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Loi Copé-Zimmermann : dix ans après, aller encore plus loin

Publié le 01/09/2021

En janvier, on a fêté les 10 ans de la loi Copé-Zimmermann, une loi paritaire très attendue à l’époque pour promouvoir la place des femmes dans les positions décisionnaires des entreprises. Néanmoins, celle-ci n’a pas permis l’explosion du plafond de verre. En mai dernier, la députée, Marie-Pierre Rixain, a proposé de muscler encore le dispositif en l’étendant aussi aux comités exécutifs (comex) et aux comités de direction (codir), avec une perspective d’entrée en vigueur espérée d’ici la fin de l’année.

« À 18 ans, dans les années 80, l’absence de femmes dans des postes de direction était complètement intériorisée ». Carol Lambert, experte-comptable, associée dans un grand groupe de conseil, mais aussi l’une des fondatrices du Siècle des femmes, une association qui rassemble des femmes de tous secteurs qui ont capacité à agir et influencer dans leurs sphères d’activité respectives, ne pèse pas ses mots quand elle évoque ses débuts de collaboratrice. Au fur et à mesure de son parcours professionnel, elle réalise que deux secteurs sont particulièrement en retard : la banque et … la profession comptable ! « Déjà, on franchissait un cap en ayant un “bon métier” alors que nos grands-mères s’étaient battues pour avoir un carnet de chèque. Mais je ne m’étais pas rendu compte à quel point le monde économique était misogyne ». Elle se rappelle avoir quitté son premier cabinet, ressentant une véritable chape de plomb, « dans l’encadrement une équipe entièrement composée d’hommes. C’était un obstacle insurmontable », assène-t-elle. Quelques années plus tard, elle rejoint Deloitte, « un environnement où l’on formait les collaborateurs. Certes, un environnement paternaliste, mais en accord avec la culture de l’époque ».

Vingt ans plus tard, l’expérience d’Insaff el Hassini, 39 ans, avocate, trouve encore le même écho. Cette dernière le reconnaît : elle n’était pas tellement sensibilisée aux questions égalitaires. Pour elle, les grands combats féministes avaient déjà été remportés. « On avait tout vu, tout vécu, tout vaincu » ! C’est à l’occasion d’une expérience personnelle qu’elle a changé d’avis. Alors qu’elle pensait sincèrement vivre dans un monde de l’entreprise égalitaire, elle réalise, en discutant avec un de ses collègues, qu’il est largement plus payé qu’elle. C’est l’incompréhension : elle est pourtant plus diplômée, elle maîtrise de nombreuses langues étrangères. Quand elle en parle avec son supérieur, la remarque tombe, acerbe. « C’est un peu de ta faute aussi. Tu n’as même pas négocié ton salaire ». Quelle douche froide ! L’impression qu’un voile se levait de ses yeux, qu’elle voyait enfin les inégalités de genre à l’égard desquelles elle s’était sentie, jusque-là, immunisée. « Ces inégalités sont insidieuses. On porte des décolletés, les femmes ont accès à l’éducation et à l’enseignement supérieur mais le monde de l’entreprise, c’est autre chose… » ! Naïve, elle croyait que si « elle travaillait bien à l’école, elle aurait des promotions, de l’avancement ». La réalité est tout autre. De cette prise de conscience naîtra l’idée de Lean in France, l’antenne française du mouvement lancée par Sheryl Sandberg, qui participe à l’évolution de la société vers l’empowerment des femmes et la lutte contre les biais de genre (podcast, e-learning, formations dans les entreprises…).

La loi Copé-Zimmermann… et la loi Rixain

En 2011, la loi Copé-Zimmermann, qui impose 40 % des femmes dans les conseils d’administration, est adoptée. Face au retard d’alors, cette loi qui pénètre le cercle fermé de l’économie alors que le secteur de la politique applique déjà une parité depuis 2000 – en tout cas en droit – , fait l’effet d’une bombe. À l’occasion des 10 ans de cette loi, Carol Lambert se rappelle des réflexes des hommes de l’époque. « Quand j’ai entendu les réactions, je suis restée sans voix. Les hommes disaient “elles ont osé !” Les milieux économiques de l’époque ont été très véhéments. J’ai pu entendre aussi qu’on ne trouverait pas de femmes compétentes… ». Mais à ses yeux, pas de doute : « Il y a eu un avant et un après la loi Copé-Zimmermann. La loi a rencontré un moment de maturité de la société : les femmes se sont regroupées, elles se sont montré suffisamment fortes, le contexte était approprié. On a finalement trouvé de beaux profils qui n’auraient pas pu émerger sans la loi, et cela a professionnalisé les conseils. Tout le monde s’en félicite, on ne reviendrait pas en arrière ». Sur le papier, les résultats ont payé : avec 45,6 % des postes d’administrateurs (contre 12,5 % en 2010) selon une récente étude du cabinet Ethic & Boards, les organes de « surveillance » des groupes français sont les plus féminisés au monde. Y compris devant ceux de pays habituellement leaders en matière d’égalité femmes-hommes, comme les groupes norvégiens. Il reste cependant encore très rare que les femmes se hissent à la tête des organes de direction (directeurs opérationnels, financiers et DRH). Dans les comités exécutifs, elles ne sont encore que 22 % et seule une femme se compte parmi les entreprises du CAC 40, Catherine MacGregor, à la tête d’Engie.

Par ailleurs, cette loi a aussi des effets pervers en étant parfois dévoyée de son usage initial. « On a observé un mouvement significatif de transformation en SAS, comme cela avait déjà commencé avec la loi NRE en 2001 qui a imposé des obligations renforcées en matière de contrôle interne, puisque les SAS ne sont pas concernées par la loi Copé-Zimmermann. Il n’y a donc aucun regard sur la présence de femmes ou non », met en garde Carol Lambert. D’autres stratégies peuvent être mises en place pour ne pas appliquer la loi : par exemple, en réduisant au minimum légal, le nombre d’administrateurs, dès lors qu’à moins de huit, l’objectif de la loi ne s’applique pas. Enfin, plus sournois, le déplacement de la sphère du pouvoir des conseils d’administration et de surveillance vers des « comités directeurs ou fantômes », comme le déplorait le Haut Conseil à l’Égalité en 2016.

« Tout le monde se gargarise qu’en dix ans on ait doublé le nombre de femmes dans les conseils d’administration, dans les instances dirigeantes et conseil de surveillance. Mais les inégalités sont encore plus insidieuses. Il est primordial de ne pas s’arrêter là. C’est une formidable première étape et le changement culturel dans l’histoire des quotas a fait ses preuves. Il faut donc saluer la loi parce qu’on part de très, très loin », tranche Insaff el Hassini.

Depuis l’adoption de la loi, « pas moins d’une demi-douzaine de lois, dont celle de 2014 pour l’égalité réelle, ont enrichi le dispositif, par petites touches : fonction publique, fédérations sportives, ordres professionnels, autorités administratives indépendantes et commissions administratives, jurys de concours… », précise le rapport du Haut Comité à l’Égalité de janvier 2021.

L’avocate s’est réjouie de voir la députée Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale, souhaiter aller encore plus loin avec son proposition de loi « Accélérer l’égalité économique et professionnelle ». L’un des volets de son texte, dont l’examen en commission s’est déroulé le 5 mai, a vocation à réduire ou faire disparaître le plafond de verre en complétant les dispositifs de la loi Copé-Zimmermann et de la loi Pénicaud en prévoyant notamment la mise en place de quotas de femmes dans les comités exécutifs. Ce qu’Insaff el Hassini trouve très pertinent en « permettant de descendre un cran plus bas dans les instances dirigeantes ». Ce dont elle est le plus heureuse ? « Cela va forcer les entreprises à identifier le vivier de talents féminins. Le comex, c’est le jeu des chaises tournantes, leurs membres viennent tous des mêmes écoles, il n’y a habituellement pas une femme. Cela va donc forcer les entreprises à identifier des femmes talentueuses et les installer au board mais ce n’est pas encore toujours suffisant ».

« La loi Rixain parle des employeurs et non des structures juridiques », analyse encore Carol Lambert. Ce qui, au vu des éventuels détournements de la loi Copé-Zimmermann, peut avoir du sens. À ce titre, le Siècle des femmes propose même encore deux améliorations pour inclure dans le périmètre de cette proposition de loi les filiales et sociétés apparentées au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce (C. com., art. L. 233-3) pour le décompte des 1 000 salariés au-delà duquel le texte s’applique, ce qui rendrait opérant le dispositif au niveau des groupes, ce qui n’est pas le cas actuellement. « Là où sont les comex, ce ne sont pas dans les entreprises qui détiennent les salariés, mais dans des entreprises en-dessous, car dans ces cas-là, la holding de tête compte 25 personnes. Cela n’est pas représentatif », explique-t-elle. « Il faut placer la loi au niveau de l’organe de tête et pour l’ensemble du groupe ».

Deuxième proposition : inclure les mandataires sociaux opérationnels, directeur général et directeur général délégué, pour le calcul des quotas. À ce stade, ils ne sont pas inclus dans le champ de la loi car ils n’ont pas, stricto sensu, de contrat de travail, donc « ne sont pas des cadres au sens où la loi l’entend ».

Un homme et une femme sur une balance devant une ville dessinée en noir et blanc, concept de l'égalité homme-femme
thodonal / AdobeStock

Les autres dispositifs

En dehors de la loi, des dispositifs comme l’index de l’égalité dit index Pénicaud, créé en 2018, existent. Insaff el Hassini en aime le principe, mais pour ce qui est de l’application concrète, des efforts sont encore nécessaires. « Les entreprises en font ce qu’elles veulent, elles peuvent bidouiller les chiffres », estime-t-elle, sans langue de bois. « Bien sûr, toutes se réclament d’une politique RSE, mais il ne faut pas tomber dans le femwashing… Quand on creuse les questions des écarts de salaire, le manque de transparence est criant », dénonce-t-elle.

Pourtant, « il existe plein d’entreprises de bonne volonté. Car il n’y a évidemment pas un employeur qui se dit sciemment “je vais discriminer les femmes”. Mais ce sont des pratiques tellement ancrées dans la culture des entreprises… ». Les mentalités peinent à suivre. Et puis, « cela n’est pas économiquement intéressant pour elles ».

Insaff el Hassini considère que l’heure des comptes est arrivée et qu’il faut procéder au « rattrapage de salaire ». Mais elle souligne de nombreuses incohérences. « Les entreprises dépensent des milliards en déclaration d’intention, s’engagent pour la journée du 8 mars, pour des conférences… Au lieu de dépenser cet argent, elles devraient le mettre dans des salaires, suggère cette dernière. Nous devrions les mettre face à leurs responsabilités et leur dire : “Entrez dans l’ère de la responsabilité. Vous avez trois, cinq ou 10 ans pour faire ces rattrapages salariaux” ».

« L’indépendance financière et économique précède l’indépendance politique »

Pourquoi considérer la force économique et financière comme le fer de lance des combats féministes ? Parce que c’est là que se logent encore de profondes inégalités. C’est là que réside le cœur du pouvoir, bastion encore intouché par les femmes ou si peu. D’où de fortes résistances. Car, de cette puissance économique et financière découle « la puissance politique », assure Insaff el Hassini. Malheureusement, « il est encore plus facile de discriminer une femme. Socialement, c’est acceptable ». Notamment au moment du recrutement où elles risquent d’être perçues comme « vénales » si elles osent négocier leur salaire, comme l’a expérimenté indirectement Insaff el Hassini. « Mais payer davantage un homme qu’une femme, c’est perpétrer des actes discriminatoires illégaux ». Ces considérations générales sur les femmes dans le monde du travail sont évidemment valables au niveau des échelons supérieurs, auxquels s’attaquent les lois Copé-Zimmermann et Rixain.

Selon le Siècle des femmes qui cite le rapport 2021 du World Economic Forum sur la parité dans le monde, « la France est le 65e pays pour la participation des femmes aux postes de leadership et le 115e pays pour l’égalité salariale ». La marge de progrès est encore énorme, et la crise du Covid a encore aggravé la situation. « Aujourd’hui, seuls des quotas permettent de franchir un cap, de dépasser les routines. L’exemple des conseils d’administration est patent : la France est en tête des pays européens sur ce domaine grâce à leur mise en place », rappelle ainsi l’organisation.

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