Florilège de précisions intéressant les causes et les effets de la faillite personnelle et de l’interdiction de gérer

Publié le 20/07/2018

D’une part, l’article L. 653-1 du Code de commerce ne subordonne pas le prononcé d’une faillite personnelle ou d’une interdiction de gérer à l’égard du dirigeant d’une personne morale à la circonstance que cette dernière ait déployé une activité effective.

D’autre part, l’interdiction de gérer toute société assortissant le contrôle judiciaire auquel est soumis le dirigeant d’une personne morale, qui n’emporte qu’interdiction d’accomplir des actes de gestion au nom de cette dernière, n’a pas pour effet de décharger ce dirigeant de son obligation de coopérer avec les organes de la procédure collective ouverte ultérieurement contre la personne morale.

Enfin, il résulte des dispositions de l’article L. 123-12 du Code de commerce que toute société commerciale est tenue d’établir des comptes annuels, peu important qu’elle n’ait ni activité, ni patrimoine affecté par des mouvements de trésorerie.

Cass. com., 11 avr. 2018, no 16-24312, ECLI:FR:CCASS:2018:CO00332

1. Bien que non publiée au Bulletin civil de la Cour de cassation, la décision rendue par la Cour de cassation le 11 avril 2018 est riche d’enseignements1. En l’espèce, par une ordonnance rendue le 21 juin 2012 dans le cadre d’une procédure pénale, Mme X, gérante de la société Y, avait été placée sous contrôle judiciaire avec interdiction de gérer toute personne morale. Après la mise en liquidation judiciaire de cette société, le 15 mai 2014, le ministère public avait assigné Mme X aux fins de prononcé d’une faillite personnelle, en invoquant, notamment, l’inexistence de la comptabilité et la non-coopération de l’intéressée avec les organes de la procédure.

2. Or la cour d’appel de Reims ayant, par une décision du 26 juillet 2016, prononcé la faillite personnelle de Mme X pour une durée de 5 ans, cette dernière avait formé un pourvoi en cassation, par l’intermédiaire duquel elle invoquait différents moyens. La Cour de cassation rejette cependant ce pourvoi. Sa décision comprend quatre solutions notables.

3. En premier lieu, Mme X alléguait le fait que les mesures de faillite personnelle et d’interdiction de gérer une entreprise ne peuvent être prises qu’à l’encontre des dirigeants, de droit ou de fait, des personnes morales, ce qui impliquerait selon elle que « les sociétés en question aient eu une activité ». Or la société Y n’avait jamais eu d’activité, ni salarié, actif ou compte bancaire. Ce moyen est cependant rejeté par la Cour de cassation qui indique que l’article L. 653-1 du Code de commerce ne subordonne pas le prononcé d’une faillite personnelle ou d’une interdiction de gérer à l’égard du dirigeant d’une personne morale à la circonstance que cette dernière ait déployé une activité effective.

4. Cette solution est, selon nous, convaincante. En effet, la lecture de l’article L. 653-1 du code, qui vise les personnes pouvant se voir infliger une faillite personnelle ou une interdiction de gérer, ne dit mot à propos d’une éventuelle nécessité pour la personne sanctionnée d’être dirigeant d’une personne morale ayant eu une véritable activité. Rappelons d’ailleurs que la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 avait supprimé l’exigence tenant à « l’activité économique » de la personne morale dont le dirigeant était susceptible de se voir infliger une sanction professionnelle2. L’activité effective de la société importe donc peu désormais3. Dès lors, admettre une autre solution, serait revenu pour les juges à distinguer là où la loi ne distingue pas.

5. En second lieu, une interrogation se posait à propos de l’article L. 653-5, 5°, qui prévoit la possibilité pour le tribunal de prononcer la faillite personnelle si le dirigeant concerné a « en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ». Mme X prétendait que seule la personne physique, dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale, peut se voir reprocher d’avoir refusé de coopérer avec les organes de la procédure, « comportement qui doit nécessairement être survenu postérieurement à l’ouverture de la procédure ». Dès lors, en reprochant à Mme X de n’avoir réservé aucune suite aux demandes de rendez-vous adressées par le mandataire liquidateur le 28 mai 2014, après avoir constaté que Mme X ne gérait pas la société Y du fait de l’interdiction de gérer toute société qui lui avait été faite par ordonnance du 21 juin 2012 et que cette société avait été mise en liquidation le 15 mai 2014, la cour d’appel n’aurait pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les articles L. 653-1 et L. 653-5, 5°, du Code de commerce. Cependant, cet argument est rejeté par la Cour de cassation. Selon elle, « l’interdiction de gérer toute société assortissant le contrôle judiciaire auquel est soumis le dirigeant d’une personne morale, qui n’emporte qu’interdiction d’accomplir des actes de gestion au nom de cette dernière, n’a pas pour effet de décharger ce dirigeant de son obligation de coopérer avec les organes de la procédure collective ouverte ultérieurement contre la personne morale ». Dès lors, l’attitude de Mme X était critiquable. Son interdiction de gérer ne la dispensait pas de répondre aux demandes du liquidateur afin de faire le point sur la situation de la société, ni de lui remettre les documents réclamés.

6. Ici encore, la solution est convaincante. D’une part, il apparaît, à la lecture de l’article L. 653-5, 5°, du Code de commerce, que celui-ci ne limite pas l’obligation de coopération à un moment précis. D’autre part, et surtout, l’arrêt rappelle implicitement que les effets de l’interdiction de gérer doivent être appréciés strictement : si l’intéressé se voit interdire l’accomplissement des actes de gestion au nom de la société, cette mesure n’a absolument aucune incidence sur l’obligation de coopérer avec les organes de la procédure collective ouverte par la suite contre la personne morale4. Comme le résume alors très justement un auteur5 : cet arrêt « adresse un message très clair à l’égard des dirigeants des entreprises en liquidation judiciaire qui pensent n’avoir aucun compte à rendre aux professionnels de l’insolvabilité désignés ».

7. En troisième lieu, Mme X rappelait que seul doit être condamné celui qui a, en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle au bon déroulement de cette dernière. Par conséquent, alors qu’elle avait notamment constaté que Mme X avait déjà répondu à des questions à l’occasion d’une procédure pénale et que des pièces avaient été remises à cette occasion, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 653-5, 5°, précité. À nouveau, la haute juridiction ne partage pas cette solution. Elle constate en effet, que, convoquée à un entretien en l’étude du liquidateur pour faire le point sur la société Y, Mme X n’avait pas honoré ce rendez-vous et s’était bornée à adresser au liquidateur une lettre indiquant que les documents réclamés avaient été saisis et placés sous main de justice. Elle estime alors que les réponses et pièces fournies par Mme X dans le cadre de la procédure pénale n’avaient pas eu pour effet « de la relever de son obligation de collaborer avec les organes de la procédure collective en vue de faciliter son bon déroulement ». De tels faits faisaient ainsi ressortir « une carence totale dans l’obligation de coopérer avec les organes, faisant obstacle au bon déroulement de la procédure collective ».

8. Cette solution échappe, selon nous, à toute critique. Rappelons que ce cas de faillite personnelle, créé par la loi du 26 juillet 2005, cherche avant tout à imposer une collaboration loyale du débiteur ou du dirigeant avec les organes de la procédure, et qu’à ce titre il déroge à la règle générale qui veut que les faits constitutifs de faillite personnelle soient antérieurs à l’ouverture de la procédure6. En outre, la décision étudiée rappelle utilement que les faits reprochés peuvent parfaitement reposer sur une simple omission7.

9. En dernier lieu, par son pourvoi, Mme X soutenait que la tenue d’une comptabilité ne se justifie que si l’entreprise dispose d’un patrimoine affecté par des mouvements de trésorerie et déploie une activité. Or tel n’était pas le cas ici : la société Y n’avait eu aucune activité. Une violation des articles L. 123-12 et L. 653-5, 6°, du Code de commerce était donc invoquée. La Cour de cassation réfute cette idée. Selon elle, « il résulte des dispositions de l’article L. 123-12 du Code de commerce que toute société commerciale est tenue d’établir des comptes annuels, peu important qu’elle n’ait ni activité, ni patrimoine affecté par des mouvements de trésorerie ». Or, l’intéressée avait reconnu l’absence de tous comptes annuels. Nous étions donc bien dans le cas prévu et sanctionné par l’article L. 653-5, 6°, du Code de commerce.

10. Pour mémoire, ce dernier prévoit la possibilité pour le tribunal de prononcer la faillite personnelle de la personne contre laquelle il peut être relevé le fait, notamment, « de ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ». Or aucune tolérance légale n’est prévue par les textes à l’égard des sociétés n’ayant eu aucune activité. Au contraire, l’article L. 123-12 du Code de commerce dispose que « toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant (…) doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable ». Dès lors, dans ce cas encore, les juges du fond avaient parfaitement appliqué les règles de droit aux faits qui leur avaient été soumis.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 11 avr. 2018, n° 16-24312 : Lettre d’actualité des procédures civiles et commerciales, mai 2018, n° 9, alerte 130 – Delattre C., « Contour de l’obligation de coopération : un nécessaire recadrage », Rev. proc. coll. 2018, étude 7.
  • 2.
    Cerf-Hollender A., « Redressement et liquidation judiciaires. Sanctions professionnelles. Faillite personnelle et autres mesures d’interdiction », JCl. Commercial, fasc. n° 2910, n° 17. Antérieurement à cette loi, la solution légale avait pour effet d’exclure les associations, les syndicats ou les groupements culturels, religieux.
  • 3.
    Il est simplement utile que le groupement ait la personnalité juridique. Cerf-Hollender A., « Redressement et liquidation judiciaires. Sanctions professionnelles. Faillite personnelle et autres mesures d’interdiction », JCl. Commercial, fasc. n° 2910, n° 18.
  • 4.
    Il est vrai que cette coopération ne constitue pas un acte de gestion.
  • 5.
    Delattre C., « Contour de l’obligation de coopération : un nécessaire recadrage », Rev. proc. coll. 2018, étude 7.
  • 6.
    Cerf-Hollender A., « Redressement et liquidation judiciaires. Sanctions professionnelles. Faillite personnelle et autres mesures d’interdiction », JCl. Commercial, fasc. n° 2910, n° 45.
  • 7.
    Pour des précisions jurisprudentielles du contour de l’obligation, Delattre C., « Contour de l’obligation de coopération : un nécessaire recadrage », Rev. proc. coll. 2018, étude 7, n° 12.
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