La constitution d’un groupement d’employeurs sous forme de SCIC. Les incertitudes juridiques
Depuis 2005, les groupements d’employeurs, au sens de l’article L. 1253-1 du Code du travail, historiquement régis par la loi du 1er juillet 1901 relative aux associations, peuvent également se constituer sous forme de société coopérative. La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) est au centre des discussions. L’objet de cet article est de démontrer que la constitution d’un groupement d’employeurs sous cette forme présente suffisamment d’obstacles dont l’existence amène à s’interroger sur la pertinence juridique de ce choix.
Entrée en vigueur le 8 août 2016, la loi n° 2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels consacre cinq articles aux groupements d’employeurs. Trois d’entre eux traitent des conditions de constitution d’un groupement d’employeurs sous forme de société coopérative. Au premier abord, on pourrait penser qu’il existe une volonté forte des pouvoirs publics d’aller dans ce sens. L’analyse des articles 89, 90 et 92 de cette loi appelle à une certaine mesure. En effet, les modifications apportées ne sont que des « réformettes » qui ne font que préciser des règles déjà applicables ou rectifier des textes mal rédigés.
Ce constat illustre à lui seul la place que souhaitent accorder les pouvoirs publics aux sociétés coopératives au sein des groupements d’employeurs. Lors de la création de ce dispositif de prêt de main-d’œuvre, le législateur avait fait le choix d’opter pour la forme d’association régie par la loi du 1er juillet 19011. Il a fallu attendre l’entrée en vigueur de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises pour permettre aux groupements d’employeurs de se créer ou de se transformer en sociétés coopératives. Or, il convient de remarquer que l’adoption de cette réforme n’a été précédée d’aucune étude préalable quant à l’éventuelle plus-value de cette forme juridique. De même, mis à part les règles spécifiques aux coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA)2, les pouvoirs publics n’ont pris aucune initiative pour promouvoir ce rapprochement.
Malgré tout, certains groupements d’employeurs s’interrogent sur l’opportunité de se transformer en société coopérative en général et en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) en particulier3. Pour certains auteurs4, la SCIC serait la réponse adéquate, susceptible de résoudre les problèmes de gouvernance et d’image qu’un groupement d’employeurs peut véhiculer lorsqu’il est constitué sous forme associative. Fantasme ou réalité ? Formule miracle ou miroir aux alouettes ? L’objet de cette étude est d’étudier à la fois les conditions de constitution d’un groupement d’employeurs sous forme de SCIC (I) et le régime juridique applicable à cette forme sociétaire (II).
I – Les conditions de constitution d’un groupement d’employeurs sous forme de SCIC
Comme pour toute création d’entreprise, la constitution d’un groupement d’employeurs doit s’inscrire dans une démarche d’identification d’un besoin et d’un financement prévisionnel. Le respect des conditions propres à la forme juridique de l’entreprise choisie constitue également une étape essentielle. C’est pourquoi nous nous intéresserons au fondement juridique (A) et aux conditions de validité (B) de création d’une SCIC pour développer l’activité de groupement d’employeurs.
A – Le fondement juridique
Il ressort des termes de l’article L. 1253-2 du Code du travail que la constitution d’un groupement d’employeurs sous forme de SCIC n’a pas été expressément prévue par le législateur. Cet article prévoit en effet qu’un groupement d’employeurs peut être constitué sous forme de société coopérative au sens de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Cette absence de référence à la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 instituant les SCIC peut s’expliquer.
En effet, dans l’état actuel du droit français, la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, à laquelle fait référence l’article L. 1253-2 du Code du travail, constitue la source centrale du droit coopératif5. Mais la législation proprement coopérative n’est pas tout entière contenue dans cette loi ; elle comporte aussi un grand nombre de lois dites particulières qui régissent distinctement chaque type de coopérative. Sur un plan hiérarchique, la règle contenue dans une disposition prise pour une catégorie déterminée de coopératives doit être appliquée par préférence à celle qui est contenue dans un texte d’application plus générale. À titre d’exemple, il existe les coopératives de construction et d’habitation6, les coopératives maritimes et d’intérêt maritime7, les coopératives de commerçants détaillants8, etc.
On retrouve dans la partie du Code du travail consacrée aux groupements d’employeurs, une mention à l’une de ces lois particulières. Ainsi, l’article L. 1253-2 du Code du travail fait expressément référence aux sociétés coopératives artisanales et à leurs unions dont les règles particulières ont été posées par la loi du 20 juillet 19839. De même, la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 a prévu un statut particulier pour les sociétés coopératives existantes10. Enfin, la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 a introduit des règles spécifiques concernant les CUMA11.
Force est donc de constater que le législateur n’a pas jugé nécessaire d’en faire de même pour les SCIC, alors même que la loi qui a permis aux groupements d’employeurs de se constituer sous forme de société coopérative est postérieure à celle qui a institué les SCIC. Dans le même sens, on remarquera que plusieurs lois sont venues, ces dernières années, aménager les règles applicables en matière de SCIC. Ainsi, la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 a défiscalisé la part du résultat affectée aux réserves impartageables. De son côté, la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 a supprimé l’agrément préfectoral et modifié les règles de quorum. Enfin, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 a passé le plafond de capital pouvant être détenu par des collectivités territoriales de 20 % à 50 %, a autorisé la forme SAS et rendu obligatoire un volet « évolution du projet coopératif » dans le rapport annuel de gestion. Aucune de ces lois n’a abordé, de près ou de loin, le thème du prêt de main-d’œuvre en général et celui des groupements d’employeurs en particulier.
Dès lors, le fondement juridique qui permet de constituer ou de transformer un groupement d’employeurs sous forme de SCIC est la référence à la loi de 10 septembre 1947, qui constitue le droit commun des sociétés coopératives, ce qui ne peut manquer de surprendre car lorsque le législateur souhaite recourir à une forme particulière de société coopérative, il prend le soin de le préciser.
Ce mutisme des pouvoirs publics trouve peut-être son explication dans l’objet même d’une SCIC. En effet, là où le Code du travail limite le champ d’application des groupements d’employeurs à la mise à la disposition de salariés12, une SCIC a pour objet « la production ou la fourniture de biens ou de services d’intérêt collectif ». Cette différence de terminologie n’est pas anodine. Si le Code du travail évoque tour à tour la « fourniture » de main-d’œuvre13, le « prêt » de main-d’œuvre14, la « sous-entreprise de main-d’œuvre »15, sans que l’on soit certain qu’il existe des différences bien nettes entre ces notions16 ; chaque fois qu’il a recours à l’expression « prestations de services » c’est pour évoquer une opération de sous-traitance17 ou la conclusion d’un contrat d’entreprise18.
En définitive, la constitution ou la transformation des groupements d’employeurs en SCIC a été autorisée au détour d’amendements parlementaires de circonstance, mais il est difficile d’entrevoir chez les pouvoirs publics une volonté forte de promotion de cette forme juridique. Comment expliquer le fait, par exemple, que les pouvoirs publics aient attendu la loi du 8 août 2016 pour permettre aux groupements d’employeurs constitués sous forme de sociétés coopératives de pouvoir accueillir en leur sein des structures publiques19 ou leur accorder le bénéfice de la provision pour risque de responsabilité solidaire prévue au 8° du 1) de l’article 214 du Code général des impôts20 ?
B – Les conditions de validité
Il ressort de l’article 19 quinquies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 qu’une SCIC a pour objet « la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale. Ces biens et services peuvent notamment être fournis dans le cadre de projets de solidarité internationale et d’aide au développement ». Deux critères cumulatifs ont été posés par le législateur : l’intérêt collectif et l’utilité sociale, l’un devant se combiner avec l’autre.
D’une part, l’intérêt collectif peut être défini comme l’intérêt par lequel diverses parties prenantes à un projet peuvent se retrouver autour d’un objet commun. L’intérêt collectif qui doit caractériser l’activité de la société coopérative d’intérêt collectif réside autant dans sa capacité à organiser une pratique de gestion démocratique qu’à répondre, en externe, aux besoins d’un territoire par la meilleure mobilisation possible des ressources de ce territoire au niveau économique et social21. Sur ce point, le dispositif des groupements d’employeurs tel que la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 l’a imaginé répond bien à cette définition. Il y a bien une volonté de différents acteurs d’un territoire d’agir ensemble pour mutualiser du personnel qualifié.
D’autre part, la SCIC est une personne morale qui poursuit un but qui ne peut être que l’utilité sociale. Cette notion n’ayant pas été définie par la loi du 17 juillet 2001, il faut donc se référer à d’autres textes, adoptés ultérieurement, pour en déterminer les contours.
C’est tout d’abord le décret n° 2002-241 du 21 février 2002 qui indiquait22 dans son article 3, 2e alinéa : « Pour apprécier le caractère d’utilité sociale du projet, le préfet tient compte notamment de la contribution que celui-ci apporte à des besoins émergents ou non satisfaits, à l’insertion sociale et professionnelle, au développement de la cohésion sociale, ainsi qu’à l’accessibilité aux biens et aux services ».
Ensuite, une circulaire du 18 avril 2002 relative à la société coopérative d’intérêt collectif23 a souligné que cette notion d’utilité sociale recouvre à la fois des objectifs d’intérêt général24 et des modalités spécifiques d’exercice de l’activité25.
Enfin, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire se caractérise par un double apport dans ce domaine. Elle a, en premier lieu, défini une structure qui poursuit un objectif d’utilité sociale26. Elle a, en second lieu, ajouté une phrase à la définition de la SCIC : « Ces biens et ces services peuvent notamment être fournis dans le cadre de projets de solidarité internationale et d’aide au développement ».
Malgré l’absence officielle de définition de l’utilité sociale, force est de constater que certaines thématiques reviennent régulièrement. Tenue d’avoir une gestion désintéressée, une SCIC est une société au service d’objectifs largement reconnus comme positifs pour la société. Tel est le cas par exemple de la lutte contre l’exclusion, le renforcement du lien social ou de la citoyenneté, la protection de l’environnement, etc.
Un groupement d’employeurs, régi par les articles L. 1253-1 et suivants du Code du travail, répond-il naturellement à cette exigence ? L’étude des différents textes qui encadrent son activité permet d’en douter.
En premier lieu, il convient de rappeler que les groupements d’employeurs n’entrent pas dans le champ de l’insertion par l’activité économique27, ni dans celui de l’économie sociale et solidaire28. Ils constituent un dispositif de prêt de main-d’œuvre réglementé qui est susceptible d’intervenir dans tous les secteurs d’activité.
Ensuite, le Conseil constitutionnel a été amené, dans une décision en date du 20 novembre 201529, à s’intéresser aux caractéristiques d’un groupement d’employeurs à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité au sujet des modalités d’application de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés dans un groupement d’employeurs. Il en ressort que si les groupements d’employeurs s’apparentent aux entreprises de travail temporaire en ce qu’ils fournissent de la main-d’œuvre à des entreprises utilisatrices, ils s’en distinguent en raison, d’une part, des liens juridiques entre le groupement et les employeurs qui y adhèrent et, d’autre part, de la répartition des responsabilités, entre le groupement et ses membres, ceux-ci étant solidairement tenus des dettes du groupement à l’égard de ses salariés. En aucune façon, le Conseil constitutionnel n’a reconnu une quelconque utilité sociale au dispositif des groupements d’employeurs.
Par ailleurs, les pouvoirs publics ont été amenés à déterminer la nature juridique d’un groupement d’employeurs d’un point de vue du droit fiscal. Par principe, les groupements d’employeurs, qu’ils soient composés de sociétés, d’associations, de collectivités territoriales, d’exploitants agricoles ou autres, sont rattachés aux dispositifs de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif, mais doivent être considérés, en raison de leur objet et de leur mode de fonctionnement, comme relevant du secteur marchand30.
Enfin, on ne trouve pas dans le Code du travail de conditions particulières de fonctionnement qui pourraient amener à caractériser le fonctionnement d’un groupement d’employeurs. Ainsi, à la différence de l’entreprise de travail à temps partagé31, il n’existe pas, dans le Code du travail, l’obligation selon laquelle un groupement d’employeurs aurait pour obligation d’embaucher ses salariés en contrat de travail à durée indéterminée. Le seul texte abordant cet aspect est la circulaire DRT n° 94-6 du 20 mai 1994 qui préconise que le contrat à durée indéterminée doive constituer la forme privilégiée de contrat de travail. Dès lors, si les groupements d’employeurs doivent mettre tout en œuvre pour recourir le plus possible au contrat à durée indéterminée, il ne peut leur être reproché d’embaucher des salariés sous forme de contrat de travail à durée déterminée.
En fin de compte, sauf à considérer que le critère de l’utilité sociale ne se voit conférer qu’une vocation décorative, il est difficile d’affirmer que les groupements d’employeurs répondent par principe à la condition posée par le législateur pour se constituer ou se transformer sous forme de SCIC. Or, le respect de cette condition est un enjeu à la fois juridique et stratégique. En effet, comme le prévoit le décret n° 2015-1381 du 29 octobre 2015 relatif aux éléments d’informations sur l’évolution du projet coopératif d’une société coopérative d’intérêt collectif à inscrire dans le rapport de gestion ou le rapport du conseil d’administration ou du directoire32, il appartient aux associés fondateurs d’indiquer dans les statuts les éléments attestant du caractère d’utilité sociale de la production de biens et de services et décrivant notamment les conditions particulières dans lesquelles la société exerce son activité de production. De plus, s’inscrire dans la perspective d’une véritable utilité sociale peut conférer au groupement d’employeurs un sens, une légitimité à son existence et à son action.
Le non-respect de ce critère est-il pour autant un obstacle à la constitution d’un groupement d’employeurs sous cette forme ? Cela l’aurait été si la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001, qui avait prévu un agrément par le préfet du département, n’avait pas été modifiée33. La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 a supprimé cet agrément, de sorte que le contrôle de l’existence d’une SCIC ne s’effectue plus a priori, mais a posteriori. De création récente, la SCIC n’a pas fait l’objet de beaucoup de contentieux. Mais le recours à cette forme juridique n’est pas sans risque si les conditions posées par le législateur ne sont pas respectées comme le montre l’étude de la jurisprudence34.
II – Le régime juridique d’un groupement d’employeurs constitué sous forme de SCIC
Le dispositif des groupements d’employeurs présente trois particularités par rapport aux autres formes de mise à disposition de travailleurs :
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les entreprises utilisatrices doivent être membres du groupement d’employeurs35.
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les groupements d’employeurs ne peuvent se livrer qu’à des opérations à but non lucratif36 ;
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les adhérents du groupement d’employeurs sont solidairement responsables de ses dettes à l’égard des salariés et des organismes créanciers de cotisations obligatoires37.
La constitution ou la transformation d’un groupement d’employeurs sous forme de SCIC est-elle de nature à remettre en cause ces différents principes ? C’est l’objet de l’étude de cette seconde partie qui traitera de la responsabilité des associés utilisateurs (A) et du régime fiscal (B).
A – La responsabilité solidaire des utilisateurs de la main-d’œuvre mise à disposition
Dans un article consacré à l’intérêt de la forme juridique de la SCIC pour les groupements d’employeurs, le paragraphe suivant a été rédigé ainsi : « Si en droit commercial les coopérateurs ne sont responsables qu’à hauteur de leur apport en cas de défaillance de leur GE-SCIC (Fadeuilhe, 201238), les coopérateurs utilisateurs de la fonction GE de la SCIC sont solidaires, en droit du travail, en ce qui concerne les salaires et charges obligatoires des salariés qui leur ont été mis à disposition par le GE-SCIC (Margado, C. trav., art. L. 1253-8). Il revient donc normalement aux coopérateurs d’organiser cette solidarité dans leurs statuts. En pratique, nous avons relevé que plusieurs GE-SCIC n’ont pas organisé cette solidarité dans leurs statuts, mais ont été agréés en qualité de GE par l’autorité administrative »39. De façon insidieuse, ces auteurs laissent à penser que le recours à la forme juridique de la SCIC serait une façon de contourner le principe de la responsabilité solidaire posé par l’article L. 1253-8 du Code du travail. Force est néanmoins de constater que cette analyse est contestable sur de nombreux points.
Citons, dans un premier temps, les trois inepties juridiques contenues dans cette citation dont l’existence fait peser une certaine suspicion quant à la portée de l’analyse :
Mis à part une catégorie particulière de groupement d’employeurs que sont les services de remplacement40, l’autorité administrative n’« agrée » pas les groupements d’employeurs lors de leur constitution ou de leur transformation. Ces derniers formulent une déclaration auprès du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du département dans lequel le groupement d’employeurs a son siège social lorsque les membres fondateurs n’entrent pas dans le champ d’application de la même convention collective41, une simple information étant requise lorsque le groupement entre dans le champ d’application d’une même convention collective42.
Lors de la constitution d’un groupement d’employeurs, l’administration du travail n’exerce qu’un contrôle formel quant à la forme juridique du groupement43. Il ne relève en aucun cas du rôle de l’administration du travail de vérifier que les statuts prévoient une clause particulière relative à la responsabilité solidaire des membres utilisateurs ou à toute autre mention.
Le principe de la responsabilité posé par l’article L. 1253-8 du Code du travail a une portée plus large que celle qui lui a été conférée par les auteurs de cet article. Un associé utilisateur d’un groupement d’employeurs n’est pas seulement responsable des « salaires et charges obligatoires des salariés qui leur ont été mis à disposition par le GE-SCIC » comme il est indiqué, mais de la totalité « des dettes à l’égard des salariés et des organismes créanciers de cotisations obligatoires »44. C’est en cela que les membres d’un groupement d’employeurs sont solidairement responsables de ses dettes et non tenus à une responsabilité conjointe.
Dans un second temps, la conclusion à laquelle aboutissent ces auteurs méconnaît, volontairement ou pas, un principe de hiérarchie des normes : les règles concernant l’activité de groupement d’employeurs sont régies par le Code du travail et s’appliquent de la même manière, que l’on soit une association ou une SCIC. Il en découle que les dispositions propres au fonctionnement d’une SCIC que l’on retrouve dans le Code de commerce et le droit des sociétés et dans des lois spécifiques doivent s’articuler avec celles contenues dans le Code du travail et n’ont pas vocation à renverser cette hiérarchie. Tel est le sens de l’article R. 1253-35 du Code du travail lorsqu’il exige que « la société coopérative qui entend développer l’activité de groupement d’employeurs prévue à l’article L. 1253-1 du Code du travail mentionne dans ses statuts, préalablement à son exercice effectif, cette activité ainsi que la responsabilité solidaire des associés pour les dettes qui en résulte à l’égard des salariés et des organismes créanciers de cotisations obligatoires ». Plusieurs conséquences en découlent.
En premier lieu, dans une SCIC, le respect de l’obligation légale de la composition de son sociétariat implique que le capital social doit être réparti entre au moins trois catégories d’associés : les salariés de l’entreprise (catégorie obligatoire) ; les personnes qui bénéficient des produits ou services fournis (catégorie obligatoire) ; et au choix une autre catégorie d’associé.
Toutefois, rien n’oblige à un utilisateur des services proposés par la SCIC d’être associé de cette dernière. Cette règle souffre toutefois d’une exception lorsque l’activité développée par la SCIC est une activité de groupement d’employeurs. En effet, un groupement ne peut, en aucun cas, mettre ses salariés à la disposition d’entreprises qui n’ont pas la qualité de membres, lorsque le groupement est constitué sous forme associative, ou d’associés lorsque le groupement est constitué sous forme de SCIC.
Dans le même sens, comme en matière associative, le principe de la responsabilité solidaire concerne tous les associés, qu’ils soient ou non utilisateurs de main-d’œuvre. Ainsi, une collectivité territoriale ou un salarié qui serait associé d’un groupement d’employeurs sous forme de SCIC entrerait dans le champ de cette responsabilité. Certes, l’article L. 1253-8 du Code du travail autorise à ce que les statuts des groupements prévoient, sur la base de critères objectifs, des règles de répartition de ces dettes entre les membres du groupement, opposables aux créanciers. Mais cette règle est inopposable aux tiers ; elle ne concerne que les relations entre les membres/associés du groupement d’employeurs. En conséquence, un tiers pourrait appeler en garantie pour la totalité de la dette un associé non utilisateur d’une SCIC, libre à ce dernier de se retourner dans un second temps vers tous les autres associés.
Enfin, quel que soit leur domaine d’activité, les SCIC peuvent être constituées sous forme de sociétés anonymes (SA), de sociétés par actions simplifiées (SAS) ou de sociétés à responsabilité limitée (SARL). L’une des particularités de ces formes de sociétés réside dans la responsabilité de chaque associé qui est limitée au montant de ses apports. Ce qui signifie que l’associé perdra, dans l’hypothèse d’une cessation de paiement, ce qu’il a apporté à la société en apports en numéraire, apports en nature et lors des augmentations de capital, mais il ne devra pas reverser un montant égal à la dette de la société dans laquelle il est associé. Là encore, la responsabilité solidaire relative aux dettes salariales et sociales des membres d’un groupement d’employeurs étant d’ordre public45, les dispositions du Code de commerce s’effacent devant celles du droit du travail46.
B – Le régime fiscal
Qu’il soit constitué sous forme associative ou coopérative, un groupement d’employeurs ne peut se livrer qu’à des opérations à but non lucratif47. Si, sur un plan fiscal, un groupement d’employeurs est, sauf exception prévue dans le Code général des impôts, soumis aux impôts commerciaux parce qu’il relève du secteur concurrentiel, il relève, au sens du droit du travail, du domaine du prêt de main-d’œuvre à but non lucratif.
Parce que le droit du travail français a été construit sur la base d’une relation bilatérale employeur-salarié, toute relation triangulaire, qui met en jeu un employeur de droit et un employeur de fait, a toujours été appréhendée par les pouvoirs publics avec une certaine méfiance, d’autant plus si sa mise en œuvre se trouve être préjudiciable pour le salarié concerné. Du principe d’interdiction posé par l’article L. 8241-1 du Code du travail, il découle a contrario que sont autorisées toutes les opérations sans but lucratif. Mais cette catégorie n’est pas homogène.
Ainsi, la qualification de prêt de main-d’œuvre à but lucratif est exclue « lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels »48. Sont exclus les frais de gestion dont la refacturation est de nature à entacher l’opération d’illicéité49.
À cette règle, il existe une exception qui concerne le dispositif des groupements d’employeurs que résume parfaitement un document émanant du ministère du Travail en date du 5 mai 201750 : « Par le biais du groupement d’employeurs, les entreprises (…) supportent, chacune d’entre elles, les frais salariaux en proportion de l’utilisation de la main-d’œuvre, avec des frais de gestion réduits au minimum ». Dans le fonctionnement d’un groupement d’employeurs, les frais de gestion sont admis51, la régulation s’effectuant de façon naturelle au travers de la règle selon laquelle les utilisateurs des salariés mis à disposition sont également les membres, voire dans certains cas les administrateurs, du groupement d’employeurs.
Force est de constater que la constitution ou la transformation d’un groupement d’employeurs en SCIC ne modifie en aucun cas le régime fiscal applicable. De surcroît, il ne permet pas aux groupements constitués sous cette forme de bénéficier de règles dérogatoires que la forme associative exclurait, qu’il s’agisse de l’assujettissement à la TVA ou à l’impôt sur les sociétés.
Deux différences néanmoins. La première concerne le partage des résultats. Si, dans une association, les bénéfices sont impartageables et doivent rester dans la structure, dans une SCIC, l’assemblée générale peut, en fin d’exercice, procéder à la répartition des excédents. Les règles applicables dérogent néanmoins au droit commun des sociétés. Les SCIC doivent affecter au minimum 15 % de leurs résultats en réserve légale, puis 50 % du solde en réserve statutaire, soit 57,5 % des résultats affectés aux réserves. Par ailleurs, les statuts de chaque SCIC et les décisions d’assemblée générale des associés peuvent aller au-delà de ce minimum et affecter jusqu’à 100 % des résultats en réserves impartageables52.
La seconde différence a trait à l’assujettissement à la TVA. Il résulte de l’article 261 B du Code général des impôts que « les services rendus à leurs adhérents par les groupements constitués par des personnes physiques ou morales exerçant une activité exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti sont exonérées de cette taxe à la condition qu’ils concourent directement et exclusivement à la réalisation de ces opérations exonérées ou exclues du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée et que les sommes réclamées aux adhérents correspondent exactement à la part leur incombant dans les dépenses communes ». Sur ce fondement, les groupements d’employeurs sous forme associative peuvent être exonérés de TVA lorsque tous leurs adhérents le sont également. Lorsqu’un groupement d’employeurs est constitué sous forme de SCIC, la forme commerciale de cette structure est de nature à l’empêcher de bénéficier d’un tel avantage.
En fin de compte, la constitution ou la transformation d’un groupement d’employeurs en SCIC est possible juridiquement, mais n’offre pas de véritables opportunités juridiques distinctes de la forme associative. Ce n’est donc pas la raison qui doit amener les membres d’un groupement d’employeurs à opter pour cette forme juridique. C’est peut-être la dimension plus politique de la SCIC qui peut éventuellement motiver ce choix. Mais comme dans tout projet entrepreneurial, le modèle économique est et doit rester central, la forme juridique devant s’adapter au projet et non l’inverse.
Notes de bas de pages
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1.
Dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, ils sont constitués sous la forme d’associations régies par le Code civil local ou de coopératives artisanales.
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2.
D. n° 2006-745, 27 juin 2006 ; mod. D. n° 2013-892, 2 oct. 2013 ; mod. D. n° 2016-1402, 18 oct. 2016 : les CUMA peuvent mettre leur personnel à la disposition de leurs membres sans limite relative à la masse salariale.
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3.
Il ne sera pas traité dans cette étude l’hypothèse de constituer un groupement sous forme de société coopérative de production (SCOP). Dans une SCOP, les salariés sont associés majoritaires et détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Cette organisation de la gouvernance constitue un frein au développement d’un groupement d’employeurs qui est avant tout un outil au service des entreprises qui en sont membres. V. Augereau-Barraud P. et Orsi L., « Le statut coopératif, un modèle pour les groupements d’employeurs », intervention dans le cadre du colloque sur les 30 ans des groupements d’employeurs organisé par le Centre de ressources des groupements d’employeurs situé à Poitiers.
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4.
André C., Bourgeois-Bertrel M. et Ruellan C., « L’intérêt de la forme juridique SCIC pour les groupements d’employeurs », Revue internationale de l’économie sociale, n° 340, p. 36.
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5.
Son contenu a été assez profondément remanié par la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992, relative à la modernisation des entreprises coopératives, puis par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire.
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6.
CCH, art. L. 422-5 à L. 422-12 et CCH, art. L. 433-1.
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7.
L. n° 83-657, 20 juill. 1983.
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8.
C. com., art. L. 124-1 à L. 124-16.
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9.
Cette loi a été modifiée successivement par la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992 (art. 33 à 40), par l’ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises (art. 6 à 9), par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (art. 32) et enfin par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014.
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10.
C. trav., art. L. 1253-3.
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11.
C. trav., art. L. 1253-3, dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.
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12.
C. trav., art. L. 1253-1.
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13.
C. trav., art. L. 8231-1.
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14.
C. trav., art. L. 8241-1.
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15.
C. trav., art. L. 8232-1.
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16.
Teissier A., JCl. Travail Traité, Fasc. 3-20, n°7.
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17.
Par ex. : C. trav., art. L. 1261-2 et s. relatifs aux salariés détachés temporairement par une entreprise non établie en France.
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18.
V. sur ce point : Rép. min. n° 29546 : JOAN 20 mars 2000, p. 1834.
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19.
L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 90.
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20.
L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 92.
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21.
Circ. DIES n° 2002-316, 18 avr. 2002, relative à la société coopérative d’intérêt collectif.
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22.
Ce décret a été tacitement abrogé par l’article 26, II, 2° de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 qui a supprimé l’agrément préfectoral préalable à la constitution d’une SCIC.
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23.
Circ. DIES n° 2002-316, 18 avr. 2002, relative à la société coopérative d’intérêt collectif.
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24.
Il s’agit de prévenir ou de lutter contre les facteurs de désagrégation sociale : la violence, l’insécurité, l’isolement et l’exclusion sociale, ainsi que la protection de l’environnement.
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25.
Les modalités spécifiques d’exercice de l’activité la distinguent de celle d’une société commerciale classique notamment en raison de la nature du service ou du produit correspondant par exemple à un besoin non satisfait ou satisfait dans des conditions différentes de celles offertes par le marché (2), du public auquel le service ou le produit s’adresse ou du prix proposé modulé ou adapté aux possibilités de solvabilité du public cible.
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26.
Art. 2 « Sont considérées comme poursuivant une utilité sociale au sens de la présente loi les entreprises dont l’objet social satisfait à titre principal à l’une au moins des trois conditions suivantes :1° Elles ont pour objectif d’apporter, à travers leur activité, un soutien à des personnes en situation de fragilité soit du fait de leur situation économique ou sociale, soit du fait de leur situation personnelle et particulièrement de leur état de santé ou de leurs besoins en matière d’accompagnement social ou médico-social. Ces personnes peuvent être des salariés, des usagers, des clients, des membres ou des bénéficiaires de cette entreprise ;2° Elles ont pour objectif de contribuer à la lutte contre les exclusions et les inégalités sanitaires, sociales, économiques et culturelles, à l’éducation à la citoyenneté, notamment par l’éducation populaire, à la préservation et au développement du lien social ou au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale ;3° Elles concourent au développement durable dans ses dimensions économique, sociale, environnementale et participative, à la transition énergétique ou à la solidarité internationale, sous réserve que leur activité soit liée à l’un des objectifs mentionnés aux 1° et 2° ».
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27.
Fadeuilhe P., « Les GEIQ, une catégorie autonome de groupement d’employeurs », JCP S, 2015, n° 44.
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28.
V. sur ce point la liste des entreprises qui peuvent prétendre à l'agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » : L. n° 2014-856, 31 juill. 2014, relative à l’économie sociale et solidaire, art. 11.
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29.
Déc. Cons. const., 20 nov. 2015, n° 2015-497 QPC.
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30.
Rép. Moreau, AN, 28 juill. 1986, p. 2315.
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31.
C. trav., art. L. 1252-4.
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32.
D. n° 2015-1381, 29 oct. 2015, art. 1.
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33.
Toute une procédure complexe détaillée dans le décret n° 2002-241 du 21 février 2002 avait été mise en place. L’article 4 du décret avait institué une liste annuelle des SCIC établie par le ministre chargé de l’Économie sociale. Cet agrément devait être présenté au greffier chargé de l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
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34.
V. par ex. : CA Dijon, 28 Mai 2015, n° 15/00547. Une SCIC ne peut invoquer utilement l’agrément préfectoral qui lui a été délivré, au seul vu du service qu’elle rend d’intérêt collectif à caractère d’utilité sociale pour justifier l’exercice d’activités commerciales et industrielles.
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35.
C. trav., art. L. 1253-1.
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36.
Ibid.
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37.
C. trav., art. L. 1253-8.
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38.
L’auteur du présent article est honoré d’être cité, ce qui doit sûrement être pris pour une marque de reconnaissance, mais regrette que l’on lui prête des propos sortis de leur contexte, en vue d’appuyer une conclusion qu’il récuse.
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39.
André C., Bourgeois-Bertrel M. et Ruellan C., « L’intérêt de la forme juridique SCIC pour les groupements d’employeurs », préc. p. 41.
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40.
C. trav., art. R. 1253-19 et s.
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41.
C. trav., art. D. 1253-4.
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42.
C. trav., art. D. 1253-1.
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43.
Ibid.
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44.
C. trav., art. L. 1253-8.
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45.
Cass. soc., 9 mars 2004, n° 02-41852 : Fadeuilhe P., « Les groupements d’employeurs et la liquidation judiciaire », SSL n° 1189, p. 6.
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46.
C. trav., art. R. 1253-35.
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47.
C. trav., art. L. 1253-1.
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48.
C. trav., art. L. 8241-2.
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49.
Fadeuilhe P., « Le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif », JA, 1er mai 2015, p. 26.
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50.
Questions-réponses groupement d’employeurs DGEFP/DGT, 5 mai 2017.
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51.
CGI, art. 214, 8°, qui permet aux groupements d’employeurs de déduire de leur bénéfice imposable, dans la limite de 2 % du montant des rémunérations, définies à l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, versées à leurs salariés ou de 10 000 €, les sommes destinées à couvrir leur responsabilité solidaire pour le paiement des dettes salariales.
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52.
V. instruction fiscale du 6 octobre 2008 relative à la déduction de la part des excédents mis en réserves impartageables de l’impôt sur les sociétés des SCIC : les sommes affectées aux réserves impartageables sont déductibles de l’assiette de calcul de l'impôt sur les sociétés. Cette déduction est traitée année par année, et ne sera en aucun cas reportable.