Justice commerciale : les juges consulaires préparent une réforme
À l’occasion du Congrès national des tribunaux de commerce qui s’est déroulé les 9 et 10 novembre derniers à la Maison de la Chimie à Paris, Georges Richelme, président de la Conférence nationale des juges consulaires de France, a présenté les propositions de réforme pour rationnaliser la justice économique en France.
La justice économique en France est trop compliquée ! C’est en tout cas la conviction des juges consulaires réunis les 9 et 10 novembre derniers en congrès national. Dans son discours, le président Georges Richelme a pointé la répartition complexe des compétences entre les tribunaux de commerce et les tribunaux de grande instance. Selon le Code de l’organisation judiciaire en effet, le tribunal de grande instance est compétent dans toutes les matières qui ne sont pas expressément attribuées à une autre juridiction : artisans, agriculteurs, professions libérales, associations et sociétés civiles. En revanche, si un agriculteur ou un artisan exerce sous forme de société, son activité relève du tribunal de commerce. En outre, le tribunal de grande instance a une compétence exclusive pour les litiges relatifs aux baux commerciaux et à la propriété intellectuelle qui sont des domaines importants de la vie des entreprises. De la même façon le tribunal de commerce n’est compétent que pour les procédures à l’encontre du débiteur ayant une activité commerciale ou artisanale. Les autres procédures relèvent du tribunal de grande instance. Et pour compliquer le tout, souligne Georges Richelme, « relevons que depuis la loi du 6 août 2015 dite « loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, seuls 18 tribunaux de commerce sur les 134 qui existent aujourd’hui sont compétents pour les entreprises importantes… ». À ce problème de lisibilité que les juges constatent au quotidien dans leur activité, s’ajoutent les bouleversements induits par les évolutions technologiques qui font bouger les lignes traditionnelles de répartition des compétences. C’est forts de ces constats que les juges consulaires travaillent depuis plusieurs mois sur des propositions de réorganisation. « Il faut revoir cette géographie, ce qui n’a jamais été fait jusqu’ici », estime Georges Richelme.
Un grand tribunal économique
La Conférence nationale des tribunaux de commerce émet ainsi deux propositions principales. La première consiste à créer un tribunal des acteurs économiques dont la compétence engloberait des acteurs pour l’instant exclus : agriculteurs, associations, professions libérales. La deuxième réforme consisterait à étendre la compétence des tribunaux de commerce aux baux commerciaux et à la propriété industrielle. Si les propositions sont émises en cette période, c’est bien évidemment pour s’inscrire dans le mouvement de réforme de la justice initiée par le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la Justice Nicole Belloubet le 6 novembre dernier à Nantes. Pour mémoire, cinq groupes de travail ont été lancés sur la procédure civile, la procédure pénale, le numérique, la peine et l’organisation judiciaire. Les travaux devront être rendus le 15 janvier et donneront lieu à un projet de réforme en profondeur de la justice qui doit accompagner une loi de programmation quinquennale destinée à accroître significativement le budget du ministère. Du côté des tribunaux de commerce, les travaux ne sont pas terminés. La Conférence va mettre en place une commission d’une dizaines de spécialistes qui va mener des auditions aux fins d’évaluer la faisabilité des réformes envisagées. D’ores et déjà, le président Georges Richelme a souligné que les greffiers des tribunaux de commerce étaient favorables à une réforme de même que les administrateurs et les mandataires liquidateurs. La ministre de la Justice de son côté, qui a tenu à assister au Congrès national, s’est dite ouverte aux propositions que pourrait lui faire la Conférence. Georges Richelme prévoit une remise des travaux de la commission d’ici l’été prochain. « Il faut se hâter lentement », a-t-il souligné. Autrement dit, il n’est pas question de précipiter la réflexion même si le ministère a fixé, quant à lui, une limite au 15 janvier pour les réformes qu’il initie.
L’appui du Sénat
L’ambition de réforme de la Conférence n’est pas isolée. La proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice, issue du rapport de la commission des lois piloté par le sénateur Philippe Bas, intitulé : » Cinq ans pour sauver la justice », et adoptée le 24 octobre dernier prévoit dans son article 15 la création d’un tribunal des affaires économiques. À l’origine, il était question de transférer aux tribunaux de commerce à la fois le contentieux général et les procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, relevant du livre VI du Code de commerce. Mais les rapporteurs, Jacques Bigot et François-Noël Buffet, ont constaté que le transfert du contentieux général était controversé et que les juges consulaires eux-mêmes plaidaient principalement pour le transfert des procédures intéressant les difficultés des entreprises, au titre d’un savoir-faire juridictionnel particulier. D’autre part, ils ont relevé que limiter ce transfert de compétence aux entreprises conduirait à laisser au tribunal de grande instance une compétence résiduelle pour les difficultés des personnes morales non commerçantes sans activité économique, principalement des associations. Ils ont donc estimé « plus simple de confier au futur tribunal des affaires économiques une compétence exclusive sur l’ensemble des mesures et des procédures relevant du livre VI du Code de commerce, quel que soit le statut du débiteur ». L’article 14 de la proposition de loi tend, quant à elle, à élargir le corps électoral des juges consulaires aux agriculteurs et professionnels libéraux, y compris membres des professions réglementées, par cohérence avec l’extension de la compétence rationae personae des tribunaux de commerce à l’ensemble des entreprises, prévue à l’article 15 de la proposition de loi. Sur la question des baux commerciaux, les rapporteurs notent : « Vos rapporteurs n’ont pas souhaité, à ce stade, aller jusqu’à transférer le contentieux des baux commerciaux au tribunal de commerce, cette question méritant à leurs yeux une réflexion approfondie, au regard notamment des motifs qui ont conduit à attribuer la compétence en la matière au tribunal de grande instance. En tout état de cause, en cas de procédure collective, il convient d’éviter que le délai de la procédure portant sur le bail ne fasse obstacle à une action rapide de la juridiction commerciale ». En d’autres termes, la proposition de loi est assez proche des ambitions des tribunaux de commerce même si elle reste en retrait sur certains points.
La prochaine étape d’une possible réforme des tribunaux de commerce sera donc la publication en juin prochain des travaux de la commission mise en place par la Conférence générale pour tester concrètement auprès des différents acteurs concernés les propositions de réforme issues des réflexions menées ces derniers mois. Pour une fois, les tribunaux de commerce ne sont pas dans l’opposition aux réformes que le gouvernement souhaite leur imposer mais force de proposition, c’est un changement qui mérite d’être souligné !