Audit légal : la réforme des seuils adoptée en première lecture

Publié le 12/11/2018

La réforme des seuils d’audit inscrite dans le projet de loi PACTE a été adoptée le 27 septembre dernier en première lecture à l’Assemblée nationale. La profession de commissaire aux comptes n’a visiblement pas été entendue.

Peut-on laisser 354 milliards d’euros sans surveillance ?

Pourtant, lors de la séance du 27 septembre, plusieurs députés de l’opposition sont montés au créneau pour défendre l’utilité de l’audit légal dans les PME. Dénonçant le fait qu’une telle réforme allait brutalement supprimer la surveillance 354 milliards d’euros de chiffre d’affaires, ils ont pointé le fait que la France s’apprêtait à faire cette réforme au moment précis où l’Italie, la Suède et le Danemark en découvraient les méfaits et envisageaient de faire machine arrière. En vain. Le gouvernement a rétorqué que le système actuel fondé sur des critères croisés et complexes de forme sociale, de nombre de salariés et de montant du total de bilan et du chiffre d’affaires était trop complexe et que la réforme avait ainsi le double mérite de le simplifier et d’aligner la France sur les seuils européens.

Le problème, c’est qu’aux yeux de certains observateurs, c’est une sérieuse prise de risque de supprimer ainsi le contrôle des comptes des petites entreprises dans un pays où elles constituent l’essentiel du tissu économique et alors qu’elles recourent beaucoup au crédit interentreprise. Le fait, avancé par l’Inspection générale des finances dans le rapport qui a inspiré la réforme, que l’expert-comptable puisse pallier l’absence du commissaire aux comptes ne convainc pas. Dans un document daté du 15 mai et publié le 14 juin 2018, qui est la réponse du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) à la consultation du groupe de travail de Cambourg chargé par les ministres de l’Économie et de la Justice de travailler sur l’avenir de la profession, le superviseur note : « si l’audit légal, ressenti comme une charge par les petites entreprises, se juxtapose souvent au travail d’un expert-comptable ce qui est perçu comme une redondance, il ne faut pas oublier que bon nombre d’entreprises d’une certaine taille, bien qu’en deçà des seuils européens, disposent de leur propre service comptable et n’ont pas recours aux services d’un expert-comptable qui, au demeurant, n’a pas pour mission première de préserver l’intérêt général. En effet, le cadre exclusivement contractuel de l’intervention de l’expert-comptable, qui suppose la liberté pour l’entreprise (et non pour ses actionnaires ou associés) d’y avoir recours ou non, suppose, a priori, la définition par l’entreprise elle-même de la mission qu’elle souhaite confier à ce dernier en fonction des besoins qu’elle perçoit.

Cela a pour corollaire la possibilité de refus et de démission à tout moment de l’expert-comptable, possibilité qui n’est pas ouverte au commissaire aux comptes car inconciliable avec ses missions obligatoires. Dans ce cadre, l’expert-comptable intervient pour répondre aux besoins de son client et exerce ses compétences dans l’intérêt de celui-ci. Il en est tout autrement du commissaire aux comptes qui intervient sur la base d’une mission légale d’intérêt général et effectue les contrôles nécessaires pour assurer l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes : financeurs publics ou privés, clients, fournisseurs, administration sociale, administration fiscale… »

Une économie de 700 millions d’euros

La réforme représente 700 millions d’euros d’économie d’honoraires pour les entreprises, se réjouit le ministère de l’Économie. Les professionnels rappellent, quant à eux, que cela ne représente que 3 500 euros par an et par entité. En revanche, les commissaires aux comptes vont perdre 150 000 mandats sur un total de 196 000 mandats concernant les entreprises commerciales (240 000 si l’on inclut les associations) et 800 millions d’euros du chiffre d’affaires sur 2,4 milliards. Toujours selon la profession, 3 000 professionnels sur les 9 000 inscrits sont menacés directement de disparition et 8 000 emplois sont en sursis. Certes, le texte crée un audit légal adapté au bénéfice des petites entreprises, mais celui-ci sera facultatif. C’est précisément ce que voulait éviter le H3C qui considère qu’un audit ne peut-être que défini légalement dans son contenu et obligatoire. Le gouvernement, quant à lui, estime que si les commissaires aux comptes démontrent l’utilité de leur présence, ils obtiendront des clients, ce qui revient à ne pas voir le lien nécessaire entre mission légale et caractère obligatoire.

Le rapport de Cambourg préconisait l’instauration d’une période de trois ans durant laquelle cet audit allégé et contractuel serait impératif pour que les entreprises soient contraintes de le tester. L’idée n’a pas été retenue. Bruno Le Maire estime avoir néanmoins tenu compte du rapport de Cambourg. Ainsi a-t-il expliqué lors de l’examen du texte à l’Assemblée : « Les commissaires aux comptes souhaitaient une période de transition ; nous en avons aménagé une. Les mandats en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi se poursuivront jusqu’à leur terme : aucune brutalité donc ; au contraire, une vraie transition. Le périmètre d’activité des commissaires aux comptes sera étendu par l’assouplissement de l’interdiction d’exercer une activité commerciale. Nous créerons une passerelle automatique, demandée depuis des années, entre les formations de commissaire aux comptes et d’expert-comptable car à moins d’être un spécialiste absolu du sujet, il n’est pas facile de les différencier ».

Et les groupes ?

Autre point sensible de la réforme, la question des groupes de sociétés. Le rapport de l’Inspection générale des finances prévoyait uniquement l’audit de la société holding pour les groupes totalisant un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros. Les auditeurs ont fait observer qu’un tel audit n’avait aucun intérêt si le commissaire aux comptes ne pouvait pas vérifier les comptes des plus importantes filiales où se situent souvent la réalité de l’activité. Le gouvernement a donc décidé d’y ajouter les filiales au-dessus d’un certain pourcentage du chiffre d’affaires total du groupe, à fixer par décret. Une solution qui ne convainc pas les professionnels ; ils craignent en effet que cela n’incite au découpage des activités dans des filiales taillées sur mesure pour échapper aux contrôles. Il eut mieux valu à leur sens dupliquer la solution retenue dans les groupes de plus de 48 millions d’euros : un accord entre le chef d’entreprise et l’auditeur sur l’audit de filiales représentant ensemble entre 60 et 80 % du chiffre d’affaires.

Un peu plus tard, les députés ont adopté l’article 13 bis qui relève, quant à lui, à 6 millions de total de bilan, 12 millions de chiffre d’affaires et 50 salariés (contre 4 millions de bilan, 8 millions de CA et 50 salariés) les seuils dispensant une entreprise de publier un rapport de gestion et lui permettant de bénéficier d’un dispositif assurant la confidentialité de ses comptes. Par ailleurs, une nouvelle catégorie d’entreprises (bilan : 20 millions, CA : 40, 250 salariés) pourrait se limiter à la publication d’une présentation simplifiée du bilan et des annexes et s’abstenir par ailleurs de publier le rapport de ses commissaires aux comptes. Ce recul de la publicité et donc de la transparence des comptes, ajoutée à la fin brutale des contrôles légaux, apparaît à certains comme une nette prise de risque. Ils estiment que l’on crée aujourd’hui les failles qui pourraient bien déclencher les crises et les scandales de demain. Et l’on peut en effet s’interroger sur la pertinence de ces réformes alors que dans le même temps on encourage les épargnants à réorienter leur PEA en direction des… PME.

NDLR –La certification légale des petites entreprises françaises. Rapport de l’Inspection générale des finances- mars 2018.

Préconisations du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) pour accompagner la réforme des seuils rendant l’intervention des commissaires aux comptes obligatoire dans les entreprises – 15 mai 2018.

Rapport sur l’avenir de la profession de commissaire aux comptes – Juin 2018

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