L’expertise amiable : un outil à promouvoir et une opportunité à saisir pour le justiciable
Plus rapide, moins conflictuelle et moins coûteuse, l’expertise amiable a toutes les vertus. Il ne lui manque que quelques ajustements à la marge pour se développer. Les explications de Fabrice Vert, premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris, membre du syndicat Unité Magistrats, Laetitia Wadiou, avocate et médiatrice, Hirbod Dehghani-Azar, avocat, médiateur, membre du Conseil national des barreaux (CNB).
Le 13 janvier dernier, le ministre de la Justice a lancé sa politique nationale de l’amiable en annonçant la création de deux nouveaux dispositifs amiables : la césure et l’audience de règlement amiable (Lire notre article ici).
Il serait également judicieux de promouvoir et de perfectionner certains outils de l’amiable qui existent déjà dans notre corpus juridique, tout en étant insuffisamment connus et utilisés, comme l’injonction de rencontrer un médiateur, la convention de procédure participative, ou l’expertise amiable, objet de cette tribune.
Le juge et l’avocat ont une place centrale dans le développement de l’amiable.
Le rôle du juge en tant que prescripteur est indispensable car il montre la voie et rassure le justiciable sur la crédibilité d’un processus amiable mais, la simple proposition du juge d’entrer dans le cadre de ce processus ne suffira pas.
L’amiable dans l’administration de la preuve
Il est nécessaire de mettre en place des stratégies afin de permettre aux parties de percevoir dans l’amiable leur intérêt, en ce compris financier, et l’avocat est en première ligne à ce stade.
L’avocat de l’amiable doit repenser la stratégie judiciaire de son client notamment dans la phase de l’administration de la preuve contradictoire.
Prenons à titre d’exemple le schéma judiciaire exclusif ou « classique » d’un dossier immobilier partant d’une mise en demeure, d’assignations en référé-expertise avec une discussion devant le juge sur la mission de l’expert et, durant les opérations d’expertise, des mises en cause successives de tiers devant le juge. L’ensemble des interventions du juge a pour objectif de permettre l’administration de la preuve contradictoirement et de statuer utilement. Cette étape se poursuit par une action en ouverture du rapport et une discussion des conclusions du rapport avant d’obtenir une décision judiciaire dont il faut assurer l’exécution.
En perspective, prenons ce même exemple sur un schéma judiciaire intégrant une stratégie amiable des avocats au profit de leurs clients. La mise en demeure n’est plus obligatoire et on peut entrer en discussion avec la/les parties adverses sous la forme d’une simple lettre d’invitation à un dialogue amiable ce qui a pour avantage d’éviter l’escalade du conflit.
À partir du moment où chaque partie est représentée par un avocat, alors on peut avoir recours à un expert amiable par acte contresigné par avocat si nécessaire.
Les avantages de l’expertise amiable
Plus rapide, moins coûteuse, plus souple : l’expertise amiable permet aux conseils de choisir l’expert dont ils valident la compétence (il existe généralement un consensus sur son nom) et donc de le mandater ensemble et de définir sa mission et la durée de sa mission.
Intervenant dans un cadre contractuel, cet expert propose souvent des honoraires à un coût moindre que ceux sollicités dans le cadre d’une expertise judiciaire (dans ce dernier cadre, ce coût dépasse souvent les 10 000 €) et rend son rapport dans délais beaucoup moins longs.
En outre, les contraintes de l’expertise ordonnée par le juge liées à la consignation, à la nécessité de produire des dires dans un temps que ne maîtrisent pas les parties, à l’attente de la production d’une note de synthèse puis d’un rapport sont quasi inexistantes dans le cadre de l’expertise amiable.
La seule limite à ce stade de l’efficacité de cette stratégie, c’est de rendre opposable à des tiers qui refuseraient volontairement de rentrer dans un dialogue constructif avec un risque de se voir opposer des prescriptions et/ou forclusions, notamment en matière assurantielle.
C’est pourquoi nous préconisons la mise ne place d’un processus « d’assignation amiable » permettant d’inviter une partie à participer à l’expertise amiable faute de quoi elle ne pourrait se prévaloir d’une quelconque prescription et/ou forclusion, et cette assignation lui rendant contradictoires les opérations de l’expert amiable.
Il faudrait également instituer un juge d’appui, pour résoudre un éventuel incident qui surviendrait dans le déroulé de l’expertise amiable.
Avec ces modifications du régime de l’expertise amiable, plus d’obstacle rationnel ne s’opposerait au développement significatif de l’acte contresigné par avocat en matière d’expertise qui, pour l’instant, connaît un succès marginal, et c’est un euphémisme.
Quand toutes les parties concernées sont d’accord pour organiser une expertise, quel intérêt de saisir le juge des référés pour l’ordonner ? La plus-value du juge dans un tel cas étant quasi inexistante, quand les parties en défense se limitent à émettre des protestations et réserves ou à acquiescer à la demande d’expertise.
Par ailleurs lorsque des parties commencent à s’entendre sur la désignation d’un expert, elles entrent dans un cycle vertueux de l’amiable qui peut se poursuivre sur le fond du litige.
L’expertise amiable a évidemment également tout son sens dans le cadre d’une médiation.
Le duo expertise, médiation
Les parties qui sont entrées en médiation judiciaire ou conventionnelle peuvent avoir besoin de recourir pendant la médiation, à un technicien pour déterminer par exemple l’origine d’un désordre. Les parties peuvent décider que cette expertise amiable restera confidentielle et ne sera pas utilisée comme moyen de preuve ensuite si la médiation ne fonctionne pas.
Mais les parties, qui ont chacune un avocat peuvent au contraire souhaiter utiliser cette expertise devant le juge en cas d’échec de la médiation. En effet, désormais, une expertise amiable décidée par acte contresigné par avocat en cours de médiation, a la même valeur qu’une expertise judiciaire (l’alinéa 2 de l’article 1554 du Code de procédure civile) et peut être produite devant le juge.
Dans la perspective d’une stratégie amiable, on peut aussi imaginer une discussion sur l’opportunité de la mesure d’expertise dans un cadre sécurisé et confidentiel et ne limiter ladite mesure qu’aux points les plus critiques.
L’incantation pour développer les modes amiables ne donnera des résultats probants que lorsque certaines mesures seront prises pour les rendre efficaces et efficients.
Ainsi l’expertise amiable qui présente de nombreux avantages pour le justiciable ne rencontrera le succès qu’elle mérite que si son régime juridique permet de lever toute insécurité.
Par ailleurs, il, est évident que la formation des acteurs judiciaires sur l’amiable est également une clef de cette réussite. La proposition d’une création mention de spécialisation droit des modes amiables de résolution des différends lors de l’assemblée générale du CNB du 3 février 2023 est une excellente initiative en ce sens.
Le développement de l’amiable suppose également l’adoption de mesures incitatives notamment d’ordre financier ou comptable et un renforcement du rôle du juge prescripteur d’amiable.
Mais il est certain que ce changement de culture et de paradigme dans la résolution des litiges ne pourra se faire sans un partenariat actif entre avocats et magistrats dans le cadre par exemple d’unités de modes amiables qui pourrait être créées dans les juridictions.
L’amiable est une chance à saisir au service des justiciables.
Référence : AJU348804