« Si l’activité économique n’est pas au rendez-vous, nous nous attendons à une vague de sollicitations des dirigeants d’entreprise à partir du 4e trimestre 2021 »

Publié le 05/07/2021

En mai 2021, les présidents des sept Centres d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP) des départements franciliens ont décidé de fonder un CIP Île-de-France. L’objectif est de renforcer leur visibilité sur leur territoire avec une structure régionale dans un contexte de crise et d’urgence économique. Au sein des CIP, des experts du droit et de la comptabilité accompagnent les dirigeants en difficulté. Au total, ces organismes regroupent près de 300 professionnels bénévoles en Île-de-France. Expert-comptable de profession, vice-président du CIP Île-de-France et président du CIP de Seine-et-Marne, Jean-Paul Morim explique les enjeux autour de cette organisation et livre son regard sur la conjoncture économique du territoire francilien.  

Actu-Juridique : Pourquoi avez-vous décidé de mutualiser les CIP départementaux franciliens en une structure régionale ?

Jean-Paul Morim : L’ensemble des présidents des CIP départementaux ont à l’unanimité décidé de créer une structure régionale pour différentes raisons. D’abord, l’objectif est d’accroître la visibilité des CIP en Île-de-France vis-à-vis des différentes organisations professionnelles, des partenaires potentiels et surtout des entreprises. Cela permet une meilleure identification du CIP par les dirigeants. Ensuite, nous souhaitons favoriser la communication et les échanges. C’est essentiel pour nous, en signant des conventions avec des institutions comme par exemple le conseil régional d’Île-de-France. Enfin, de manière plus pratique, les présidents des CIP franciliens pourront coordonner leurs actions dans les départements, en partageant leurs difficultés et leurs expériences et en adoptant les pratiques les plus efficaces sur le terrain. Ensemble, nous sommes plus forts. Il nous semblait donc essentiel de se structurer au niveau régional. Finalement, l’objectif est d’être plus efficace en apportant des réponses plus rapides et plus pertinentes aux besoins des entreprises, notamment par rapport à la taille de l’Île-de-France.

AJ : Quel est le rôle du CIP notamment dans le contexte de crise sanitaire et économique ?

J.-P. M. : Le CIP est une plate-forme qui permet d’accueillir, d’informer et d’orienter le chef d’entreprise en toute confidentialité, en respectant un anonymat complet et de manière totalement gratuite. S’il détecte, ressent ou fait face à une difficulté financière ou s’il est en détresse, il peut contacter son CIP départemental. Il va être accueilli par un trio d’experts : un avocat, un expert-comptable ou un commissaire aux comptes et un ancien juge du tribunal de commerce. Ces trois professionnels sont là pour écouter le dirigeant, le rassurer, lui expliquer et l’orienter vers des solutions, qui seraient les plus adaptées à ses difficultés. Ils sont même capables de repérer des problématiques non-identifiées par le chef d’entreprise. Ils orientent ensuite le dirigeant vers différentes solutions. Ce peut être, par exemple, une négociation avec les créanciers pour étaler une dette ou se diriger vers une solution judiciaire, si la situation est plus grave, en poussant les portes du tribunal de commerce.

« Si l’activité économique n’est pas au rendez-vous, nous nous attendons à une vague de sollicitations des dirigeants d’entreprise à partir du 4e trimestre 2021 »

AJ : Dans quel état d’esprit sont les dirigeants d’entreprise ?

J.-P. M. : Jusqu’à maintenant et pendant quelques semaines encore, les entreprises sont sous perfusion avec des aides importantes de l’État. Pour le moment, nous ne sentons pas une poussée exponentielle des demandes de procédures.

« Il existe une crainte : l’arrêt du jour au lendemain de tous les dispositifs de soutien économique »

Pour autant, nous sommes sollicités en termes de demande de renseignements. Les chefs d’entreprise ont plusieurs interrogations sur les aides proposées par le gouvernement : quand elles vont diminuer, si l’activité ne revient pas, que faut-il faire ? Quelles sont les possibilités ? Comment je fais pour m’en sortir ? Ce sont aussi des questions concrètes : demain, je n’ai plus le fonds de solidarité, le chômage partiel va diminuer, quelles sont mes solutions ? Il existe une crainte : l’arrêt du jour au lendemain de tous les dispositifs de soutien économique. Il faut rassurer les chefs d’entreprise. Toutes les organisations partenaires des CIP nous remontent ces informations d’inquiétude des chefs d’entreprise. Après l’été, qu’est-ce que je fais en tant que dirigeant si je ne peux pas rembourser mes dettes fiscales, sociales ou bancaires ?

Nous nous attendons à une vague plus importante à partir du quatrième trimestre 2021, si l’activité n’est pas au rendez-vous. Il y deux éléments clés : savoir si les Français vont consommer et si les restrictions seront assouplies ou totalement levées dans les prochains mois.

AJ : Qu’est-ce que vous observez concernant la conjoncture économique actuelle en Île-de-France ?

J.-P. M. : C’est très disparate. Grâce à mon métier d’expert-comptable, nous avons établi beaucoup de comptes annuels. Nous constatons que la conjoncture générale est difficile. Pour autant, beaucoup d’entreprises ont résisté ou ont fonctionné normalement, car elles étaient dans des secteurs qui ont été moins impactés. Le bâtiment a repris une forte activité, sur le deuxième semestre 2020 et début 2021. Des secteurs ont réussi à se maintenir. D’autres sont très affectés comme la restauration, l’événementiel, le tourisme et les petits commerces. Dans notre région avec Paris, les impacts sont très importants.

« La situation actuelle reste très fragile »

Nous pouvons dire que la situation actuelle reste très fragile. Les aides ont permis aux entreprises de résister dans les domaines les plus en difficultés. La relance n’est pas vraiment identifiée en tant que telle. Il y a de l’activité. Les Franciliens consomment. Mais dans les secteurs les plus touchés, nous n’atteignons pas les niveaux d’avant crise. Néanmoins, nous sentons des frémissements, qui peuvent être de bon augure pour la rentrée. Si vous retirez Paris, les autres départements s’en sortent légèrement mieux. Nous constatons notamment une chute de l’activité moins forte. Cependant, en Seine-et-Marne, les structures industrielles dans l’aéronautiques sont assez importantes. C’est un domaine qui souffre beaucoup. L’arrêt du secteur aéronautique et des vols commerciaux ont entraîné une chute de 40 % de l’activité dans certains cas.  C’est une situation que nous subissons en Seine-et-Marne.

AJ : Vous parlez de la Seine-et-Marne, département où vous exercer votre activité professionnelle d’expert-comptable. Quelle est la situation dans ce territoire ?

J.-P. M. : Nous avons toujours constaté une particularité en Seine-et-Marne. L’entrée de crise est toujours moins violente. Ce territoire reste un peu plus stable par rapport aux autres territoires de l’Île-de-France. Une caractéristique due à la variété des domaines d’activités dans le département : l’agriculture, le tourisme, le commerce, la culture et l’industrie. Il y a beaucoup d’entreprises dans les secteurs du bâtiment et des services. Les sociétés de Seine-et-Marne ont souffert comme les autres. Cette variété de secteurs d’activité en Seine-et-Marne permet d’être impacté plus légèrement.

« La variété des secteurs d’activité en Seine-et-Marne permet à ce territoire d’être impacté plus légèrement »

Après, la crise actuelle est très différente dans son origine, dans sa gestion et dans le niveau des aides attribuées par le gouvernement par rapport aux crises économiques précédentes. Puis, historiquement, la Seine-et-Marne a démontré cette stabilité tant en entrée, pendant et en sortie de crise économique. C’est un élément assez fort et positif pour nous. Et d’après la consultation des comptes annuels et des bilans que j’ai réalisé en tant qu’expert-comptable, je n’ai pas l’impression que la crise actuelle sera différente.

AJ : Quel bilan faites-vous de la consultation des derniers comptes annuels des entreprises que vous suivez ?

J.-P. M. : L’effet des aides a été très efficace autant pour les plus petites structures que pour les entreprises plus importantes. Dans les TPE, nous retrouvons les commerces et services comme la coiffeuse, l’esthéticienne, les magasins de détails, par exemple. Grâce aux aides économiques, elles ont dégagé des résultats plutôt équilibrés. Même si certaines entreprises étaient dans le rouge, la situation était moins dégradée que prévue. Le soutient de l’État leur a permis de passer les confinements, non sans douleur, mais en résistant jusqu’à maintenant. Puis, nous connaissons aussi des sociétés qui ont tiré leur épingle du jeu. C’est le cas des commerces alimentaires de proximité du type crémier ou boucher. Autre exemple avec le bâtiment. Après avoir été paralysé au premier confinement, ce secteur a pu reprendre progressivement. Le BTP a su faire face, réagir et accélérer pour finir l’année 2020 en faisant bonne figure. Globalement, le prêt garanti par l’État a permis à plusieurs centaines d’entreprises de ne pas marquer un coup d’arrêt définitif. Cette mesure a été indispensable et salvatrice. Le chômage partiel et le fonds de solidarité ont aussi permis à de nombreuses sociétés de résister.

AJ : Le 1er juin, Bruno Le Maire et Éric Dupont-Moretti ont présenté un plan intitulé accompagnement des entreprises en sortie de crise. Comment le CIP Île-de-France va participer à ce plan en sachant que le ministre de la Justice appelle à la mobilisation des professions du droit ?

J.-P. M. : Nous allons intervenir en amont des procédures judiciaires et du tribunal de commerce. Avant l’intervention des CIP, il y a la détection des difficultés. Ce n’est pas de notre ressort. C’est le rôle de nos partenaires : créanciers institutionnels, banques, experts-comptables, syndicats professionnels et chambres consulaires qui doivent remonter l’information pour détecter les besoins et les difficultés des entreprises. Les CIP auront un rôle déterminant dans le cadre de l’écoute, de l’orientation et de l’accompagnement des dirigeants en difficulté. Nous avons besoin de nous faire connaître davantage pour rassurer le chef d’entreprise. Il ne doit pas hésiter à nous contacter à la moindre difficulté ou au moindre doute. Notre trio d’experts sera là pour confirmer le diagnostic établi par le dirigeant de la société consultée ou étudier à nouveau le diagnostic pour ensuite l’orienter vers les solutions les plus pertinentes.

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