Précisions sur l’appréciation des dettes non professionnelles en matière de surendettement des particuliers

Publié le 15/11/2019

Dans son arrêt du 6 juin 2019, la Cour de cassation rappelle la règle voulant que les dettes nées du cautionnement d’une activité professionnelle par le dirigeant de celle-ci peuvent caractériser une situation de surendettement des particuliers. Ce faisant, la question de la détermination de la nature professionnelle ou personnelle de l’endettement est de nouveau posée à l’aune des critères jurisprudentiels établis. En prenant comme exemple les difficultés de qualification des dettes dites URSSAF, il ressort que le choix de l’une ou l’autre des qualifications dépend de considérations aussi bien herméneutiques que relativement opportunes et reste encore loin d’être évident.

Cass. 2e civ., 6 juin 2019, no 18-16228

Dans son arrêt du 6 juin 2019, la Cour de cassation rappelle la règle voulant que les dettes nées du cautionnement d’une activité professionnelle par le dirigeant de celle-ci peuvent caractériser une situation de surendettement des particuliers. Ce faisant, la question de la détermination de la nature professionnelle ou personnelle de l’endettement est de nouveau posée à l’aune des critères jurisprudentiels établis. Il en ressort que le choix de l’une ou l’autre des qualifications dépend de considérations aussi bien herméneutiques que relativement opportunes et reste encore loin d’être évident.

Les chiffres du surendettement annoncés par la Banque de France, fin juillet 2019, dénotent un net recul du recours à cette procédure (- 30 % depuis 20141). Ce ne sont pourtant pas les critères de recevabilité de la demande de surendettement, énoncés à l’article L. 711-1 du Code de la consommation, qui en sont la cause. Pour rappel, la procédure de surendettement des particuliers est ouverte à toute personne physique de bonne foi qui est dans « l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir » (C. consom., art. L. 711-1, al. 2). Si le critère subjectif de la bonne foi, toujours présumé, fait généralement appel à une appréciation factuelle de la situation des personnes surendettées, le critère objectif, à savoir, l’impossibilité d’exécuter ses dettes non professionnelles, a nécessité quelques éclaircissements depuis la création de cette procédure il y a bientôt 30 ans2.

C’est dans cette optique que s’inscrit l’arrêt rendu le 6 juin 2019 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation3. En l’espèce, un particulier dépose une demande de surendettement auprès de la Banque de France qui la déclare irrecevable en date du 14 janvier 2016. Le débiteur conteste ladite décision auprès du tribunal d’instance qui, dans un jugement rendu en dernier ressort (en vertu du C. consom., art. R. 713-5) confirme la décision de la Banque de France au motif que la majeure partie de l’endettement est constituée par les engagements en tant que caution du surendetté auprès de ses sociétés, dont il était dirigeant en droit ou en fait. Pour la juridiction du fond, ces dettes « professionnelles » représentant l’essentiel de l’endettement – 641 000 € pour un endettement total de 648 000 € selon le pourvoi annexé – le demandeur ne peut donc être déclaré recevable à la procédure de surendettement des particuliers. La Cour de cassation censure cette décision au visa de l’article L. 711-1 du Code de la consommation et rappelle que « caractérise une situation de surendettement l’impossibilité manifeste pour une personne physique de bonne foi de faire face à l’engagement qu’elle a donné de cautionner la dette d’une société, qu’elle en soit ou non la dirigeante » – reprenant les termes de l’alinéa 3 de l’article précité.

Cette solution n’est pas innovante. Deux années après l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 portant modification de l’ancien article L. 330-1 du Code de la consommation (C. consom., art. L. 711-1 nouv.), la deuxième chambre civile avait admis qu’une caution-gérante pouvait être déclarée recevable au bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers quand bien même son endettement résulterait principalement de son engagement de caution solidaire souscrit au profit d’une société dont elle était la gérante de droit (Cass. 2e civ., 2 déc. 2010, n° 09-67503). La réitération de cette règle 10 années après indique pourtant que celle-ci n’est pas encore acquise – voire admise – dans la pratique.

Une première raison avancée réside dans l’absence, au sein de l’alinéa 3 de l’article L. 711-1 du Code de la consommation, d’une mention indiquant expressément que les dettes issues de l’engagement d’une caution dirigeante peuvent être traitées par la procédure de surendettement des particuliers4. Avant la loi précitée du 4 août 2008, l’article L. 330-1 (C. consom., art. L. 711-1 anc.) du Code de la consommation autorisait l’ouverture de la procédure de surendettement à l’égard du débiteur caution dès lors qu’il n’avait pas été, en droit ou en fait, dirigeant de son entreprise individuelle ou de sa société. La suppression de cette condition a conduit à admettre la recevabilité de la demande de surendettement du dirigeant caution… De là à affirmer que les dettes nées d’un cautionnement, par le dirigeant d’une société, de son activité professionnelle ne sont pas des dettes professionnelles ? C’est en tout cas l’opinion de Guillaume Payan qui, en note de la décision du 6 juin 2019 indique qu’« en somme, la qualité de dirigeant d’une société pour les besoins de laquelle la caution a été donnée ne confère pas, en soi, à la dette, un caractère “professionnel”5 ». Ce n’est pas, en revanche, l’avis de Sophie Gjidara-Decaix, qui, au sujet de deux décisions rendues par la deuxième chambre civile en 2017, déclarait : « le fait est que s’il est indéniable que le passif né de la garantie donnée par un dirigeant au profit de sa société constitue bien un passif professionnel, la nature professionnelle de ces dettes n’empêche plus les dirigeants, (…) d’accéder aux procédures de surendettement6 ». Ainsi, la dette née de l’engagement de cautionner une activité professionnelle est-elle de nature personnelle ou professionnelle ? La question rappelle le débat similaire en matière de dettes à l’égard des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et dont le caractère inextricable a conduit la Cour de cassation à trancher par avis en 2016. Le parallèle entre la qualification donnée aux dettes dites URSSAF et aux dettes des cautions dirigeantes met en évidence les difficultés d’appréhender l’essence de la dette professionnelle (II) qui reste assujettie aux considérations jurisprudentielles (I).

I – Enjeu et évolution jurisprudentielle de la qualification de dette professionnelle au sein de la procédure de traitement du surendettement des particuliers

L’enjeu d’une telle qualification n’est pas des moindres. Tout d’abord, rappelons que les dettes professionnelles n’échappent pas totalement au traitement du surendettement des particuliers. Si elles ne peuvent être prises en compte au stade de la recevabilité de la demande de surendettement, elles ne s’opposent pas à ce que la demande soit déclarée recevable en cas de surendettement personnel caractérisé7. Le caractère professionnel d’une dette n’est pas exclusif de l’application des mesures de réaménagement de l’endettement8 mais l’exclut, en revanche, de la procédure de rétablissement personnel (soit à son effacement total du passif du débiteur9).

En l’absence de définition légale de dette professionnelle, la jurisprudence a pris le relais. Le 31 mars 1992 est rendue la première décision par la haute juridiction – concernant, déjà, la nature de la dette de caution – définissant la dette professionnelle comme la dette « contractée pour les besoins ou à l’occasion de son activité professionnelle10 ». En 2004, cette définition évolue et les dettes professionnelles s’entendent de celles « nées pour les besoins ou au titre d’une activité professionnelle11 ». La conception de la nature professionnelle de la dette est ainsi plus restrictive qu’en 1992, et, dans son rapport de 2009, la Cour de cassation en tirait les conclusions suivantes : le caractère professionnel de l’endettement s’apprécie par rapport à la situation du débiteur (et non par rapport à la nature de la dette) et l’activité professionnelle doit être à l’origine de la dette pour que celle-ci soit qualifiée de professionnelle12. Il s’ensuit qu’au regard de ces considérations, le cautionnement d’une activité professionnelle par son dirigeant devrait être considéré de nature professionnelle puisqu’il puise sa raison d’être dans la volonté, pour la personne qui souscrit l’engagement, de créer ou de développer une activité commerciale qui lui serait, directement, profitable.

Dès lors, la lecture de l’article L. 711-1 offrirait deux interprétations possibles : soit la dette résultant de l’acte de cautionnement (du fait du gérant d’une SARL ou d’un codébiteur) est effectivement considérée de nature professionnelle mais dispose, toutefois, d’un régime dérogatoire. Elle constituerait, dans ce cas, une exception à l’interdiction de prise en considération des dettes professionnelles dans l’appréciation de la recevabilité de la demande de traitement du surendettement des particuliers et dans l’orientation de la demande vers une procédure de rétablissement personnel13. Cette hypothèse conduit néanmoins à envisager un régime d’exception dans le traitement des dettes professionnelles ce qui, en l’absence de disposition légale spécifique en ce sens, n’est pas souhaitable.

Ainsi, la seconde hypothèse consiste à considérer que la dette née de l’inexécution d’un engagement de caution n’a tout simplement pas la nature de dette professionnelle et peut bénéficier du même traitement que celui applicable aux dettes de la vie courante. Dans ce cas, seuls les critères jurisprudentiels de la notion de dette professionnelle doivent être actualisés sans que cela n’ait d’incidence sur la cohérence du régime légal. Cette actualisation serait d’ailleurs opportune au regard du débat qu’a pu susciter la nature, professionnelle ou personnelle, des dettes URSSAF.

II – L’application de la qualification de dette professionnelle aux dettes URSSAF et aux dettes nées d’une caution dirigeante

En se basant sur la définition jurisprudentielle de la dette professionnelle de 2004, la cour d’appel de Grenoble a, en 2013, reconnu la qualité de dette professionnelle aux dettes issues du régime social des indépendants (RSI)14, en l’absence de tout consensus dans les juridictions15. Comme a d’ailleurs pu avancer Guy Raymond : « on ne peut pas dire que les cotisations RSI naissent pour les besoins d’une activité professionnelle : l’entreprise, car c’est de cela qu’il s’agit, ne bénéficie pas des cotisations RSI, c’est le régime de sécurité sociale des professionnels indépendants qui perçoit ces cotisations et ne les reversent en aucun cas à une entreprise16 ». En d’autres mots, on ne peut déduire le caractère professionnel de la seule finalité de la cotisation sociale en l’absence de tout bénéfice, reçu par l’entreprise, de ces cotisations. Cet argument a notamment été invoqué en 2017 par un magistrat17 pour réfuter partiellement la nature de dette professionnelle des dettes nées cotisations sociales dont la finalité est d’assurer le financement de la sécurité sociale. Cette appréhension fonctionnelle de la notion de dette professionnelle commanderait, en outre, que la dette URSSAF soit intégrée et traitée dans le passif du débiteur particulier alors que la dette de cautionnement d’une activité professionnelle en soit exclue.

À rebours de ces considérations, la Cour de cassation a rendu un avis en 2016 dans lequel elle octroie la qualité de dette professionnelle au passif né des cotisations sociales18. En se basant notamment sur sa propre définition donnée des dettes professionnelles « nées pour les besoins ou au titre d’une activité professionnelle » (Cass. 2e civ., 8 avr. 2004, n° 03-04013), la Cour interprète, dans cet avis, l’expression « au titre de » comme étant synonyme de la locution « en raison de19 » (elle rejette ainsi le sens « dans l’intérêt de »). Dès lors, pour l’auteur Pascal Rubellin20, le raisonnement par analogie en matière de dettes URSSAF et de dettes issues du cautionnement de la part du gérant n’est pas tenable. L’absence a priori de cohérence entre ces deux régimes peut également être soulignée. Pourtant, la lecture du rapport du conseiller référendaire M. Vasseur accompagnant l’avis du 8 juillet 2016 fait apparaître des considérations pratiques, « opportunes21 », dans le choix de considérer les dettes URSSAF comme des dettes professionnelles – échappant de fait à toute procédure de rétablissement personnel – et apporte un éclairage quant à la qualification adoptée à l’égard des dettes des cautions dirigeantes.

Nonobstant les arguments tirés des jurisprudences relatives à l’éligibilité aux procédures collectives ou au traitement fiscal des dettes URSSAF, un argument soulevé en faveur de l’exclusion de telles dettes des plans de surendettement des particuliers est particulièrement pertinent : la suppression de la dette URSSAF conduit à la suppression de certaines prestations dont bénéficie l’assuré social (assurance maladie et assurance vieillesse22). Or il n’est évidemment pas souhaitable qu’une procédure de surendettement, destinée à protéger la situation personnelle et financière du débiteur, puisse, à plus longue échéance, lui être dommageable. Dans cette optique, l’effacement d’une dette de cautionnement contractée auprès d’un établissement bancaire ne peut porter préjudice au débiteur à long terme, sauf à considérer l’inconvénient, moindre, d’être inscrit au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers23. En outre, la nature du créancier, jusqu’à présent peu abordée tant elle semble évidente, a son importance : un établissement financier n’est pas comparable à un organisme social.

Pour finir, deux observations seront formulées concernant la qualification des dettes de caution dirigeant en dette personnelle : la désuétude, tout d’abord, de la distinction entre nature civile et nature commerciale de la caution dans la procédure de traitement du surendettement des particuliers24. En outre, on relèvera que la forme sociale de la société cautionnée importe peu tant que le débiteur ne relève pas des procédures du livre VI du Code du commerce. Cette condition constitue, à notre sens, le principal critère d’éligibilité objectif à la procédure de surendettement des particuliers.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Le surendettement et les femmes », Le Bulletin de la Banque de France, n° 224, art. 3, 19 juill. 2019, disponible à l’adresse suivante : https://publications.banque-france.fr/le-surendettement-et-les-femmes.
  • 2.
    L. n° 89-1010, 31 déc. 1989, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.
  • 3.
    Dalloz actualité, 3 juill. 2019, obs. Payan G. ; D. 2019, p. 1222 ; JCP E 2019, 1342.
  • 4.
    C. consom., art. L. 711-1, al. 3 : « L’impossibilité de faire face à un engagement de cautionner ou d’acquitter solidairement la dette d’un entrepreneur individuel ou d’une société caractérise également une situation de surendettement ».
  • 5.
    Payan G., « Surendettement des particuliers : dettes engagées par le dirigeant caution de ses sociétés », Dalloz actu., 3 juill. 2019.
  • 6.
    Cass. 2e civ., 20 avr. 2017, n° 16-15143 ; Cass. 2e civ., 5 janv. 2017, n° 15-27909 : Gaz. Pal. 21 févr. 2017, n° 287n6, p. 28, note Albiges C. ; Gjidara-Decaix S., « Surendettement des particuliers. Domaine d’application de la loi », Contrats, conc. consom. 2017, comm. 96.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, n° 99-04058 : Bull. civ. I, n° 285 ; Cass. 2e civ., 29 janv. 2004, n° 02-04095 : Bull. civ. II, n° 36.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-04140 : Bull. civ. I, n° 232.
  • 9.
    C. consom., art. L. 741-2, al. 1er.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 91-04011 : Bull. civ. I, n° 107 ; Contrats, conc. consom. 1992, comm. 123, note Raymond G.
  • 11.
    Cass. 2e civ., 8 avr. 2004, n° 03-04013 : Bull. civ. II, n° 190 ; Contrats, conc. consom. 2005, chron. 1, note Gjidara Decaix S. ; D. 2004, p. 1383, note Rondey C.
  • 12.
    Étude : Les personnes vulnérables dans la jurisprudence de la Cour de cassation, 2009, rapp. annuel de la Cour de cassation, partie III, p. 142.
  • 13.
    L’article L. 741-2, alinéa 2, du Code de la consommation admet que la dette née d’une caution – et, sans doute, d’une caution dirigeante également – soit susceptible de faire l’objet d’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.
  • 14.
    CA Grenoble, 10 déc. 2013, n° 13/01590, Caisse RSI c/ Henri B.
  • 15.
    CA Aix-en-Provence, 10 juin 2015, n° 13/22603 : les juges se fondent ici sur le caractère obligatoire des cotisations de sécurité sociale pour dénier le caractère professionnel de la dette.
  • 16.
    Raymond G., « Surendettement – Les cotisations au RSI sont des dettes professionnelles », Contrats, conc. consom. 2014, comm. 147.
  • 17.
    Cardini C., « Contentieux du surendettement », Procédures 2017, chron. 2, § 12 : « Compte tenu de la finalité des cotisations et contributions – assurer in globo le financement de la sécurité sociale – on peut d’emblée exclure que celles-ci soient versées pour les besoins de l’activité professionnelle ».
  • 18.
    Cass., avis, 8 juill. 2016, n° 16-70005 : Contrats, conc. consom. 2016, comm. 224, obs. Bernheim-Desvaux S.
  • 19.
    Sur ces différentes interprétations de la locution « au titre de » : Cardini C., « Contentieux du surendettement », Procédures 2017, chron. 2, § 12 ; Raymond G., « Surendettement – Les cotisations au RSI sont des dettes professionnelles », Contrats, conc. consom. 2014, comm. 147.
  • 20.
    Rubellin P., « Le RSI : une dette professionnelle ! » LEDEN févr. 2017, n° 110k2, p. 4.
  • 21.
    V. les observations de Bernheim-Desvaux S. in Contrats, conc. consom. 2016, comm. 224.
  • 22.
    Cass., avis, 8 juill. 2016, n° 16-70005 : v. le rapp. de Vasseur T., conseiller référendaire, demande d’avis n° Y 13-70.005, p. 26.
  • 23.
    C. consom., art. L. 721-3, al. 2. Depuis le 1er janvier 2018, l’inscription au fichier est automatique à compter de la saisine de la Commission de surendettement par le débiteur (C. consom., art. L. 752-2).
  • 24.
    Gjidara-Decaix S., « Surendettement des particuliers. Domaine d’application de la loi », Contrats, conc. consom. 2017, comm. 96.