Réforme des seuils : le H3C dénonce des risques pour l’intérêt général

Publié le 13/06/2018

Le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) a publié le 28 mai dernier le contenu de sa contribution présentée le 15 mai dernier devant la commission en charge de formaliser la réforme des seuils d’audit. Il y dénonce les risques pour l’intérêt général d’exclure « un très grand nombre d’entreprises » du regard « avisé d’un professionnel, totalement indépendant d’elles » et préconise quatre mesures pour limiter les conséquences potentiellement néfastes de cette réforme.

Le H3C s’inquiète des conséquences pour l’intérêt général du relèvement des seuils d’audit obligatoire en France qui devraient passer de 2 à 3 millions d’euros de chiffre d’affaires selon les formes juridiques à 8 millions, ce qui correspond à un alignement sur le seuil européen. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, à l’origine de la réforme dans son projet de loi PACTE, entend ainsi alléger les formalités pesant sur les petites entreprises et les dispenser du coût d’un audit. Il s’appuie sur un rapport de l’Inspection générale des finances, publié en mars dernier, qui affirme que les commissaires aux comptes n’ont pas démontré leur utilité dans les petites entités. Ils n’apporteraient aucune valeur ajoutée significative sur la fiabilité des comptes ni sur la sincérité des déclarations fiscales, pas plus qu’ils ne seraient d’un apport notable concernant l’accès au crédit et la prévention des difficultés. Ce rapport a ému les professionnels notamment en raison de certaines erreurs de raisonnement, par exemple celle consistant à mesurer l’efficacité du commissaire aux comptes à l’importance du nombre de réserves qu’il émet dans les comptes, alors qu’au contraire c’est par son action en amont de la certification qu’il limite les refus de certifier ou les certifications avec réserves. Au-delà de ces questions techniques, les professionnels ont eu le sentiment qu’on les insultait bien inutilement car ils étaient prêts à réfléchir avec le ministère à une redéfinition des seuils d’audit en France.

 

Une réforme qui va concentrer le marché

Or, voici qu’ils découvrent auprès de leur superviseur avec qui ils n’ont pas toujours entretenu des relations idylliques, loin s’en faut, un allié inattendu. En effet, si le H3C admet sans difficulté la nécessité de moderniser l’audit légal en France, il aperçoit deux risques majeurs dans la voie retenue pas le gouvernement. D’abord, la remontée des seuils risque d’accroître la concentration du marché de l’audit alors précisément que la France s’enorgueillit d’avoir un marché moins concentré que dans les autres pays. Selon les calculs de la profession, il existe à l’heure actuelle 240 000 mandats d’audit légal en France, y compris ceux concernant le milieu associatif et les entreprises publiques. Les sociétés commerciales représentent 196 000 mandats, dont 153 000 sont appelés à disparaître en cas de remontée des seuils. Cela va représenter une perte de chiffre d’affaires pour l’ensemble de la profession supérieur à 800 000 euros sur un chiffre d’affaires total annuel de 2,5 milliards d’euros. Sur les 13 500 commissaires aux comptes inscrits, 3 000 consacrent l’essentiel de leur activité au commissariat aux comptes de petites entreprises et risquent donc de disparaître. Quant aux autres, y compris les réseaux internationaux, ils vont perdre entre 15 et 25 % de chiffre d’affaires. Résultat : les plus petits vont cesser leur activité et le marché va mécaniquement se concentrer.

 

La sécurité des comptes en question

L’autre risque porte sur la sécurité des comptes : « le Haut conseil constate que la suppression de tout contrôle indépendant dans les petites entreprises (PE) telles que définies par les seuils européens sera source d’insécurité pour les prêteurs, les investisseurs et l’ensemble des acteurs des économies locales, qui se trouveront fragilisés en cas de défaillance des entreprises d’une taille suffisante pour peser à l’échelon local. Il est à cet égard rappelé qu’une entreprise provinciale d’une vingtaine de salariés est bien souvent déjà une entreprise qui compte au plan local ». Au passage, le H3C corrige une affirmation de l’IGF selon laquelle le travail de l’expert-comptable et celui du commissaire aux comptes seraient redondants. L’IGF accuse même que les commissaires aux comptes qui discutent cette affirmation de remettre en cause de façon injustifiée la crédibilité de leurs confrères. Après avoir rappelé que de nombreuses entreprises avaient un service comptable interne ce qui les dispensait de recourir à un expert comptable, le H3C contredit radicalement les affirmations de l’IGF : « le cadre exclusivement contractuel de l’intervention de l’expert-comptable, qui suppose la liberté pour l’entreprise (et non pour ses actionnaires ou associés) d’y avoir recours ou non, suppose, a priori, la définition par l’entreprise elle-même de la mission qu’elle souhaite confier à ce dernier en fonction des besoins qu’elle perçoit. Cela a pour corollaire la possibilité de refus et de démission à tout moment de l’expert-comptable, possibilité qui n’est pas ouverte au commissaire aux comptes car inconciliable avec ses missions obligatoires. Dans ce cadre, l’expert-comptable intervient pour répondre aux besoins de son client et exerce ses compétences dans l’intérêt de celui-ci. Il en est tout autrement du commissaire aux comptes qui intervient sur la base d’une mission légale d’intérêt général et effectue les contrôles nécessaires pour assurer l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes : financeurs publics ou privés, clients, fournisseurs, administration sociale, administration fiscale… ».

 

Une nouvelle mission d’examen légal

Dans la mesure où la réforme semble néanmoins actée, le H3C formule 4 axes de préconisations, dont il souligne qu’ils sont cumulatifs, pour limiter les effets négatifs de la remontée des seuils. Le premier axe consiste à prévoir expressément l’obligation pour les entités d’intérêt public (EIP) de faire auditer leurs comptes. L’EIP est un concept européen qui renvoie aux sociétés cotées, mais aussi aux banques, assurances, mutuelles etc. Or il se trouve que rien ne les oblige en France à faire contrôler leurs comptes. Elles le font néanmoins, non au titre de leur qualité d’EIP, mais parce qu’elles entrent dans le cadre de l’obligation légale en raison du montant de leur chiffre d’affaires. Si on remonte les seuils, le H3C a calculé que 332 EIP sortiront mécaniquement du champ de l’audit légal obligatoire. « Afin d’expertiser ce sujet, le Haut conseil a sollicité la Chancellerie. L’ACPR a fait de même en particulier sur le point de savoir si, concernant les SA d’assurance, l’introduction de seuils ne contreviendrait pas aux dispositions européennes », précise le H3C. Le deuxième axe de réflexion vise à créer une mission obligatoire, distincte de l’audit légal, dans les « petites entreprises les plus importantes ». L’IGF note dans son rapport qu’après tout si les entreprises éprouvent le besoin de faire auditer leurs comptes, elles continueront à faire appel aux auditeurs mais dans un cadre contractuel. Les commissaires aux comptes ne souscrivent pas à cette analyse. Selon eux en effet, les exemples étrangers tendent à démontrer que l’audit contractuel remplace rarement l’audit légal. Le H3C n’est pas d’accord avec l’analyse de l’IGF non plus mais pour une autre raison. Selon lui en effet, ce qui fait la valeur de l’audit légal c’est son champ très large défini par le législateur, dans le cadre d’une mission confiée à un professionnel indépendant dont l’entreprise ne peut pas se défaire s’il lui déplait. Toutes caractéristiques qui disparaîtront dans un cadre contractuel. D’où la conviction du H3C que le maintien d’une présence légale obligatoire est absolument capital, c’est même l’idée clé de la recommandation.

Pour autant, le H3C entend le souhait du ministre d’alléger les contraintes pesant sur les entreprises et de rétablir un climat de confiance. Il s’agirait donc de créer une mission distincte de la mission de certification des comptes, au contenu plus limité, mais de nature obligatoire « qui, pour éviter toute confusion avec la mission de certification des comptes, pourrait être qualifiée d’« examen légal ». Elle consisterait « en un contrôle des indicateurs financiers clés de l’entreprise et des vérifications ciblées sur les principales sources de risques pour l’entreprise et son environnement en particulier ceux attachés à la continuité d’exploitation, aux délais de paiement, au crime financier et à la cybercriminalité ». Cette obligation concernerait les entreprises qui se situeraient dans les fourchettes suivantes pour deux au moins de ces trois critères :

– 1 550 000 € < Total Bilan < 4 000 000 €

– 3 100 000 € < Chiffre d’affaires HT <  8 000 000 € 

– Nombre de salariés = 50

 

L’audit indispensable dans les groupes

Le troisième axe de préconisations porte sur la question des groupes de société. Le rapport de l’IGF a relevé le risque que des groupes composés uniquement de sociétés en-dessous du seuil obligatoire mais représentant un ensemble économique nettement au-dessus de ce seuil n’échappent à l’obligation de faire auditer leurs comptes. C’est pourquoi, il recommande que « le législateur précise que les seuils harmonisés sont calculés, pour les entités détenant des participations majoritaires ou une influence prépondérante sur d’autres entités, sur la somme des chiffres d’affaires, des bilans et des effectifs des entités du groupe, sans contraction, selon le mode de calcul adopté pour le calcul du dépassement des seuils de consolidation ». Toutefois, l’IGF limite la portée de son raisonnement : « Dans les cas où deux des trois critères ainsi calculés au moins seraient atteints, seule l’entité mère serait touchée par l’obligation de certification de ses comptes. En effet, il serait sans objet d’étendre l’obligation à l’ensemble des filiales individuellement, dès lors que la certification des comptes de la mère donne nécessairement lieu à un examen des comptes des filiales ». Le H3C rejoint l’IGF sur la présence indispensable d’un commissaire aux comptes dans les groupes mais juge souhaitable d’aller plus loin : « Le Haut conseil souhaite souligner que la certification des comptes sociaux de la société tête de groupe cumulée à un examen légal des filiales importantes ou la réalisation de travaux permettant au commissaires aux comptes de la tête de groupe d’appréhender les opérations réalisées entre la contrôlante et les contrôlées et entre contrôlées constitue un socle minimal de contrôles, mais qu’il serait ouvert à toute autre proposition qui envisagerait un niveau de diligences plus approfondies, à l’instar de celle formulée par la CNCC qui propose une revue limitée des comptes des filiales en adjonction de la certification des comptes de la société tête de groupe ».

Enfin, le quatrième et dernier axe de réflexion porte sur la mise en œuvre pratique de la remontée des seuils. Le Haut conseil préconise que les mandats ne s’achèvent pas à la date d’entrée en application de la réforme mais se poursuivent encore pour une année à compter du relèvement des seuils afin de permettre aux professionnels de s’adapter aux changements attendus d’eux, année à l’issue de laquelle les petites entreprises les plus importantes nommeront un commissaire aux comptes chargé de réaliser un examen légal et les entités tête de groupe nommeront un commissaire aux comptes chargé de certifier leurs comptes.

La loi PACTE devrait se limiter à prévoir le principe de l’harmonisation des seuils d’audit en France, lequel seuil sera renvoyé ensuite à un décret. Il reste donc un peu de temps et de marge de négociation. C’est un groupe de travail présidé par Patrick de Cambourg, ancien président de Mazars et président de l’Autorité des normes comptables (ANC) qui est en charge de travailler sur la mise en œuvre de la réforme et notamment les nouvelles missions susceptibles d’être confiées aux auditeurs pour compenser la perte estimée de 150 000 mandats. La philosophie générale consiste à remplacer les missions obligatoires par des missions contractuelles. C’est dans ce cadre que le H3C a jugé utile de rappeler qu’à son sens la préservation de l’intérêt public requiert la contrainte…

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