Le coup de grâce est porté à l’insaisissabilité !

Publié le 02/01/2018

En instaurant le droit pour l’entrepreneur de rendre insaisissable sa résidence principale par ses créanciers professionnels, l’article L. 526-1 du Code de commerce visait à protéger l’entrepreneur. Après avoir retenu une interprétation de ce texte très favorable au débiteur en difficulté, la Cour de cassation vient d’ôter tout intérêt au dispositif dans un arrêt du 13 septembre 2017. Désormais le conseil à donner aux entrepreneurs individuels sera de se mettre en société ou d’adopter le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée s’ils veulent préserver leur logement contre les poursuites de leurs créanciers.

Cass. com., 13 sept. 2017, no 16-10206

En 2010, alors que l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) était en gestation, il s’en est fallu de peu pour que la déclaration notariée d’insaisissabilité ne disparaisse. Mais au cours des navettes parlementaires celle-ci fut épargnée en raison de sa grande simplicité. De fait, la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI), instaurée par la loi du 1er août 20031 pour permettre à l’entrepreneur individuel de soustraire sa résidence principale aux poursuites des créanciers dont les droits sont nés dans le cadre de l’exploitation et postérieurement à la publicité de la DNI, impliquait simplement de se rendre auprès de son notaire qui accomplirait les formalités de publicité. Pourtant, et c’était la raison première qui avait motivé l’idée de sa suppression, très peu d’entrepreneurs y recouraient, alors même que la loi de modernisation de l’économie du 4 août 20082 avait élargi le domaine de l’insaisissabilité à tout bien foncier non affecté à un usage professionnel.

Alors la loi Macron3 a franchi un pas décisif en rendant la résidence principale des entrepreneurs, insaisissable de jure4 pour toutes les dettes professionnelles postérieures à la publication de la loi, sans supprimer la faculté d’effectuer une déclaration d’insaisissabilité couvrant les autres immeubles sans vocation professionnelle.

Dans le même temps, les parlementaires s’interrogeaient précisément sur l’opportunité de maintenir la DNI pour les autres biens fonciers. En effet, le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, déposé au Sénat le 31 juillet 2015, avait fait l’objet de plusieurs amendements ; parmi ceux-ci, celui du sénateur Christophe-André Frassa dont l’objet était de supprimer la DNI pour les biens fonciers non professionnels5. Le texte définitif n’a pas retenu cette proposition.

On aurait pu croire que le législateur se positionnait clairement pour une protection de la résidence principale et, le cas échéant, secondaire, de l’entrepreneur. En réalité, le problème vient de ce que la loi n’a jamais réglé le sort de l’insaisissabilité lorsque l’entrepreneur est en difficulté et fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Pourtant, c’est justement dans ce cas de figure que le dispositif pourrait présenter un intérêt majeur pour le débiteur.

Ainsi, la jurisprudence s’est efforcée de combler les lacunes de la loi. Un premier arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 20116 a consacré l’efficacité de la déclaration d’insaisissabilité face au liquidateur offrant ainsi à l’entrepreneur individuel une relative impunité. Toutefois, s’est rapidement posée la question de savoir si un créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité n’était pas opposable – soit à raison de l’objet, non professionnel, de la créance, soit à raison de la date de naissance, antérieure à la publicité de la DNI, de la créance –, pourrait exercer un droit de poursuite à l’encontre de l’immeuble insaisissable.

On avait interprété un arrêt du 13 mars 20127 dans un sens affirmatif car la Cour de cassation y avait affirmé qu’un bien déclaré insaisissable est « hors procédure collective ». De là, à raison de l’effet réel de la procédure collective, on pouvait en déduire que les créanciers auxquels l’insaisissabilité était inopposable pouvaient saisir le bien en dehors de la procédure8. Toutefois, cet arrêt n’avait pas fait l’objet d’une publication au Bulletin et la Cour de cassation ne s’était pas prononcée sur le droit de poursuite individuel du créancier.

À vrai dire, il a fallu attendre un arrêt du 5 avril 20169, confirmé quelques mois plus tard10, pour que la haute juridiction affirme le droit de poursuite de l’immeuble insaisissable dans les conditions du droit commun par le créancier auquel l’insaisissabilité est inopposable. L’immeuble étant hors procédure, sa vente n’est donc pas une opération de liquidation.

Cependant, dans les deux espèces jugées par la Cour de cassation, le créancier « était inscrit » sur l’immeuble, il était titulaire d’un droit réel. Dès lors, on pouvait se demander quelle serait la solution retenue en présence de créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable, certes, mais qui n’étaient pas munis d’un titre exécutoire.

L’arrêt du 13 septembre 2017 apporte la réponse de manière non équivoque.

En l’espèce, un commerçant avait effectué une déclaration d’insaisissabilité pour protéger son logement principal en décembre 2010 avant d’être mis en liquidation judiciaire un an plus tard. L’établissement de crédit impayé qui avait financé l’acquisition du logement, avant publication de la DNI, avait saisi le tribunal qui avait ouvert la procédure pour obtenir un titre exécutoire afin de pouvoir saisir l’immeuble de son débiteur. Or la Cour de cassation censure les juges du fond qui avaient refusé de délivrer le titre exécutoire en affirmant au visa de l’article L. 526-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 6 août 2015, et L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution, que : « le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d’un droit de poursuite sur cet immeuble, qu’il doit être en mesure d’exercer en obtenant, s’il n’en détient pas un auparavant, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence, le montant et l’exigibilité de sa créance ».

La messe est dite. N’importe quel créancier auquel l’insaisissabilité n’est pas opposable peut poursuivre le débiteur en procédure collective sur ses immeubles insaisissables dès lors que sa créance est liquide et exigible. La DNI (et l’insaisissabilité automatique de la loi Macron), conçue pour protéger l’entrepreneur individuel se retourne comme un piège contre lui (I). Devant un tel constat on ne peut pas manquer de se demander si le statut d’EIRL ne va pas retrouver un regain d’intérêt s’agissant de protéger la résidence principale de l’entrepreneur (II).

I – Le piège de l’insaisissabilité

Assurément, on pourrait critiquer la solution consacrée par la Cour de cassation en arguant que la procédure d’insolvabilité est tournée vers un débiteur11 et non un patrimoine comme pour l’EIRL12. Dès lors, tous les créanciers doivent être soumis à la discipline collective laquelle interdit aux créanciers antérieurs et postérieurs non privilégiés d’agir contre le débiteur pour obtenir le paiement de sommes d’argent13. Néanmoins, la discipline collective se justifie pour préserver le gage commun des créanciers or, si un immeuble est insaisissable par certains créanciers, il sort du gage commun, et, par conséquent, les poursuites qui pourraient être exercées sur ce bien ne nuisent pas à la collectivité des créanciers14.

À partir de là, pourquoi réserver cette possibilité aux seuls créanciers titrés ? Cela introduit en pratique une discrimination entre les banques, qui s’aménagent en général des sûretés sur l’immeuble et les autres créanciers tels que les fournisseurs qui sont juste titulaires d’un droit « personnel » de créance à l’encontre de leur débiteur. Sur ce point, la dernière position de la Cour de cassation rétablit l’équilibre. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que la solution place les créanciers non concernés par l’insaisissabilité dans une situation extrêmement confortable en ce qu’ils ont accès à la fois aux immeubles insaisissables donc hors procédure et au gage commun, ce qui leur permet de déclarer leur créance pour participer à la répartition des fonds résultant des opérations de liquidation judiciaire au cas où la vente de l’immeuble ne parviendrait pas à couvrir leur créance.

L’insaisissabilité de la résidence principale se retourne contre le débiteur qui ne peut pas échapper à la saisie de son bien qu’il croyait pourtant à l’abri des vicissitudes de son activité professionnelle, ce qui ne va pas dans le sens du droit au rebond tant prôné à l’échelle européenne et nationale15.

En effet, le débiteur ne peut pas payer ses créanciers pour éviter les poursuites puisqu’il est frappé par le principe de l’interdiction des paiements de l’article L. 622-7 du Code de commerce. Ne pourrait-on pas au moins considérer que dans la mesure où l’immeuble est insaisissable et hors procédure, la dette née pour son acquisition est, elle aussi, hors procédure ? Le raisonnement ne nous paraît pas soutenable car le débiteur doit s’abstenir de tout acte qui pourrait entamer le gage commun des créanciers. Or pour payer la banque qui a financé l’immeuble, il faut prélever des liquidités qui sont dans le gage commun.

Par ailleurs, la jurisprudence qui vient de se créer dans l’hypothèse d’une liquidation judiciaire est susceptible d’être étendue aux autres procédures comme le redressement judiciaire ou même la procédure de sauvegarde, c’est-à-dire dans des hypothèses où le débiteur pourrait être en mesure de se redresser ! Or il y a fort à parier qu’en voyant les premières échéances impayées, la banque ne patiente pas trop longtemps et se prévale de la déchéance du terme pour diligenter ensuite des mesures contre le débiteur. Rappelons à cet égard que depuis un arrêt de principe du 28 juin 201216, l’action en paiement des fournisseurs de crédits immobiliers contre l’emprunteur est soumise au délai de prescription biennale de l’article L. 137-2 du Code de la consommation (devenu C. consom., art. L. 218-2 ; ord. n° 2016-301, 14 mars 2016). En outre, l’action du prêteur immobilier en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité17. Tout ira très vite pour l’entrepreneur infortuné…

Dès lors, le conseil à donner aux entrepreneurs est d’exploiter leur activité en société ou, s’ils souhaitent rester en « nom propre », d’adopter le statut d’EIRL.

II – Le rebond du débiteur par l’EIRL ?

On sait que le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, instauré par la loi du 15 juin 201018, permet à l’entrepreneur individuel personne physique de cloisonner son patrimoine. Son patrimoine affecté à son activité professionnelle répond des dettes nées de cette activité tandis que son patrimoine non affecté constitue le gage général de ses créanciers domestiques19. Dès lors, le gouvernement en a tiré les conséquences en admettant qu’en cas de difficulté, l’EIRL soit soumis à des procédures d’insolvabilité différentes selon la nature de son patrimoine (privé ou professionnel)20. Ainsi, il relève du droit des entreprises en difficulté à raison de son patrimoine affecté à son activité et du droit du surendettement des particuliers pour son patrimoine non affecté.

Ainsi, s’il est sous le coup d’une procédure collective à raison de son activité, l’entrepreneur est certes soumis à une interdiction d’appauvrir son patrimoine professionnel21, mais en cas de redressement judiciaire, le juge commissaire peut lui allouer une rémunération22 et, en tout état de cause, il dispose librement des revenus qu’il peut tirer de son patrimoine personnel. Rien ne lui interdit donc de payer le créancier qui a financé sa résidence principale et d’éviter ainsi la saisie. Il en va de même en cas de liquidation judiciaire puisque vis-à-vis de son patrimoine personnel, l’EIRL n’est pas dessaisi.

Parallèlement, si les difficultés de l’activité rejaillissent sur le patrimoine non affecté, l’EIRL peut prétendre au bénéfice d’une procédure de surendettement à raison d’une situation de surendettement résultant uniquement de ses dettes non professionnelles23, or l’emprunt souscrit pour financer le logement est une dette non professionnelle. On rappellera à cet égard que l’article L. 711-1 du Code de la consommation précise que : « Le seul fait d’être propriétaire de sa résidence principale dont la valeur estimée à la date du dépôt du dossier de surendettement est égale ou supérieure au montant de l’ensemble des dettes non-professionnelles exigibles et à échoir ne fait pas obstacle à la caractérisation de la situation de surendettement ». Il faut ajouter que la commission de surendettement peut recommander l’effacement partiel de dettes de toute nature, hormis quelques exceptions.

Or les crédits immobiliers ne sont pas visés par les exclusions. En outre, l’article L. 733-7, 2°, exclut l’effacement des créances « dont le montant a été payé en lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé, personnes physiques », ce qui signifie que les dettes payées par des sociétés de cautionnement professionnelles, qui garantissent souvent les prêts immobiliers, peuvent faire l’objet d’une mesure d’effacement.

Assurément, le logement personnel de l’EIRL en surendettement est aussi bien protégé que celui d’un salarié.

Autant dire que dans ce contexte, l’adoption du statut de l’EIRL est plus à même d’assurer le rebond du débiteur que la DNI.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2003-721, 1er août 2003, pour l’initiative économique : JO, 5 août, p. 13449, qui a introduit dans le Code de commerce les C. com., art. L. 526-1 à L. 526-5.
  • 2.
    L. n° 2008-776, 4 août 2008, de modernisation de l’économie : JO, 5 août, p. 12741.
  • 3.
    L. n° 2015-990, 6 août 2015 : JO, 7 août 2015, p. 13537.
  • 4.
    C. com., art. L. 526-1, al.1er ; L. n° 2015-990, 6 août 2015.
  • 5.
    Le texte avait été adopté en première lecture le 5 novembre 2015 (texte Sénat n° 35 ; art. 50, III). L’Assemblée nationale n’a pas conservé le texte ainsi amendé.
  • 6.
    Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15482 : Bull. civ. IV, n° 109 ; D. 2011, p. 1751, obs. Lienhard A ; JCP E 2011, 1551, note Pérochon F. ; www.elnet.fr, juill. 2011, p. 4, note Roussel Galle P. ; LPA 23 nov. 2011, p. 8, note Reille F., Rev. proc. coll. 2011, étude 30, note Legrand V et Vallansan J.
  • 7.
    Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-27087, Wacquez, D.
  • 8.
    Legrand V., « Focus sur la déclaration d’insaisissabilité après les deux arrêts du 13 mars 2012 », LPA 3 mai 2012, p. 5.
  • 9.
    Cass. com., 5 avr. 2016, n° 12-24640 : BJE juill. 2016, n° 113p8, p. 257, note Legrand V. ; D. 2016, p. 1296, note Borga N. ; Lettre Actu. Des Procédures Collectives mai 2016, n° 9, alerte 120, note Leprovaux J. ; RJ com. 2016, p. 268, note Roussel Galle P.
  • 10.
    Cass. com., 12 juill. 2016, n° 15-17321 : LPA 10 août 2016, n° 119w2, p. 20, note Legrand V.
  • 11.
    Pour une critique en ce sens, Vallansan J., in Difficultés des entreprises (avec la collaboration de Cagnoli P. et Fin-Langer L.), 6e éd., 2012, LexisNexis, p. 424, note n° 226.
  • 12.
    Legrand V., « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) en difficulté », JCl. Entreprise individuelle, fasc. 250.
  • 13.
    C. com., art. L. 622-21-I.
  • 14.
    En ce sens : Le Corre P.-M., « Déclaration notariée d’insaisissabilité et liquidation judiciaire : questions-réponses », Gaz. Pal. 4 mai 2013, n° 129jO.
  • 15.
  • 16.
    Legrand V., Goubard P. et Cambon B., « Le traitement des difficultés, un outil de rebond du débiteur », Rev. proc. coll. 2017, dossier 8, p. 50.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 11-26508 : Bull. civ. I, n° 247 ; LEDB janv. 2013, n° 180, p. 5, obs. Lasserre Capdeville J. ; LPA 4 nov. 2013, p. 6, obs. Éréséo N. ; JCP G 2013, 73, note Monachon-Duchêne N. ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 47, obs. Mathey N. ; JCP N 2013, n° 4, 1007, obs. Piedelièvre S. ; JCP E 2013, 1135, note Dupré M. ; Contrats, conc. consom. 2013, comm. 45, obs. Raymond G.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 11 févr. 2016, nos 14-28383 et 14-29539 : LPA 11 mars 2016, p. 7, note Legrand V.
  • 19.
    L. n° 2010-658, 15 juin 2010, relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : JO, 16 juin 2010, p. 10984.
  • 20.
    C. com., art. L. 526-12.
  • 21.
    Ord. n° 2010-1512, 9 déc. 2010, portant adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de surendettement à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : JO, 10 déc. 2010, p. 21617.
  • 22.
    C. com., art. L. 680-6.
  • 23.
    C. com., art. L. 631-11.
  • 24.
    C. consom., art. L. 711-7 et C. consom., art. L. 711-8.
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