Le choix du médiateur, une question complexe
Alors que la Chancellerie travaille sur le développement d’une politique de l’amiable, Fabrice Vert, met en lumière un aspect fondamental du sujet qui est le choix du médiateur. Explications.
Comme le disait le général de Gaulle au sujet de l’Europe, il ne suffit pas de sautiller comme un cabri sur sa chaise et de répéter « médiation, médiation, médiation » pour qu’elle se développe. Le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, l’a bien compris en décidant de lancer le vendredi 13 janvier 2023 une politique nationale de l’amiable.
Pour réussir, cette politique devra se manifester par des mesures concrètes et financées, notamment dans le domaine de la formation des acteurs judiciaires, l’organisation des juridictions, l’incitation au recours des modes amiables, la déontologie des médiateurs
Technicité et compétence doivent présider à cette mise en œuvre.
L’audience d’orientation : un moment crucial pour le choix de l’amiable
De nombreuses questions restent à approfondir pour permettre au juge français de rendre enfin effectif son office conciliatoire qui participe pleinement de sa mission finale de garant de la paix sociale.
Le rapport sur la justice civile issu des états généraux de la Justice, pour répondre à la question du choix à opérer entre tous les modes de résolutions qui s’offrent aux justiciables, évoque une piste intéressante en proposant pour chaque affaire, une audience d’orientation, en début d’instance, à laquelle comparaîtraient les justiciables, avec leurs conseils, pour évoquer ensemble, avec le juge, les différents modes de résolution des différends (convention de procédure participative, médiation, conciliation par le juge, conciliation déléguée à un conciliateur de justice, actes contresignés par avocats, césure du procès, trancher le litige en appliquant la règle de droit par le juge) et choisir le plus approprié au regard des intérêts et des besoins des parties, de la nature et de l’enjeu du litige.
Tous ces modes sont complémentaires et peuvent interagir entre eux à tout moment de la procédure. Évidemment les moyens doivent suivre pour rendre efficiente cette audience d’orientation.
Si les parties optent pour la médiation ou si le juge décide d’enjoindre les parties de rencontrer un médiateur, se posera alors une question complexe et essentielle à la réussite de ce processus : le choix du médiateur.
Comment choisir le médiateur ?
Tout d’abord, l’exercice de l’injonction de rencontrer un médiateur est différend de celui de la médiation ordonnée par le juge, dès lors que, dans le premier, les parties n’ont pas consenti à entrer en médiation et qu’il appartiendra au médiateur, gratuitement, d’informer les parties, assistées de leurs conseils, (parfois sceptiques et peu convaincus par la voie amiable) sur le processus de médiation et de les aider à décider ou non, au regard de leurs intérêts et de leurs besoins, d’entrer en médiation. Cet exercice requiert des qualités particulières et les médiateurs ne sont pas tous disposés à s’y prêter.
Dans certaines juridictions, des permanences gratuites d’information sur la médiation sont tenues par des médiateurs lors des audiences. À cette occasion, si les parties acceptent une mesure de médiation, ou s’il est délivré une injonction de rencontrer un médiateur, c’est le médiateur de permanence qui sera souvent désigné, à moins que les parties ne s’accordent sur le choix d’un autre nom ou s’il apparaît, au regard des caractéristiques de l’affaire, que la désignation d’un autre médiateur serait plus appropriée.
Une liste de médiateurs par cour d’appel
Pour aider dans le choix du médiateur, il est dressé une liste de médiateurs en matière civile, commerciale et sociale par chacune des 36 cours d’appel à destination de l’information des juges depuis la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016.
La médiation n’est pas une profession réglementée ni dotée d’un ordre professionnel et, en l’absence d’un organisme national de certification des formations à la médiation, l’établissement d’une liste de médiateurs est un art difficile. Devant l’imprécision des textes sur les critères et conditions d’inscription des médiateurs sur ces listes, il entrera dans la mission du futur Conseil national de la médiation, selon la loi du 22 décembre 2021, de proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs, faire toute recommandation sur la formation, émettre des propositions sur les conditions d’inscription des médiateurs sur la liste susvisée.
Le choix d’une personne physique ou morale
La confiance des acteurs judiciaires dans les médiateurs suppose que l’ensemble des acteurs concernés entretiennent un dialogue ouvert et transparent notamment dans le cadre d’Unités de modes amiables que certaines juridictions ont créé, cette initiative méritant d’être consacrée dans le code de l’organisation judiciaire et d’être étendue à toutes les juridictions. Si certains magistrats, formés et investis dans l’amiable, ont les outils pour désigner un médiateur adapté au litige soumis, il est possible aussi de désigner une association de médiateurs ou un centre de médiations (l’article 131-4 du CPC permet au juge de désigner une personne morale). Dans ce cas, il est fréquent que la personne morale propose aux parties le nom de trois personnes physiques susceptibles d’assurer cette médiation. La qualité et la compétence du médiateur sont censées ainsi être garantie par la personne morale.
Il existe aussi notamment dans les cours d’appel de Bordeaux et d’Aix-en-Provence, sur une idée du regretté premier président Éric Négron, deux associations originales de médiateurs qui ont mis en place un logiciel et un algorithme destinés à mettre en lien les médiateurs assermentés à la cour d’appel et les juridictions pour organiser notamment les formations à la médiation avec un suivi statistique.
Dans la politique nationale de la médiation, une plateforme numérique recensant les médiateurs en interaction avec les juridictions serait la bienvenue.
Quels critères pour choisir le médiateur ?
La nature et l’enjeu du conflit ; la complexité de l’affaire ; la personnalité des parties et de leurs avocats ; les références culturelles des parties ; les disponibilités, connaissances linguistiques et techniques, formations et expériences professionnelles du médiateur ; l’intensité du conflit personnel entre les parties ; la nature des relations entre les parties ; la prédominance de l’aspect relationnel sur l’aspect technique.
Tous ces facteurs peuvent être pris en compte pour choisir le médiateur, sachant que plus les avocats et les juges auront une formation sur les modes amiables, plus leur choix sera efficace.
Pour effectuer ce choix, un dialogue avec les parties présentes, en personne si possible, et leurs conseils, permettra de préciser l’origine et la nature conflit : malentendu, mésentente, oppositions sur des points techniques, des points juridiques…
Faudra-t-il choisir plutôt un médiateur spécialiste de la relation et de la communication non violente ou un médiateur ayant une connaissance technique du domaine dans lequel est intervenu le litige ?
Le médiateur spécialiste du domaine peut se polariser sur les aspects techniques du conflit en oblitérant la véritable origine du conflit.
Le médiateur spécialiste uniquement de la relation, peut dans certains domaines très techniques, ne pas susciter la confiance des médiés en raison de sa méconnaissance des codes et des enjeux.
La co-médiation est parfois une solution pour répondre à la complexité d’un litige en combinant les qualités et spécialités de deux médiateurs.
Il est également évident, comme dans tous les métiers, que la réputation et la renommée du médiateur, ont leur importance dans le choix du médiateur.
Il arrive ainsi de plus en plus fréquemment que des avocats satisfaits dans une affaire par l’entremise d’un médiateur proposent son nom lorsqu’il faut désigner un médiateur pour un autre litige.
La profession d’avocat s’intéresse également à cette problématique. Ainsi le Conseil national des barreaux (CNB) a créé un Centre national de médiation des avocats (CNMA), en posant des critères de sélection sur l’expérience et la formation requise des candidats avocats aspirant à bénéficier de ce référencement.
Il est également à relever au niveau national ou international l’existence d’organismes de certification comme l’Institut français de certification des médiateurs ou l’International Mediation Institute.
Cette question récurrente du choix du médiateur, essentielle au développement de la médiation, sera sans nul doute au cœur de la politique nationale de l’amiable annoncée par le garde des Sceaux.
Pour conclure, je citerai un autre homme politique, Jean Monnet, également européen convaincu : « Le plus beau métier du monde est de réunir les hommes », citation qui pourrait constituer la devise du médiateur.
Référence : AJU351835