Les groupements d’employeurs. Passé, présent, futur

Publié le 21/10/2016

Plus de trente ans après sa création, le dispositif des groupements d’employeurs demeure encore en devenir. Comme bien d’autres lois avant elle, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a consacré plusieurs articles aux groupements d’employeurs. Mais une fois de plus, les modifications apportées manquent d’ambition. L’objet de cet article est de s’intéresser aux différentes réformes de ces dernières années et de présenter des propositions d’évolution de ce dispositif innovant de prêt de main-d’œuvre.

Depuis son entrée en vigueur, la formule des groupements d’employeurs suscite des sentiments assez divers. Chez ses partisans, il s’agit un dispositif innovant, qui est l’expression même de la flexisécurité à la française. Pour d’autres, les groupements d’employeurs constituent une nouvelle forme de dérèglementation du droit du travail, qui ne peut exister qu’à partir du moment où ils apportent aux salariés une sécurité de l’emploi supérieure au modèle traditionnel des relations de travail.

En fait, l’incompréhension vient des objectifs attachés à ce dispositif de prêt de main-d’œuvre. Il serait erroné de présenter les groupements d’employeurs comme un dispositif créateur d’emplois. Les emplois « créés » ne sont en majorité que l’agrégation de missions existantes au sein des entreprises que ces dernières n’arrivent pas, pour différentes raisons, à pourvoir. En d’autres termes, les groupements d’employeurs doivent être présentés comme un dispositif de travail à temps partagé au service de l’emploi durable, la pérennisation de l’emploi se déduisant de la succession des tâches proposées au salarié mis à disposition dans plusieurs entreprises adhérentes au groupement. C’est en cela que les groupements d’employeurs se situent à la croisée du chemin entre les exigences de flexibilité du travail des entreprises et les aspirations des salariés à une plus grande sécurité de leur emploi et qu’ils se distinguent des autres formes de prêt de main-d’œuvre telles que le travail temporaire ou le portage salarial.

Un autre point d’achoppement concerne le nombre global de salariés embauchés par un groupement d’employeurs. Deux études récentes se sont données pour mission d’effectuer un tel recensement, l’une au niveau d’une région1, l’autre au niveau national2. Chacune d’entre elles apporte des éléments chiffrés, les groupements d’employeurs seraient composés de 35 000 à 40 000 salariés, mais elles ne font que dresser un constat, sans expliquer les causes de la « faiblesse » de ces résultats.

S’interroger sur l’importance des effectifs employés par toutes les formes de groupements d’employeurs en France amène, dans un premier temps, à étudier l’ensemble des textes qui régissent ce dispositif, de la loi fondatrice du 25 juillet 1985 aux dispositions contenues dans l’article 40 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (I). Mais parce que les groupements d’employeurs restent, plus de trente ans après leur entrée en vigueur, un dispositif en voie d’avenir, il apparaît nécessaire d’identifier les pistes d’évolution nécessaires à leur déploiement (II).

I – Des réformes peu réformantes

Au premier abord, un constat s’impose, celui d’un décalage entre les potentialités des groupements d’employeurs et le nombre de salariés effectivement embauchés par l’une de ces structures. Deux raisons peuvent expliquer cela.

Tout d’abord, de par leur objectif et leur mode de fonctionnement, il est évident que les groupements d’employeurs ne concurrenceront jamais l’intérim, non pas par manque d’ambition, mais en raison de la difficulté de trouver sur un même bassin d’emploi des entreprises qui ont des besoins similaires d’emploi à des périodes de la semaine, du mois ou de l’année différentes.

Les groupements d’employeurs souffrent ensuite d’un paradoxe. Ils peuvent faire autant l’objet de louanges de la part des acteurs du terrain – employeurs et salariés – qui le pratiquent que susciter de la réticence et des incompréhensions (A) de la part des pouvoirs publics, ce qui se traduit le plus souvent par des réformes en trompe-l’œil (B).

A – Une méfiance avérée des pouvoirs publics

Au premier abord, les groupements d’employeurs peuvent s’estimer favorisés. Rares sont les initiatives législatives ayant trait aux relations individuelles de travail qui ne prévoient pas un ou plusieurs textes relatifs au groupement d’employeurs. Ainsi, depuis 2005, ce ne sont pas moins de onze lois qui ont abordé ce thème3. Mais alors que, dans le même temps, le CDI intérimaire et le portage salarial ont fait l’objet d’une consécration législative assez aboutie, les groupements d’employeurs sont cantonnés à des réformettes dispersées dans différents textes. Quelles en sont les raisons ?

En premier lieu, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1985, un trait commun caractérise les différentes réformes qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui : elles émanent majoritairement d’initiatives parlementaires, qu’il s’agisse de propositions de lois4 ou d’amendements déposés à l’occasion de la discussion d’un texte. L’adoption de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ne déroge pas à ce constat. Ses articles ayant trait aux groupements d’employeurs trouvent majoritairement leur origine dans des amendements parlementaires. De plus, d’autres sujets de réforme ont fait l’objet d’une discussion au Parlement, leur rejet trouvant le plus souvent leur origine dans l’opposition du Gouvernement5.

Ensuite, parce que les pouvoirs publics restent encore attachés à une vision bilatérale de la relation de travail, ils ont souhaité imposer aux groupements d’employeurs, au même titre que les autres dispositifs de prêt de main-d’œuvre, des conditions restrictives à leur mode fonctionnement. Si cette stratégie peut se concevoir, notamment en période de plein-emploi, elle est peu propice pour créer un élan significatif en faveur d’un dispositif dont l’une des ambitions est de sécuriser les parcours professionnels. D’autant plus que certaines de ces règles constituent de véritables obstacles à la réalisation de leur finalité : le travail à temps partagé.

Tel est le cas, tout d’abord, de la règle relative à l’effectif des entreprises susceptibles d’adhérer à un groupement d’employeurs. De 10 salariés à son origine, le seuil a été porté à 100 en 1987, puis à 300 par la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993, laquelle autorisait l’adhésion d’entreprises de plus de 300 salariés dans certaines zones géographiques. C’est alors que cette condition d’effectif est devenue un enjeu législatif. La loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 a ainsi subordonné l’adhésion des entreprises de plus de 300 salariés à la conclusion en leur sein d’un accord collectif portant sur les garanties accordées aux salariés mis à disposition. Il a fallu attendre l’entrée en vigueur de la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 pour que l’exigence de l’accord collectif disparaisse. Mais les conditions rocambolesques dans lesquelles cette loi a été adoptée6, le législateur subordonnant l’entrée en vigueur de la loi à une négociation entre les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel (!), et les réactions qui en ont suivi sont pour beaucoup dans la désaffectation des grandes entreprises du dispositif des groupements d’employeurs.

L’autre exemple porte sur la forme juridique des entreprises adhérentes. Il est acquis depuis l’origine que les groupements d’employeurs s’adressent aux entreprises de droit privé. Mais le souci de mutualiser des missions tout au long de l’année a rendu nécessaire l’adhésion des organismes rattachés à l’État et aux collectivités territoriales. Là encore, la reconnaissance de cette évolution a pris du temps. Dans une première étape, la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 a permis aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics d’adhérer à un groupement d’employeurs, mais les tâches confiées aux salariés devaient s’exercer exclusivement dans le cadre d’un service public à caractère industriel et commercial, environnemental ou de l’entretien des espaces verts ou des espaces publics7. Deux lois ont été nécessaires pour modifier ce cadre juridique. La loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 a, de son côté, supprimé la condition relative à la nature des tâches susceptibles d’être confiées à un salarié d’un groupement d’employeurs. Puis la loi n° 2016-1088 du 8 août 20168 a offert aux établissements publics rattachés à l’État la possibilité d’adhérer à un groupement d’employeurs9. Compte tenu de cette rédaction, il est légitime de s’interroger sur le fait de savoir si un hôpital, qui est de nature à constituer un acteur important de la mutualisation d’emplois pérennes dans certains bassins d’emploi, peut désormais adhérer à un groupement d’employeurs. Certes, il s’agit d’un établissement public de santé soumis au contrôle de l’État, mais son personnel relève de la fonction publique hospitalière, distincte de la fonction publique d’État. Une clarification s’impose ici de la part des pouvoirs publics.

S’il a fallu trente et un ans pour reconnaître que toute entreprise, quelle que soit sa nature juridique, peut adhérer à un groupement d’employeurs, il n’en reste pas moins que les conditions de mise à disposition restent (trop) rigides. L’article L. 1253-18 pose en effet le principe selon lequel le temps consacré par chaque salarié aux tâches effectuées pour le compte d’un employeur public ne peut excéder, sur l’année civile, la moitié de la durée du travail contractuelle ou conventionnelle ou, à défaut, légale, calculée annuellement. Or, dans certains bassins d’emploi, cette exigence constitue un obstacle à la mutualisation de l’emploi entre des entreprises de droit privé et d’autres qui relèvent du droit public.

B – Des réformes en trompe-l’œil

L’autre caractéristique des multiples réformes adoptées ces dernières années ayant trait aux groupements d’employeurs est que la plupart d’entre elles sont composés de textes mal rédigés, inapplicables ou superfétatoires. En voici un panel non exhaustif :

  • La loi n° 2009-43 du 24 novembre 2009 a modifié l’article L. 1253-1 du Code du travail en posant le principe que la mise à disposition « peut avoir pour objet de permettre le remplacement de salariés suivant une action de formation ». Quel est le véritable apport de cette précision apportée par le législateur ? Qu’est-il possible de faire aujourd’hui qui ne l’était pas avant la promulgation de cette loi ?

  • L’article L. 1253-15 du Code du travail pose le principe qu’un salarié mis à disposition par un groupement d’employeurs « peut bénéficier d’une délégation de pouvoirs du chef d’entreprise de l’entreprise utilisatrice dans les mêmes conditions qu’un salarié de cette entreprise ». Au-delà du fait que rien n’est précisé sur les modalités d’une telle pratique, comment peut-on imaginer qu’un tribunal répressif reconnaisse la validité d’une telle délégation qui serait accordée à un salarié, le plus souvent à temps partiel, chez l’adhérent où il est mis à disposition ? N’y a-t-il pas, en fait, une confusion avec la délégation de signature ?

  • La loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 a apporté un tempérament au principe selon lequel les membres du groupement d’employeurs sont solidairement responsables de ses dettes à l’égard des salariés et des organismes créanciers de cotisations obligatoires. L’article L. 1253-8 du Code du travail prévoit que « par dérogation, les statuts des groupements d’employeurs peuvent, sur la base de critères objectifs, des règles de répartition de ces dettes entre les membres du groupement, opposables aux créanciers ». N’est-ce pas déjà un principe général propre aux obligations solidaires10 ? De plus, qui accorde la « dérogation » ? À la lecture du texte, ce sont les membres du groupement qui se l’accordent eux-mêmes !

  • L’article L. 1253-2 du Code du travail autorise un groupement d’employeurs à être constitué sous forme de société coopérative au sens de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération et de la loi n° 83-657 du 20 juillet 1983 relative au développement de certaines activités d’économie sociale. Ces sociétés peuvent opter pour une SARL ou une SA, c’est-à-dire une forme juridique pour laquelle les associés ne sont responsables des dettes sociales qu’à hauteur de leurs apports. Comment cette règle s’articule avec l’article L. 1253-8 du Code du travail selon lequel les membres du groupement sont solidairement responsables de ses dettes à l’égard des salariés et des organismes créanciers de cotisations obligatoires ?

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ne déroge pas à cette tendance. Plusieurs articles portant sur les groupements d’employeurs ne font que préciser des règles déjà applicables ou rectifier des textes mal rédigés :

  • L’article L. 6223-5 du Code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé11 : « Lorsque l’apprenti est recruté par un groupement d’employeurs mentionné aux articles L. 1253-1 à L. 1253-23, les dispositions relatives au maître d’apprentissage sont appréciées au niveau de l’entreprise utilisatrice membre de ce groupement ». Cette nouvelle rédaction ne fait que reprendre une disposition de la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 créant un 6° à l’article 1253-12 du Code du travail qui précise qu’en matière d’apprentissage, c’est l’adhérent utilisateur qui assume l’exercice de la fonction de maître d’apprentissage définie à la section 3, du chapitre III, du titre II, de la sixième partie !

  • L’article L. 1253-19 du Code du travail, qui traite des groupements d’employeurs composé d’adhérents de droit privé et de droit public, indiquait que ces groupements ne pouvaient être constitués que sous la forme d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, d’associations régies par le Code civil local ou de coopératives artisanales. Lorsque la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 a permis de constituer un groupement d’employeurs sous forme de sociétés coopératives, le législateur a omis de préciser que cela s’adressait également aux groupements d’employeurs régis par les articles L. 1253-19 et suivant du Code du travail, portant créés par la loi du 23 février 2005. Cet oubli vient d’être réparé12.

  • Autre rajout qui trouve la même explication. Le 8° du 1 de l’article 814 du Code général des impôts prévoit la possibilité pour les groupements d’employeurs de constituer une provision pour risque de responsabilité solidaire dans la limite de 2 % du montant des rémunérations, définies à l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, versées à leurs salariés ou de 10 000 € au titre du même exercice. Cette mesure ne s’adressait qu’aux groupements d’employeurs fonctionnant dans les conditions prévues aux articles L. 1253-1 à 1253-18 du Code du travail. Elle écartait, sans véritable raison, les groupements d’employeurs composés d’adhérents de droit privé et de droit public. La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a décidé que cette règle s’adresse désormais aux groupements d’employeurs mentionnés à l’article L. 1253-19 du Code du travail13.

  • Une autre précision a été apportée à l’article L. 1253-3 du Code du travail. Elle concerne les sociétés coopératives existantes qui développent, au bénéfice exclusif de leurs membres, les activités mentionnées à l’article L. 1253-1 du Code du travail. La nouvelle version du texte facilite la transformation des sociétés coopératives en groupement d’employeurs14.

En fin de compte, on aurait tort de croire que le développement des groupements d’employeurs constitue une priorité des pouvoirs publics. L’actualité récente nous en donne un nouvel exemple criant. Lors de l’annonce du plan PME le 9 juin 2015, le Premier ministre avait indiqué un ensemble de mesures à destination des groupements d’employeurs pour les rendre plus « attractifs ». Sur la dizaine de mesures envisagées, une seule n’est, en fait, entrée en vigueur15, les autres étant encore au stade de l’étude, voire même ayant fait l’objet d’une opposition du Gouvernement à la suite d’amendement parlementaire lors de la discussion de la loi du 8 août 201616.

II – Des réformes pour rendre les groupements d’employeurs plus attractifs

Il est banal d’affirmer que le dispositif des groupements d’employeurs est méconnu et qu’il faudrait lui donner plus de visibilité. On ne peut nier cette évidence. C’est à cette fin que le Gouvernement avait présenté un amendement à l’occasion de la discussion en première lecture à l’Assemblée nationale de la discussion de la loi du 8 août 2016 selon lequel les groupements d’employeurs pourraient bénéficier d’un label. Ce texte a été écarté par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale, sur la base d’arguments qui emportent l’adhésion. En effet, s’il doit y avoir un label, celui-ci doit être privé. À défaut, cela reviendrait à instaurer un contrôle administratif au fonctionnement des groupements d’employeurs, peu propice au développement de ce dispositif.

Si les groupements d’employeurs n’occupent pas la place qu’ils pourraient avoir, c’est peut-être également parce que les textes qui les régissent ne sont plus suffisamment adaptés à la réalité économique des entreprises adhérentes et à celle du marché de l’emploi. Relevant par principe du secteur marchand, les groupements ne bénéficient d’aucune aide particulière alors qu’ils s’inscrivent autant que d’autres dans la politique de l’emploi en général et dans les politiques de sécurisation des parcours professionnels en particulier. Au contraire, ils sont soumis à des règles de droit commun qui rendent le recours au groupement souvent moins avantageux qu’une embauche en direct par l’adhérent.

L’idée n’est pas de conférer aux groupements d’employeurs des avantages particuliers, ni de modifier le concept qui est, aujourd’hui plus qu’hier, d’actualité. Sans remettre en cause le socle commun qui s’organise autour de trois principes : le lien adhérent-utilisateur17 ; la responsabilité solidaire des adhérents18 et le caractère non lucratif des opérations réalisées19, l’idée serait d’adapter, de moderniser, les textes applicables aux groupements d’employeurs de façon à ce que ces derniers (re)deviennent plus attractifs.

La réalisation de cette ambition suppose des évolutions juridiques dans au moins deux domaines : le contrat de travail de référence (A) et l’articulation des règles juridiques régissant les relations entre le groupement d’employeurs et les entreprises utilisatrices (B).

A – Le contrat de travail de référence

Il existe en la matière un véritable décalage entre les textes et la croyance collective, notamment celle de l’administration du travail, dont la propagation nuit au développement des groupements d’employeurs. Cette distorsion trouve son origine dans deux idées reçues :

  • « Un groupement d’employeurs aurait pour obligation d’embaucher ses salariés en CDI ». À la différence de l’entreprise de travail à temps partagé20, il n’existe pas, dans le Code du travail, une telle affirmation concernant les groupements d’employeurs. Le seul texte abordant cet aspect est la circulaire DRT n° 94-6 du 20 mai 1994 qui préconise que le contrat à durée indéterminée doit constituer la forme privilégiée de contrat de travail. Dès lors, si les groupements d’employeurs doivent tout mettre en œuvre pour recourir le plus possible au contrat à durée indéterminée, il ne peut leur être reproché d’embaucher des salariés sous forme de contrat de travail à durée déterminée. Remémorons-nous également que les pouvoirs publics incitent eux-mêmes à la conclusion de contrat de travail à durée déterminée comme c’est le cas pour les contrats de remplacement au sein des groupements d’employeurs pour le remplacement des chefs d’exploitation agricole ou d’entreprises artisanales, industrielles ou commerciales ou de personnes physiques exerçant une profession libérale21, ou les contrats de formation en alternance au sein des groupements d’employeurs d’insertion et de qualification (GEIQ)22.

  • « Les salariés du groupement d’employeurs devraient effectuer des périodes de travail successives auprès de chacune des entreprises adhérentes du groupement ». Or aucun texte n’affirme que le parcours d’un salarié d’un groupement d’employeurs suppose que ce dernier est mis à disposition d’au moins deux entreprises. Le travail à temps partagé est un objectif à atteindre et non une condition de validité du contrat de travail conclu entre un salarié et un groupement d’employeurs.

Malgré tout, la finalité des groupements d’employeurs est et doit rester de conclure des CDI à temps partagé. Or la conclusion d’un tel contrat de travail est une opération délicate car elle consiste à résoudre une équation à plusieurs inconnues :

  • Un engagement dans la durée de la part du groupement d’employeurs qui est fondé sur l’articulation des besoins successifs de ses adhérents, ce qui suppose de la part de ces derniers une certaine prévisibilité dans le recours à de la main-d’œuvre extérieure ;

  • Une conciliation de ces besoins qui doit correspondre aux caractéristiques professionnelles du salarié, partant du principe que le salarié mis à disposition est en droit d’exiger en toute hypothèse le paiement intégral de sa rémunération, même s’il n’est pas affecté chez un adhérent23 ;

  • Une adaptabilité du salarié à ces périodes de travail successives.

Pour faciliter la prise de décision, autant des entreprises adhérentes du groupement d’employeurs que des salariés concernés par cette forme atypique du travail, la création d’un contrat de travail à durée déterminée à temps partagé, spécifique aux structures régies par les articles L. 1253-1 et suivants du Code du travail, pourrait constituer une réponse adaptée. Il ne s’agirait pas de promouvoir la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée dans un groupement d’employeurs, mais bien de favoriser le recours au contrat à durée indéterminée à temps partagé dans ce type de structure. En créant cette phase préalable, les entreprises et les salariés concernés pourraient mettre de côté la frilosité qui les habite à l’édification d’un tel projet.

Bien entendu, les règles régissant ce nouveau cas de recours à un contrat de travail à durée déterminée devraient correspondre à l’objectif fixé. Ainsi, seules ses conditions d’existence se distingueraient de celles du droit commun du contrat à durée déterminée24. Rattaché à la catégorie des cas de recours intitulée : surcroît temporaire d’activité, ce contrat, à temps plein ou à temps partiel, ne serait valable qu’à partir du moment où le salarié serait mis à disposition dans au moins deux entreprises adhérentes du groupement pendant la durée du contrat à durée déterminée.

De plus, un programme prévisionnel devrait être inséré dans le contrat de travail lors de sa conclusion. Si ce programme pourrait être amené à évoluer, la condition de la mise à disposition auprès d’au moins deux adhérents serait et resterait une condition impérative.

Par ailleurs, la durée de chaque mise à disposition d’un adhérent ne devrait pas être dérisoire. Pour autant, il apparaît difficile de fixer un nombre d’heures ou un pourcentage d’activités à consacrer chez l’un ou l’autre des adhérents concernés, la situation pouvant notamment varier selon que le salarié serait mis à disposition auprès de deux, trois voire plus d’adhérents.

Enfin, la durée de ce contrat devrait être inférieure à un contrat à durée déterminée classique. L’idéal serait une durée de six mois renouvelable deux fois dans la limite d’une année. De cette façon, cela laisserait le temps pour chacune des parties de stabiliser l’articulation entre les différentes entreprises où le salarié est mis à disposition.

S’il s’avérait que l’une de ces conditions n’était pas remplie, cela constituerait un cas de requalification du contrat en contrat à durée indéterminée.

B – L’articulation des règles juridiques régissant les relations entre le groupement d’employeurs et les entreprises utilisatrices

Les groupements d’employeurs relèvent de la catégorie des tiers employeurs, c’est-à-dire des dispositifs pour lesquels il existe une relation tripartite entre un salarié, un employeur de droit et un employeur de fait (l’entreprise utilisatrice chez qui le salarié réalise le travail pour lequel il est rémunéré). Sauf spécification particulière, ils sont donc tenus d’appliquer les règles de droit commun, qu’ils s’agissent des règles de droit du travail, du droit de la sécurité sociale ou du droit fiscal. Cette articulation peut aboutir, dans certains cas, à une situation assez paradoxale : il peut être plus intéressant pour un adhérent de recruter directement une personne et de lui proposer un contrat de travail à temps partiel, plutôt que de la mutualiser avec d’autres entreprises d’un même bassin d’emploi au sein d’un groupement d’employeurs.

Conscient de cette incongruité, le législateur a entamé une réflexion à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. Certaines de ses dispositions ont pour finalité de mieux articuler les relations juridiques entre le groupement d’employeurs et ses adhérents.

La première mesure25 a pour objet de créer un article L. 1523-24 du Code du travail qui a vocation à permettre aux groupements d’employeurs d’être éligibles aux aides publiques en matière d’emploi et de formation professionnelle dont auraient bénéficié ses entreprises adhérentes si elles avaient embauché directement les personnes mises à leur disposition26.

Si l’on peut s’étonner qu’il ait fallu autant de temps pour le législateur pour adopter cette mesure, cette dernière va bien entendu dans le bon sens. Elle appelle néanmoins différents commentaires.

En premier lieu, ce texte concerne toutes les aides actuelles27 mais celles aussi à venir, que ces aides concernent le domaine de l’emploi ou de la formation professionnelle. En revanche, il ne prend pas en compte les aides accordées spécifiquement aux GEIQ au titre de l’accompagnement des jeunes de 16 à 26 ans et des demandeurs d’emploi âgés de 45 ans et plus recrutés en contrat de professionnalisation au motif que les entreprises adhérentes à un groupement d’employeurs ne peuvent en bénéficier directement.

Ensuite, on ne peut que regretter que le législateur ne soit pas allé plus en avant dans sa réforme en n’intégrant pas dans l’idée de transparence sociale les exonérations de cotisations de sécurité sociale qui constituent un paramètre important en termes d’attractivité d’un groupement d’employeurs. Certains groupements d’employeurs, notamment ceux qui sont composés d’adhérents relevant de différents secteurs d’activité, peuvent mettre à disposition des salariés qui, s’ils étaient embauchés directement par l’adhérent, donneraient lieu à des taux de cotisations sociales inférieurs. Une telle possibilité avait été accordée aux groupements d’employeurs lors de la mise en place de la réduction Fillon dite « améliorée » en 2008 en prévoyant expressément à l’article L. 241-13 du Code de la sécurité sociale28 : « Ce coefficient maximal de 0.281 est également applicable aux groupements d’employeurs visés à l’article L. 127-1 du Code du travail pour les salariés exclusivement mis à la disposition, au cours d’un même mois, des membres de ces groupements qui ont un effectif de dix-neuf salariés au plus au sens de l’article L. 620-10 du Code du travail ». L’idée serait de généraliser ce principe à toutes les exonérations de cotisations sociales, sans qu’il y ait lieu qu’un texte le prévoit expressément.

La seconde mesure adoptée29 concerne le calcul des seuils d’effectifs dans un groupement d’employeurs. Dans une décision en date du 20 novembre 201530, le Conseil constitutionnel a été amené à s’interroger sur les modalités d’application de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés dans un groupement d’employeurs. Dans cette affaire, l’association requérante soutenait que le second alinéa de l’article L. 5212-3 du Code du travail méconnaissait le principe d’égalité devant la loi dès lors que pour l’assujettissement à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, elles excluent, pour les entreprises de travail temporaire, la prise en compte des salariés mis à disposition d’entreprises, alors qu’elles la prévoient pour les groupements d’employeurs, et ce alors même que les groupements d’employeurs et les entreprises de travail temporaire exercent une activité de fourniture de main-d’œuvre à des entreprises utilisatrices. Le Conseil a jugé que le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, « retenir des modes de comptabilisation des salariés distincts pour la détermination de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés ». C’est en partie pour cette raison que la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a inséré un nouvel article L. 1253-8-1 dans le Code du travail qui dispose que « Pour l’application du présent code, à l’exception de sa deuxième partie, les salariés mis à la disposition, en tout ou partie, d’un ou de plusieurs de ses membres par un groupement d’employeurs ne sont pas pris en compte dans l’effectif de ce groupement d’employeurs ».

Cette nouvelle rédaction appelle deux commentaires.

Le premier concerne son champ d’application. Deux limites ont été apportées par le législateur :

  • « Pour l’application du présent code » : ce mode particulier de calcul des effectifs ne s’appliquera pas en matière de déclarations sociales ou d’obligations de l’employeur vis-à-vis de l’Urssaf ou de la MSA. La date de déclaration (périodicité) et de paiement (exigibilité) des cotisations des groupements d’employeurs n’en sera donc pas affectée.

  • « À l’exception de sa deuxième partie » : ce mode particulier de calcul des effectifs ne concerne pas les règles relatives à la représentation du personnel. Sont en revanche concernées par cette réforme :

    • les modalités de mise en place d’un accord de participation31 ;

    • la participation au financement à un taux réduit de la formation professionnelle continue32 ;

    • les modalités de calcul de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés33 ;

    • l’exonération de toutes les cotisations sociales patronales et salariales d’origine légale ou conventionnelle à l’exclusion de celles dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles en cas d’embauche d’un apprenti34 ;

    • la non-application des sanctions pour licenciement irrégulier et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse des articles L. 1235-2, L. 1235-3 et L. 1235-4 du Code du travail

    • la constitution d’un CHSCT35.

Le second commentaire a trait à la façon dont les salariés mis à disposition d’un adhérent sont comptabilisés chez ce dernier. Au sens de l’article L. 1111-2 du Code du travail, les groupements d’employeurs sont assimilés à une entreprise extérieure. Ce n’est donc que lorsqu’ils sont mis à disposition depuis au moins un an que les salariés d’un groupement d’employeurs sont intégrés dans les effectifs de l’entreprise utilisatrice. Cette règle n’est pas affectée par l’entrée en vigueur du nouvel article L. 1253-8-1 du Code du travail.

Si la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 fait progresser l’idée de transparence sociale, il n’en va pas de même en matière de transparence fiscale. Cette question a été abordée à l’occasion de la discussion de cette loi36. L’idée avancée était que les services rendus par les groupements d’employeurs à leurs adhérents non assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée devraient être exonérés de cette taxe, y compris si le groupement comprend des membres ayant la qualité d’assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée. La ministre du Travail y a opposé les conditions très strictes définies par le droit de l’Union européenne pour solliciter le retrait de l’amendement déposé par plusieurs sénateurs. La question reste donc en suspens. Gageons qu’elle ne le reste pas trop longtemps.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Kerbourc’h J.-Y. et Le Chevalier H., « Les groupements d’employeurs à la lumière de leurs enjeux. Étude économique et sociale des groupements d’employeurs dans les Pays de la Loire ».
  • 2.
    DGE, DGEFP, « Oser les groupements d’employeurs », 21 avr. 2016, Paris.
  • 3.
    L. n° 2005-157, 23 févr. 2005, relative au développement des territoires ruraux (art. 55 à 59).
  • 4.
    L. n° 2005-882, 2 août 2005, (art. 20).
  • 5.
    L. n° 2006-11, 5 janv. 2006 (art. 58).
  • 6.
    L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006 (art. 7).
  • 7.
    L. n° 2008-1258, 3 déc. 2008, en faveur des revenus du travail (art. 7).
  • 8.
    L. n° 2009-1437, 24 nov. 2009 (art. 17).
  • 9.
    L. n° 2011-893, 28 juill. 2011 (art. 30 à 40).
  • 10.
    L. n° 2012-1189, 26 oct. 2012, portant création des emplois d’avenir (art. 1).
  • 11.
    L. n° 2014-288, 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (art. 20).
  • 12.
    L. n° 2015-1785, 29 déc. 2015, de finances pour 2016 (art. 16).
  • 13.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (art. 88 à 92).
  • 14.
    L. n° 2011-893, 28 juill. 2011.
  • 15.
    Amendement n° 337 déposé par différents sénateurs et ayant trait au principe de la mixité fiscale.
  • 16.
    Fadeuilhe P., « Groupements d’employeurs, nouveautés pour les adhérents et les salariés », Juris association, n° 458, p. 40.
  • 17.
    C. trav, art. L. 127-11 anc.
  • 18.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 90.
  • 19.
    C. trav, art. L. 1253-19. Remarquons que le titre de la section qui englobe les articles L. 1253-19 à L. 1253-23 du Code du travail n’a pas été modifié. Il n’englobe plus uniquement les collectivités territoriales.
  • 20.
    C. civ., art. 1200 anc. ; C. civ., art. 1311 nouv.
  • 21.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 91.
  • 22.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 90.
  • 23.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 92.
  • 24.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 89.
  • 25.
    Relèvement du plafond de la provision de responsabilité solidaire du groupement d’employeurs.
  • 26.
    Adaptation du régime de TVA des groupements d’employeurs pour les services rendus aux adhérents non assujettis à la TVA.
  • 27.
    C. trav., art. L. 1253-1.
  • 28.
    C. trav., art. L. 1253-8.
  • 29.
    C. trav., art. L. 1253-1.
  • 30.
    C. trav., art. L. 1252-4.
  • 31.
    C. trav., art. R. 1213-14 et s.
  • 32.
    C. trav., art. L. 1253-1. V. égal. notre étude, Fadeuilhe P., « Les GEIQ : une catégorie juridique autonome de groupement d’employeurs », JCP S 2015, 1381, p. 14.
  • 33.
    Il s’agit d’un point important de distinction entre un CDI conclu par un groupement d’employeurs au sens de l’article L. 1253-1 du Code du travail et le CDI intérimaire développé par les entreprises de travail temporaire.
  • 34.
    Les conditions de rupture anticipée seraient les mêmes que pour les CDD de droit commun. De même, le salarié aurait droit à une prime de précarité à l’issue du contrat, sauf si ce dernier se transforme en CDI.
  • 35.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 88.
  • 36.
    Un décret fixe la nature des aides concernées et détermine les conditions d’application du présent article.
  • 37.
    Une aide à l’embauche d’un salarié pour les entreprises de moins de 250 salariés a été créée pour toute embauche ayant lieu entre le 18 janvier et le 31 décembre 2016. Le montant de l’aide pour deux ans est égal à 4 000 € maximum pour un même salarié.
  • 38.
    L. n° 2008-1258, 3 déc. 2008, en faveur des revenus du travail.
  • 39.
    L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 89.
  • 40.
    Cons. const., 20 nov. 2015, n° 2015-497 QPC.
  • 41.
    C. trav., art. L. 3322-2.
  • 42.
    C. trav., art. L. 6331-2.
  • 43.
    C. trav., art. L. 5212-1.
  • 44.
    C. trav., art. L. 6243-2.
  • 45.
    C. trav., art. L. 2381-1 : « Les dispositions relatives aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail figurent dans la quatrième partie relative à la santé et sécurité au travail ».
  • 46.
    La directive TVA permet l’exonération de TVA des services rendus par un groupement à ses membres dans les cas où ils sont tous exonérés. Le droit français semble plus favorable, puisqu’il permet de ne pas assujettir un groupement lorsque certains de ses membres exercent des activités soumises à la TVA, dès lors que celles-ci n’excèdent pas 20 % de leurs recettes.