Covid-19 : plusieurs initiatives parlementaires émergent

Publié le 19/05/2020

Crédit immobilier, droit des assurances, gouvernance des entreprises, droit des personnes et taxation des successions : cinq propositions de loi émanant de députés se veulent être des mesures de soutien supplémentaires pour les victimes de la crise sanitaire.

Dans le contexte de la crise économique, les députés multiplient les initiatives législatives pour prévoir des mesures à destination des victimes du Covid-19, et des entreprises les plus en difficultés. Déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale le 7 avril 2020, cinq propositions de loi visent à tirer les conséquences de la crise en matière de crédit immobilier, droit des assurances, gouvernance des entreprises, droit des personnes et taxation des successions.

Suspendre les échéances de crédit immobilier

La proposition de loi n° 2810 vise à reporter les remboursements des mensualités de prêts immobiliers pendant 6 mois lors d’une crise sanitaire déclarée. Cette proposition s’inspire d’une initiative en Italie, où les ménages qui ont souscrit un prêt immobilier peuvent suspendre le remboursement de leur mensualité jusqu’au 31 décembre 2020. Pour l’heure, le Gouverneur de la Banque de France ne souhaite pas une telle mesure car « les ménages sont en situation de pouvoir d’achat préservé à travers la prise en charge de leur salaire ». Pour les auteurs de la proposition de loi, le chômage partiel pour les salariés, la forte réduction de l’activité pour les indépendants, entraîne, pour de nombreux Français des baisses de revenus et des difficultés financières pour continuer de rembourser leur prêt immobilier.

La proposition vise donc à leur donner la possibilité exceptionnelle de reporter pour 6 mois le remboursement, au moins du capital des mensualités. Elle propose d’ajouter parmi les causes de suspension de l’exécution de ses obligations par le débiteur, prévu par l’article L. 314‑20 du Code de la consommation, relatif au délai de grâce dans les opérations de crédit, la circonstance de crise sanitaire déclarée.

Exonérer les successions des victimes du Covid-19

La proposition de loi n° 2815 vise à exonérer de droits de succession les héritiers des soignants décédés des suites de leur engagement direct contre le Covid-19.

Les auteurs de la proposition de loi rappellent qu’en France, plus de 4 032 personnes sont décédées en milieu hospitalier depuis le 1er mars du coronavirus, et recensent plus de 5 500 personnes dans les services de réanimation français.

Les soignants, exposés en première ligne, paient un lourd tribut dans le combat contre le virus. D’après le président de la Société française d’hygiène hospitalière (SFHH), le docteur Bruno Grandbastien, « les soignants ne sont pas à l’abri d’une contamination sur leur lieu de travail, en particulier s’ils ont pris en charge un patient admis pour une autre cause et qui développe des signes respiratoires deux ou trois jours après son hospitalisation. Les soignants peuvent être contaminés comme tout le monde hors de leur lieu de travail mais, du fait de cette éventualité dans le cadre de leur profession, ils ont un risque supérieur à celui de la population générale ».

En France, au 25 mars, plus de 600 soignants de l’AP-HP avaient été contaminés. 6 médecins hospitaliers sont décédés des suites du Covid‑19 au 31 mars. En Chine, plus de 2 000 soignants ont été infectés. En Italie, c’est près de 5 000, dont 24 décès, d’après la Fédération des médecins d’Italie le 24 mars.

Pour exonérer des droits de succession les héritiers de toute personne, membre du personnel soignant, décédée des suites d’une maladie contractée ou aggravée à l’occasion de son engagement direct contre l’épidémie de Covid‑19, la proposition de loi s’appuie sur l’article 796 du Code général des impôts (CGI), qui prévoit des régimes spéciaux d’exonérations des héritiers de certains morts pour la France. Le texte propose de rajouter un paragraphe 11 qui exonérerait les successions « de toute personne membre du personnel soignant décédé des suites d’une maladie contractée ou aggravée à l’occasion de son engagement direct contre l’épidémie de Covid‑19 ».

Une reconnaissance spéciale des enfants des soignants décédés du Covid-19

Dans le même registre, une proposition de loi n° 2797 vise à étendre le statut de pupille de la nation aux enfants des personnels de toutes catégories, civils et militaires, décédés des suites directes de leur engagement contre le Covid‑19. Pour les auteurs de la proposition de loi, les soignants et personnel des administrations (armées, police, etc.) décédés pour avoir contracté le Covid-19 dans le cadre de leur fonction, méritent une reconnaissance de la nation, qui ne saurait être que symbolique. « Elle doit permettre, notamment, la protection de la famille de celui qui a perdu sa vie au profit d’autres. L’État doit, ainsi, entre autres, garantir à toutes ces personnes que l’avenir de leurs enfants sera assuré d’un point de vue matériel (…). Il s’agit de reconnaître la dette de la France à l’égard de ces personnes particulièrement méritantes. Ils ont des droits sur nous ! ».

Pour mémoire, la qualité de pupille de la nation a été instaurée initialement par la loi du 27 juillet 1917 ; elle était destinée à l’origine aux enfants « orphelins de guerre » adoptés par la nation. La Première Guerre mondiale ayant laissé de nombreuses familles sans soutien familial, ce statut permettait aux enfants qui en étaient bénéficiaires de recevoir une protection supplémentaire, particulière et très concrète, en complément de celle exercée par leurs familles. Par la suite, cette reconnaissance a été étendue aux enfants de gendarmes, de fonctionnaires des services actifs de la police nationale, et à ceux de l’administration pénitentiaire et des douanes. Une proposition de loi votée en première lecture à l’Assemblée nationale en décembre 2019, prévoit son extension aux orphelins des sauveteurs en mer décédés en mission.

L’article 1er du texte propose donc : « la qualité de pupille de la nation est accordée aux enfants des personnels de toutes catégories, civils et militaires, décédés des suites d’une maladie directement contractée ou aggravée, à l’occasion de leur engagement contre le Covid‑19 ».

L’initiative parlementaire pourrait être entendue par l’exécutif, qui en a été informé lors de la séance des questions au gouvernement du 29 avril. La demande a évolué vers une reconnaissance nationale, des « enfants de nos soignants morts pour la France » dans la lutte contre l’épidémie. Signée par 75 députés LREM, MoDem, Libertés et Territoires ou UDI, elle a été transmise au ministre de la Santé Olivier Véran, le 15 avril. C’est Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, qui a réagi. Après avoir reconnu qu’ « il y a des soignants qui ont été contaminés et qui ont payé de leur vie leur engagement pour en sauver d’autres », elle a indiqué qu’« en cas de décès, les ayant droits disposeront d’une compensation de revenus (…). Le gouvernement est en train de travailler pour vérifier si les dispositifs existants sont adaptés (…) et le cas échéant nous étudierons votre proposition sur les pupilles de la nation, qui peut venir compléter ces dispositifs, pris pour venir en soutien de ces familles ».

Restreindre les distributions de dividendes

La proposition de loi n° 2806 vise à interdire le versement de dividendes en 2020 aux sociétés ayant bénéficié de la solidarité nationale dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Pour aider les entreprises à faire face à la crise, l’État et les collectivités territoriales ont mis en place plusieurs dispositifs : mécanisme de garantie bancaire pour assurer le financement des entreprises à hauteur de 300 milliards d’euros, fonds de solidarité envers les petites entreprises, report et de remise fiscale et sociale, report de loyers et de factures.

Aujourd’hui, le cadre contraignant est le suivant : une grande entreprise qui demande un report d’échéances fiscales ou sociales ou un prêt garanti par l’État s’engage à ne pas verser de dividendes en 2020 à ses actionnaires en France ou à l’étranger et à ne pas procéder à des rachats d’actions au cours de l’année 2020. À défaut, elle s’expose au remboursement des cotisations sociales ou échéances fiscales reportées, au remboursement du prêt garanti par l’État, avec application des pénalités de retard de droit commun, calculées à partir de la date d’exigibilité normale des échéances reportées.

La proposition de loi vise à inscrire dans la loi l’engagement demandé par le ministre de l’Économie et des Finances aux entreprises concernées. Elle comporte un unique article qui interdit le versement de dividendes en 2020 aux sociétés, quelle que soit leur forme juridique, ayant bénéficié d’au moins une des aides directe ou indirecte de l’État mises en œuvre pour amortir les effets économiques de la crise.

Ne sont concernées que les sociétés dont le total de bilan est supérieur à 20 millions d’euros ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros, soit le seuil de définition de l’entreprise moyenne au sens de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises. Les petites entreprises, les entreprises de l’économie sociale et solidaire ou les groupements agricoles d’exploitation en commun en sont exclus.

L’interdiction s’étend à toute forme de dividende, y compris les avances et les intérêts sur premier dividende, qu’ils soient en numéraire ou en action, ainsi qu’à la mise en distribution de sommes prélevées sur les réserves.

L’article prévoit également que toute délibération des actionnaires qui contreviendrait à ces dispositions serait nulle. Il prévoit également une sanction en cas de non‑respect de cette interdiction avec une amende correspondant au montant ou à la valeur des dividendes ainsi versés, majorée de 5 % du chiffre d’affaires mondial consolidé.

L’interdiction concerne la société qui a bénéficié de l’un des dispositifs suivants :

  • du fonds de solidarité créé par l’ordonnance n° 2020‑317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid‑19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ;

  • de délais de paiement d’échéances sociales ou fiscales ou de la remise d’impôts directs ou de cotisations sociales ;

  • d’un prêt garanti par l’État ;

  • de la médiation du crédit pour le rééchelonnement de ses crédits bancaires ;

  • du dispositif d’activité partielle précisé par l’ordonnance n° 2020‑346 du 27 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière d’activité partielle ;

  • de la non‑application de pénalités du fait de sa carence dans l’exécution d’un marché public conclu avec l’État, une collectivité territoriale ou un établissement public ;

  •  ou du dispositif de report de paiement des loyers et factures.

La proposition de loi prévoit que toute société contrevenant aux dispositions du présent article est redevable d’une amende équivalente au montant ou, le cas échéant, à la valeur des dividendes indûment versés, majorée d’une pénalité correspondant à 5 % du chiffre d’affaires mondial consolidé de la société.

Faire contribuer les assurances aux pertes d’exploitation

La proposition de loi n° 2807 tend à instituer une contribution exceptionnelle des assureurs au soutien des entreprises fragilisées par l’épidémie de Covid‑19 et créée une couverture du risque de catastrophe sanitaire.

Suite à l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, institué par la loi n° 2020‑290 du 23 mars 2020, près de 700 000 entreprises sont en cessation partielle ou totale d’activité, une situation qui concerne plus de 8 millions de salariés (chiffres au 11 avril). Parmi ces entreprises, environ la moitié a souscrit une assurance « perte d’exploitation » et parmi celles‑ci, seules 30 % sont couvertes au titre des pertes d’exploitation sans dommage matériel d’après une étude menée par l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise, en février 2020. Parmi ces dernières, seules 40 % sont couvertes contre le risque épidémique, un risque qui exclut souvent certaines maladies, comme le SRAS ou le H1N1.

Bien qu’ils aient souscrit un contrat d’assurance « perte d’exploitation », de nombreux artisans, commerçants et entreprises ont essuyé un refus de la part de leur assureur de les dédommager pour la perte d’activité qu’ils subissent suite à la crise du coronavirus. Les assureurs invoquent deux facteurs : premièrement, le dédommagement ne porterait que sur le dommage matériel et non sur le chiffre d’affaires non réalisé ; deuxièmement, les pandémies ne seraient pas retenues par les assureurs parmi les cas ouvrant droit à dédommagement.

Face à cette situation, le 23 mars 2020, la Fédération française de l’assurance (FFA) s’est engagée à contribuer à hauteur de 200 millions d’euros au fonds de solidarité bénéficiant notamment aux TPE et aux indépendants. Elle a aussi annoncé le maintien de garantie des contrats des entreprises en retard de paiement, ainsi que le différé de paiement des loyers des PME et des TPE en difficulté.

Pour les auteurs de la proposition de loi, « si ces mesures sont bienvenues, elles ne paraissent pas suffisantes ». C’est pourquoi, afin de répondre immédiatement aux besoins, ils proposent une contribution exceptionnelle de la part des assureurs, d’un montant total de 500 millions d’euros (qui inclut les 200 millions d’euros déjà annoncés).

L’assiette de la contribution serait limitée aux seules sociétés d’assurance agréées pour la branche des risques de pertes pécuniaires diverses, soit la branche 16 telle que définie par l’article R. 321‑1 du Code des assurances. Quant à son montant, il se baserait sur les chiffres fournis par la profession pour l’exercice 2018 et repris dans le rapport annuel de la FFA. Le taux de sinistralité observé étant en moyenne de 75 %, la dépense pour les assureurs au titre de la perte d’exploitation peut être estimée à environ 1,58 milliard d’euros. Ainsi le solde disponible se situerait autour de 520 millions d’euros. Il est donc proposé de retenir la somme de 500 millions d’euros. Le non‑paiement de la contribution entraînerait pour la compagnie, la suspension de son agrément pour un an pour la branche d’assurance considérée.

Ensuite, la proposition de loi vise à faire évoluer le cadre juridique de l’assurance « perte d’exploitation ». Aujourd’hui, la reconnaissance d’état de catastrophe naturelle ne permet pas l’activation de la garantie pertes d’exploitation face à la crise sanitaire actuelle, car la définition de la catastrophe naturelle ne prévoit pas le risque épidémique comme risque d’origine naturelle. De plus, la crise sanitaire n’implique aucun dommage matériel, alors que l’assurance des risques liés à une catastrophe naturelle repose sur la constatation d’un dommage matériel non assurable provoqué directement par l’intensité d’un agent naturel.

Pour répondre au vide juridique et couvrir, à l’avenir, les risques propres aux épidémies, la proposition vise à étendre, pour les futurs contrats, la garantie « pertes d’exploitation » dans le cadre d’un nouveau risque, celui de l’état de catastrophe sanitaire. Ainsi, un nouveau chapitre consacré aux risques des catastrophes sanitaires serait introduit dans le Code des assurances.

La reconnaissance de l’état de catastrophe sanitaire par décret en conseil des ministres permettrait à l’assuré de faire valoir sa garantie « pertes d’exploitation » en cas d’interruption totale ou partielle d’activité en raison des mesures prises par l’autorité administrative pour endiguer la crise en cours, qu’il s’agisse de la fermeture de lieux ou de la limitation de la circulation des biens et des personnes. La garantie serait couverte par une prime ou une cotisation additionnelle obligatoire et réputée écrite dans tous les contrats prévoyant une garantie en pertes d’exploitation. Enfin, les délais d’indemnisation seraient fixés à 30 jours à compter de la publication du décret reconnaissant l’état de catastrophe sanitaire.

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