La protection du secret des affaires entre ombre et lumière

Publié le 27/06/2019

Si la loi relative à la protection du secret des affaires renforce la protection du savoir-faire des entreprises, il est impératif que cette nouvelle garantie soit strictement définie afin qu’elle ne porte pas atteinte à d’autres garanties liées au droit à l’information. Or ses premières mises en œuvre révèlent l’absence de délimitation franche du champ du secret des affaires, carence rendue possible par l’imprécision des termes de la loi et les modalités du contrôle minimal effectué par le Conseil constitutionnel.

Conscientes que nul ne garde mieux un secret que celui qui l’ignore, les entreprises ont perpétuellement souhaité protéger leur savoir-faire. La concurrence internationale a aiguisé ce scrupule, le développement et la survie d’une entreprise imposant la défense du savoir-faire qui constitue un gain sur le marché. Historiquement, l’outil juridique a permis aux entreprises d’assurer à leurs secrets la confidentialité escomptée grâce au brevet, capable de protéger une innovation jusqu’à 25 ans1, et aux responsabilités civiles extracontractuelle et contractuelle. Toutefois, la difficulté de l’obtention d’un brevet et l’aléa de l’engagement de la responsabilité ne garantissait pas aux entreprises une protection suffisamment efficace.

La récente entrée en vigueur de la loi relative à la protection du secret des affaires2 a l’ambition de combler cette carence en étendant, à l’heure du défi majeur de la digitalisation des informations, le champ des informations susceptibles de demeurer secrètes. Le but est aussi, indirectement, d’assurer la pérennité de l’industrie française en promouvant sa capacité à investir et financer la recherche. Le législateur a donc rehaussé, comme il l’avait fait pour la protection des données personnelles3, la protection des informations des entreprises. Ainsi, seront désormais protégées de toute obtention, utilisation ou divulgation par un tiers toutes les informations inconnues ou inaccessibles des personnes familiales du secteur concerné, qui revêtent une valeur commerciale effective ou potentielle et qui font l’objet de mesures raisonnables de protection de leur détenteur4. Afin de garantir leur confidentialité, les juridictions pourront adopter des mesures visant à empêcher toute atteinte, ou le cas échéant les sanctionner.

Une telle protection interpelle alors même qu’a récemment été adopté un statut juridique dédié aux lanceurs d’alerte5. Elle préoccupe aussi au vu des scandales sanitaires et financiers liés à plusieurs entreprises nationales et internationales qui ont rappelé le caractère fondamental de la liberté d’accès à l’information. C’est d’ailleurs notamment au nom de la liberté d’expression que des parlementaires ont soumis au Conseil constitutionnel le contenu de cette loi relative à la protection du secret des affaires.

La validation sans réserve6 de ce texte législatif assurant la transposition d’une directive européenne7 laissait présager l’absence de débat. Toutefois, la directive prévoyait la formation d’un socle minimal visant à limiter les entraves au fonctionnement du marché intérieur sans réduire les droits et libertés des citoyens. Le texte prévoyait même que le secret garanti ne devait empêcher l’application de règles imposant « la divulgation d’informations, y compris de secrets d’affaires, au public ou aux autorités publiques »8. Dans ces conditions, toute critique ne serait qu’un cri de Cassandre, le secret des affaires étant appelé à renforcer les garanties des entreprises sans déprécier celles des citoyens.

Cependant, la simple éventualité d’une confrontation avec le droit à la communication des documents administratifs, selon lequel les administrations « sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande »9, obscurcit cette présentation laudative. Or certains de ces documents visés pourraient dorénavant prétendre à la confidentialité en tant que « secret d’affaires ». Cette perspective est loin d’être théorique tant les premières mises en œuvre de la loi relative à la protection du secret des affaires ont fait apparaître la difficulté d’interprétation de certaines de ses notions. Tout l’enjeu devient alors d’évaluer le risque d’affaiblissement du droit à la communication des documents administratifs par la nouvelle garantie du secret des affaires.

Si cette interrogation étonne, quelques mois après la validation du texte par le Conseil constitutionnel, son analyse révèle que les « sages » ont manqué l’occasion de délimiter la protection due au secret des affaires. L’incertitude de ses frontières est donc le fruit d’un contrôle décevant du Conseil constitutionnel (I), constat d’autant plus regrettable que cette incertitude menace directement les droits et libertés des citoyens (II).

I – Une protection aux frontières incertaines, fruit du contrôle décevant du Conseil constitutionnel

En affirmant – limité par son « contrôle usuel restreint »10 d’une loi de transposition – la conformité de la protection du secret des affaires à la constitution, le Conseil constitutionnel n’a pas réglé toutes les questions. Si son contrôle de l’intelligibilité du texte législatif a fait espérer la définition d’un strict encadrement de la protection du secret des affaires (A), cette innovation n’a débouché que sur un contrôle rudimentaire décevant tout espoir de clarification du champ de cette garantie (B).

A – L’espoir né du contrôle de l’intelligibilité d’une loi de transposition

Le Conseil constitutionnel ne pouvait organiser la conciliation du droit à la communication des documents administratifs, droit dont l’origine n’est pas constitutionnelle, avec le secret des affaires, dans le cadre de son contrôle minimal. Saisi du contrôle d’une loi transposant une directive européenne, le Conseil ne pouvait que contrôler sa conformité à l’article 88-1 de la constitution et vérifier qu’elle se bornait à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la directive. En bref, le Conseil s’en tenait à contrôler l’absence d’incompatibilité manifeste entre la loi nationale et le texte européen.

Afin de se libérer de cette contrainte et retrouver l’intensité d’un contrôle classique, il lui fallait considérer qu’étaient mis en cause une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Si l’espoir était mince, les requérants invoquaient la liberté d’entreprendre, le principe d’égalité devant la loi et la liberté d’expression et de communication qu’ils considéraient comme relevant de l’identité constitutionnelle française. Les deux premières notions, dénuées d’intérêt pour délimiter les frontières de la protection du secret des affaires, n’en relevaient assurément pas : la protection européenne de la liberté d’entreprendre11 et du principe d’égalité devant la loi12 était équivalente à celle issue de la constitution.

La liberté d’expression et de communication13 avait le potentiel pour cerner le champ de la confidentialité garantie aux entreprises : les requérants soutenaient que les trois exceptions prévues à l’article L. 151-8 du Code de commerce permettant l’obtention, l’utilisation et la divulgation d’informations susceptibles d’être couvertes par le secret des affaires n’étaient pas suffisantes pour la sauvegarder. En admettant une protection constitutionnelle de cette liberté supérieure à la protection européenne, le Conseil aurait pu contrôler la suffisance de la définition de ces exceptions et, indirectement, la compatibilité entre secret des affaires et communication des documents administratifs. Toutefois, la garantie européenne de la liberté d’expression et de communication ne différant pas substantiellement de celle ressortant des dispositions constitutionnelles, une telle liberté ne relevait pas de l’identité constitutionnelle nationale et le contrôle du Conseil avait vocation à demeurer restreint.

Si l’éclaircissement des frontières du secret des affaires semblait alors exclu, les « sages », saisis d’un moyen tiré de l’insuffisante précision des exceptions précitées et du caractère évasif de la protection instaurée, étaient invités à contrôler l’intelligibilité du texte. Seulement, le Conseil constitutionnel n’avait encore jamais effectué un tel contrôle vis-à-vis d’une loi de transposition. Dans cette décision, il s’est, pour la première fois14, permis de le faire, renouvelant son office restreint tout en se donnant l’opportunité de contrôler l’intelligibilité des limites législatives du champ de la protection du secret des affaires et, ainsi, en déduire l’étendue précise. Si cette extension faisait donc naître l’espoir d’une franche délimitation du secret des affaires, cet espoir sera déçu tant le contrôle est demeuré rudimentaire (B).

B – La désillusion d’un contrôle rudimentaire

En interrogeant l’intelligibilité des exceptions au secret des affaires, le Conseil pouvait examiner la question de ses frontières et, indirectement, se prononcer sur son éventuelle confrontation avec les garanties citoyennes. Mais en se bornant à retenir que la révélation d’une activité répréhensible dans le but « de protéger l’intérêt général (…) de bonne foi »15 est définie en des termes « suffisamment précis et dépourvus d’équivoque »16 pour comprendre le champ de cette exception, le Conseil n’a réalisé qu’un contrôle formel. Certes, s’il affirme qu’il est possible d’en comprendre qu’elle « bénéficie non seulement aux personnes physiques exerçant le droit d’alerte (…) mais aussi à toute autre personne ayant agi dans les conditions précitées »17, ces conditions restent obscures et les termes choisis ne permettent pas de saisir immédiatement sa portée.

La réponse du Conseil constitutionnel est d’autant plus décevante qu’elle se limite à cette expression catégorique sans apporter de valeur ajoutée à la compréhension de cette exception et aux modalités de la conciliation du secret des affaires avec le droit à la communication des documents administratifs. En n’expliquant pas la portée de la rédaction du texte, il est impossible de comprendre en quoi les termes choisis seraient assez précis. Si ce contrôle minimaliste peut être regretté, il était cependant inéluctable.

Si le Conseil a considéré que la transposition d’une directive européenne ne dispensait pas le législateur « du respect de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi »18, il n’a pas souhaité inaugurer un contrôle au fond de ces dispositions. Son raisonnement reprend celui mené à propos du partage de la loi et du règlement ou de la procédure législative, à propos desquels, bien qu’en office restreint, il exerce un contrôle19. Néanmoins, celui-ci se justifie par l’absence de tout examen au fond des dispositions législatives contestées : en contrôlant le respect de la procédure législative, le Conseil estime se limiter à un contrôle formel en n’examinant pas la conformité du contenu de la loi à la constitution. Ainsi, la faible intensité du contrôle de l’intelligibilité de l’article L. 151-8 du Code de commerce s’explique par les limites de l’office du Conseil qui n’a engagé qu’un contrôle évitant tout examen au fond des dispositions.

L’espoir d’une analyse de l’intelligibilité des exceptions au secret des affaires, et donc de sa délimitation, n’aura finalement été qu’illusoire. Limitée par les contraintes du droit de l’Union européenne, la plus-value de la décision du Conseil constitutionnel est quasi nulle tant les modalités de la conciliation du secret des affaires et du droit à la communication des documents administratifs n’y apparaissent pas.

Pourtant, la seule lecture de ses dispositions législatives ne suffit pas à appréhender le champ de cette nouvelle garantie. Par exemple, en conditionnant la possibilité d’obtention, d’utilisation et de divulgation d’une information susceptible d’être couverte par la confidentialité à l’existence « d’une instance relative à une atteinte au secret d’affaires »20, le champ de cette notion paraît nébuleux. C’est d’autant plus le cas que la défense du secret des affaires ne devra s’effacer que devant « l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives »21 et du droit syndical22. Cette rédaction, que la décision du Conseil constitutionnel n’a pas clarifié, pérennise l’incertitude entourant les frontières de la protection du secret des affaires et la menace qui en découle (II).

II – Une protection aux frontières incertaines, menace pour les droits et libertés des citoyens

La directive européenne à l’origine de cette nouvelle garantie avait vocation à l’encadrer strictement dans le but de ne pas porter atteinte aux droits et libertés des citoyens. Pourtant, à la suite de l’occasion manquée par le Conseil de les combler, les faiblesses rédactionnelles du texte ont jeté le trouble sur l’étendue du secret des affaires. Ainsi, est apparue la perspective d’une interprétation restrictive, à la fois du champ duquel le secret des affaires est exclu (A) et de celui des exceptions permettant de contourner sa mise en œuvre (B), risquant de nuire à d’autres garanties.

A – L’interprétation restrictive du champ d’exclusion du secret des affaires

En protégeant les secrets d’affaires, le législateur français n’a fait que se conformer à ses obligations, la transposition de la directive devant intervenir au plus tard le 9 juin 2018. Toutefois, le texte européen se limitait à une harmonisation minimale des ordres juridiques nationaux impliquant une interprétation rigoureuse du champ du secret des affaires. La directive listait d’ailleurs, dès son article inaugural, les éléments auxquels le secret instauré ne pouvait porter atteinte tel le droit à la liberté d’expression et d’information ou les règles obligeant à révéler pour des motifs d’intérêt public des informations au public ou aux autorités. Mieux encore, la confidentialité des affaires ne devait pas empêcher « l’application de règles de l’Union ou de règles nationales obligeant ou autorisant les institutions et organes de l’Union ou les autorités publiques nationales à divulguer des informations communiquées par des entreprises que ces institutions, organes ou autorités détiennent en vertu des obligations et prérogatives établies par le droit de l’Union ou le droit national »23.

Le caractère rigoureux de cette interprétation s’explique dans la mesure où, pour les citoyens comme pour les autorités, la maîtrise de l’information est sensible. Même la marge d’appréciation laissée par le texte aux États censés le transposer n’avait pas de quoi inquiéter tant un renforcement était encadré : s’il était possible « de prévoir une protection plus étendue contre l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite de secrets d’affaires, [ce n’est que] pour autant que les mesures de sauvegarde explicitement prévues par la présente directive pour protéger les intérêts d’autres parties soient respectées »24. Pourtant, le raisonnement semble s’être inversé, la mise en œuvre du secret des affaires mettant en lumière que l’interprétation rigoureuse concerne plutôt les domaines et situations dans lesquelles il est exclu.

Récemment, l’Agence nationale de sécurité du médicament était saisie par un avocat de malades mécontents des effets secondaires de la nouvelle formule du Levothyrox qui souhaitaient que leur soit communiquée son autorisation de mise sur le marché. Établissement public à caractère administratif, l’agence était contrainte de la transmettre25, l’autorisation ayant été produite dans le cadre de sa mission de service public. Tout refus de transmission méconnaissait l’application de règles nationales obligeant la divulgation d’informations par les autorités, ce que la directive européenne précitée interdisait. Néanmoins, la transmission fut incomplète puisque manquaient notamment le nom et le lieu d’implantation de l’entreprise fabriquant cette nouvelle formule. Si les raisons de cette « censure » font débat, l’agence niant avoir mis en œuvre le secret des affaires26, le débat ouvert laisse entendre qu’elle pouvait s’appliquer.

Dans une autre affaire, la Commission d’accès aux documents administratifs27 a explicitement invoqué le secret des affaires pour empêcher la communication, pourtant possible, de la liste des dispositifs médicaux auxquels un établissement public industriel et commercial avait délivré un certificat de conformité avant commercialisation. La philosophie de la directive est ainsi renversée, les situations excluant le secret des affaires étant interprétées rigoureusement. Les obstructions relatées remettent en cause l’application de règles nationales, le droit à la communication des documents administratifs obligeant à transmettre les informations concernées, ce qui semble méconnaître le périmètre d’exclusion du secret des affaires28.

Tout l’enjeu réside dans l’interprétation de ces notions pourtant qualifiées d’intelligibles, ce qui nous ramène à la question de la délimitation d’une garantie qui, strictement interprétée, risquerait d’être inutile en empêchant seulement les atteintes illégales entre concurrents. Ce constat, qui motive l’interprétation restrictive des domaines excluant le secret des affaires, aboutit à refuser en son nom et sans nuance aucune, la délivrance d’informations médicales sensibles. Cette absence de gradation risque également de rendre très délicate l’interprétation du champ des exceptions à cette garantie (B).

B – L’interprétation restrictive du champ des exceptions au secret des affaires

Comme toute notion juridique, la mise en œuvre du secret des affaires nécessite d’interpréter les termes-clés de son support normatif, interprétation dont dépend l’organisation de la liberté d’accès aux informations. La définition de ses exceptions, c’est-à-dire les situations dans lesquelles, alors que le secret des affaires aurait dû s’appliquer, l’information concernée pourra être obtenue, transmise ou divulguée, est de ces éléments « charnière » dont l’interprétation est délicate.

Les refus évoqués de divulgation d’informations par des autorités administratives mettent en lumière le manque de subtilité du texte. Le choix de ne pas intégrer, alors qu’elles semblaient devoir l’être, ces situations au champ des exceptions révèle la trop grande plasticité des notions mobilisées. Or c’est de cette imperfection rédactionnelle que naissent en partie les interrogations relatives à l’étendue du secret des affaires et, par suite, les doutes sur sa compatibilité avec le droit à la communication des documents administratifs. Deux exemples peuvent l’illustrer.

Tout d’abord, les exceptions sont conditionnées à la notion d’instance puisqu’elles ne peuvent jouer qu’à l’occasion « d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires »29. Dès lors, la conception de cette notion devient fondamentale puisqu’en dépend le contenu des situations pouvant neutraliser le secret des affaires. Par exemple, pouvait-on considérer que les refus précités intervenaient dans le cadre d’une telle instance ? La divulgation des informations étant réclamée à des autorités administratives indépendantes, cela pouvait raisonnablement être qualifié d’instance, rendant possible la mise en œuvre des exceptions.

Le silence gardé peut, sur ce point, laisser entendre qu’une conception judiciaire, plus stricte donc, de cette notion a pu être retenue. La seule occasion d’un procès devant une juridiction pourrait entraîner la mise en œuvre d’exceptions au profit de celui souhaitant obtenir, utiliser ou divulguer une information secrète. Cette conception peut correspondre à la philosophie de la directive européenne, soucieuse de protéger les entreprises contre le « vol » d’informations de la part de concurrents. Ainsi, seul un juge, lors d’un contentieux, pourrait apprécier si une telle information mérite d’être exceptionnellement dévoilée. Or, le juge étant aussi tenu au secret, sa jurisprudence serait délicate à analyser et, le cas échéant, à critiquer.

Ensuite, même lorsqu’une telle instance est constituée, la définition des exceptions questionne la compatibilité du secret des affaires et du droit à la communication des documents administratifs. L’article L. 151-8 du Code de commerce dispose notamment que la volonté de protéger un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national doit faire échec à la garantie de confidentialité. Les demandes de communication de l’autorisation de mise sur le marché du Levothyrox et de la liste des dispositifs médicaux déclarés conformes étaient motivées par l’intérêt des malades et la santé publique, ce qui pouvait être qualifié « d’intérêt légitime » au sens de l’exception précitée. C’est d’autant plus le cas que la directive explicitait que le secret des affaires ne devait pas « mettre en péril ou affaiblir (…) la protection des consommateurs, la santé publique et la protection de l’environnement »30. Pourtant, les deux autorités concernées semblent avoir outrepassé ces restrictions.

Enfin, il doit être regretté que ne figure pas, parmi les exceptions, la protection de l’ordre public dont la question de la confrontation avec le secret des affaires n’est toujours pas réglée. Pourtant, la proposition de loi initiale mentionnait clairement que la notion d’intérêt légitime reconnue par le droit faisant obstacle au secret des affaires devait comprendre l’ordre public, ce que le Conseil d’État avait apprécié dans son avis31. Dans ces conditions, l’absence de toute référence à l’ordre public aurait pu être censurée par le Conseil constitutionnel, même en office restreint, en tant qu’incompétence négative32 : le législateur n’aurait pas « épuisé sa compétence en matière d’exercice des droits et libertés fondamentaux »33 car le champ du secret des affaires n’aurait pas été suffisamment délimité.

La décision du Conseil constitutionnel à propos de la loi relative au secret des affaires peut donc être sérieusement critiquée. Du fait de ses carences, la question des potentielles conséquences du secret des affaires sur le droit à la communication des documents administratifs interroge encore. L’amélioration de l’encadrement de cette innovation doit donc être espérée sous peine de fragiliser certaines libertés publiques.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CPI, art. L. 513-1.
  • 2.
    L. n° 2018-670, 30 juill. 2018, relative à la protection du secret des affaires : JO n° 0174, 31 juill. 2018.
  • 3.
    L. n° 2018-493, 20 juin 2018, relative à la protection des données personnelles : JO n° 0141, 21 juin 2018.
  • 4.
    C. com., art. L. 151-1.
  • 5.
    L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, art. 6 et s. : JO n° 0287, 10 déc. 2016.
  • 6.
    Cons. const., 26 juill. 2018, n° 2018-768 DC, loi relative à la protection du secret des affaires.
  • 7.
    Dir. (UE) n° 2016/943 du PE et du Cons., 8 juin 2016, sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites : JOUE L 157, 15 juin 2016, p. 1-19.
  • 8.
    Dir. (UE) n° 2016/943 du PE et du Cons., 8 juin 2016, cons. 11.
  • 9.
    CRPA, art. L. 311-1.
  • 10.
    https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2018768dc/2018768dc_ccc.pdf, p. 7.
  • 11.
    Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 16.
  • 12.
    CJCE, 1re ch., 13 nov. 1984, n° 283/83, Firma A. Racke c/ Hauptzollamt Mainz, ECLI:EU:C:1984:344.
  • 13.
    Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, art. 11.
  • 14.
    Il jugeait auparavant qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur un tel argument, v. Cons. const., 13 mars 2014, n° 2014-690 DC, loi relative à la consommation, § 28 à 32.
  • 15.
    C. com., art. L. 151-8.
  • 16.
    Cons. const., 26 juill. 2018, n° 2018-768 DC, § 23.
  • 17.
    Cons. const., 26 juill. 2018, n° 2018-768 DC, § 22.
  • 18.
    Cons. const., 26 juill. 2018, n° 2018-768 DC, § 4.
  • 19.
    Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.
  • 20.
    C. com., art. L. 151-8.
  • 21.
    C. com., art. L. 151-7.
  • 22.
    C. com., art. L. 151-9.
  • 23.
    Dir. (UE) n° 2016/943 du PE et du Cons., 8 juin 2016, art. 1, al. 2.
  • 24.
    Ibid., cons. 10.
  • 25.
    Les deux critères de l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’Administration étant remplis.
  • 26.
    https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Communiques-Communiques-Points-presse/L-ANSM-dement-dissimuler-des-informations-Communique.
  • 27.
    CADA, avis, 25 oct. 2018, n° 20182659.
  • 28.
    C. com., art. L. 151-7.
  • 29.
    C. com, art. L. 151-8.
  • 30.
    Dir. (UE) n° 2016/943 du PE et du Cons., 8 juin 2016, cons. 21.
  • 31.
    CE, avis, 15 mars 2018, n° 394422, § 18.
  • 32.
    Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, loi relative aux organismes génétiquement modifiés.
  • 33.
    Rrapi P., « “L’incompétence négative” dans la QPC : de la double négation à la double incompréhension », N3C 2012, n° 34, p. 163.
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