 40.
    Cass. com., 8 avr. 2015, n° 13-28512 : Bull. civ. IV, n° 66.
  • 41.
    Le moyen tiré de la prescription de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut être relevé d’office, v. par ex. Cass. com., 19 déc. 2000, n° 98-11821 : Bull. civ. IV, n° 197.
  • 42.
    Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-11533 : Bull. civ. IV, n° 70.
  • 43.
    Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-14271 : Bull. civ. IV, n° 152.
  • 44.
    Pour la prescription de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, en l’espèce, v. supra, n° 16.
  • 45.
    Sur l’obligation du mandataire de rendre compte, v. supra, nos 7 et 8.
  • 46.
    Comp. supra, n° 4.
  • 47.
    V. Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-16536 : Bull. civ. IV, n° 61 ; D. 2006, AJ, p. 857, obs. Lienhard A. ; BJS juill. 2006, n° 186, p. 938, note Lucas F.-X. Adde Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21547 : Bull. civ. IV, n° 48 ; RJDA 6/2010, n° 663, pour l’action d’un associé. Comp. Cass. com., 28 mai 2002, n° 98-20333.
  • 48.
    V. par ex. Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-17753 : Bull. civ. IV, n° 59 ; D. 2000, AJ, p. 187, obs. Lienhard A. ; Dr. sociétés 2000, comm. 75, note Chaput Y. ; Rev. proc. coll. 2000, p. 135, n° 1, obs. Martin-Serf A.
  • 49.
    V. par ex. Cass. crim., 9 oct. 1997, n° 96-85471 : Dr. sociétés 1998, comm.  59, obs. Chaput Y. – Cass. crim., 13 juin 2001, n° 00-86128 : RJDA 3/2002, n° 287 – Cass. crim., 10 oct. 2001, n° 01-80896 : RJDA 4/2002, n° 417 – Cass. crim., 4 nov. 2004, n° 03-85758 : Dr. sociétés 2005, comm. 100, note Salomon R. – Cass. crim., 11 mars 2015, n° 13-86155 : Rev. proc. coll. 2015, comm. 190, obs. Martin-Serf A.
  • 50.
    Cass. com., 9 déc. 1997, n° 96-12292 : Bull. civ. IV, n° 331 ; JCP E 1998, n° 17, p. 659, obs. Pétel P. ; Rev. sociétés 1998, p. 316, note Daigre J.-J.
  • 51.
    V. C. envir., art. L. 512-17, qui vise la société mère, grand-mère et arrière-grand-mère.
  • 52.
    Le Corre P.-M., Droit et pratique des procédures collectives, op. cit., n° 925.09, et la référence citée.
  • 53.
    V. Fortis E., art. préc., n° 52.
  • 54.
    V. par ex. Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-12810 : Bull. civ. IV, n° 187. Adde CA Versailles, 25 sept. 2008, n° 07/04046 : RJDA 7/2009, n° 664, pour le non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et de l’action en responsabilité pour abus de dépendance économique prévue à l’article L. 442-6 du Code de commerce.
  • 55.
    V. par ex. Cass. com., 28 févr. 1995, n° 92-17329 : Bull. civ. IV, n° 60.
  • 56.
    Par ailleurs, à l’époque de l’action en obligation aux dettes sociales, créée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et abrogée par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, l’ancien article L. 652-1 du Code de commerce prévoyait son non-cumul avec l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Selon ce texte, en effet, dans les cas ouvrant à l’action en obligation aux dettes sociales, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne pouvait être exercée.
X