Les administrateurs représentant les salariés et le rapport « l’entreprise, objet d’intérêt collectif »

Publié le 07/05/2018

La présence des salariés au sein des conseils d’administration ou des conseils de surveillance n’a eu de cesse de progresser en France. Généralisée par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 puis étendue par la loi n° 2015-994 du 17 mai 2015, la nomination d’administrateurs représentant les salariés au sein de ces conseils fait aujourd’hui l’objet du rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » visant notamment à augmenter leur nombre et à accroître le champ d’application du dispositif légal.

1. La genèse des administrateurs représentant les salariés en France. La présence des salariés au sein des conseils n’est pas un sujet nouveau. Il « fait l’objet de débats depuis l’origine du capitalisme »1. Leur présence au sein des conseils2 diffère selon les modes de gouvernance3. En France, avant l’introduction du régime juridique relatif aux administrateurs représentant les salariés (ci-après les « ARS »), plusieurs textes s’intéressaient déjà à la représentation des salariés au sein des organes sociaux des sociétés4. Nous pouvons classer ces textes en deux catégories : d’une part les textes qui prévoient la participation obligatoire des salariés au sein des conseils5 et d’autre part les textes qui prévoient la participation facultative des salariés au sein des conseils6.

La représentation obligatoire des salariés au sein des conseils a récemment été renforcée par le législateur.

2. Les apports de la loi n° 2013-504. L’article 5 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 20137 relative à la sécurisation de l’emploi a renforcé la présence des ARS au sein des conseils8.

La loi n° 2013-504 a ainsi mis en place l’obligation de stipuler « dans les statuts que le conseil (…) comprend, outre les administrateurs (…), des administrateurs représentant les salariés » lorsque les seuils suivants sont atteints9 :

  • pour les sociétés qui emploient en leur sein ou au sein de leurs filiales directes ou indirectes au moins 5 000 salariés à la clôture de 2 exercices consécutifs et dont le siège social est fixé en France ;

  • pour les sociétés qui emploient en leur sein ou au sein de leurs filiales directes ou indirectes au moins 10 000 salariés à la clôture de 2 exercices consécutifs et dont le siège social est fixé en France et à l’étranger.

Autrement dit, la loi n° 2013-504 met en place l’obligation de nommer des ARS au sein des conseils. Le nombre d’ARS nommé dépend de la composition du conseil. Un conseil composé de plus de 12 administrateurs devra nommer 2 ARS tandis qu’un conseil composé d’un nombre d’administrateurs inférieur ou égal à 12 ne devra en nommer qu’un10.

Le régime juridique mis en place par la loi n° 2013-504 a été précisé par le décret n° 2015-606 du 3 juin 201511.

3. Des seuils diminués par la loi Rebsamen. La loi n° 2015-994 du 17 mai 2015 relative au dialogue social et à l’emploi12, dite loi Rebsamen, a étendu le champ d’application de l’obligation de nommer un ou des ARS au sein des conseils des sociétés anonymes13 ou des sociétés en commandites par actions14, notamment en abaissant les seuils prévus par la loi n° 2013-50415. Il est notable que le champ d’application de l’obligation n’a pas été étendu aux sociétés par actions simplifiées16.

Les nouveaux seuils mis en place par la loi Rebsamen sont les suivants17 :

  • pour les sociétés qui emploient en leur sein ou au sein de leurs filiales directes ou indirectes au moins 1 000 salariés à la clôture de 2 exercices consécutifs et dont le siège social est fixé en France ;

  • pour les sociétés qui emploient en leur sein ou au sein de leurs filiales directes ou indirectes au moins 5 000 salariés à la clôture de 2 exercices consécutifs et dont le siège social est fixé en France et à l’étranger.

La loi Rebsamen a nettement augmenté le champ d’application de l’obligation de nomination des ARS par rapport à la loi n° 2013-50418. Il est néanmoins remarquable que ce seuil reste parmi les plus élevés en Europe. Le professeur Richer souligne ainsi qu’en Allemagne, le seuil est de 500 salariés tandis que les pays scandinaves connaissent des seuils encore plus bas19.

4. L’étendue de l’extension du champ d’application de l’obligation par la suppression de la condition de l’existence d’un comité d’entreprise. Avant la loi Rebsamen, les sociétés qui n’étaient pas obligées de mettre en place un comité d’entreprise20 bénéficiaient d’un régime exonératoire. Ces dernières n’étaient pas obligées de nommer un ou des ARS au sein de leurs conseils. Cette condition initialement contenue dans la loi n° 2013-504 permettait aux groupes de céder leurs parts à une société employant moins de 50 salariés. Cette dernière échappait donc à l’obligation de nommer un ARS au sein de son conseil. L’article 11 de la loi Rebsamen modifie ce régime d’exception et étend donc le champ d’application de l’obligation21. Dorénavant, seules les sociétés holding qui ne sont pas obligées de mettre en place un comité d’entreprise bénéficient de ce régime. Les sociétés holdings qui ne sont pas obligées de mettre en place un comité d’entreprise peuvent échapper à l’obligation de mettre en place des ARS si une ou plusieurs de ses filiales entrent dans le champ d’application de l’obligation, à la condition que leurs activités principales soient « d’acquérir et de gérer des filiales et des participations »22. Cette exception est controversée car en pratique, les sociétés holdings à la tête d’un groupe atteignent rarement le seuil des 50 salariés les obligeant à mettre en place un comité d’entreprise, et c’est au niveau de ces sociétés que sont adoptées les décisions stratégiques du groupe.23

5. Les retours de la pratique sur les ARS. La présence des ARS au sein des conseils reçoit un accueil plutôt favorable. L’IFA souligne à cet égard que les ARS participent à la diversité au sein des conseils et participent à la qualité du processus de prise de décision car ils disposent d’une bonne connaissance de l’entreprise. Ils sont un canal d’information complémentaire, ils ont une expérience de terrain ou ils renforcent l’implication du conseil sur l’intérêt de l’entreprise à long terme et sur les thématiques de RSE.24 M. Bisiaux du Medef abonde dans ce sens. Il estime que « le système fonctionne bien (…) et que les salariés désignés au sein des Conseils se sont appropriés entièrement ce statut »25.

Il est également notable que l’IFA recommande la participation des ARS aux travaux des comités spécialisés26. Les recommandations de l’Afep et du Medef vont également dans ce sens puisque le Code Afep-Medef sur le gouvernement d’entreprise recommande qu’un ARS soit membre du comité de rémunération27.

6. Des seuils d’effectifs remis en question. Les seuils mis en place par la loi Rebsamen font actuellement l’objet de débats. Il est notable que le think thank Terra Nova propose un abaissement du seuil d’effectifs à 500 salariés et une augmentation du nombre d’ARS28. L’abaissement de ce seuil augmenterait considérablement le nombre de sociétés soumises ou potentiellement soumises à l’obligation de nommer un ou des ARS.

Le rapport L’entreprise, objet d’intérêt collectif, présenté le 9 mars 2018 au gouvernement par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard (ci-après le « rapport »), rédigé dans le cadre du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), propose notamment de renforcer la présence des ARS au sein des conseils à partir de 2019. Dans ce cadre, le rapport recommande notamment de faire le point, d’ici 12 à 24 mois, sur la pratique relative à la représentation des ARS, afin d’envisager la possibilité de faire baisser le seuil d’effectifs à 500 salariés29.

7. Un nombre d’ARS remis en question. Le nombre d’ARS au sein des conseils fait également l’objet de discussions. L’un des arguments en faveur de ce changement serait que leur nombre ne permet pas véritablement de « peser sur l’orientation des débats du conseil » et que le dispositif actuel « relève pour l’essentiel d’un dispositif de “témoignage”. »30 Le rapport propose ainsi de renforcer la présence des ARS au sein des conseils, de la manière suivante31 :

  • 1 ARS pour un conseil composé de moins de 7 administrateurs non salariés ;

  • 2 ARS pour les conseils composés de 8 à 12 administrateurs non salariés ;

  • 3 ARS pour les conseils composés de plus de 13 administrateurs non salariés.

8. Vers la fin du régime de faveur applicable aux sociétés par actions simplifiées ? Il est également notable que le rapport propose d’étendre le champ d’application de l’obligation de nommer un ou des ARS aux sociétés par actions simplifiées de plus de 5 000 salariés32. Le régime de faveur dont bénéficient les sociétés par actions simplifiées n’est donc pas entièrement menacé par les propositions du rapport. L’avenir nous dira sans doute s’il s’agit là d’un premier pas vers la fin de ce régime ou non.

En attendant les arbitrages du législateur, nous pouvons remarquer que la tendance qui semble dominer actuellement, est celle d’un renforcement de la présence des salariés au sein des conseils par l’intermédiaire de leurs représentants.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Gomez P.-Y. et Hollandts X., « La représentation des salariés aux conseils d’administration. Enjeux, obstacles et préconisations », RDT 2015, p. 451.
  • 2.
    Afin de fluidifier la lecture, nous utiliserons le terme conseil pour désigner à la fois les conseils d’administration et les conseils de surveillance.
  • 3.
    Pour un exposé des différentes règles relatives à la présence des salariés au sein des conseils en Europe : Conchon A., « Board-level employee representation rights in Europe. Facts and trends », Report 121, European trade union institute, 2011, spéc. Annex 1 – Legislation on board-level employee representation in Europe, p. 62 et s.
  • 4.
    Nous n’exposerons que les textes relatifs à la représentation des salariés par l’intermédiaire d’administrateurs représentant les salariés.
  • 5.
    Le droit français prévoit plusieurs situations précises où la participation des salariés est obligatoire : la situation des sociétés privatisées introduite par la loi n° 94-640 du 25 juillet 1994, la situation des sociétés avec des salariés actionnaires détenant au moins 3 % du capital social mais également la situation des sociétés visées par la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983.
  • 6.
    L’ordonnance n° 86-1135 du 21 octobre 1986 a offert la faculté aux sociétés de stipuler dans leurs statuts, la présence d’administrateurs élus par les salariés.
  • 7.
    L. n° 2013-504, 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi : JO n° 0138, 16 juin 2013, p. 9958, texte n° 1. V. sur cette loi : Auzero G., « La représentation obligatoire des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance », Dr. soc. 2013, p. 740 ; Jeansen E. et Marechal F., « Participation des salariés à la gestion de l’entreprise, nouvelle formule », Dr. soc. août 2013, étude 16 ; Stocki A., « La participation directe des salariés aux organes de gouvernance », SSL n° 1592, 8 juill. 2013.
  • 8.
    L. n° 2013-504, 14 juin 2013, art. 5.
  • 9.
    C. com., art. L. 225-27-1, I et C. com., art. L. 225-79-2, I.
  • 10.
    C. com., art. L. 225-27-1, II et C. com., art. L. 225-79-2, II.
  • 11.
    D. n° 2015-606, 3 juin 2015 relatif au temps nécessaire pour les administrateurs ou membres du conseil de surveillance élus ou désignés par les salariés pour exercer leur mandat et aux modalités de leur formation au sein de la société : JO n° 0128, 5 juin 2015, p. 9288, texte n° 22. V. sur ce texte Gallois-Cochet D., « Administrateurs représentant les salariés (L. 14 juin 2013) », Dr. soc. août 2015, comm. 151 ; « Les missions d’administrateurs ou membres du conseil de surveillance élus par les salariés sont précisées », Cah. soc. juill. 2015, n° 116r2, p. 360.
  • 12.
    L. n° 2015-994, 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi : JO n° 0189, 18 août 2015, p. 14346, texte n° 3. V. sur cette loi Gallois-Cochet D., « Loi relative au dialogue social et à l’emploi : représentation obligatoire des salariés au conseil d’administration ou de surveillance », Dr. soc. nov. 2015, comm. 197 ; « Loi Rebsamen et représentation des salariés aux conseils d’administration et de surveillance », BJB oct. 2015, n° 10, p. 475.
  • 13.
    Précisons que les articles 10 et 11 de la loi Rebsamen s’attachent spécifiquement au régime juridique applicable aux ARS.
  • 14.
    C. com., art. L. 225-27-1 et C. com., art. L. 225-79-2.
  • 15.
    L’article L. 226-5-1 du Code de commerce relatif aux sociétés par actions simplifiées effectue un renvoi à l’article L. 225-79-2 du code précité.
  • 16.
    Précisons que dans la mesure où la direction et l’administration de la société européenne sont régies par les dispositions relatives aux sociétés anonymes, nous pouvons estimer que les dispositions prévues aux articles L. 225-27-1 et L. 225-79-2 du Code de commerce s’appliquent également aux sociétés européennes.
  • 17.
    Il est notable que la loi Rebsamen n’a pas remplacé toutes les dispositions prévues par la loi n° 2013-504. Le Code de commerce actuellement en vigueur contient donc des dispositions issues de ces deux lois.
  • 18.
    C. com., art. L. 227-1, al. 3.
  • 19.
    Loi Rebsamen, art. 11.
  • 20.
    Précisons que le législateur prévoit un régime spécial pour les filiales directes ou indirectes dont la société contrôlante est déjà soumise à l’obligation de nommer un ou des ARS au sein de son conseil. Dans ce cas, les filiales ne sont pas obligées de modifier leurs statuts afin de nommer un ou des ARS au sein de leurs conseils (C. com., art. L. 225-27-1, I, al. 3 et C. com., art. L. 225-79-2, I, al. 3.).
  • 21.
    Richer M., « L’entreprise contributive. 21 propositions pour une gouvernance responsable », Terra Nova 5 mars 2018, p. 64. Le professeur Richer cite la Suède où le seuil est de 25 salariés, la Norvège où le seuil est de 30 salariés ou encore le Danemark où le seuil est de 35 salariés.
  • 22.
    C. trav., art. L. 2322-1 (anc.).
  • 23.
    Nous reviendrons ultérieurement sur le régime exonératoire prévu au bénéfice des sociétés holdings.
  • 24.
    C. com., art. L. 225-27-1, I, al. 2 ; C. com., art. L. 225-79-2, I, al. 2
  • 25.
    Michineau M., « La représentation des salariés au sein du conseil d’administration après la loi du 17 août 2017 Illustration d’une législation fractionnée et désordonnée », lettre creda-sociétés n° 2015-28, 12 oct. 2015. Article disponible à l’adresse suivante : http://www.creda.cci-paris-idf.fr/info-debat/lettre %202015-28.html (consulté le 7 mars 2018).
  • 26.
    IFA, « Les administrateurs salariés dans la gouvernance : une dynamique positive », Les travaux de l’IFA juill. 2013, p. 3.
  • 27.
    IFA, « Les assises des administrateurs salariés. Compte rendu détaillé », Les travaux de l’IFA 5 mars 2015, p. 6.
  • 28.
    Recommandation 12 de l’IFA (IFA, « Les administrateurs salariés dans la gouvernance : une dynamique positive », op. cit., p. 8).
  • 29.
    Code Afep-Medef, nov. 2016, art. 17.1.
  • 30.
    Richer M., « L’entreprise contributive. 21 propositions pour une gouvernance responsable », op. cit. : proposition 10 (abaissement des seuils à 500 salariés), proposition 11 (1/3 d’ARS pour les sociétés de plus de 1 000 salariés) et proposition 12 (2 ARS pour les sociétés dont l’effectif est compris entre 500 et 1 000 salariés et dont le conseil comprend moins de 12 membres).
  • 31.
    Rapport, recommandation n° 7.
  • 32.
    Richer M., « L’entreprise contributive. 21 propositions pour une gouvernance responsable », op. cit., p. 65.
  • 33.
    Rapport, recommandation n° 6.
  • 34.
    Rapport, recommandation n° 8.
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