Chronique jurisprudentielle : droit des sociétés et des groupements (juillet – septembre 2020)
Comme à l’accoutumée, la présente chronique jurisprudentielle s’attache à révéler au lecteur de récents arrêts rendus l’été précédent (de juillet à septembre 2020), portant sur des domaines variés du droit des sociétés et des groupements.
I – Le juge territorialement compétent en matière d’instruction in futurum (Cass. 2e civ., 2 juill. 2020, n° 19-21012)
Pour satisfaire leur droit à l’information, un ou plusieurs actionnaires d’une SA représentant au moins 5 % du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous une forme quelconque, demander en justice la nomination d’un expert chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que le cas échéant des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce1. Il n’est cependant pas exclu que les intéressés ne remplissent pas les conditions édictées par l’article L. 225-231 du Code de commerce (absence de détention de 5 % du capital social, opération sortant du domaine de l’expertise de gestion). Ils peuvent alors formuler une demande d’expertise ou d’instruction dite in futurum sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile2.
Que ce soit l’expertise propre au droit des sociétés3 ou celle du droit commun, l’une et l’autre suscitent un important contentieux4 du fait que les intéressés en quête d’information sollicitent de plus en plus souvent leur mise en œuvre.
L’arrêt rendu le 2 juillet 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est la dernière manifestation judiciaire de l’expertise in futurum. Sa référence P (arrêt publié au Bulletin de la Cour de cassation) + B (arrêt indiqué en « flash » dans le Bulletin d’information de la Cour de cassation) + I (arrêt mis en ligne sur le site internet de la Cour de cassation) augure de son importance, donc de son intérêt.
1. Les données du litige peuvent être exposées en quelques lignes. La société Deloitte désireuse de céder sa participation au sein du groupe In Extenso, a organisé un appel d’offres auprès de divers acquéreurs potentiels, dont la société Fiducial et la banque Crédit agricole. Soupçonnant des irrégularités dans la procédure d’appel qui a abouti au choix de la banque, la société Fiducial a fait assigner devant le président du tribunal de commerce de Lyon la société Deloitte socialement domiciliée à Paris, afin que soit ordonnée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile une mesure d’instruction, à la suite de quoi la société Deloitte a soulevé une exception d’incompétence territoriale.
Le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon s’étant déclaré incompétent par ordonnance du 24 avril 2019, la société Fiducial a interjeté appel contre celle-ci.
Saisie à son tour de l’affaire, après avoir constaté que le siège de la société Deloitte était situé à Paris, la cour d’appel a, d’une part relevé que seul un point de la mission sollicitée devant le président du tribunal de commerce de Lyon était susceptible d’être exécuté dans le ressort de ce dernier, les autres points pouvant l’être par l’expert au lieu qu’il a choisi ; d’autre part, elle a retenu que l’audition par l’expert des directeurs de la société In Extenso n’a pas à être effectuée nécessairement au siège de cette société comme l’a demandé la requérante.
La société Fiducial reproche à l’arrêt d’appel d’avoir confirmé l’ordonnance en ce que le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon s’est déclaré incompétent, alors « que le juge territorialement compétent pour statuer sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées ». Elle estime que la juridiction de seconde instance a porté atteinte aux articles 42, 46 et 145 du Code de procédure civile.
Elle forme alors un pourvoi en cassation.
2. Ce pourvoi est rejeté en l’espèce par la deuxième chambre civile. Celle-ci fonde son dispositif sur les articles 42, 46 et 145 du Code de procédure civile selon lesquels le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées.
Le juge du droit justifie sa décision par l’argumentation suivante. Après avoir constaté la situation à Paris du siège de la société Deloitte, la cour d’appel a relevé que le seul point de la mission sollicitée devant le président du tribunal de commerce de Lyon était susceptible d’être exécuté dans le ressort de cette juridiction consulaire, les autres points pouvant l’être par l’expert au lieu qu’il choisit. En outre, elle a retenu que l’audition par l’expert des directeurs de la société In Extenso n’avait pas à être effectuée nécessairement au siège de cette société comme l’avait sollicité la requérante. Dès lors, elle a exactement déduit de ces constatations que le président du tribunal de commerce de Lyon était incompétent pour statuer sur la requête formée par la société Fiducial. Auquel cas, le moyen n’est pas fondé.
II – La nullité des actes accomplis par une société en formation et insusceptibles d’être repris après immatriculation de celle-ci (Cass. com., 7 juill. 2020, n° 18-13652)
Encore et toujours la société en formation. Décidément, les sociétés en cours de constitution ne cessent d’animer les prétoires5. En effet, le contentieux de la société en formation est suffisamment important pour que les tribunaux en soient régulièrement et fréquemment saisis afin de trancher des litiges relatifs à des faits, des actes, et plus souvent des dettes nées au cours de la période constitutive de la personne morale.
Les principales difficultés tiennent au fait que la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, qui a instauré la notion de société en formation, ne l’a pas définie6, ce qui génère des incertitudes en la matière7. Le dispositif mis en place par ce texte a été repris par la loi n° 78-4 du 4 janvier 1978 réformant le Code civil, complété par la loi n° 2001-240 du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques, abrogeant le régime dérogatoire prévu pour les sociétés civiles constituées avant le 4 juillet 19788.
L’arrêt de rejet de la chambre commerciale du 7 juillet 2020 constitue une nouvelle illustration des conflits nés dans le cadre d’une société en formation.
1. Cette décision de justice est la dernière étape d’une affaire qui remonte à un arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 22 juin 2017 rendu sur renvoi après censure partielle de la décision de la cour d’appel de Montpellier le 12 décembre 2013, par la chambre commerciale le 27 mai 2015 (n° 14-14128).
Selon l’arrêt de la juridiction de seconde instance de Nîmes, M. L. et la société Diffusion électronique catalane (la société DEC), d’une part, et M. P., d’autre part, ont conclu le 12 juin 1997 un protocole d’accord prévoyant une restructuration du capital de la société DEC, à l’issue de laquelle M. P. détiendrait 49 % du capital, tandis que M. L. et son groupe familial en conserveraient 51 %, ainsi que le versement par M. P. à ladite société, d’une avance en compte courant.
En exécution de ce protocole, la société civile MBM, constituée, selon ses statuts, le 5 août 1997, a effectué le 12 août 1997 deux virements de 122 500 F (18 675 €) et 377 500 F (57 549,50 €) sur le compte de la société DEC. Une assemblée générale de cette société, tenue le 26 août 1997, a agréé en qualité d’actionnaires, M. P. et la société MBM, devenue ultérieurement la société MJM. La société DEC a, par la suite, été absorbée par la société SO.CA. sport.
Enfin, un arrêt, devenu irrévocable, du 19 mai 2005 ayant annulé cette assemblée générale, M. P. et la société MJM ont assigné la société SO.CA. sport en remboursement des sommes versées à la société DEC. La société City sport a été appelée en intervention forcée.
Dans son recours en cassation, le demandeur M. P. reproche à la cour d’appel de Nîmes de l’avoir déclaré irrecevable à agir en sa qualité d’associé unique de la société MJM, alors qu’il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, sauf à ne pas respecter et observer lui-même le principe de la contradiction.
Selon lui, la juridiction de seconde instance a malencontreusement retenu qu’il n’a pas justifié d’une reprise par cette société des engagements souscrits au titre du protocole de partenariat, sans que les parties aient pu présenter leurs observations, faute de quoi, elle a porté atteinte à l’article 16 du Code de procédure civile.
Le pourvoi de l’intéressé est rejeté en l’espèce par la chambre commerciale.
2. Pour statuer de la sorte, la Cour de cassation se fonde sur des faits souverainement appréciés par les juges du fond : l’intervention le 12 août 1997 des virements des sommes de 122 500 et 377 500 F, le donneur d’ordre étant la société MBM ; l’immatriculation de celle-ci a été révélée le 29 avril 1998 par l’extrait Kbis.
Dès lors, comme la cour d’appel de Nîmes l’a judicieusement déduit de ces constatations, à la date d’exécution des virements litigieux, la société MBM n’était pas dotée de la personnalité juridique. Il s’ensuivait que contrairement aux actes qui auraient été accomplis en son nom et pour son compte, ceux qu’elle avait effectués étaient nuls et, par conséquent insusceptibles d’être repris par elle après son immatriculation. Ce seul motif suffit à justifier la décision de ladite cour d’appel.
À l’instar de bon nombre d’arrêts rendus auparavant, la présente espèce pose la question de savoir si durant sa période constitutive, une société peut valablement s’engager juridiquement. Or à ce stade, une société est dépourvue de personnalité juridique, faute d’être immatriculée. Conformément à l’article 1832 du Code civil, elle est simplement un contrat qui procède d’une manifestation de volonté d’une ou de plusieurs personnes, exprimée dans les statuts.
À ce sujet, il existe une différence de formulation significative entre la chambre commerciale et la troisième chambre civile : pour la première9, la société en formation est dépourvue de personnalité juridique ; pour la seconde10, cette société est inexistante. En réalité, si la société n’existe pas en tant que personne juridique, elle existe bien en revanche en tant que contrat. Autrement dit, la société en formation ne dispose pas de la capacité juridique lui permettant de contracter ou d’agir en justice11. Elle revêt seulement la nature juridique d’un contrat ou d’un acte de volonté d’une seule personne, et non celle d’une personne juridique apte à contracter, parce qu’elle n’est pas titulaire de droits et d’obligations12. Dans ce cas, seuls les associés fondateurs sont aptes à intervenir juridiquement.
Tel est bien la situation en l’espèce rapportée où la Cour de cassation, dans le sillage de la cour d’appel, considère comme nuls les actes pour avoir été passés par une personne privée de personnalité morale, et donc exclus de toute possibilité de reprise par elle, postérieurement à son immatriculation qui, conférant la personnalité juridique à la société, marque la fin de la période constitutive de celle-ci.
Reste à savoir si la nullité est absolue ou relative. Tout dépend de l’intérêt que l’on entend protéger. Selon la doctrine, « la nullité relative est édictée pour la protection d’un contractant (…), seul le contractant protégé peut s’en prévaloir, il est libre de renoncer à cette protection, en confirmant l’acte nul (…). La nullité absolue s’oppose sur tous ces points à la nullité relative : tout intéressé dispose de l’action en nullité absolue ; personne n’a donc qualité pour confirmer le contrat frappé d’une telle nullité »13.
Si la Cour de cassation est mutique en l’espèce, elle s’est auparavant prononcée sur cette question. Dans une affaire, elle a considéré la nullité comme absolue14, donc protectrice de l’intérêt général. Cette caractéristique confère aux contractants de la société, de surcroît à tout intéressé, la possibilité d’invoquer cette nullité, les conventions litigieuses ne pouvant être confirmées15 ou ratifiées notamment par un acte unilatéral exprès ou tacite de la société après son immatriculation, leur irrégularité ne pouvant être couverte par des actes d’exécution intervenus postérieurement à l’immatriculation de la société en formation.
III – Le pouvoir d’un associé coindivisaire de demander l’ajournement d’une assemblée générale (Cass. com., 7 juill. 2020, n° 18-19330)
Comme son nom l’indique, l’associé indivis réunit deux qualités en lui : associé à l’égard de la société, indivisaire au sein d’indivisaires. La particularité de cette situation est que ces deux qualités tout à fait différentes sont imbriquées ; en outre, étant séparées, elles ne sauraient être confondues16.
Effectivement, en présence de parts sociales faisant l’objet d’une indivision, les articles 1844 du Code civil et L. 225-110 du Code de commerce exigent une représentation des indivisaires pour mettre en œuvre le droit de participer aux décisions collectives17. Au-delà de la participation aux décisions collectives, tout propriétaire indivis de droits sociaux dispose de prérogatives en raison justement de sa qualité d’associé. Ainsi, conformément à l’article 815-2 du Code civil, il peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence.
La mise en œuvre de ces différents textes fait débat dans l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 juillet 2020.
1. Les données du litige font état d’un contrat du 18 mai 2015 et d’avenants ultérieurs par lesquels diverses sociétés actionnaires d’une SA, parmi lesquelles deux sociétés en liquidation à la suite de leur dissolution judiciaire pour mésentente, représentées par leur liquidateur, ont cédé leur participation à une société de droit luxembourgeois.
L’acte prévoyait différentes conditions suspensives dont l’absence de toute décision de justice empêchant la cession ou limitant la possibilité pour l’acquéreur d’obtenir les actions cédées, et l’émission par la SA, deux jours ouvrés avant la date de réalisation de la cession, d’obligations à bons de souscription d’actions (OBSA), que le cessionnaire s’engageait à souscrire en utilisant les droits préférentiels de souscription des vendeurs familiaux, ceux-ci renonçant corrélativement à ces droits en faveur du cessionnaire.
Une assemblée générale extraordinaire de la SA a été fixée au 18 mai 2016 pour voter sur l’émission de l’emprunt obligataire, sur les pouvoirs et délégations de compétence à conférer au directoire ainsi que sur la suppression du droit préférentiel de souscription des salariés de la société.
Soutenant que l’émission des OBSA était prématurée, qu’elle n’avait pas donné lieu à une information suffisante des actionnaires et qu’elle privait de toute substance le droit de préférence dont ils prétendaient disposer en vertu d’un pacte d’actionnaires, un groupe d’actionnaires a prétendu obtenir en référé l’ajournement de cette assemblée générale. Or une ordonnance ayant déclaré l’un des actionnaires irrecevable, faute d’intérêt à agir, et rejeté la demande d’ajournement, l’AGE s’est tenue à la date prévue du 18 mai 2016.
À la suite de la confirmation de cette ordonnance par l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 12 octobre 2017, l’actionnaire déclaré irrecevable a formé un recours en cassation au motif que forts de leur qualité d’associé, les copropriétaires indivis de droits sociaux peuvent participer aux délibérations collectives et exercer les actions destinées à préserver leurs intérêts.
2. Ce moyen est ici accueilli par la chambre commerciale. Celle-ci considère que, de la combinaison des articles 815-2 et 1844, alinéa 1er, du Code civil, le propriétaire indivis de droits sociaux qui a la qualité d’associé, peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des droits indivis. En conséquence et à ce titre, il peut agir en justice aux fins d’ajournement d’une assemblée générale extraordinaire ayant pour ordre du jour l’émission de titres donnant accès au capital de la société émettrice.
De toute évidence, comme le précise la jurisprudence, tout propriétaire de parts ou d’actions indivises est investi de la qualité d’associé18. Pour autant, si un auteur s’était prononcé en faveur de la reconnaissance de la qualité d’associé à chaque coindivisaire19, la Cour de cassation lui avait en revanche d’abord refusé cette qualité20, avant de la lui consentir21.
Par conséquent, il dispose à l’égard de la société du droit individuel d’être convoqué aux assemblées générales et d’agir seul en justice afin d’obtenir l’annulation de l’assemblée à l’occasion de laquelle son droit a été bafoué22, sans oublier un droit individuel de communication préalable à l’assemblée générale23. Au sujet des actions indivises, l’article R. 225-68 du Code de commerce dispose que tous les copropriétaires sont convoqués aux assemblées dans les conditions prévues par le texte, sans toutefois que le défaut de convocation d’un indivisaire entraîne nécessairement la nullité de la décision de l’assemblée24.
Ce n’est pas tout, puisqu’à ces différentes prérogatives, la présente espèce ajoute une nouvelle, celle de demander l’ajournement d’une assemblée générale, dès lors que l’associé justifie agir à des fins conservatoires dans l’intérêt de l’indivision. En effet, l’intéressé a prétendu que l’assemblée dont il a sollicité l’ajournement n’a pas été précédée d’une information suffisante des actionnaires sur les conditions financières de l’émission d’obligations à bon de souscription d’actions et qu’elle est intervenue de manière prématurée, notamment en vertu d’un droit de préférence sur des actions cédées dont il se dit titulaire conformément à un pacte d’actionnaires.
Jusqu’à plus ample informé, pour la première fois, la Cour de cassation reconnaît ici à l’indivisaire de droits sociaux, sans recourir au mandataire unique de l’indivision, la faculté de solliciter par lui-même l’ajournement d’une assemblée générale à des fins conservatoires et dans l’intérêt de l’indivision.
Ajoutons que, sorti du cadre des assemblées, le nu-propriétaire indivis de droits sociaux a la qualité d’associé et est recevable à agir en désignation d’un administrateur provisoire25.
IV – Le licenciement d’un salarié d’association en vertu d’une délégation de pouvoir donnée après l’entretien préalable (Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 19-15213)
Dans les sociétés, les dirigeants disposent habituellement des plus larges pouvoirs pour agir en toute circonstance au nom de la société, c’est-à-dire, aussi bien en ce qui concerne le fonctionnement interne que la représentation externe de celle-ci. Néanmoins, en raison de la taille parfois importante de l’entreprise, les dirigeants ne peuvent intervenir personnellement dans toutes les opérations qui requièrent leur signature ou leur décision. Une telle situation suscite le recours à la technique de la délégation de pouvoirs qui est un acte juridique par lequel le délégant se dessaisit d’une partie de ses pouvoirs afin de le transférer au délégataire.
La délégation de pouvoirs n’intéresse pas seulement les sociétés. Elle joue également un rôle non négligeable dans les associations26. Au sein de celles-ci, souvent dirigées par des personnes bénévoles exerçant une activité professionnelle qui occupe la majeure partie de leur temps, ce mécanisme leur permet de continuer à fonctionner sans trop d’encombres.
La délégation de pouvoirs peut concerner une multitude de prérogatives telles que la représentation en demande et en défense du groupement dans une instance judiciaire, la déclaration d’une créance au passif d’une entreprise en difficulté…
Qu’en est-il en matière de licenciement ?
L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 juillet 2020 a justement trait à cette question.
1. Les données du litige concernent une dame engagée par une association le 3 septembre 2001 en qualité d’éducatrice spécialisée. Après avoir exercé à compter du 19 mars 2007 les fonctions de chef de service d’un établissement et service d’aide par le travail et chef de service d’accompagnement à la vie sociale, elle a été licenciée pour faute grave le 17 avril 2015. Contestant son congédiement, elle a saisi la juridiction prud’homale.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant accordé gain de cause à la salariée dans un arrêt du 15 février 2019, l’employeur forme un pourvoi en cassation par lequel il fait grief à la décision d’appel de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer à l’intéressée diverses sommes à titre de rappel de salaire et des congés payés afférents, à titre d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, à titre d’indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et à lui remettre une attestation Pôle emploi et un solde de tout compte conformes, sous astreinte.
La chambre sociale censure en l’espèce l’arrêt d’appel au visa des articles L. 1232-6, alinéa 1er, du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et de l’article 1134 du Code civil (repris par les articles 1103, 1104 et 1193 dudit code) dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
2. D’une manière générale, il revient au président d’une l’association d’initier la procédure de licenciement d’un salarié, à moins que les statuts ne confient cette mission à un autre organe27. En conséquence, le directeur ne saurait conduire un licenciement que s’il en avait reçu expressément délégation du président ou de l’organe compétent pour le faire. Ainsi, quand les statuts mentionnent que les licenciements sont prononcés par le bureau de l’association, le directeur qui bénéficie d’une délégation générale du président en matière disciplinaire, ne dispose pas pour autant de la faculté de licencier le personnel28.
Il a été également jugé que le directeur qui a reçu délégation de l’assemblée générale pour la gestion du personnel et le pouvoir disciplinaire n’a pas le pouvoir de licencier lorsque le président n’a pas établi de délégation formelle, alors même que le contrat de travail le prévoit29.
La situation n’est cependant pas exclusive d’imprécision, notamment lorsque les statuts indiquent simplement que le directeur est désigné par le conseil d’administration. Dans ce cas, seule une décision de ce conseil peut le démettre de ses fonctions et il s’ensuit que le licenciement notifié par le président de l’association est dépourvu de cause réelle et sérieuse30.
3. Dans la présente affaire, la procédure de licenciement pour faute grave a été initiée à l’encontre de la salariée par le directeur général de l’association qui, par ordre du président, a signé la lettre de convocation à l’entretien préalable. Quant à la lettre de licenciement, elle a été signée par le vice-président par ordre du président.
Durant le laps de temps compris entre la mise en œuvre de la procédure de licenciement concrétisée par la convocation à l’entretien préalable et la notification du licenciement concrétisée par l’envoi de la lettre, le président a délégué au vice-président « tous ses pouvoirs en son absence pour raisons de santé ». La salariée a contesté la validité de la mesure au motif que seul le président a compétence pour mettre en œuvre la procédure de licenciement. L’association réfute la prétendue incompétence des organes intervenus dans ladite procédure par la délégation de pouvoirs consentie au vice-président préalablement à la notification du licenciement et soutient que celle-ci valide la procédure initiée par ordre du président.
La cour d’appel avait considéré qu’aucune régularisation ne pouvait émaner de la signature de la lettre de licenciement par le vice-président alors bénéficiaire d’une délégation de tous les pouvoirs du président ; elle avait alors déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cette approche est rejetée en l’espèce pour deux raisons :
-
d’un côté, la lettre de convocation à l’entretien préalable a été signée par le directeur général par ordre du président ;
-
de l’autre, la lettre du président de l’association déléguant le pouvoir de licencier au vice-président est préalable à la signature de la lettre de licenciement par ce dernier.
Conformément aux motifs du dispositif, sauf stipulation statutaire attribuant cette compétence à un autre organe, il revient au président d’une association de mettre en œuvre la procédure de licenciement d’un salarié. Il peut déléguer ce pouvoir à la personne de son choix, et, en toute hypothèse, ratifier l’acte pris par son ordre.
D’où la censure du présent arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, pour avoir porté atteinte aux articles L. 1232-6 et L. 1235-2 du Code du travail ensemble et à l’article 1998 du Code civil et le renvoi de la cause et des parties dans l’état où elles se trouvaient auparavant auprès de cette juridiction autrement composée afin que l’affaire soit réexaminée au fond.
L’actuelle position de la chambre sociale est amplement justifiée au regard d’une jurisprudence constante qui enseigne que l’employeur a la possibilité de déléguer son pouvoir en matière de licenciement, quelle que soit la nature de celui-ci, disciplinaire ou non. Cette délégation est admise sous réserve d’être expresse et explicite31. Au contraire, le licenciement d’un salarié prononcé par un organe non habilité ne peut être ratifié postérieurement au licenciement32. En particulier, la ratification ne saurait résulter du soutien en justice de la validité du licenciement par l’association33.
L’actuel arrêt vient utilement et judicieusement enrichir la jurisprudence en traitant le cas de la notification d’un licenciement par la personne investie d’une délégation du pouvoir de licencier, conférée après l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable. Il reconnaît la validité de l’ensemble de la procédure de licenciement, quand bien même la lettre de convocation aurait été signée par une personne dépourvue d’une délégation du pouvoir de licencier, dès lors que cette signature a été faite sur ordre du président.
La question de la délégation du pouvoir de licencier n’a pas manqué d’occasionner des débats doctrinaux au bout desquels la quasi-unanimité des auteurs, universitaires et praticiens, ont approuvé les orientations jurisprudentielles.
V – Le défaut de qualité de l’héritier non associé pour percevoir les dividendes attachés aux parts d’une société civile (Cass. 1re civ., 2 sept. 2020, n° 19-14604)
La stipulation des clauses d’agrément au moment du décès d’un associé génère un important contentieux du fait que leur mise en œuvre implique la combinaison parfois délicate du droit des sociétés et du droit des successions. Il suffit d’examiner la jurisprudence pour s’en rendre compte. Ainsi, dans quelle mesure un héritier non agréé est-il fondé à recevoir les dividendes attachés aux parts d’une société civile ?
L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 septembre 2020 répond à cette question.
1. Au centre du conflit se trouvent deux époux unis sous le régime de la communauté qui ont constitué une SCI avec les deux frères du mari. Sur les 4 002 parts sociales, ce dernier en possédait 1 334, dont 700 en propre et 634 en communauté avec sa femme. L’époux, décédé le 5 janvier 2010, a laissé son épouse pour lui succéder et, selon un testament olographe, ses deux frères en tant que légataires particuliers pour la pleine propriété de 1 017 parts dans le capital de la SCI.
À la suite de la liquidation de communauté consécutive à ce décès, les 1 334 parts du couple ont été réparties entre la succession de l’époux à hauteur de 1 017 parts et l’épouse à hauteur de 317 parts. Cette dernière est décédée à son tour le 18 mars 2011, laissant pour lui succéder son neveu, conformément à un testament olographe désignant les deux frères de son mari en qualité de légataires particuliers pour la pleine propriété de ses parts dans le capital de la SCI.
C’est en pareilles circonstances que le neveu héritier des parts a assigné les deux légataires particuliers ainsi que la SCI aux fins d’obtenir la réduction des legs particuliers et leur condamnation à lui payer diverses sommes. Les légataires particuliers ayant parallèlement assigné l’héritier dans le but d’obtenir la délivrance de leurs legs, il a été constaté que celui-ci les avait délivrés volontairement les 22 et 26 novembre 2012.
Débouté de ses demandes, le neveu héritier a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 22 février 2019 à qui il fait grief, entre autres, de n’avoir pas accueilli sa demande tendant à obtenir que soit décidé qu’en tant qu’unique héritier de sa tante et, par conséquent de son époux prédécédé, il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1 017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à ses deux frères et, à ce titre, aux héritiers distribués par la SCI après encaissement des loyers pour la période s’étendant du décès de sa tante à la délivrance volontairement consentie du legs particulier.
De son côté, la Cour de cassation censure partiellement l’arrêt d’appel au visa de l’article 4 du Code de procédure civile, mais seulement en ce qu’il limite à 118 655,81 € l’indemnité de réduction due par les deux légataires particuliers au titre des legs particuliers consentis par le neveu héritier.
2. La question essentielle à laquelle se trouve confronté le juge du droit dans la présente affaire est de déterminer si un héritier peut en cette seule qualité percevoir les dividendes, alors que l’agrément lui a été refusé.
Pour y répondre, la Cour de cassation signale qu’aux termes de l’article 1870, alinéa 1er, du Code civil, la société civile n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés. En effet, si en vertu de l’article 1870 du Code civil le décès d’un associé emporte transmission aux héritiers ou légataires des parts de la société, cette transmission peut supporter des clauses limitatives de ce principe, telles que des clauses d’agrément ou d’exclusion.
Par ailleurs, selon l’article 1870-1 de ce code, les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n’ont droit qu’à la valeur des parts sociales de leur auteur. Il s’ensuit que s’il n’est pas associé, l’héritier n’a pas qualité pour percevoir les dividendes, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire. À ce propos, il a été jugé que les héritiers qui ne sont pas encore devenus associés ne peuvent faire valoir de droit sur les bénéfices réalisés postérieurement au décès de leur auteur34.
Néanmoins, le mécanisme des clauses d’agrément conditionne l’octroi de la qualité d’associé et, en conséquence, la possibilité de percevoir les dividendes. Cela signifie qu’aussi longtemps que l’agrément ne lui est pas accordé ou si l’agrément lui est refusé, l’héritier dépourvu de la qualité d’associé ne peut exercer les prérogatives liées à cette qualité. Il peut seulement se voir attribuer la valeur des parts sociales payée par le nouveau titulaire des parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation35, mais non en percevoir les dividendes.
En l’espèce, ayant relevé qu’après le décès de sa tante associée de la SCI, le neveu héritier n’a pas été agréé comme associé de cette société, la juridiction de seconde instance en a exactement déduit qu’il ne peut prétendre aux bénéfices distribués après encaissement des loyers, postérieurement au décès de son auteur, mais antérieurement à la délivrance des legs particuliers.
À n’en point douter, le présent arrêt de la Cour de cassation applique à bon escient l’article 1870-1 du Code civil.
VI – L’intérêt de l’associé d’une société à saisir le juge commis à la surveillance du RCS (Cass. com., 9 sept. 2020, n° 19-15422)
À l’instar de l’arrêt précédemment analysé relatif aux actes accomplis par une société en formation36, celui rendu par la Cour de cassation le 9 septembre 2020 mettant en cause la société française Larzul a donné lieu à une longue procédure.
Le thème qu’il traite est d’autant plus intéressant qu’il a très peu donné lieu à procès, à l’image d’ailleurs de ce qui a trait au registre du commerce et des sociétés (RCS). Ajouté à cela qu’il s’agit d’une décision de censure qui traduit une divergence de points de vue et de sens entre le juge du droit et les juges de seconde instance, signe que la question reste ouverte et ne fait pas l’unanimité. C’est dire que le présent arrêt n’est pas la dernière décision de justice qui s’y rapporte et ne met donc pas fin au litige dont l’origine remonte à une décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 mai 201037. Cela justifie qu’il a vocation à figurer au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.
1. Par un acte du 14 décembre 2004, une société filiale (la société FGD, filiale du groupe belge La Floridienne) a conclu avec une autre (la société Larzul) un traité d’apport de son fonds de commerce à cette dernière. L’associée unique (la société Vectora) de la société bénéficiaire de l’apport (la société Larzul) a approuvé cette opération d’apport et l’augmentation de capital qui s’en est suivie. De son côté, l’associée unique (la société FGD) de la société apporteuse (la société UGMA) a décidé la dissolution de celle-ci.
En outre, un arrêt infirmatif irrévocable du 24 janvier 2012 de la cour d’appel d’Angers38 a annulé les délibérations de l’associée unique de la société bénéficiaire de l’apport et, par conséquent, a constaté la caducité du traité d’apport. De plus, la société bénéficiaire de l’apport a, le 3 avril 2012, obtenu du greffier d’une juridiction consulaire que des modifications soient apportées à son inscription au RCS en y mentionnant ledit arrêt qui a constaté la caducité du traité et en indiquant un ensemble de modifications faisant suite à cette décision. Sur requête de la société associée unique de l’apporteuse, le juge commis à la surveillance de ce registre a, par ordonnance du 6 juillet 2012, enjoint au greffier de procéder à l’annulation de ces modifications et de rétablir l’état antérieur de ces inscriptions.
Statuant sur le litige opposant les parties en cause, la cour d’appel de Rennes a, par arrêt du 19 février 2019, infirmé l’ordonnance déclarant irrecevable la requête de la demanderesse. Cette juridiction a fondé sa décision sur l’absence de texte lui permettant de saisir le juge commis à la surveillance du RCS de la demande d’annulation d’une mention de ce registre afférente à l’inscription d’une autre société.
Cette position n’est pas partagée par la chambre commerciale qui, saisie d’un pourvoi, censure l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 123-3, alinéas 1 et 2, du Code de commerce. Selon elle, il résulte de ce texte que le juge commis à la surveillance du RCS peut, à la requête de toute personne, justifiant y avoir intérêt, enjoindre à toute personne immatriculée à ce registre qui ne les aurait pas requises de faire procéder soit aux mentions complémentaires ou rectifications qu’elle doit y faire porter, soit aux mentions ou rectifications nécessaires en cas de déclarations inexactes ou incomplètes, soit à la radiation.
Dès lors, en statuant comme elle l’a fait, alors que la société, en qualité d’associé de la société assujettie à l’obligation d’immatriculation, avait un intérêt à saisir le juge commis à la surveillance du RCS pour faire procéder à la rectification de déclarations inexactes de l’assujettie, mentionnées audit registre, la cour d’appel a porté atteinte au texte susvisé.
2. La présente espèce soulève deux questions.
a) La première concerne l’obligation de faire procéder à la rectification de déclarations inexactes pour toute personne immatriculée au RCS.
Les articles L. 123-1 et R. 123-31 et suivants du Code de commerce (visa de censure) soumettent à publicité au RCS certaines personnes physiques et morales. Il s’agit essentiellement des commerçants, des sociétés civiles et commerciales, ainsi que des groupements d’intérêt économique lesquels acquièrent la personnalité morale par leur immatriculation. Les mentions relatives à la demande d’immatriculation figurent dans l’article R. 123-53 du Code de commerce ; elles doivent faire l’objet d’une inscription modificative dans le mois suivant tout fait ou acte impliquant la rectification ou le complément de celles-ci39. Dans l’actuelle affaire, la société est une SASU.
De plus, tout évènement relatif à la structure sociétaire donne obligatoirement à publicité. Il en va ainsi dans la présente affaire où, en application de l’article R. 123-70 du Code de commerce, l’associé unique de la société, après avoir fait l’apport de son fonds de commerce en 2004, en a décidé de manière anticipée la dissolution sans liquidation amiable en 2005. Effectivement, conformément à l’article R. 123-70 du Code de commerce, la dissolution de la société doit donner lieu à une mention rectificative dans le mois de la décision, en l’occurrence, elle devait être déclarée au RCS avant le 20 octobre 2005, ce qui probablement a été le cas. Pour autant, la délibération d’assemblée générale qui a voté la dissolution de la société a été annulée par un arrêt définitif de la cour d’appel d’Angers du 24 janvier 2012 (n° 11/00004)40, donc sans possibilité de régularisation.
La survenance de cet arrêt après une longue procédure judiciaire de plus de quatre ans a rendu inévitables dans le délai d’un mois des inscriptions rectificatrices de déclarations initiales devenues inexactes. L’annulation de la délibération d’assemblée a entraîné celle du traité d’apport et, par conséquent, la remise en cause des conditions initiales de dissolution. Pour autant, la modification de l’immatriculation de la SAS est intervenue le 3 avril 2012 en faisant état de l’arrêt du 24 janvier 2012 et en indiquant un ensemble de modifications à la suite de cette décision.
b) La seconde interrogation porte sur la personne qui a intérêt à saisir le juge commis à la surveillance du RCS. Il s’agit du juge commis qui soit d’office, soit à la requête du procureur de la République ou de toute personne justifiant y avoir intérêt, enjoint le cas échéant sous astreinte, à toute personne physique ou à une société qui n’aurait pas respecté les délais, de procéder soit aux mentions modificatives, complémentaires ou rectificatives, soit aux mentions ou rectifications nécessaires en cas de déclarations inexactes ou incomplètes, soit à la radiation41.
En outre, les demandes d’inscription modificative et de radiation peuvent être signées par toute personne justifiant y avoir intérêt, le greffier devant en informer la personne immatriculée42. Dans l’affaire rapportée, saisi par requête du 20 juin 2012, le juge commis à la surveillance du registre a, par ordonnance du 6 juillet 2012, procédé à l’annulation des modifications inscrites et rétabli l’état antérieur des inscriptions réalisées au RCS. Certes, la cour d’appel a réformé cette ordonnance au motif de l’absence de qualité de la société pour demander la modification des mentions de l’immatriculation de la SAS, aucun texte ne permettant à une personne morale de saisir le juge d’une demande d’annulation d’une mention afférente à l’immatriculation d’une autre société qu’elle-même.
La décision d’appel est censurée au visa de l’article L. 123-3, alinéas 1 et 2, du Code de commerce par la Cour de cassation qui estime qu’en qualité d’associé de la société assujettie à l’obligation d’immatriculation ayant un intérêt à saisir le juge commis à la surveillance du registre du RCS, celui-ci peut faire procéder à la rectification de déclarations inexactes de l’assujettie mentionnées au registre. Sa requête en annulation d’une mention du RCS est donc recevable. L’actuelle position de la chambre commerciale ne souffre aucune discussion, bien qu’en raison de l’annulation de l’augmentation de capital de la société bénéficiaire, l’intéressé ne disposait plus de la qualité d’associé de celle-ci au jour de l’action. Elle s’explique probablement par le fait que la modification de l’inscription au RCS contestée tenait à son ancienne qualité d’associé, justifiant ainsi son intérêt à agir, plus précisément celui à saisir le juge commis à la surveillance du registre pour faire procéder à la rectification de déclarations inexactes de cette société.
À cet égard, le présent arrêt du 9 septembre 2020 enrichit le domaine des personnes ayant intérêt à saisir le juge commis à la surveillance du RCS lorsque l’assujetti est une société, à savoir l’associé d’une société unipersonnelle. Il pourrait d’ailleurs s’agir également d’un associé majoritaire en raison du caractère général du terme « qualité d’associé » utilisé par la Cour de cassation. Celle-ci pose le principe général d’un intérêt à agir d’un associé quel qu’il soit. À notre connaissance, la solution est inédite.
Notes de bas de pages
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1.
C. com., art. L. 225-231, al. 2 ; CA Versailles, 23 oct. 2002 : BRDA 24/02, inf. 6 ; RJDA 4/03, n° 395, actionnaire détenant plus de 5 % des actions d’une société mère étrangère et demandant une expertise de gestion dans la filiale française – CA Basse-Terre, 26 mars 2012, n° 10/00113 : BRDA 9/12, inf. 7.
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2.
Cadiet L., » Brèves observations sur l’expertise préventive en droit des sociétés : Prospectives du droit économique », Dialogues avec Michel Jeantin, 1999, Dalloz, p. 151 ; CA Paris, 4 oct. 2002 : Dr. sociétés 2003, comm. 62, obs. Trébulle F.-G., associé de SARL dont les demandes de nomination d’un administrateur provisoire et d’expertise in futurum ont été rejetées – CA Paris, 14 sept. 2012, n° 11/12359 : BRDA 19/12, inf. 7, demande d’expertise in futurum sur les conditions de cession d’une filiale.
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3.
Pasqualini F. et Pasqualini-Salerno V., « Encore et toujours l’expertise de gestion », JCP E 2000, 12.
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4.
V. dernièrement : Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-17104 : BRDA 15-16/20, inf. 4 ; BJS sept. 2020, n° 121d8, p. 19, note Gil G ; LPA, n° 156v0, note Gibirila D, à paraître.
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5.
V. dernièrement : Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-16441 : BRDA 14/20, inf. 3 ; BJS sept. 2020, n° 121c7, p. 7, note de Ravel d’Esclapon T. ; LPA, n° 156v0, note Gibirila D, à paraître.
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6.
C. com., art. L. 210-1.
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7.
Tchotourian I., « À propos du flou entourant les rapports internes d’une société en formation », LPA 7 sept. 2000, p. 4 ; Saintourens B., « L’acte juridique accompli pour une société en formation : le royaume des incertitudes », in Mélanges en l’honneur du professeur Jean Hauser, 2012, LexisNexis-Dalloz, p. 1019 ; Ansault J.-J., « Dans les méandres des actes accomplis pour le compte d’une société en formation », Journ. sociétés mars 2014, n° 117, p. 19.
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8.
Saintourens B., « Les réformes du droit des sociétés par la loi relative aux nouvelles régulations économiques », Defrénois 30 nov. 2002, n° 37623-6, p. 1465.
-
9.
Cass. com., 21 févr. 2012, n° 10-27630 : BJS juin 2012, n° 270, p. 472, note Dondero B. ; JCP E 2012, 1249, note Mortier R., « (…) pour avoir été conclues par une société dépourvue de la personnalité morale (…) ».
-
10.
Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 09-70571 et 09-72855 : BJS déc. 2011, n° 550, p. 948, note Le Cannu P. ; Dr. sociétés 2012, comm. 4, note Mortier R. ; LPA 20 févr. 2012, p. 14, note Martron H, « (…) pour avoir été conclus par une société inexistante (…) ».
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11.
Cass. com., 20 juin 2006, n° 03-15957 : RJDA 10/06, n° 1023 – Sur cet arrêt : Gibirila D., « L’incapacité d’ester en justice d’une société en formation et ses enjeux », RJDA 10/06, p. 915 – Pour une étude générale : Bourgeois C., « Société en formation et exercice d’une action en justice : enjeux théoriques et pratiques », D. 2008, p. 1160.
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12.
Cass. com., 2 mai 2007, nos 05-14071 et 05-15191.
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13.
Mazeaud H., L., et J., par Chabas F., Leçons de droit civil. Obligations, théorie générale, t. 2, vol. 1, 9e éd., 1998, Montchrestien, n° 293.
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14.
Cass. com., 21 févr. 2012, n° 10-27630 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12071 et 10-15078, la Cour précise que ces actes, fautes d’avoir été souscrits par un mandataire pour le compte de la société en formation, sont frappés de nullité absolue pour avoir été conclus par une société inexistante.
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15.
Sur cette question en général : Couturier G., La confirmation des actes nuls, 1972, LGDJ, n° 315.
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16.
Donnier J.-B., « L’associé indivis », Dr. sociétés 2016, dossier 6.
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17.
Naudin E., « La représentation des indivisaires dans l’exercice du droit de participer aux décisions collectives », BJS févr. 2012 n° 57, p. 178 – v. aussi, Le Cannu P., « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives », in Mélanges en l’honneur de Philippe Merle, 2012, Dalloz, p. 443.
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18.
Cass. 1re civ., 6 févr. 1980, n° 78-12513 : Bull. civ. I, n° 49 ; – Cass. crim., 4 nov. 2009, n° 09-80818 : RJDA 3/10, n° 245 ; BJS mai 2010, n° 100, p. 498 – Cass. com., 21 janv. 2014, n° 13-10151 : RJDA 5/14, n° 443.
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19.
Viandier A., La notion d’associé, 1978, LGDJ, n° 239.
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20.
Cass. com., 9 oct. 1972, n° 70-13919 : Bull. civ. IV, n° 234 ; D. 1973, Juris., p. 273, note Burst J.-J. ; Rev. sociétés 1973, p. 475, note J. G.
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21.
Cass. 1re civ., 6 févr. 1980, n° 78-12513 – v. ultérieurement : Cass. crim., 4 nov. 2009, n° 09-80818 : Dr. sociétés 2010, comm. 35, obs. Salomon R. ; Dr. & patr. mensuel 2010, p. 103, obs. Poracchia D. ; BJS mai 2010, n° 100, p. 498, note Lucas F.-X ; Gaz. Pal. 22 avr. 2010, n° I1342, p. 16, spéc. p. 24, obs. Dondero B. ; Rev. sociétés 2010, p. 379, note Godon L. – Cass. com., 21 janv. 2014, n° 13-10151 : Bull. civ. IV, n° 16 ; Dr. sociétés 2014, comm. 59, note Mortier R. ; BJS avr. 2014, n° 111u8, p. 212, note Poracchia D. et Barbier H. ; D. 2014, p. 647, obs. Lienhard A. et note Borga N. ; D. 2014, p. 1844, obs. Mallet-Bricout B. ; D. 2014, p. 2434, obs. Rabreau A. ; Gaz. Pal. 27 févr. 2014, n° 167e3, p. 5, note Tadros A. ; Rev. sociétés 2014, p. 487, note Le Cannu P. ; RLDA 2014/92, n° 5026, note Dondero B. ; RTD civ. 2014, p. 413, note Dross W.
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22.
Cass. com., 5 mai 1981, n° 78-13270 : Bull. civ. IV, n° 210 ; Rev. sociétés 1982, p. 95, note Viandier A. – Hovasse H. et Noé M., « Indivision et droits sociaux », Actes prat. ing. sociétaire 1er sept. 2010, n° 113, p. 3
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23.
Cass. com., 5 mai 1981, n° 78-13270 – Cass. crim., 11 avr. 1996, n° 94-81166 : RJDA 10/96, n° 1213 – Cass. 3e civ., 27 juin 2019, n° 18-17662 : Dr. sociétés 2019, comm. 143, note Hovasse H. ; BJS oct. 2019, n° 120c3, p. 22, note Heinich J. ; JCP E 2019, 1467, note Mortier R. ; Journ. sociétés nov. 2019, n° 179, p. 48, note Gibirila D., selon lequel la représentation des indivisaires par un mandataire ne prive pas les copropriétaires indivis de parts sociales, qui ont la qualité d’associé, du droit d’obtenir la communication de documents, en application de l’article 1855 du Code civil.
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24.
CA Aix-en-Provence, 29 avr. 1980 : D. 1983, IR, p. 69, note Bousquet J.-C.
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25.
Cass. 3e civ., 17 janv. 2019, n° 17-26695 : BRDA 3/19, inf. 1 ; RJDA 4/19, n° 258 ; Lexbase hebdo, éd. affaires n° 581, 31 janv. 2019, note Julienne F. ; JCP G 2019, n° 9-10, 237, note Heinich J. ; JCP E 2019, n° 13, 1146, note Gallois J. ; Journ. sociétés mars 2019, n° 172, p. 67, note Gibirila D.
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26.
Gibirila D., « La délégation de pouvoir dans les associations », in Gibirila D. (dir.), « Le droit associatif », Journ. sociétés sept. 2014, n° 122, p. 8 ; Gibirila D., note sous Cass. soc., 2 mars 2011, n° 08-45422, association des résidences pour personnes âgées (AREPA), FP-PB. : « La délégation du pouvoir de licencier dans une association », Journ. sociétés mai 2011, n° 87, p. 40, selon lequel le directeur général d’une association ne peut procéder à un licenciement si la délégation de pouvoirs écrite dont il dispose n’inclut pas expressément le pouvoir de licencier (Cass. soc., 2 mars 2011, nos 09-67237 et 09-67238, Sté Cerep, FP-PB).
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27.
Cass. soc., 29 sept. 2004, n° 02-43771 : RJS (Revue de jurisprudence sociale) 12/04, n° 1255 – Cass. soc., 29 sept. 2016, n° 15-17280 – Cass. soc., 6 nov. 2019, n° 18-22258 : BAF 1/20, inf. 26.
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28.
Cass. soc., 7 déc. 2016, n° 15-18966.
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29.
Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-10305 : BAF 6/17, inf. 167.
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30.
Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-20452 : RJS (Revue de jurisprudence sociale) 6/15, n° 399.
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31.
Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-10305 : BAF 6/17, inf. 167, note 29, se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans rechercher si le directeur général de l’association avait reçu délégation du pouvoir de licencier de la part du président de l’association ou de tout autre organe auquel les statuts attribuent cette compétence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
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32.
Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-20452, dès lors que les statuts d’une association prévoient que le conseil d’administration désigne le directeur, celui-ci ne peut être démis de ses fonctions que sur décision du conseil d’administration. Le manquement à cette règle, insusceptible de régularisation, rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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33.
Cass. soc., 17 oct. 2018, n° 17-13268, aux termes des statuts de l’association, il est admis que le conseil d’administration et le président étaient seuls investis du pouvoir de licencier, que le conseil d’administration pouvait déléguer, pour une durée déterminée, tout ou partie de ses pouvoirs au bureau, ou donner, pour un objet déterminé, mandat à un administrateur, un membre du bureau ou toute personne de son choix, que le président pouvait déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du bureau et au directeur général, et que le pouvoir de licencier n’avait fait l’objet d’aucune délégation, la cour d’appel a exactement décidé que le licenciement notifié par le directeur général, dépourvu de pouvoir, était sans cause réelle et sérieuse.
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34.
Cass. com., 14 déc. 2004, n° 01-10893 : Bull. civ. IV, n° 230.
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35.
C. civ., art. 1870-1, al. 1er.
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36.
Cass. com., 7 juill. 2020, n° 18-13652.
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37.
Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14855 : Bull. civ. IV, n° 93.
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38.
CA Angers, 24 janv. 2012, n° 11/00004.
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39.
C. com., art. R. 123-66.
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40.
Rendu suivant Cass. com., 14 déc. 2012, n° 10-11993.
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41.
C. com., art. L. 123-3 ; Rép. min. n° 106126 : JOAN Q, 15 mai 2007, p. 46600 ; JCP E 2007, 23.
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42.
C. com., art. R. 123-87.