Les anciens salariés d’un employeur en liquidation judiciaire bénéficient de la portabilité de leur couverture frais de santé et prévoyance
Les dispositions de l’article L. 911-8 du code de la sécurité sociale sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire, dès lors qu’ils en remplissent les conditions et que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur n’est pas résilié.
Cass., avis, 6 nov. 2017, nos 17013, 17014, 17015, 17016 et 17017 (demandes d’avis nos177011 à 1770015)
Dans les conditions qu’il énonce, l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, tel qu’il résulte de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (LSE), permet aux salariés garantis collectivement, dans les conditions prévues à l’article L. 911-1 de ce code, contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, de profiter gratuitement d’un maintien temporaire (12 mois maximum) de la couverture mise en place dans l’entreprise, en cas de cessation du contrat de travail (hors faute lourde) ouvrant droit à une prise en charge par le régime d’assurance chômage. Il ne semble pas distinguer selon la situation économique ou juridique de l’employeur. Seulement, le gouvernement devait remettre au Parlement un rapport – jamais déposé − quant aux modalités de la portabilité lorsque l’entreprise est en liquidation judiciaire, dont la possibilité de faire intervenir un fonds de mutualisation1. Cela a pu être interprété comme excluant les anciens salariés d’une entreprise placée en liquidation du bénéfice de cet article2. En outre, le 3° de l’article L. 911-8 mentionne que les garanties maintenues au profit des anciens salariés sont celles en vigueur dans l’entreprise. Ainsi défini, l’objet du maintien des droits divise les juges quant à l’applicabilité de la portabilité des garanties santé et prévoyance en cette hypothèse3. Un éclairage des hauts magistrats était alors vivement attendu.
Dans ce contexte, cinq demandes d’avis sont transmises par le tribunal de grande instance de Strasbourg. Nouvelle4 et présentant une difficulté sérieuse, la question est ainsi libellée : « Les dispositions de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale sont-elles applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur en liquidation judiciaire ? ». Selon le rapporteur, tout salarié est concerné quelle que soit l’époque de la rupture du contrat de travail. Pour les uns, se pose la question de la prétention à la portabilité et, pour les autres, celle de sa continuité.
La Cour de cassation en formation mixte pour avis (deuxième chambre civile et chambres commerciale et sociale) y répond positivement, au motif que l’article L. 911-8 n’opère aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et ceux dont l’employeur fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire. Autrement dit, l’ouverture d’une liquidation judiciaire ne prive pas d’objet ce dispositif de maintien de la couverture d’entreprise. Reste la précision selon laquelle, les garanties dont jouissent les anciens salariés sont celles en vigueur dans l’entreprise. La Cour est alors d’avis que « les dispositions de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par ce texte. Toutefois, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié »5.
Par parallélisme avec la question soumise, l’avis vise les salariés licenciés. La réponse semble, néanmoins, devoir être identique quel que soit le mode de rupture donnant lieu à indemnisation chômage et être étendue aux ayants droit qui bénéficient, à la date de cessation du contrat de travail, des garanties mentionnées à l’article L. 911-8, alinéa 1er. Fort logiquement, la mise en œuvre et la durée de la portabilité dépendent de la continuité de l’adhésion ou du contrat frais de santé et/ou prévoyance. La suppression par l’ordonnance n° 2017-734 du 4 mai 2017 du droit de résiliation discrétionnaire des institutions de prévoyance6 renforce les chances de survie de la convention signée avec une telle institution. Cependant, les relations contractuelles avec les organismes de protection sociale complémentaire (sociétés d’assurance, mutuelles et institutions de prévoyance) sont régies en la matière par le régime général des contrats en cours. Si l’ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire n’emporte pas la résiliation du contrat, il n’est pas rare que, rapidement, le liquidateur y mette fin ou qu’il ne puisse honorer les cotisations ou primes entraînant la résiliation de plein droit du contrat poursuivi, à défaut d’accord du cocontractant pour continuer la relation7. La Cour de cassation convient d’ailleurs que « le maintien des garanties sans être exclu par principe en cas de liquidation judiciaire de l’employeur, aura vocation à s’appliquer de manière limitée »8.
D’aucuns rappelleront que la fin du contrat de prévoyance n’entraîne pas celle de toutes les prestations ou de toute couverture. L’article 7 de la loi Évin n° 89-1009 écarte tout effet de la résiliation du contrat sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution9, et l’article 7-1, ajouté par la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001, impose une clause de maintien de la garantie décès dès lors qu’il survient avant le terme de la période d’incapacité de travail ou d’invalidité. Par ailleurs, son article 5, modifié par la LSE, s’applique aux salariés garantis collectivement (résiliation antérieure à la rupture du contrat du travail) et aux anciens salariés bénéficiaires de la portabilité (résiliation postérieure à la cessation de la relation de travail). Ainsi, en cas de résiliation, l’organisme peut maintenir à titre individuel la couverture, sans période probatoire ni examen ou questionnaire médical, selon les modalités et conditions tarifaires qu’il précise, pour ceux qui en manifestent le souhait avant le terme du préavis qu’il prévoit. Exclusivement financée par le salarié, cette couverture n’est pas comparable avec celle cofinancée par l’employeur. Elle l’est encore moins avec le mécanisme de portabilité. Aucune participation financière n’est requise durant la portabilité, son financement reposant sur les salariés-cotisants actifs de l’entreprise.
Les organismes réticents à couvrir ces anciens salariés opposent d’ailleurs que, la réduction de l’effectif puis son assèchement dans l’entreprise en liquidation judiciaire entraînent des difficultés de financement. Pour le premier avocat général, l’impasse financière ne constitue toutefois pas un élément d’exclusion du dispositif de la portabilité. La Cour relève que, des problèmes similaires se posent en dehors de toute liquidation judiciaire, notamment, en cas de diminution significative du nombre de salariés à la suite d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Enfin, l’argument élude que, la couverture gracieuse des futurs chômeurs est parfois anticipée par un renchérissement du coût du contrat collectif10.
Une solution satisfaisante, tant à l’égard des anciens salariés d’une entreprise placée en liquidation judiciaire, que des organismes assureurs, repose en réalité sur la créativité des partenaires sociaux. Des accords professionnels ou interprofessionnels sont susceptibles d’instituer des garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et, à ce titre, des prestations à caractère non directement contributif11. Ils peuvent prévoir que certaines, nécessitant la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat les liant à leur employeur, soient financées et gérées de façon mutualisée pour les entreprises entrant dans leur champ d’application12selon les modalités fixées à l’article R. 912-3 du Code de la sécurité sociale13. Une interprétation souple de ces dispositions14 autoriserait à inclure les droits à la portabilité en cette situation dans ce « pot commun »15.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2013-504, 14 juin 2013, art. 4.
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2.
Franciscus-Calzati L., « Portabilité des garanties et résiliation du contrat d’assurance », SSL 2015, n° 1662, p. 8.
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3.
Ronet-Yague D., « Liquidation judiciaire et portabilité des couvertures de frais de santé et de prévoyance : les juges divisés », Gaz. Pal. 10 oct. 2017, n° 304u6, p. 45.
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4.
Deux décisions de la cour d’appel de Paris sont frappées de pourvoi, mais il s’agit d’arrêts intervenus sur appel d’ordonnance de référé.
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5.
CSS, art. L. 911-8, dernier al.
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6.
CSS, art. L. 932-10 anc. : « L’administrateur ou le débiteur autorisé par le juge-commissaire ou le liquidateur, selon le cas, et l’institution de prévoyance conservent le droit de résilier l’adhésion ou le contrat pendant un délai de trois mois à compter de la date du jugement de redressement ou de liquidation judiciaires ».
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7.
C. com., art. L. 641-11-1, III.
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8.
V. sa notice explicative.
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9.
Aussi, selon une jurisprudence établie, le salarié, dont le contrat de travail prend fin, ne peut se voir refuser le bénéfice des prestations dont le fait générateur est antérieur à cette rupture, quand bien même leur service ou leur fixation interviendrait après celle-ci : Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-12064.
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10.
Notice explicative, préc.
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11.
CSS, art. L. 912-1, I.
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12.
Solution préconisée par Libault D., rapp. sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective, sept. 2015, p. 27.
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13.
CSS, art. L. 912-1, IV.
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14.
En son alinéa 1er, il est précisé que, ces prestations mutualisées comprennent des actions de prévention ou des prestations d’action sociale. Cette liste ne semble pas limitative. En ce sens, Barthélémy J., « Degré élevé de solidarité dans un accord de prévoyance : à propos du décret 2017-162 du 9 février 2017 », Rev. fid., FH n° 3689, 20 avr. 2017, étude 6, § 6-6.
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15.
Expression de l’auteur.