Les déchéances en matière de surendettement
En matière de surendettement des particuliers la liste des déchéances est limitative et ne peut être étendue au-delà de ce qu’elle prévoit.
Cass. 2e civ., 27 févr. 2020, no 18-25160, PB
À la suite du dépôt par M. et Mme S. d’une demande tendant au traitement de leur situation financière de surendettement, le juge a ouvert une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire.
Par un jugement du 19 octobre 2016, les débiteurs ont été déchus du bénéfice de la procédure de surendettement, décision confirmée par un arrêt de la cour d’appel, qui relève qu’ils ont quitté leur domicile initial et sont partis vivre en Haute-Savoie sans en informer les organes de la procédure et que, de plus, ils n’ont pas informé la commission de l’introduction d’une procédure de divorce qui a donné lieu à une ordonnance de non-conciliation entraînant une modification notable de leur situation respective.
Pour justifier la décision il a été retenu qu’une telle négligence, à laquelle s’ajoute le désintérêt manifeste dont ont fait preuve les débiteurs, s’apparente à une erreur grossière équivalente à la mauvaise foi dès lors qu’elle a retardé la mise en œuvre de la procédure et le règlement, fût-il partiel, des créanciers.
Celle-ci a estimé qu’en fondant cette déchéance sur leur négligence à informer la commission de leur changement d’adresse, puis de leur divorce, et sur leur désintérêt, éléments ne caractérisant pas une des causes de déchéance limitativement énumérées1, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
La question de droit posée était celle du caractère des causes de déchéance énumérées par la loi2.
Ceci invite à se pencher sur les causes de déchéance des procédures de surendettement (I) et sur leur étendue (II).
Il existe des procédures permettant de gérer, voire de résorber3, le surendettement des particuliers4. Elles prévoient aussi des causes de déchéance en cas de non-respect par le débiteur des obligations qui lui ont été imposées.
I – Déchéances
Le non-respect par les intéressés des obligations qui leur ont été fixées dans le cadre de la procédure de surendettement entraîne la déchéance de celle-ci, ce qui pose, comme ici, le problème de l’étendue des causes de déchéance.
Les cas de déchéance sont relatifs à des comportements déloyaux manifestés au cours de la procédure5.
La déchéance peut être prononcée par le juge à l’occasion d’un recours ou dans le cadre d’un rétablissement personnel avec liquidation. Le juge a le pouvoir de relever d’office la déchéance6.
Le jugement rendu en application de ces dispositions7 est susceptible d’appel8.
La sanction civile réservée au débiteur animé d’intentions frauduleuses est draconienne : il est déchu du bénéfice de la procédure de surendettement, les créanciers retrouvent alors leur droit de poursuite9.
La déchéance ne fait pas obstacle à une nouvelle demande si, outre la bonne foi du requérant, il existe des éléments nouveaux que le juge doit rechercher10. Mais si le débiteur n’apporte la preuve d’aucun fait nouveau modifiant sa situation depuis le jugement ayant retenu son absence de bonne foi, le juge du tribunal d’instance a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de déclarer irrecevable la demande de traitement de sa situation de surendettement11.
Il existe des causes de déchéance (A) mais elles ont une limite, certaines situations n’entraînant pas la déchéance (B).
A – Causes de déchéance
1 – Fausses déclarations
Le débiteur qui aura « sciemment » omis de déclarer des dettes, et/ou fait de fausses déclarations ou remis des documents inexacts12, pourra être déchu13.
La déchéance prévue14 est encourue dès lors que les fausses déclarations ou les remises de documents inexacts sont faites sciemment en vue d’obtenir le bénéfice de la procédure, sans qu’il y ait lieu de distinguer le moment où elles sont intervenues15. La non-déclaration d’une dette par le débiteur n’entraîne la déchéance16 que s’il est établi que cette omission a été délibérée pour permettre au débiteur d’obtenir le bénéfice de la procédure17.
Se rend coupable de fausses déclarations génératrices de la déchéance le débiteur qui déclare ne plus avoir de véhicule en raison d’un accident alors qu’il l’a revendu et en a conservé le prix18.
En s’abstenant de déclarer spontanément à la commission l’héritage perçu et le placement correspondant effectué sur un contrat d’assurance juste avant le réexamen de sa situation, un débiteur a tenté de dissimuler une partie de ses biens alors que cette somme permettait de diminuer de façon conséquente son endettement19.
2 – Dissimulation
Encourt la déchéance le débiteur qui aura détourné ou dissimulé, ou tenté de détourner ou de dissimuler, tout ou partie de ses biens20. Le fait d’avoir dissimulé la perception, par l’un des membres de la famille compté à charge, soit d’un salaire non négligeable eu égard aux ressources de la famille, soit de l’allocation aux adultes handicapés, constitue une cause de déchéance du bénéfice de la procédure de surendettement21.
Se rendent coupables de dissimulation de patrimoine et encourent la déchéance les débiteurs qui ont fait une donation d’un bien immobilier à leurs enfants 3 semaines avant la première saisine de la commission et se refusent à l’audience à vendre leur résidence22 ; ceux qui dissimulent un héritage23, ou la perception de revenus24, qui n’informent pas la commission de la perception d’une somme au titre de gains au PMU ayant servi à rembourser des prêts non déclarés à la procédure25, ou qui ne révèlent pas qu’ils ont une résidence secondaire au Maroc et qui n’indiquent pas que la prime reçue par l’épouse au moment de son licenciement a été utilisée pour rembourser des créanciers au Maroc26 ; ceux qui dissimulent la perception d’une somme au titre d’une quote-part d’indemnisation servie par le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, mais effectuent des retraits et virements multiples de la quasi-totalité des fonds versés manifestant ainsi la volonté de détourner les fonds reçus27.
Le retrait en une seule fois d’une somme de 8 000 € ne peut être justifié par la nécessité de faire face aux besoins de la vie quotidienne : en l’espèce, il avait pour but d’éluder le paiement de la créance du saisissant, de sorte que le détournement et la dissimulation28 sont caractérisés29.
3 – Nouveaux emprunts
La déchéance30 s’applique au débiteur qui, après la saisine de la commission, contracte des emprunts sans l’autorisation des créanciers ou du juge, et qui n’établit pas que ces emprunts ont permis de réduire l’endettement31. Le comportement du débiteur doit être actif32.
4 – Actes de disposition du patrimoine
Il résulte du texte33 qu’est déchue du bénéfice de la procédure de traitement des situations de surendettement toute personne qui, au cours de la procédure et sans l’accord de ses créanciers, de la commission ou du juge, aura procédé à des actes de disposition de son patrimoine, tel le remboursement de prêts familiaux et de dettes, non inclus dans la procédure de surendettement34.
Ainsi pour des époux qui ont vendu leur bien pendant la procédure et ont utilisé une partie des fonds provenant de la vente à d’autres fins qu’au paiement de leurs dettes35, la déchéance s’applique également au débiteur qui, ayant bénéficié d’un plan de règlement amiable, a, lors de son exécution, vendu son immeuble d’habitation sans l’accord ni des créanciers, ni de la commission, ni du juge36.
Après avoir relevé ce que le débiteur avait perçu en exécution d’une décision de justice sans l’affecter au remboursement de ses dettes notamment à son principal créancier, en remboursant d’autres dettes qui ne figuraient pas sur l’état de son passif établi par la commission de surendettement et en conservant pour lui-même le solde, avait procédé à des actes de disposition de son patrimoine pendant le déroulement de la procédure de surendettement dont il faisait déjà l’objet et omis de déclarer l’étendue de son patrimoine, c’est à juste titre que le premier juge l’a déclaré déchu du bénéfice de la procédure de surendettement37. Entraîne la déchéance un acte de disposition du patrimoine tel que l’achat d’un nouveau véhicule à l’aide de fonds provenant du déblocage d’une épargne salariale autorisée aux fins de désintéresser les créanciers38 ; l’achat d’un véhicule pendant l’instruction du dossier à l’aide d’une épargne qui avait été dissimulée à la commission39 ; la vente d’un terrain dont le prix a servi à désintéresser un ami du débiteur40 ; ou le remboursement de prêts familiaux et de créanciers non inclus dans la procédure grâce à la perception d’une prime de départ et d’une épargne d’entreprise41.
L’acte doit avoir provoqué une aggravation de l’endettement42. Cependant cette condition de l’aggravation de l’endettement n’est pas systématiquement exigée43.
B – Limite : situations non frauduleuses
Le débiteur qui aura omis, par négligence, de déclarer l’un de ses créanciers à la commission ne sera pas déchu de la procédure44.
La remise d’un document inexact ne révèle en soi aucune intention de frauder, dès lors que le débiteur n’est pas l’auteur de l’erreur45.
N’est pas coupable d’une fraude, entraînant une déchéance du droit au bénéfice de la procédure de surendettement, un débiteur qui fournit un bulletin de salaire avec une adresse erronée46.
Le débiteur dont le passif s’est alourdi du simple fait du non-paiement d’une dette locative ou de l’apparition d’un arriéré d’impôt47 échappe à la sanction de la déchéance.
Un débiteur qui a contracté de nouveaux emprunts pendant l’exécution des mesures recommandées par la commission n’encourt pas la déchéance dans la mesure où son endettement ayant considérablement diminué, la signature des crédits litigieux n’a pas aggravé son endettement48. La survenance d’une dette locative ne saurait justifier une déchéance du bénéfice de la procédure de surendettement49.
Mais l’arrêt qui, pour décider qu’un débiteur, ayant souscrit un nouvel emprunt après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire civil, n’est pas déchu du bénéfice de cette procédure, retient que ce débiteur n’a pas été avisé de l’interdiction d’aggraver son endettement, ni par les précédentes décisions, ni par le nouveau prêteur, ajoute au texte une exigence d’information que celui-ci n’impose pas50.
II – Étendue des déchéances
La présente décision montre que les déchéances qui sont prévues sont strictement encadrées. Les causes de déchéance sont limitativement énumérées par la loi.
Comme cela avait déjà été jugé51, ce que confirme la présente décision, la déchéance peut être prononcée à l’encontre du débiteur qui se sera rendu coupable de l’un des agissements limitativement énumérés52. La négligence des époux à informer la commission de leur changement d’adresse, puis de leur divorce, et leur désintérêt, ne sont pas des éléments caractérisant l’une des causes de déchéance limitativement énumérées53.
Notes de bas de pages
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1.
C. consom., art. L. 761-1.
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2.
C. consom., art. L. 761-1.
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3.
Valette-Ercole V., in Auguet Y. (dir.) en collaboration avec Dorandeu N., Gomy M. et Robinne S., Droit de la consommation, 2008, Ellipses, Tout le droit.
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4.
Richevaux M., Régime général des obligations, 2018, Ellipses, fiches nos 42 et 43.
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5.
CA Nancy, 27 sept. 1995, inédit.
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6.
Cass. 2e civ., 12 avr. 2012, n° 11-12160 ; C. consom., art. L. 712-3.
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7.
C. consom., art. L. 761-1.
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8.
C. consom., art. R. 713-6.
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9.
Cass. crim., 13 janv. 2010, n° 09-82071 ; C. consom., art. L. 761-1.
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10.
Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n° 98-04093, P : RTD com. 2000, p. 193, obs. Paisant G. – Cass. 1re civ., 15 déc. 1998, n° 97-04071, P : D. 1999, Somm., p. 207, obs. Chatain P.-L. et Ferrière F. ; RTD com. 1999, p. 212, obs. Paisant G.
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11.
Cass. 2e civ., 4 déc. 2014, n° 13-25479 : D. 2015, Pan., p. 593, obs. Aubry H. ; RD bancaire et fin. 2015, n° 53, obs. Piedelièvre S.
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12.
C. consom., art. L. 761-1, 1°.
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13.
Cass. 1re civ., 9 nov. 1999, n° 98-04109.
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14.
C. consom., art. L. 333-2, 1°, devenu C. consom., art. L. 761-1.
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15.
Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-04038, P : D. 1992, IR, p. 159 ; RTD com. 1992, p. 673, obs. Paisant G.
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16.
C. consom., art. L. 333-2, 1°, devenu C. consom., art. L. 761-1.
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17.
Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 93-04122 : D. 1994, IR, p. 244.
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18.
CA Douai, 15 mars 2012 : Contrats, conc. consom. 2012, 196, obs. G. R.
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19.
CA Paris, 25 mars 2014, n° 13/00034 : Contrats, conc. consom. 2014, 204, obs. Raymond G. ; Gaz. Pal. 9 oct. 2014, n° 193v8, p. 21, obs. Piedelièvre S.
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20.
C. consom., art. L. 761-2, 2°.
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21.
CA Dijon, 11 déc. 2007 : Contrats, conc. consom. 2008, n° 144, obs. Raymond G. ; Rev. proc. coll. 2008, 144, obs. Gjidara-Decaix S.
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22.
CA Paris, 13 sept. 2006.
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23.
CA Paris, 25 mars 2014, n° 13/00034, Henri M. c/ Banque Accord et a. (2e esp.) : Contrats. conc. consom. 2014, comm. 2014, note Raymond G.
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24.
CA Dijon, 11 déc. 2007 : Rev. proc. coll. 2008, comm. 144, note Gjidara-Decaix S.
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25.
CA Colmar, 20 juin 2016, n° 15/06112.
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26.
CA Paris, 28 janv. 2014, M. c/ Natixis financement et autres : Contrats, conc. consom. 2014, comm. 181, note Raymond G.
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27.
CA Douai, 19 mai 2013, n° 15/06369.
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28.
C. consom., art. L. 333-2-2 devenu C. consom., art. L. 761-1.
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29.
CA Colmar, 1er oct. 2007 : JCP G 2008, IV 1532.
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30.
C. consom., art. L. 333-2-3 devenu C. consom., art. L. 761-1.
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31.
Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n° 91-04084, P : D. 1992, IR, p. 270 ; RTD com. 1993, p. 168, obs. Paisant G. – Cass. 2e civ., 6 mai 2004, n° 02-16042, P.
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32.
Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n° 96-04013 : D. 1999, Somm., p. 207, obs. Chatain P.-L. et Ferrière F.
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33.
C. consom., art. L. 333-2 devenu C. consom., art. L. 761-1.
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34.
CA Nancy, 7 oct. 2013 : Contrats, conc. consom. 2014, 53, obs. Raymond G.
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35.
CA Paris, 19 sept. 1997 : Contrats, conc. consom. 1998, 33, obs. Raymond G.
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36.
TGI Le Mans, 22 déc. 1995, JEX : D. 1997, Somm., p. 198, obs. Chatain P.-L. et Ferrière F.
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37.
CA Paris, 13 mai 2008, n° 08/00006.
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38.
CA Dijon, 25 févr. 2005.
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39.
Cass. 2e civ., 12 avr. 2012, n° 11-12160 : Rev. proc. coll. 2012, comm. 121, note Gjidara-Decaix S.
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40.
CA Orléans, 3 juill. 2014, n° 13/04007.
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41.
CA Nancy, 7 oct. 2013, X c/ Y : Contrats, conc. consom. 2014, comm. 53, note Raymond G.
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42.
Cass. 1re civ., 26 nov. 1996, n° 95-04097 ; TI Belfort, 4 nov. 1997 : D. 1999, Somm., p. 209, obs. Chatain P.-L. et Ferrière F.
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43.
Cass. 2e civ., 3 juill. 2008, n° 07-15223 : Rev. proc. coll. 2008, comm. 144, note Gjidara-Decaix S.
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44.
Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n° 04-04139 : Bull. civ. II, n° 270.
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45.
Cass. 1re civ., 24 janv. 2008, n° 06-20367 : Contrats, conc. consom. 2008, comm. 122, note Raymond G. ; Rev. proc. coll. 2008, comm. 144, note Gjidara-Decaix S.
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46.
Cass. 2e civ., 24 janv. 2008, nos 06-19959 et 06-20538 : RTD com. 2008, p. 430, obs. Paisant G. ; Contrats, conc. consom. 2008, 122, obs. Raymond G. ; RD bancaire et fin.2008, 82, obs. Piedelièvre S.
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47.
Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n° 96-04245 : Bull. civ. I, n° 17.
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48.
TI Belfort, 4 nov. 1997 : D. 1999, Somm., p. 209, obs. Chatain P.-L. et Ferrière F.
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49.
Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n° 96-04245, P : D. 1999, Somm., p. 207, obs. Chatain P.-L. et Ferrière F. ; D. affaires 1999, p. 451, obs. C. R.
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50.
Cass. 1re civ., 28 avr. 1998, n° 96-04068, P : D. 1998, IR, p. 142 ; D. Affaires 1998, p. 945, obs. C. R.
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51.
Cass. 1re civ., 18 janv. 2000, n° 98-04123.
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52.
C. consom., art. L. 761-1.
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53.
C. consom., art. L. 761-1.