Il y aura bien une réforme des seuils d’audit
Lors des 30e Assises des commissaires aux comptes qui se sont déroulées au Palais des Congrès de Paris le 21 novembre dernier, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a confirmé que le gouvernement travaillait sur la révision des seuils d’audit en France. L’avenir d’une partie de la profession dépend du résultat de ces réflexions.
Voilà une vingtaine d’années que la profession de commissaire aux comptes redoute le moment où un gouvernement annoncera son intention de réviser les seuils au-dessus desquels une société en France doit faire certifier ses comptes ! Ce moment est arrivé le 21 novembre dernier aux alentours de midi, lorsque la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a pris la parole devant les commissaires aux comptes réunis au palais des congrès pour leurs 30e Assises et leur a annoncé précisément le lancement d’une réflexion sur ce sujet. Si la profession redoute cette réforme, c’est parce que les seuils français sont très en dessous des seuils européens et qu’un relèvement, voire un alignement communautaire, aurait une incidence plus ou moins importante sur son équilibre économique. À l’heure actuelle en effet, en France, sont soumises à l’obligation de faire certifier leurs comptes :
– toutes les SA,
– les SARL qui réunissent deux des trois seuils suivants : chiffre d’affaires hors taxes supérieur à 3 100 000 euros ; total bilan supérieur à 1 550 000 euros ; nombre de salariés supérieur à 50.
– les SAS qui dépassent à la clôture de l’exercice, 2 des 3 seuils suivants : chiffre d’affaires hors taxes supérieur à 2 000 000 euros ; total bilan supérieur à 1 000 000 euros ; nombre de salariés supérieur à 20.
Les seuils européens sont beaucoup plus élevés : 8 millions de chiffre d’affaires, 4 millions de total de bilan, 50 salariés. Or sur les 220 000 mandats d’audit que l’on dénombre dans l’hexagone, 140 000 à 150 000 concernent des petites et moyennes entreprises. Cela s’explique en grande partie par la nature du tissu économique français, largement composé de petites et moyennes entreprises. Si les seuils sont relevés, l’impact sera donc significatif sur l’équilibre d’une profession qui compte à l’heure actuelle 13 000 membres.
L’audit légal à la française, c’est un certificat de sécurité
C’est pour cette raison que, juste avant que Nicole Belloubet ne prenne la parole, le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, Jean Bouquot a souligné l’importance des enjeux. « Si je vous dis à quel point nous sommes attachés à notre périmètre de certification des comptes et donc à celui de nos seuils dans les petites entreprises, ce n’est pas l’expression d’un corporatisme désuet. Ces seuils ne sont pas, à nos yeux, une surtransposition nationale ou une quelconque complexité administrative coûteuse, comme j’ai pu parfois l’entendre. Notre intervention n’est pas une charge, elle est une garantie, et c’est pourquoi notre profession n’est pas ouverte à tous les vents, mais qu’elle est réglementée. Si certains considèrent que les notions de périmètres sont dépassées, que le marché se suffit à lui-même, j’ai tout simplement envie de répondre que le risque économique et social, lui, ne l’est pas » ! Et le président de la Compagnie nationale d’insister : « L’audit légal des comptes à la française, c’est beaucoup plus qu’une simple certification des comptes, c’est un certificat de sécurité dont tout l’environnement économique et social bénéficie ». Pour en justifier, le président de la CNCC a d’ailleurs adressé à la Chancellerie, une étude démontrant que les spécificités d’exercice des auditeurs français sont « totalement vertueuses » pour toutes les entités dans lesquelles ils interviennent, et notamment les plus petites d’entre elles.
Ni statu quo, ni seuils communautaires
En réponse, Nicole Belloubet a indiqué que le gouvernement avait engagé une réflexion sur un projet de loi visant à simplifier la vie des petites et moyennes entreprises. Dans cette logique, il regarde notamment le coût de la certification aux comptes. Toutefois, la ministre a précisé « l’aspect financier ne peut pas être le seul déterminant dans ce débat et je crois que nous aurions tous à perdre si cette question devait être tranchée sur la base de ce seul critère ». Nicole Belloubet a tenu à montrer qu’elle était consciente que les commissaires aux comptes sont « les garants de la fiabilité de l’information financière des entreprises, donc de la confiance des investisseurs et des parties prenantes dans le système économique ». Dans ce contexte, elle aperçoit deux pistes de réflexion. La première est celle de la proportionnalité de l’audit « Ce principe a été consacré par la réforme (NDLR : la réforme européenne de l’audit transposée par l’ordonnance n° 2016-315 du 17 mars 2016 ), et son champ étendu. Un audit qui tient compte de la taille de l’entreprise, de sa complexité, c’est un audit qui présente une valeur ajoutée aux yeux de l’entreprise ». Une vision qui ne fait pas l’unanimité dans la profession. Celle-ci affirme en effet depuis des années « un audit est un audit » pour souligner qu’il ne saurait y avoir différents niveaux ou qualités d’audit en fonction des entreprises. Néanmoins, certaines voix s’élèvent parmi les représentants des commissaires aux comptes pour affirmer qu’il faut au contraire adapter les travaux à la taille des entreprises si la profession veut conserver sa présence dans le tissu économique. Une vision accréditée par la ministre quand elle évoque la deuxième piste de réflexion, à savoir précisément les seuils de désignation dans les sociétés.
« Sur cette question, on ne peut se satisfaire ni d’une position défensive qui s’en tiendrait au statu quo, ni d’une position de principe qui consisterait à appliquer les seuils minimaux imposés par les textes communautaires ». Pour finir sur ce sujet, Nicole Belloubet a annoncé qu’elle venait, conjointement avec le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, de confier à l’Inspection générale des finances une mission qui a pour but de définir le niveau pertinent des seuils de désignation des commissaires aux comptes, et d’étudier l’impact qu’aurait une modification des seuils, à la fois sur la profession de commissaire aux comptes et pour la confiance des acteurs économiques.
Formation : le défi de l’attractivité
Deux autres sujets sont à l’ordre du jour des réflexions du ministère. Le premier porte sur l’attractivité de la profession, laquelle passe notamment par la diversification des profils qui l’exercent et donc suppose de développer une voie d’accès parallèle à la formation classique d’expertise comptable. Actuellement en effet, les firmes d’audit embauchent de plus en plus d’ingénieurs notamment parce que le contrôle légal des comptes est profondément transformé par le big data. Aux anciens contrôles par sondages qui consistaient à vérifier des échantillons d’écriture comptables en fonction par exemple de leur niveau de risque se substitue un audit de l’ensemble des écritures rendu possible par la puissance des nouveaux outils technologiques. Mais cela suppose précisément d’embaucher des profils capables de mener ces nouvelles méthodes d’investigation. La Direction des affaires civiles et du sceau travaille sur ce sujet, en lien avec la Compagnie nationale « qui sera étroitement associée aux travaux », a assuré la ministre.
L’autre sujet concerne la formation continue. Celle-ci doit être modifiée consécutivement à l’entrée en application de la réforme de l’audit et en parallèle avec les travaux en cours entre la profession et le Haut conseil du commissariat aux comptes sur les orientations générales et les domaines de formation puisque ce sujet fait partie des nouvelles attributions confiées par la réforme au superviseur de la profession.
Les annonces faites par Nicole Belloubet témoignent de la volonté de réforme du gouvernement sur la question des seuils. Reste à savoir où sera placé le curseur et par voie de conséquence, quelle proportion des 220 000 mandats d’audit en France sera amenée à disparaître. Autant dire que les mois à venir vont s’avérer déterminants pour l’avenir des commissaires aux comptes français.