Insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur : les droits des créanciers se précisent

Publié le 10/08/2016

En quelques mois, le régime de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur s’est précisé, lorsque ce dernier est sous le coup d’une procédure collective. D’abord, un arrêt du 5 avril 2016 a consacré le droit de poursuite des créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable. À présent, la Cour de cassation en tire les conséquences sur le délai de prescription de la créance du prêteur. Ces précisions sont bienvenues en ce qu’elles viennent mettre un terme à plus de dix années d’insécurité juridique, mais elles marquent aussi le déclin de l’intérêt de l’insaisissabilité au moment où le législateur vient d’en faire un dispositif de protection automatique contre les créanciers professionnels dès que l’entrepreneur est immatriculé.

Cass. com., 12 juill. 2016, no 15-17321, FS–PB

En 2003, le législateur a fait aux entrepreneurs individuels la promesse de l’insaisissabilité de leur résidence principale1. Depuis lors, le dispositif s’est élargi. À l’origine, l’entrepreneur pouvait effectuer une déclaration devant notaire pour rendre son immeuble à usage d’habitation principale insaisissable à l’encontre de tous ses créanciers professionnels dont les droits naîtraient à compter de la publication de ladite déclaration2. Avec la loi de modernisation de l’économie de 20083, pareille faculté lui a été reconnue pour tout immeuble non affecté à un usage professionnel. Et enfin, depuis le 6 août 20154 l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur est devenue automatique. Elle est opposable à tous les créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de la loi, à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur5. Malheureusement, malgré ces retouches successives le législateur n’a pas pris la peine de préciser le régime de l’insaisissabilité lorsque l’entrepreneur, en difficulté, fait l’objet d’une procédure collective, plus spécialement, d’une liquidation judiciaire et que sont en présence les créanciers auxquels l’insaisissabilité est opposable et les autres, principalement les créanciers domestiques, auxquels elle ne l’est pas. Certes, l’ordonnance du 12 mars 2014 réformant le droit des entreprises en difficulté, a ajouté la déclaration notariée d’insaisissabilité au nombre des actes susceptibles d’être frappés de nullité lorsque réalisés pendant la période suspecte6, mais cela ne suffit pas à combler les importantes lacunes du dispositif. Pour pallier l’insécurité juridique en résultant tant pour les créanciers que l’entrepreneur lui-même, la jurisprudence a dû préciser l’efficacité de l’insaisissabilité dans le cadre d’une procédure collective.

Chacun se souvient de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 20117. Pour la première fois, l’efficacité de l’insaisissabilité était affirmée à l’encontre des organes de la procédure collective. Cette solution est désormais constante8. Néanmoins, la situation des créanciers du débiteur est loin d’être aussi tranchée.

Ceux à l’égard desquels l’insaisissabilité est opposable n’ont effectivement aucun droit sur la résidence principale de l’entrepreneur. Quant aux créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable, c’est-à-dire tous les créanciers domestiques et les créanciers professionnels dont les droits sont nés avant que l’immeuble soit insaisissable9, l’assiette de leur gage comprend l’immeuble de leur débiteur, certes, mais logiquement, lorsque celui-ci est en procédure collective, les créanciers sont tous soumis à la discipline de la procédure et au principe d’interdiction des poursuites individuelles. Comment admettre alors qu’un créancier auquel l’insaisissabilité de l’immeuble est inopposable puisse poursuivre le débiteur ? En fait, un arrêt du 13 mars 201210, non publié avait affirmé qu’un immeuble objet d’une déclaration d’insaisissabilité n’entre pas dans le périmètre de la procédure collective. Dès lors, on pouvait en déduire que les créanciers non concernés par l’insaisissabilité peuvent exercer leur droit de poursuite sur l’immeuble dans les conditions de droit commun sans se heurter à l’arrêt des poursuites individuelles de l’article L. 622-21 du Code de commerce11. L’arrêt du 12 juillet 2016, promis au Bulletin, objet du présent commentaire, consacre pleinement cette solution (I). Il en tire également les conséquences sur le plan de la prescription des droits du créancier (II).

I – (Ré)affirmation du droit de poursuite sur l’immeuble insaisissable

En l’espèce, un entrepreneur individuel avait effectué une déclaration notariée d’insaisissabilité pour protéger sa résidence principale acquise grâce à un emprunt auprès du crédit immobilier de France. L’emprunt était remboursable à compter du 10 février 2009 mais, l’emprunteur fut mis en liquidation judiciaire le 11 janvier 2008. La banque a donc déclaré sa créance, laquelle fut admise par une ordonnance du 6 janvier 2010. Néanmoins, et de manière prévisible, le liquidateur s’est vu dénier le droit de procéder à la vente de l’immeuble. On se souvient en effet que sur ce point, l’arrêt du 28 juin 2011 avait affirmé le défaut de pouvoir du liquidateur sur le fondement des articles L. 641-9 et L. 526-1 du Code de commerce, ainsi que sur les principes régissant l’excès de pouvoir.

La banque a alors fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière à son débiteur, lequel a opposé la prescription biennale de la créance en application de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2, du Code de la consommation12.

Pour contrer cette argumentation, la banque faisait valoir que la déclaration de sa créance à la procédure avait interrompu la prescription et que cet effet interruptif se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective. On notera que cette solution jurisprudentielle13 a été consacrée par le nouvel article L. 622-25-1 du Code de commerce créé par l’ordonnance du 12 mars 2014. Ce texte prévoit en effet que « la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu’à la clôture de la procédure ; elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuites ». Cela se justifie dans la mesure où pendant la procédure les créanciers sont soumis à l’interdiction des poursuites et sont donc dans l’impossibilité d’agir au sens de l’article 2234 du Code civil14.

Or, les juges du fond avaient considéré que l’effet interruptif de la déclaration de créance avait pris fin au jour de l’ordonnance d’admission car le créancier n’était alors plus dans l’impossibilité d’agir. Effectivement, l’article L. 643-2 du Code de commerce autorise les créanciers titulaires de sûretés réelles à se substituer au liquidateur s’il n’a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans les trois mois à compter du jugement de liquidation judiciaire. La banque arguait au contraire que l’effet interruptif devait se prolonger jusqu’à la clôture de la procédure indépendamment du fait qu’en tant que créancier inscrit sur l’immeuble elle avait eu la possibilité d’agir en vertu de l’article L. 643-2.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Certes, elle approuve la décision des juges du fond quant à la prescription de la créance de la banque cependant, elle ne reprend pas totalement le raisonnement de la cour d’appel. Elle affirme deux choses. D’abord, un créancier inscrit, à qui est inopposable la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble, peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, il s’ensuit qu’il ne peut pas bénéficier de la prolongation de l’effet interruptif de prescription de sa déclaration jusqu’à la clôture de la procédure collective, cet effet prenant fin à la date de la décision ayant statué sur la demande d’admission. Mais, elle prend soin de rectifier le schéma proposé par la cour d’appel en ajoutant que ce créancier n’exerce pas son droit de poursuite en application de l’article L. 643-2 du Code de commerce.

La Cour de cassation réaffirme ici la position qu’elle avait tenue dans un arrêt du 5 avril 201615, à savoir la consécration du droit de poursuite sur l’immeuble insaisissable dans les conditions du droit commun par le créancier auquel l’insaisissabilité est inopposable. L’immeuble est hors procédure et sa vente n’est donc pas une opération de liquidation.

Cependant, l’espèce sous commentaire concerne une hypothèse similaire à celle qui a donné lieu à l’arrêt du 5 avril ; le créancier auquel l’insaisissabilité n’est pas opposable, ici, l’établissement de crédit qui a financé l’immeuble, est un créancier titulaire d’un droit réel sur l’immeuble. Qu’en serait-il si le créancier n’était pas « inscrit sur l’immeuble » ? Il y a fort à parier que même si l’insaisissabilité ne lui est pas opposable, un tel créancier est soumis à la discipline de la procédure, et à l’interdiction des poursuites individuelles. Celui-ci serait donc empêché d’agir contre son débiteur pour obtenir le paiement de sa créance. En pratique, si la jurisprudence devait se fixer en ce sens, cela serait très favorable aux banques qui se ménagent souvent des sûretés réelles, au détriment des « petits créanciers » tels que des fournisseurs qui sont juste titulaires d’un droit « personnel » de créance à l’encontre de leur débiteur. D’un autre côté, on pourrait cependant mettre en exergue l’effet réel de la procédure et la soustraction de l’immeuble au gage commun des créanciers. Cela permettrait d’en déduire que l’interdiction des poursuites individuelles ne s’impose pas à l’égard des créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable et dont l’assiette de leur droit de gage général comprend toujours la résidence principale de leur débiteur16.

Pour l’heure, seul le sort des créanciers « inscrits sur l’immeuble »17 et non concernés par l’insaisissabilité est réglé. Il leur est possible de saisir l’immeuble insaisissable et si cela ne suffit pas pour les désintéresser, ils peuvent, dès lors qu’ils ont déclaré leur créance, participer à la répartition des fonds résultant des opérations de liquidation judiciaire. Néanmoins, ils doivent être vigilants au regard du délai de prescription de leur créance.

II – Impact sur le délai pour agir du créancier

Si l’on s’intéresse précisément à la situation du prêteur de deniers qui a financé l’achat de l’immeuble, on rappellera que la Cour de cassation considère depuis un arrêt de principe du 28 juin 201218, que l’action en paiement des fournisseurs de crédits immobiliers contre l’emprunteur est soumise au délai de prescription biennale de l’article L. 137-2 du Code de la consommation (devenu article L. 218-2). En outre, deux arrêts du 11 février 201619 sont venus préciser que l’action du prêteur immobilier en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.

Si l’on se place dans la perspective de la liquidation judiciaire de l’emprunteur. De deux choses l’une, soit le créancier impayé a décidé de se prévaloir de la déchéance du terme avant même que son débiteur ne soit placé en liquidation et cela marque le point de départ du délai de deux ans, soit il s’était contenté de privilégier d’autres solutions amiables. Dans ce dernier cas, il semble possible de soutenir, comme le faisait la banque dans son moyen annexé au pourvoi, que le jugement de liquidation judiciaire emporte la déchéance du terme, ce qui marquerait le point de départ du délai de prescription. En tout état de cause, ce délai sera lui-même interrompu à la date de la déclaration par la banque de sa créance à la procédure jusqu’à ce que ladite créance soit admise par le juge commissaire. Autrement dit, le créancier ne devra pas hésiter trop longtemps avant de diligenter une procédure de saisie sur l’immeuble insaisissable. Il sera même parfois amené à le faire avant de déclarer sa créance s’il avait provoqué de lui-même la déchéance du terme avant le jugement d’ouverture de liquidation. Mais cela n’ôte en rien l’intérêt de déclarer sa créance, surtout s’il n’est pas sûr d’être désintéressé par la vente de l’immeuble car, il pourra participer à la répartition des dividendes de la liquidation. Quoi qu’il en soit, bien que l’entrepreneur ait pu croire pendant qu’il était en activité que l’on ne pourrait pas lui prendre sa maison si son entreprise venait à rencontrer de sérieuses difficultés, la réalité est toute autre.

La jurisprudence actuelle aura sans doute un impact sur l’accès au crédit de l’entrepreneur pour développer son activité. Il est évident que les établissements de crédit n’hésiteront pas à subordonner l’octroi de leur concours à la renonciation du débiteur à se prévaloir de l’insaisissabilité de sa résidence à leur encontre20. De la sorte, bien que leur créance soit liée à l’occasion de l’activité de l’entrepreneur, ils échappent à l’insaisissabilité et partant, ils s’aménagent une véritable sûreté négative. Autant dire qu’au moment où l’insaisissabilité vient d’être consacrée comme un droit automatique par le législateur, celle-ci perd tout son intérêt et se retourne contre l’entrepreneur.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2003-721, 1er août 2003, art 8, pour l’initiative économique.
  • 2.
    C. com., art. L. 526-1.
  • 3.
    L. n° 2008-776, 4 août 2008, dite LME.
  • 4.
    L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
  • 5.
    Ce qui permet de dire que dorénavant, dès qu’un entrepreneur s’immatricule au registre professionnel dont il dépend, sa résidence principale est protégée contre les créanciers dont les créances sont nées à l’occasion de l’activité professionnelle postérieure à l’immatriculation, voire à compter du jour où il acquiert la propriété de sa résidence principale s’il n’en était pas propriétaire lorsqu’il a lancé son activité.
  • 6.
    Ord. n° 2014-326, 12 mars 2014 : Lucas F-X., « Présentation de l’ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives », BJE mars 2014, n° 111b7, p. 111.
  • 7.
    Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15482, FSPBRI : BJE sept. 2011, p. 242, Camensuli-Feuillard N. ; D. 2011, 1751, obs. Lienhard A. ; JCP E 2011, 1551, Pérochon N. ; JCP E 2011, 1596, spéc. n° 7, obs Pétel P. ; JCP E 2011, 375, Lebel N. ; et JCP E 2011, 412, Roussille M. ; Bull. DPDE n° 328, p. 1, obs. Rémery P. et Roussel Galle P.
  • 8.
    V., en dernier lieu, Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-21267 PB.
  • 9.
    Soit dorénavant : avant la publication de la loi du 6 août 2015, ou bien avant l’acquisition de l’immeuble.
  • 10.
    Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27087 : BJE sept 2011, p. 243, Camensuli-Feuillard N. ; D. 2012, Pan., p. 2202, Le Corre P.-M. ; LPA 3 mai 2012, p. 5, note Legrand V.
  • 11.
    En ce sens, Pérochon F., Entreprises en difficulté, 10 éd., 2014, LGDJ, n° 1196, et les auteurs cités en note 190.
  • 12.
    Ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation : JO n° 0064, 16 mars 2016.
  • 13.
    Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-17783 : Bull. civ. IV, n° 63.
  • 14.
    Cagnoli P., « Prescription et procédures collectives », RPC 2011, n° 3, étude 12.
  • 15.
    Cass. com., 5 avr. 2016, n° 12-24640 : BJE juill. 2016, n° 113p8, p. 257, note Legrand V. ; LAPC, mai 2016, n° 9, alerte 120, Leprovaux J.
  • 16.
    En ce sens, Le Corre P.-M., « Déclaration notariée d’insaisissabilité et liquidation judiciaire : questions-réponses », Gaz. Pal 4 mai 2013, n° 129j0, p. 48.
  • 17.
    On précisera que depuis un arrêt du 11 juin 2014 (n° 13-13643 : BJE sept 2014, n° 111n9, p. 305, note Legrand V.), la déclaration notariée d’insaisissabilité ne fait pas obstacle à ce qu’un créancier puisse inscrire une hypothèque judiciaire sur l’immeuble déclaré insaisissable, car il ne s’agit que d’une mesure conservatoire. Mais encore faut-il être muni d’un titre exécutoire.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 11-26508 : Bull. civ. I, n° 247 ; LEDB janv. 2013, n° 179, p. 5, obs. Lasserre Capdeville J. ; LPA 4 nov. 2013, p. 6, obs. Éréséo N. ; JCP G 2013, 73, note Monachon-Duchine ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 47, obs. Mathey N. ; JCP N 2013, n° 4, 1007, obs. Piedelièvre S. ; JCP E 2013, 1135, note Dupré M. ; Contrats, conc. consom. 2013, comm. 45, obs. Raymond G.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 11 févr 2016, nos 14-28383 et 14-29539 : LPA 11 mars 2016, p. 7, note Legrand V.
  • 20.
    La renonciation est possible conformément à l’article L. 526-3, alinéa 2, du Code de commerce.
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