Le rebond du dirigeant condamné à une faillite personnelle ou une interdiction de gérer : la jurisprudence parisienne sur le relèvement (articles L. 653-11 et R. 653-4 du Code de commerce)
Le Code de commerce prévoit les cas dans lesquels le chef d’entreprise, qu’il s’agisse d’un débiteur personne physique ou du dirigeant d’une personne morale, s’il a été sanctionné par une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer, peut se voir accorder un droit à une seconde chance via un relèvement, avant son expiration, de la déchéance qui l’a frappé. Il nous a semblé intéressant de voir comment cette possibilité, réglementée par la loi mais dépendant de l’appréciation souveraine des juges du fond, était appliquée par la chambre des sanctions, aujourd’hui la cinquième chambre, du tribunal de commerce de Paris.
1. Le droit au rebond – On a beaucoup parlé, ces dernières années, du « droit au rebond » ou du « droit à la seconde chance », que ce soit à l’occasion de l’élaboration de la nouvelle directive sur les restructurations préventives1 ou lors du vote de la loi PACTE2. Il est en effet incontestable que la défaillance de son entreprise est un des risques principaux auquel est exposé l’entrepreneur, et que l’échec, s’il n’est bien sûr jamais souhaitable, peut être extrêmement formateur et devenir même une étape vers un futur succès. Ainsi, de très nombreux entrepreneurs ont-ils connus l’échec, et leur permettre de rebondir est à la fois humainement justifié et efficace économiquement, de très nombreuses créations d’emplois pouvant dépendre de cette possibilité.
2. L’indispensable sanction des débiteurs malhonnêtes ou incompétents – Bien évidemment, quand on pense au rebond, on pense au chef d’entreprise honnête, de bonne foi, et pas au débiteur malhonnête ou tellement incompétent qu’il est un danger pour les affaires. Ces deux types de débiteurs, eux, ont vocation à être sanctionnés, que ce soit pénalement, avec avant tout la banqueroute (mais il existe bien d’autres infractions aux articles L. 654-1 et s. du Code de commerce), ou civilement, par le biais de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif3, ou par celui des sanctions professionnelles de faillite personnelle et d’interdiction de gérer. Or, même pour cette catégorie de débiteurs, il existe un droit au rebond grâce aux règles sur le relèvement, que nous avons choisi d’étudier dans leurs applications parisiennes (II), après avoir bien sûr rappelé le dispositif existant (I).
I – Les sanctions personnelles et les possibilités légales de relèvement
3. Les griefs de la faillite personnelle et de l’interdiction de gérer – Les articles L. 653-1 et suivants, qui mériteraient d’ailleurs une réécriture pour les mettre en cohérence4, prévoient les cas dans lesquels les chefs d’entreprise peuvent être condamnés à une faillite personnelle ou à une interdiction de gérer, ces deux mesures étant limitées à un maximum de 15 années depuis la loi de sauvegarde. Les griefs pouvant leur être reprochés sont, sans surprise, et pour ne citer que les plus fréquemment retenus, l’existence de détournements d’actifs, la non-tenue de la comptabilité ou du moins d’une comptabilité complète et régulière, la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, l’absence de coopération avec les organes de la procédure et l’absence de dépôt d’une déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours de cette dernière, à condition que cette omission ait été faite « sciemment » depuis la modification de l’article L. 653-8 par la loi du 6 août 20155.
4. Le prononcé de la sanction personnelle – Si certains de ces griefs lui semblent avérés, le tribunal de commerce, statuant en matière de sanctions, c’est-à-dire, par principe, en audience publique (sauf demande contraire du dirigeant ou du ministère public), et saisi soit par le ministère public soit par le mandataire judiciaire ou le liquidateur (ainsi que par la majorité des créanciers nommés contrôleurs lorsque le mandataire de justice ayant qualité pour agir n’a pas engagé les actions prévues aux mêmes articles, après une mise en demeure restée infructueuse pendant 2 mois), va prononcer la sanction qui lui paraît la plus adaptée à la gravité de ces griefs, la faillite personnelle étant classiquement réservée aux manquements les plus moralement condamnables, et l’interdiction de gérer à des manquements qui le sont moins (mais dont l’extrême gravité sur le plan économique peut justifier une interdiction d’une durée de 15 ans)6.
5. L’exécution de la sanction personnelle – En application de l’article 768, 5°, du Code de procédure pénale7, la sanction prononcée est inscrite sur les bulletins 1 et 2 du casier judiciaire de l’intéressé (uniquement accessibles aux autorités judiciaires et à l’Administration8), fait l’objet, en vertu de l’article R. 653-3, des publicités prévues par l’article R. 621-8 (mention au RCS et insertion au BODACC) et enfin est inscrite, depuis la loi du 22 mars 2012, sur le fichier national des interdits de gérer (FNIG) par le greffier en chef du tribunal de commerce9.
Elle emporte, en vertu de l’article L. 653-2 pour la faillite personnelle, « interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale » ou, en application de l’article L. 653-8 pour l’interdiction de gérer, la même interdiction mais pour « soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci ».
Cette interdiction, sous le contrôle – avec une efficacité particulièrement renforcée depuis la mise en œuvre du FNIG précité – du greffier du tribunal de commerce et du juge chargé de la surveillance du Registre du commerce et des sociétés, doit donner lieu, si elle n’est pas respectée, à des poursuites pénales par le ministère public informé de la violation10, en application des articles L. 654-15 du Code de commerce pour les sanctions personnelles et 434-40-1 du Code pénal pour la violation de l’interdiction prononcée par une juridiction pénale à titre de peine complémentaire11, la peine encourue étant dans les deux cas de 2 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende12.
6. La fin de la sanction – Quand la mesure prononcée est arrivée à son terme, elle prend fin, et, en vertu de la seconde phrase de l’article L. 653-11, alinéa 1er, du Code de commerce, le chef d’entreprise retrouve de plein droit sa capacité « sans qu’il y ait lieu au prononcé d’un jugement ». La sanction disparaîtra de son casier judiciaire (l’article 769, 1°, prévoyant tout de même que, si elle est inférieure à 5 ans, elle reste inscrite pendant 5 années). Il en est d’ailleurs de même quand l’interdiction de gérer a été prononcée à titre de peine complémentaire par une juridiction pénale, en vertu cette fois-ci de l’article 702-1 du Code de procédure pénale.
Le chef d’entreprise va donc pouvoir rebondir, au maximum après 15 ans d’interdiction. À ce titre, on peut comprendre la limitation dans le temps effectuée par la loi de sauvegarde, mettant fin à une pratique consistant dans certains cas à interdire le chef d’entreprise fautif de gérer toute entreprise pendant 30 ou 40 ans, ce qui conduisait à l’éliminer définitivement de la vie des affaires.
La limitation dans le temps de la faillite et de l’interdiction de gérer constitue ainsi une première illustration du droit au rebond, un droit relatif selon l’âge du chef d’entreprise bien sûr.
7. Les deux cas de relèvement des mesures de faillite personnelle et d’interdiction de gérer – Au-delà de cette simple limitation de la durée maximale des sanctions personnelles, l’article L. 653-11 prévoit deux grands cas de relèvement, c’est-à-dire deux cas où, à l’instar du condamné à une peine d’emprisonnement ou de réclusion bénéficiant d’une libération conditionnelle, le dirigeant va être relevé d’une sanction qu’il n’a pas encore entièrement exécutée.
Il s’agit d’une part, du relèvement automatique dû à la clôture pour extinction du passif et d’autre part, du relèvement que l’intéressé peut demander de décider à la juridiction qui avait prononcé la sanction, en cas de contribution suffisante au paiement du passif ou, mais uniquement si la sanction était une interdiction de gérer, s’il démontre sa capacité à diriger ou contrôler une ou plusieurs entreprises.
C’est l’application de ces cas de relèvement, et surtout du second, qu’il nous semble intéressant d’étudier de façon précise dans la jurisprudence du tribunal de commerce de Paris.
II – Le relèvement des sanctions personnelles dans la jurisprudence parisienne
8. Données chiffrées et méthodologie suivie – Il faut ici rappeler en quelques chiffres l’importance quantitative de l’activité du tribunal de commerce de Paris : ce dernier regroupe en tout 172 juges consulaires, pour une activité représentant plus de 10 % de l’activité totale des tribunaux de commerce en France. En matière de droit des entreprises en difficulté, en 2018, 40 sauvegardes, près de 350 redressements judiciaires et plus de 3 050 liquidations judiciaires ont été ouverts à Paris13, soit au total 3 440 procédures sur 54 600 au niveau national (6 % du total national).
Du côté des sanctions (personnelles comme pécuniaires), il est à noter que le tribunal de commerce de Paris a une activité particulièrement soutenue : il rend aujourd’hui entre 750 et 800 jugements par an, très majoritairement des sanctions personnelles (environ 700 jugements, dont environ les deux tiers prononcent une sanction), étant précisé que sur l’ensemble du territoire il est prononcé environ 4 000 jugements de sanctions par an, là aussi très majoritairement des sanctions personnelles, et 250 en responsabilité pécuniaire. Cela signifie que plus de 18 % des sanctions en France sont prononcées à Paris… Au passage, ces chiffres démontrent également que les sanctions, de façon générale, sont plutôt rares : en France, moins de 10 % des chefs d’entreprise font l’objet de sanctions personnelles, et moins de 1 % de sanctions pécuniaires.
Pour réaliser la présente étude, nous avons demandé aux greffiers associés d’interroger la base d’affaires du tribunal pour disposer des décisions rendues entre 2014 et 2018 en matière de relèvement. Nous avons également demandé les décisions de clôture pour extinction du passif puisqu’il s’agit d’un cas de relèvement automatique.
9. Le relèvement automatique en cas de jugement de clôture pour extinction du passif – L’application du premier cas de l’article L. 653-11 du Code de commerce peut être abordé de façon rapide. Dans les cas où la procédure a pris fin pour extinction du passif (c’est-à-dire par le paiement de toutes les créances déclarées, échues et admises), y compris après exécution d’une condamnation en responsabilité de l’insuffisance d’actif, le débiteur personne physique ou le dirigeant de la personne morale est rétabli dans tous ses droits, le jugement de clôture le libère de toutes les déchéances qui avaient pu être prononcées, comme si elles avaient été exécutées jusqu’à leur terme.
On comprend la logique suivie par le législateur, laquelle est clairement économique et non morale : le débiteur a mérité une sanction personnelle, puisque des griefs ont été retenus contre lui mais, à la fin, il n’occasionne aucun dégât car le passif est payé : la sanction, qui était pourtant moralement justifiée, est effacée.
Concrètement, à Paris, nous avons dénombré une vingtaine de jugements pour extinction du passif par an (24 en 2014, 27 en 2015, 28 en 2016, 22 en 2017 et 27 en 2018). C’est évidemment peu, et nous n’avons pas trouvé d’exemple de chef d’entreprise condamné à une sanction personnelle sauvé par cette cause automatique de relèvement. Même si cela peut arriver, il n’est pas du tout étonnant que ce soit extrêmement rare devant la juridiction parisienne, où ce type de clôture correspond le plus souvent à des dossiers présentant de très faibles passifs, dossiers dans lesquels le ministère public, pour cette raison, ne poursuit habituellement pas les dirigeants.
10. Les deux cas de relèvement devant la juridiction ayant prononcé la sanction – Une première remarque commune aux deux cas de relèvement au choix du tribunal peut être faite : le très faible nombre de demandes de relèvement. En effet, sur la période 2014-2018, le tribunal de commerce de Paris n’a été saisi que de 28 demandes (7 en 2014, 1 en 2015, 4 en 2016, 9 en 2017 et 7 en 2018), ce qui est très peu si on compare avec le nombre de jugements de sanction précité. Il semble que le dispositif de relèvement soit peu connu des chefs d’entreprise ou de leurs conseils.
Une autre explication serait envisageable si les requêtes étaient rarement suivies de décisions favorables, mais ce n’est pas du tout le cas. Ainsi, sur les 28 décisions rendues, on trouve 17 relèvements prononcés (totaux, le tribunal de commerce de Paris ne décidant pas de relèvements partiels), 8 rejets, un sursis à statuer et deux irrecevabilités. Le taux de réussite, d’un peu plus de 60 %, est ainsi loin d’être négligeable, tout en démontrant que le relèvement n’est heureusement pas, comme l’a excellemment rappelé Christophe Delattre, un « droit acquis »14 ! On peut d’ailleurs relever à cet égard une très large convergence de vues entre les juges consulaires parisiens et le ministère public, puisque le parquet avait requis le relèvement dans 15 des 17 relèvements prononcés, et le rejet des demandes dans les 8 rejets.
11. Application du premier cas : le relèvement pour contribution suffisante au paiement du passif – On sait que ce cas est le seul envisageable si le chef d’entreprise a été condamné à une faillite personnelle, mais que peut bien sûr également le soulever celui qui a été condamné à une insuffisance d’actif. La logique est la même que celle du relèvement pour extinction du passif, mais ici, comme tout le passif n’a pas été payé, il faut que le dirigeant démontre qu’il y a contribué de façon « suffisante », par rapport bien sûr à ses capacités contributives : au demandeur de démontrer l’effort accompli, qui sera souverainement apprécié par les juges du fond15.
Sur les 28 décisions que nous étudions, seulement deux ont essentiellement porté sur cette contribution jugée suffisante ou pas :
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Tribunal de commerce de Paris, 18e ch., 21 octobre 2014, n° 2014041017 : le dirigeant avait été condamné, par jugement du 9 octobre 2013, à une faillite personnelle d’une durée de 7 ans. Sa société présentait alors une insuffisance d’actif de plus de 620 000 €, pour un chiffre d’affaires annuel d’environ 3 millions d’euros. Il s’avérait qu’il avait très largement contribué à l’insuffisance d’actif, en l’éteignant presque (une société de son groupe avait valablement versé 500 000 € et il avait ajouté plus de 100 000 € à titre personnel). Il a donc bénéficié d’un relèvement après seulement 1 an d’application de la sanction (nous n’étions pas loin du relèvement automatique).
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Tribunal de commerce de Paris, 5e ch., 11 juillet 2017, n° 2017030481 : un dirigeant condamné à une interdiction de gérer de 5 ans par jugement du 29 mai 2013 demandait le relèvement en mettant notamment en avant sa contribution au passif, en l’espèce en tant que caution, pour plus de 100 000 €. Même si cette contribution n’était que la résultante d’une sûreté personnelle accordée et qu’elle ne représentait qu’une petite partie de l’insuffisance d’actif (de plus d’1 million d’euros), le tribunal a considéré qu’il s’agissait d’une contribution suffisante vu le patrimoine de l’intéressé, et a fait droit à sa demande.
12. Application du second cas : le relèvement pour toutes garanties données de sa capacité à diriger – On se souvient que le législateur prévoit, depuis la loi de sauvegarde que, même sans contribution suffisante au passif, il est possible d’obtenir un relèvement de la sanction d’interdiction de gérer en présentant toutes garanties sur sa capacité à diriger, l’article R. 653-4 précisant que « ces garanties peuvent consister en une formation professionnelle ». C’est de très loin l’argument le plus utilisé par les demandeurs et le plus retenu par le tribunal. En voici quelques exemples :
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Tribunal de commerce de Paris, 18e ch., 21 mai 2014, n° 2014016060 : un dirigeant d’entreprise avait été condamné à une interdiction de gérer d’une durée de 6 ans par un jugement du 13 mai 2009. À l’appui de sa demande de relèvement, il faisait valoir qu’alors qu’il avait été dirigeant de l’entreprise en liquidation pendant 10 mois « au cours desquels il n’avait aucune connaissance des comptes de la société », il avait, depuis, suivi une formation pour être qualifié en tant que gérant de restaurant, formation après laquelle il avait travaillé en tant que dirigeant de restaurant pendant plus de 2 années. Les juges consulaires, considérant que les conditions légales étaient remplies et soulignant, non sans ironie, que l’intéressé « sembl[ait] avoir appris de ses erreurs, en particulier celle de reprendre la responsabilité d’une société sans en regarder les comptes », octroyaient le relèvement.
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Tribunal de commerce de Paris, 5e ch., 28 novembre 2017, n° 2017050822 : la situation était intéressante car le chef d’entreprise, qui n’avait pas participé à la procédure et avait été condamné en son absence à une interdiction de gérer d’une durée de 7 ans par un jugement du 2 décembre 2014 (il n’était plus dirigeant au moment de l’ouverture de la liquidation judiciaire), avait continué à gérer, avec succès, les autres sociétés de son groupe. Ayant appris par le juge chargé de la surveillance du RCS qu’il avait fait l’objet d’une sanction, il en demandait le relèvement en fournissant plusieurs attestations : celles de deux experts-comptables affirmant ses compétences d’entrepreneur et sa rigueur de gestionnaire, celle d’un de ses associés attestant de sa probité et enfin celle d’un conseil en levée de fonds affirmant ses compétences en gestion financière, comptabilité et management. Il ajoutait à ces attestations que son groupe, qu’il avait continué à gérer sans savoir qu’il avait été sanctionné, l’était de façon exemplaire, ce qui a convaincu les magistrats consulaires parisiens16.
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Tribunal de commerce de Paris, 5e ch., 28 novembre 2017, n° 2017050839 : le dirigeant, condamné par un jugement du 5 avril 2016 à une interdiction de gérer d’une durée de 5 ans, obtenait son relèvement en produisant deux attestations : une selon laquelle il avait effectué dans une société un stage de comptabilité et de gestion d’une durée de 4 mois et l’autre de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France attestant qu’il avait reçu un avis favorable à sa demande de licence de deuxième et de troisième catégorie dans le domaine de la diffusion du spectacle vivant.
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Tribunal de commerce de Paris, 5e ch., 13 novembre 2018, n° 2018035840 : un dirigeant condamné à une faillite personnelle d’une durée de 10 ans par jugement du 28 octobre 2009, demandait son relèvement. Vu ses revenus de 1 500 € par mois, il n’avait pu contribuer au passif, mais il avait suivi une formation donnée par une chambre de commerce et d’industrie en matière de gestion et d’administration des PME, ce qui a convaincu les juges parisiens.
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Tribunal de commerce de Paris, 5e ch., 5 juin 2018, n° 2018010735 : il s’agissait ici aussi d’un cas intéressant car sans formation postérieure. Le chef d’entreprise, négociateur immobilier très expérimenté, s’était imprudemment lancé dans la gestion immobilière, domaine qu’il ne connaissait pas du tout, ce qui l’avait conduit au dépôt de bilan et à être condamné, par un jugement du 28 mars 2017, à une interdiction de gérer d’une durée de 3 ans. Il demandait le relèvement pour créer de nouveau une société dans le secteur qu’il connaissait parfaitement, celui des transactions immobilières. Le tribunal a considéré que malgré sa mésaventure dans le domaine, inconnu pour lui, de la gestion immobilière, il présentait toutes les garanties pour créer de nouveau une entreprise dans son domaine d’expertise.
13. Les autres éléments retenus par le tribunal – Nous venons de voir quelle application, plutôt mesurée, faisaient les magistrats parisiens des deux conditions légales du relèvement. La jurisprudence du tribunal de commerce de Paris démontre de plus que, comme l’affirmait Christophe Delattre dans son article précité17, d’autres considérations doivent également être prises en compte. Il nous semble possible d’en voir trois :
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La gravité des actes commis par le dirigeant sollicitant le relèvement. Déjà, il faut noter que le relèvement est d’autant plus facile à obtenir que la sanction a été légère, autrement dit que les griefs ont été moins graves. Cela explique pourquoi, dans les décisions, on trouve toujours un ou plusieurs passages sur la gravité des griefs retenus par le jugement de condamnation (voir par exemple, tribunal de commerce de Paris, 2 novembre 1016, 17e ch., n° 2016049655, rappelant, pour rejeter la demande de relèvement, que la dirigeante, qui affirmait avoir eu des raisons familiales expliquant son retard dans la déclaration de cessation des paiements, n’avait pas été condamnée à une interdiction de gérer que pour ce grief : « que les motifs de détournement d’actif, d’augmentation frauduleuse du passif, de non tenue et remise de comptabilité avaient également été retenus avec ceux de non-participation à la procédure ») ;
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La nécessité du relèvement pour le demandeur. Même s’il ne s’agit pas d’un critère spécifiquement prévu par la loi, il relève de l’intérêt à agir : la non-application de la sanction dans toute sa durée ne peut se comprendre que si le relèvement est indispensable au demandeur pour réaliser un projet (voir par exemple, tribunal de commerce de Paris, 21 juillet 2015, n° 2015027768, le dirigeant expliquant son projet de création et l’opportunité de se lancer rapidement et fournissant aux juges un projet de statuts sociaux, ou encore, tribunal de commerce de Paris, 11 juillet 2017, n° 2017030481, soulignant les inconvénients de l’interdiction pour la réputation du reste du groupe de sociétés appartenant au dirigeant).
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La durée écoulée de la sanction. Pour que les sanctions professionnelles demeurent crédibles, et que leur relèvement ne devienne pas une voie de rétractation devant la même juridiction (ce qui serait bien sûr un détournement), il n’est pas question que ce relèvement soit accordé trop tôt, alors que le chef d’entreprise n’a pas exécuté une part significative de la sanction. Cette dernière considération est très présente au sein de la jurisprudence parisienne : elle correspond, d’une part, à la pratique des plaideurs, qui ne saisissent la juridiction d’une demande en relèvement, le plus souvent, que dans le dernier quart, voir le dernier cinquième de la sanction prononcée et, d’autre part, à celle des magistrats consulaires, qui sont d’autant plus souples dans l’appréciation des critères que la fin de la sanction est proche. Ainsi, dans les 17 relèvements prononcés de notre échantillon, les sanctions avaient déjà été exécutées, en moyenne, à 74 %. On retrouve ici la logique, en droit pénal, de la libération conditionnelle : mieux vaut, pour éviter la récidive, accompagner la fin de la peine même en l’anticipant quelque peu plutôt que de laisser la mesure prendre fin par le seul écoulement du temps et sans aucun suivi du condamné…
14. Une jurisprudence équilibrée – Il nous semble finalement que la pratique jurisprudentielle du relèvement par la cinquième chambre du tribunal de commerce de Paris est conforme, bien sûr aux textes, mais également à leur esprit. Il n’est, en effet, pas question de remettre en cause trop facilement une décision de sanction devenue définitive, et donc au fond de se déjuger : il s’agit de prendre en compte tant les efforts que l’évolution du chef d’entreprise, et ceci de façon différenciée selon la nature et de l’importance de ses fautes, de la durée de la sanction écoulée et, dans certains cas, du caractère indispensable, si elle est méritée, d’une levée quelque peu anticipée de l’interdiction pour lui permettre de saisir une opportunité. À lui de démontrer, alors, que la justice a eu raison de lui donner une seconde chance.
Notes de bas de pages
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1.
De son vrai nom, « Directive relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement et modifiant la directive n° 2012/30/UE du 25 octobre 2012 ». Sur ce texte, v. not. Dammann R. et Rotaru V., « Premières réflexions sur la future directive sur les restructurations préventives », D. 2018, p. 2195 et Henry L. C., « La directive relative aux restructurations préventives… et la seconde chance de l’entrepreneur », BJE mars 2019, n° 116t8, p. 9.
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2.
L’exposé des motifs de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, énonçant dès son introduction que « les entrepreneurs doivent pouvoir rebondir plus facilement, en permettant à leur entreprise d’être liquidée et redressée plus rapidement, de manière peu coûteuse et non stigmatisante ».
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3.
C. com., art. L. 651-1 et s.
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4.
En commençant certainement par supprimer le terme de « faillite » personnelle, comme le propose avec raison le professeur Roussel Galle depuis plusieurs années (Roussel Galle P., « Quelques “petites” idées de réforme à droit constant du droit des entreprises en difficulté », JCP E 2018, 1175).
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5.
V. Delattre C., « “Beau temps” pour le dirigeant incompétent ! », Rev. proc. coll. 2015, étude 19.
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6.
Sur cette distinction « morale », v. Galokho C., « Le rebond du débiteur de mauvaise foi », RTD com. 2017, p. 783.
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7.
Rappelons ici que la loi PACTE a modifié le texte pour supprimer la mention des liquidations judiciaires pour les personnes physiques. Ne sont donc plus inscrites, aux termes de l’article 768, 5°, que les sanctions personnelles (article 59, I, 1°, de la loi).
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8.
Articles 774 et 776 du Code de procédure pénale, ce dernier texte prévoyant que le bulletin n° 2 est délivré « aux présidents des tribunaux de commerce pour être joint aux procédures de faillite et de règlement judiciaire, ainsi qu’aux juges commis à la surveillance du registre du commerce à l’occasion des demandes d’inscription audit registre ».
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9.
C. com., art. 128-1 et s.
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10.
Delattre C., « La surveillance du registre du commerce et des sociétés et les interdictions de gérer », Rev. proc. coll. 2016, alerte 28.
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11.
V. not. C. pén., art. 131-27.
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12.
Pour des exemples extrêmement efficaces de poursuite, en comparution immédiate, v. Delattre C., « Violation d’une interdiction d’exercer = comparution immédiate = emprisonnement ferme », obs. sous T. corr. Valenciennes, 28 sept. 2015, n° 1917/15 et T. corr. Amiens, 19 sept. 2016, n° 561/16 : JCP E 2016, 1296.
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13.
Chiffres communiqués par le greffe du tribunal de commerce de Paris, notamment sur son site internet (https://www.greffe-tc-paris.fr/). L’auteur de ces lignes tient à remercier vivement les greffiers associés pour lui avoir donné accès à la base de données des décisions rendues par le tribunal.
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14.
Delattre C., « La procédure de relèvement de l’article L. 653-11 du Code de commerce n’est pas un droit acquis », obs. sous T. com. Lille, 18 oct. 2016, n° 2010/735 et T. com. Lille, 15 nov. 2016, n° 2008/391 : JCP E 2017, 1181. Pour une étude exhaustive de la jurisprudence nationale, v. du même auteur « La procédure de réhabilitation des articles L. 653-11 et R. 653-4 du Code de commerce », Rev. proc. coll. 2011, étude 19.
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15.
V. not. Cass. com., 25 janv. 1994, n° 89-20006 ; Cass. com., 29 mai 2001, n° 98-19364 et Cass. com., 24 mai 2005, n° 04-11964.
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16.
V. également, dans une situation proche, T. com. Paris, 26 sept. 2017, n° 201702814 : le tribunal, en condamnant le dirigeant à 2 ans d’interdiction de gérer par un jugement du 14 juin 2016, avait exclu deux sociétés de cette interdiction, comme le lui permet le texte sur l’interdiction de gérer (alors que ce n’est pas possible pour la faillite). Le dirigeant demandait le relèvement en démontrant que ces deux sociétés continuaient à être parfaitement gérées par ses soins, ce qui prouvait ses compétences, qui étaient de plus affirmées par un article de presse le présentant comme un pionnier du développement durable). V. également, avec des faits similaires, T. com. Paris, 5e ch., 16 mai 2017, n° 2017009759 et T. com. Paris, 5e ch., 11 juill. 2017, n° 2017030481.
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17.
Delattre C., « La procédure de réhabilitation des articles L. 653-11 et R. 653-4 du Code de commerce », Rev. proc. coll. 2011, étude 19.