Un plan de redressement à plusieurs vitesses
Aujourd’hui encore, près de 95 % des entreprises qui font l’objet d’une procédure de redressement judiciaire finissent par être liquidées. Cela revient à remettre en cause le principe même de la procédure de redressement judiciaire.
Quelle est son utilité, si l’entreprise en état de cessation de paiements n’a quasiment aucune chance de survie ?
Une des raisons qui bloquent la continuation d’une activité est la façon dont est pris en compte le passif dans l’arrêté du plan de continuation : le tribunal doit tenir compte de tout le passif déclaré, qui s’entend du passif définitif et du passif prévisionnel. Or les délais de vérification du passif sont en inadéquation avec les délais d’arrêter du plan de continuation, fixés à 18 mois maximum.
Il est grand temps de proposer à ces entreprises en cessation de paiements de nouvelles solutions, plus soucieuses de leur situation, plus efficaces quant à leur survie.
Un plan de redressement à plusieurs vitesses en serait la clef : l’arrêté du plan de continuation primitif ou du plan de continuation primaire tiendrait compte du seul passif définitif et renverrait l’intégration des créances prévisionnelles ou contestées, devenues définitives, dans le plan à une audience ultérieure ou à des modalités d’intégration à fixer en fonction des situations.
Cette nouvelle procédure permettrait d’arrêter dans les temps imposés par la procédure de redressement le plan de continuation nécessaire à la survie de l’entreprise en difficulté.
Le 26 juin 2019, une nouvelle directive, dénommée directive relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement, a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne1.
La loi PACTE, adoptée le 22 mai 2019, habilite le gouvernement à légiférer par ordonnances pour adapter le Code de commerce aux orientations du droit européen2.
Du fait de cette directive, le droit français doit adapter un nouveau droit de l’insolvabilité, un droit des entreprises en difficulté tourné vers le droit des créanciers.
À l’approche de cette nouvelle conception des procédures collectives, un point se doit d’être fait sur le droit actuel, sur les carences de la pratique au niveau de l’arrêté du plan de continuation et sur les solutions qui peuvent être envisagées.
En 2018, 97 %3 des entreprises en cessation de paiements finissent par être liquidées. Cela revient à remettre en cause le principe même de la procédure de redressement judiciaire.
Quelle est son utilité, si l’entreprise en état de cessation de paiements n’a quasiment aucune chance de survie une fois passés le rendu du jugement d’ouverture de la procédure et les portes de la procédure d’observation ?
La sauvegarde de l’entreprise via le plan de continuation a toujours été l’un des principaux objectifs de la procédure de redressement en droit français.
L’article L. 631-1 du Code de commerce l’affirme : le plan de redressement arrêté par le juge-commissaire assure la continuation de l’entreprise, la poursuite de son activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.
La satisfaction des créanciers, quant à elle, est a priori reléguée au second plan : le droit français privilégie la survie de l’entreprise en difficulté et, de ce fait, a institué plusieurs obstacles au remboursement de la créance par le débiteur.
La preuve en est que, dès l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire par un jugement d’ouverture, le passif est gelé et toutes les actions en justice contre le débiteur qui amèneraient à sa condamnation à payer une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent sont interdites4.
Décidément, tout porte à croire aux bienfaits de cette procédure, dernier rempart face à la liquidation ou à la cession de l’entreprise, dernier espoir de ces chefs d’entreprise désireux de pouvoir améliorer la situation et de continuer leur activité. Mais qu’en est-t-il vraiment ?
Malheureusement, la réalité de la pratique confirmée par les statistiques5 est tout autre et nous pousse à réfléchir aux palliatifs d’une telle situation.
Il est grand temps de proposer à ces entreprises en cessation de paiements de nouvelles solutions plus soucieuses de leur situation, plus efficaces quant à leur survie, que cette procédure devienne un bouclier contre la liquidation judiciaire et non le premier coup de poignard les amenant à leur perte.
Il reste alors à trouver une solution à cette hécatombe, en commençant par la simplification de l’élaboration du plan de redressement par voie de continuation, en proposant aux chefs d’entreprise, selon l’état de leurs difficultés, « un plan de redressement par étapes » ou « à différentes vitesses ».
En effet, l’écueil est le suivant : aujourd’hui, pour arrêter un plan de continuation, le tribunal doit tenir compte de toutes les créances déclarées, qui s’entendent des créances définitives mais également celles déclarées à titre prévisionnel, ce qui alourdit considérablement le passif et remet en cause l’arrêté d’un plan.
Un plan de redressement « à plusieurs vitesses » permettrait d’arrêter dans les temps imposés par la procédure de redressement le plan de continuation en intégrant seulement le passif non contesté et renverrait à une date ou des dates ultérieures un nouvel examen du plan, prenant en compte, cette fois, des créances devenues définitives après leur vérification.
Ce plan aurait pour effet de ne se concentrer que sur l’apurement du passif définitif et, de ce fait, d’alléger le passif, donnant un souffle nouveau à l’entreprise en difficulté et lui permettant de poursuivre son activité (I).
Si cette solution novatrice peut indéniablement remédier à l’échec du plan de redressement originel, ce n’est pas sans susciter certaines protestations auxquelles il faudra répondre (II).
I – Une solution novatrice : le plan de continuation à plusieurs vitesses
A – La dangerosité de l’indistinction entre créance définitive et créance prévisionnelle
Selon l’article L. 626-10 du Code de commerce, « le plan désigne les personnes tenues de l’exécuter et mentionne l’ensemble des engagements qui ont été souscrits par elles et qui sont nécessaires à la sauvegarde de l’entreprise. Ces engagements portent sur l’avenir de l’activité, les modalités du maintien et du financement de l’entreprise, le règlement du passif soumis à déclaration ainsi que, s’il y a lieu, les garanties fournies pour en assurer l’exécution ».
De ce fait, la loi vise le règlement du passif établi lors de la déclaration des créances. De quel passif parle-t-on ?
Selon le droit des entreprises en difficulté, la créance, pour qu’elle soit admise, se doit d’être certaine dans son existence et déterminée dans son montant.
Une créance dont le montant est simplement estimé, ou dont l’existence n’est qu’éventuelle, ne peut participer aux dividendes du plan tant qu’elle ne sera pas certaine ni déterminée.
Cependant, la « créance dont le montant n’est pas encore fixé doit être déclarée sur la base d’une évaluation effectuée dans le délai légal de la déclaration »6.
L’évaluation ainsi mentionnée dans la déclaration de créance pourra par la suite être réduite, s’il advient qu’en réalité la créance est inférieure à ce qui avait été imaginé, mais ne pourra pas être augmentée.
Le passif se constitue alors des créances certaines ainsi que des créances à l’être.
Il se peut que, parmi les créances régulièrement déclarées, certaines soient contestables en tout ou partie, d’autant plus que les créanciers sont incités à surévaluer le montant de leur créance.
La tâche de la vérification des créances incombe alors au mandataire judiciaire, qui va examiner l’existence, la nature et le montant des créances déclarées pour pouvoir présenter ses conclusions sous la forme d’une liste de créances au juge-commissaire (Code de commerce, article L. 622-27)7.
Il revient ensuite au juge-commissaire de décider de l’admission ou du rejet des créances déclarées, au vu des propositions du mandataire judiciaire, ou de constater soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence (Code de commerce, article L. 624-2)8.
Des précédentes observations, on peut alors faire la distinction entre deux types de créances : une créance dite définitive et une créance dite prévisionnelle.
Dans le cas d’une créance prévisionnelle, le juge-commissaire a trois possibilités :
-
soit il admet la créance car les parties ont été en mesure de lui indiquer dans quelles conditions la créance a été établie ;
-
soit le juge-commissaire sursoit à statuer dans l’attente que la créance soit définitivement révélée ou arrêtée ;
-
soit le juge se déclare incompétent et sursoit à statuer dans l’attente de la décision à intervenir9.
Au vu de la situation de l’entreprise en cessation de paiements, la meilleure chose à faire serait de mettre de côté les créances prévisionnelles ou incertaines afin de ne concentrer le plan que sur le remboursement des créances certaines. Cela allégerait le passif des créances qui n’ont pas lieu d’être ou qui seront fixées ultérieurement.
Or, il n’en est rien. Le plan de continuation doit prendre en compte tout le passif, y compris le passif prévisionnel (Code de commerce, article L. 640-10).
D’ailleurs, la Cour de cassation précise qu’un plan ne peut se limiter à prévoir le remboursement des seules créances non contestées : le remboursement de tout le passif doit être possible et prévu10.
Le système, jusque-là en faveur du débiteur, montre ses premiers signes de faiblesse.
Ce constat, confirmé par la Cour de cassation, met à mal l’arrêté des plans de continuation lorsque l’on connaît les montants fantaisistes de déclaration des créances prévisionnelles que certains organismes sociaux ou étatiques peuvent émettre.
Cette situation est totalement contre-productive.
Le plan de continuation, acte sur lequel repose l’effectivité de la procédure de redressement, se retrouve établi sur un passif en partie erroné : les créanciers, pour se voir rembourser la totalité de leur créance, ont tendance à déclarer des créances prévisionnelles élevées pour parer à toutes éventualités – « les écarts entre les sommes demandées et l’ardoise réelle peuvent aller de un à dix », dénonce Bruno Delcampe, fondateur de l’association SOS Entrepreneur11 –, ce qui fausse le passif réel de l’entreprise et enlève à celle-ci sa seule chance de survie.
La procédure de redressement est alors une procédure complexe, coûteuse et lente, qui ne se raccorde pas avec la réalité de la pratique.
Et surtout, cette situation met à mal l’adoption du plan de continuation compte tenu du lourd passif qui ne peut être absorbé par les modalités d’apurement du plan.
B – La nécessité d’un plan de continuation à plusieurs vitesses
La procédure de redressement judiciaire est l’une des plus risquées des procédures collectives quant à la survie de l’entreprise car celle-ci est déjà en cessation de paiements, c’est-à-dire qu’elle est dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible (Code de commerce, article L. 631-1).
Il est donc crucial que la procédure soit effectuée de manière rapide et efficace.
Les comportements déviants, que l’on retrouve en pratique, mettent en péril le bon déroulement du plan de redressement et la survie de l’entreprise.
Ces effets pervers sont l’une des raisons pour lesquelles le taux de procédures de redressement qui se muent en procédures de liquidation ou plans de cession est aussi élevé.
Le souci est que les procédures de vérification du passif peuvent prendre beaucoup de temps, voire des années si l’on intègre les recours aux décisions intervenues.
Or cet état des lieux met à mal l’arrêté des plans et le sauvetage des entreprises.
La solution pourrait être de prévoir un plan de redressement à plusieurs vitesses : une prise en compte initiale de tout le passif définitif dans l’élaboration, l’adoption et le déroulement du plan et ensuite l’intégration, tous les ans ou dans un délai périodique fixé dans le plan, des créances prévisionnelles devenues définitives et des créances rendues définitives par un jugement.
1 – Le mode d’emploi de ce nouveau plan
Un petit rappel se doit d’être fait concernant les délais de la procédure.
Selon l’article L. 621-3 du Code de commerce, « le jugement ouvre une période d’observation d’une durée maximale de 6 mois qui peut être renouvelée une fois, pour une durée maximale de 6 mois, par décision motivée à la demande de l’administrateur, du débiteur ou du ministère public. Elle peut en outre être exceptionnellement prolongée à la demande du procureur de la République par décision motivée du tribunal pour une durée maximale de 6 mois ».
Au regard de cet article, la période d’observation dure entre 6 mois et 18 mois. Le tribunal se doit d’arrêter un plan de redressement dans ces délais. Or ces délais ne permettent pas d’arrêter un plan en fonction du passif de la société, dont une bonne partie est en cours de contestation et fait l’objet de recours.
Le plan de redressement à plusieurs vitesses permettrait de respecter les délais de la procédure tout en prenant en compte la situation réelle de l’entreprise.
Pendant la période d’observation, les créances déclarées seraient examinées et vérifiées par le juge-commissaire, qui arrêterait une pré-liste de créances définitives, intégrées par la suite dans le plan d’apurement du passif.
Si certaines créances ne sont pas certaines ou définitives à la fin de la période d’observation, le législateur pourrait prévoir la possibilité de renvoyer à une audience ultérieure pour l’intégration des créances devenues définitives, et ce à l’initiative de la partie la plus diligente (le représentant des créanciers pourrait en être l’instigateur ou le commissaire à l’exécution du plan).
Ainsi, dans la première phase, le tribunal arrêterait un premier plan – ou plan primitif –, dit « à plusieurs vitesses ».
Le plan se diviserait alors en l’apurement de deux types de créances :
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le règlement des créances définitives, prévu par le plan de redressement primitif ;
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une liste de créances incertaines ou en cours d’instance en suspens dont l’incorporation au plan primitif serait remise à plus tard, à une audience ultérieure, lorsqu’elles deviendraient définitives, aux mêmes modalités que pour l’apurement des créances du plan primitif ou/et en fonction d’autres modalités d’apurement.
Ce plan primitif à plusieurs vitesses pourrait prévoir, soit une date périodique d’incorporation des créances devenues définitives, soit une date limite d’incorporation des créances incertaines devenues définitives.
Cette deuxième vague de créances pourrait se régler de la façon suivante :
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si la situation financière de la société permet d’absorber ce complément de créances définitives, le plan primitif pourrait prévoir que le nouveau passif définitif soit apuré selon les modalités d’apurement des créances du plan primitif ;
-
à défaut, d’autres options peuvent être envisagées :
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soit régler ces nouvelles créances selon de nouvelles modalités d’apurement. Mais ne nous heurterons-nous pas au principe d’égalité entre les créanciers ?
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soit la résolution du plan dans son ensemble est prononcée et une nouvelle procédure de redressement judiciaire pourrait s’ouvrir pour arrêter de nouvelles modalités d’apurement du passif dans sa globalité.
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Mais cette dernière option se heurte au Code de commerce, en sa disposition L. 631-20-1, qui indique que « si l’entreprise est en cessation de paiements, la procédure de redressement judiciaire est résolue et le tribunal, après avis du ministère public, ouvre une procédure de liquidation judiciaire »12.
Ne faudrait-il, pas dans cette hypothèse, modifier cette norme et prévoir l’ouverture d’un nouveau redressement judiciaire ou du moins une étape permettant d’adapter l’apurement du nouveau passif global aux nouvelles contraintes économiques ?
2 – La qualification juridique de ce nouveau plan
Bien sûr, les puristes ne manqueront pas de s’interroger sur ce nouveau genre de plan dont l’objectif est de trouver des solutions viables et pérennes au redressement de l’entreprise et à l’apurement de son passif via la continuation.
3 – Les avantages de ce nouveau plan
L’adage selon lequel « en matière financière il faut faire vite » prend ici tout son sens.
Le plan à plusieurs vitesse allégerait le passif auquel l’entreprise doit réellement faire face, collerait plus à la réalité des faits et faciliterait sa prise en charge.
On donnerait au débiteur une marge de manœuvre permettant la continuation de son activité.
On faciliterait l’apurement du passif tout en permettant à l’entreprise de repartir sur de bonnes bases, en lui injectant petit à petit les créances devenues définitives.
Cette solution, non seulement simplifie la procédure et augmente les chances de survie de l’entreprise, mais aussi prend en compte l’aspect économique : il faut faciliter la bonne conduite du plan pour ainsi assurer la vie de l’entreprise.
Ce plan aurait donc plusieurs avantages :
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la continuation rapide de l’activité de l’entreprise ;
-
le maintien des emplois ;
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une plus grande trésorerie ;
-
cette logique pourrait pousser aussi certains créanciers à déclarer de façon plus objective leur créance ;
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un apurement du passif plus rapide ;
-
et, finalement, une protection plus grande des créanciers.
Tous les intérêts auraient à y gagner.
II – Les réponses apportées aux possibles contestations
A – L’atteinte à l’égalité des créanciers
Le premier problème, concernant ce plan de continuation à plusieurs vitesses, porte sur la possible atteinte à l’égalité des créanciers.
L’un des principes fondateurs des procédures collectives est l’égalité des créanciers.
Selon l’article 2093 du Code civil, « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ».
L’entreprise peut être tentée de différencier les propositions de remboursement de ses créanciers suivant la nature de la créance, la catégorie des créanciers voire d’autres critères plus ou moins admissibles.
Toutefois, des critères purement subjectifs ne peuvent être admis pour moduler le sort de certaines créances.
Il a été admis, cependant, par la doctrine que des critères objectifs pouvaient entrer en compte : dès lors que les créanciers sont libres d’accepter ou pas les offres qui leur sont faites, certains considèrent qu’il est tout à fait possible de scinder les créanciers pour établir une proposition particulière de remboursement qui ne s’appliquerait qu’à une catégorie, comme on peut le voir dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris, rendu le 11 mai 201613 pour le plan Ludendo, qui a validé des propositions spécifiques pour les banques ayant participé à une convention de crédit renouvelable.
Dès lors, le plan de redressement à plusieurs vitesses pourrait rentrer dans cette logique.
De plus, cette atteinte à l’égalité des créanciers ne serait pas la première et sera sans doute loin d’être la dernière14.
« Il n’y a pas inégalité, mais égalité véritable à traiter inégalement des choses inégales… », comme nous le rappelle si bien Aristote.
Il a été admis par le droit une certaine « discrimination positive » à l’égard de cette égalité qui peut se voir contournée par souci de réalisme.
Dans le droit positif et communautaire, la restriction au principe d’égalité pour des motifs tirés d’intérêts supérieurs n’est pas nouvelle. Il a d’ailleurs été admis, en droit communautaire, que le principe d’égalité pouvait connaître « certaines limites justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par la communauté, dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à la substance des droits » en cause15.
L’atteinte à l’égalité des créanciers peut donc se justifier par une volonté de respecter et protéger l’intérêt général et le réalisme dont doivent faire preuve les entreprises en difficulté.
B – Les risques de déviance
Avec l’application d’un plan de redressement à plusieurs vitesses, on peut craindre deux types de comportements abusifs :
-
le créancier outrepasse le caractère prévisionnel et s’arroge le droit de déclarer une créance définitive ;
-
le débiteur conteste les créances à outrance.
Le premier comportement peut être contré facilement avec la procédure de vérification du juge-commissaire, qui examine le bien-fondé de la créance.
Le deuxième comportement est moins à craindre car le débiteur, aidé de son conseil, est soucieux de faire adopter un plan qui sera fiable sur le long terme.
Ce filtrage est, d’ailleurs, effectué par le juge-commissaire actuellement : le juge-commissaire, au moment de la vérification des créances, non seulement corrige les créances définitives mais distingue les contestations sérieuses des contestations « anodines ».
Il est compétent pour répondre et décider du sort des créances contestées en l’absence de contestations sérieuses tandis que, en présence de contestations sérieuses, ces créances sont classées en créances prévisionnelles (Code de commerce, article L. 624-2).
C – La critique de l’abus des « soins intensifs »
Un autre problème, perçu même actuellement, est la remise en question de l’objectif des procédures collectives.
À trop vouloir sauver l’entreprise, le législateur ne serait-il pas en train de créer des procédures inutiles qui n’ont pour effet que de retarder l’inévitable ?
Ne serait-il pas temps de voir la vérité en face et d’arrêter ces soins intensifs abusifs qui ont pour seul effet l’augmentation du contentieux dans une justice déjà débordée et à bout de souffle ?
À cela une seule réponse : « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».
Une société en difficulté est comme une plante qui, par manque d’eau, se meurt.
Le seul remède est de l’abreuver et non de la couper, car en la coupant on risque de passer à côté de l’arbre fruitier qu’elle aurait pu devenir.
Pour une entreprise, le raisonnement est le même : dans une société en proie au chômage et au ralentissement de l’économie, favoriser la production et la continuation des emplois est la meilleure option.
Pour conclure, les spécialistes du « restructuring » se sont longuement interrogés sur la façon de remédier à cette difficulté et à cet amalgame du passif définitif au passif prévisionnel qui bloque l’adoption de nombreux plans de continuation par le tribunal : le plan à plusieurs vitesses pourrait être une des solutions.
Notes de bas de pages
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1.
Dir. (UE) n° 2019/1023, du Parlement européen et du Conseil, 20 juin 2019 : JOUE L 172, 26 juin 2019, p. 18.
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2.
L. n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 196 : JO, 23 mai 2019.
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3.
Sur la base des données récoltées par l’INSEE.
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4.
Code de commerce, article L622-7 : « Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d’ouverture, non mentionnée au I de l’article L. 622-17 [C. com., art. L. 622-17]. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires ».
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5.
Sur la base des données récoltées par l’INSEE.
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6.
Cass. com., 14 janv. 2004, n° 02-17172.
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7.
Code de commerce, article L622-27 : « S’il y a discussion sur tout ou partie d’une créance autre que celles mentionnées à l’article L. 625-1 [C. com., art. L. 625-1], le mandataire judiciaire en avise le créancier intéressé en l’invitant à faire connaître ses explications. Le défaut de réponse dans le délai de 30 jours interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire, à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créances ».
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8.
Code de commerce, article L624-2 : « Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l’a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission ».
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9.
Cass. com., 2 nov. 2016, n° 15-13273.
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10.
Cass. com., 15 nov. 2016, n° 14-22785.
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11.
Trouvelot S., « Redressements judiciaires : la machine à achever les PME en difficulté », Capital.fr, 11 avr. 2017.
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12.
L’article L. 631-20-1 du Code de commerce précise « par dérogation aux dispositions du troisième alinéa de l’article L. 626-27, lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l’exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de liquidation judiciaire » : seule la liquidation judiciaire est possible si la procédure de redressement échoue (encore faut-il que la cessation des paiements soit expressément constatée, ce qui doit être motivé et le seul fait que le plan ne soit pas respecté ne suffit pas s’il n’en est pas tiré la cessation des paiements, Cass. com., 8 janv. 2020, n° 18-16295).
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13.
CA Paris, 5-8, 11 mai 2016, n° 16/03704.
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14.
Delmotte P. (conseiller référendaire C. cass.), « L’égalité des créanciers dans les procédures collectives », étude, in rapp. C. cass, 2003.
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15.
CJCE, 14 mai 1974, n° 4-73, Nolc c/ Commission.