Que va changer la césure dans le procès civil ?

Publié le 02/11/2023

Le décret du 29 juillet 2023 crée dans le Code de procédure civile un nouveau chapitre II intitulé « Césure du procès » auquel sont consacrés ses articles 3 à 4. Cette procédure de césure est en grande partie inspirée de droits étrangers, en l’espèce de la pratique judiciaire notamment néerlandaise et allemande. Me Patrick Lingibé répond aux principales interrogations soulevées par cette nouveauté procédurale qui est entrée en application le 1er novembre. 

Que va changer la césure dans le procès civil ?

La césure du procès permet aux parties de solliciter un jugement tranchant sur le fond les points décisifs du litige afin de leur permettre ensuite de résoudre les points subséquents en recourant aux modes amiables de résolution des différends de droit commun et, à défaut, de limiter de façon optimale le champ du débat judiciaire. Autrement dit, elle consiste à faire trancher le fond du litige ou une partie de celui-ci par le juge saisi et à renvoyer après les parties pour un accord sur le montant de l’indemnisation consécutive à la décision de fond prise judiciairement.

Pour illustrer la pertinence de ce dispositif, le ministre de la Justice indiquait le 13 janvier 2023 qu’aux Pays-Bas, ce procédé permet de traiter deux fois plus de litiges en deux fois moins de temps. Dans ce système, le droit d’appel sur le jugement au fond intervient seulement en cas d’échec du processus de médiation. Cette nouvelle procédure permettra de diviser par deux la durée de la procédure (Lancement de la politique de l’amiable, 13 janvier 2023, ministère de la Justice).

Ce décret du 29 juillet 2023 introduit dans le Code de procédure civile deux mécanismes facultatifs de nature à favoriser le règlement amiable des litiges après la saisine du tribunal judiciaire : d’une part, l’audience de règlement amiable et d’autre part la césure du procès civil.

Il vient de faire l’objet d’une circulaire en date du 17 octobre 2023 signée in personam par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. Cette circulaire entend répondre à certaines interrogations auxquelles le décret du 29 juillet 2023, avec son article 4 consacré à la césure du procès civil, reste taisant sur certains points.

Il convient de rappeler cependant les limites d’une circulaire qui ne peut qu’être interprétative et non pas normative. Ajouter dans une circulaire du droit qui ne résulte pas d’un droit normatif existant (législatif et/ou réglementaire), c’est prendre le risque que les dispositions de celles-ci deviennent contestables et soient contestées par la voie de l’exception d’illégalité sur le fondement de la jurisprudence posée par le Juge du Palais-Royal dans son arrêt d’assemblée rendu le 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker (apparition de la distinction entre la notion de circulaire réglementaire par nature illégale et de circulaire interprétative). Enfin, il y a lieu également de préciser que l’administration n’a aucune obligation de prendre une circulaire pour interpréter l’état du droit existant contrairement à celles et ceux qui pourraient le croire (Conseil d’Etat, 8 décembre 2000, n° 209287, Syndicat Sud-PTT-Pays de Savoie).

L’article 6 du décret du 29 juillet 2023 précise que les dispositions concernant la césure du procès civil sont applicables aux instances introduites à compter du mercredi 1er novembre 2023.

Cet article se propose d’aborder uniquement la césure du procès civil au travers de sept questions-réponses.

1° Dans quelles conditions peut s’ouvrir la césure du procès ?

Il convient de préciser que cette césure du procès civil n’est applicable dans le cadre d’une procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire.

Elle est à l’initiative des parties et ce, à tout moment de la mise en état. Toutefois, le juge de la mise en l’état peut également l’impulser en rappelant aux parties qu’elles disposent de cette initiative.

Le nouvel article 807-1 du code de procédure civile précise les conditions d’ouverture d’une césure du procès : l’ensemble des parties constituées doit demander au juge de la mise en état, par des conclusions qui lui sont spécialement adressées, soutenues par un acte de procédure contresigné par avocats, de trancher une partie de leurs prétentions

2° Quel est le périmètre précis de la césure du procès ?

Ce sont les parties qui doivent préalablement s’accorder sur l’identification d’une ou de plusieurs prétentions dont elles sollicitent un jugement partiel, formalisé par un acte de procédure contresigné par avocats. Autrement dit, ce sont elles qui déterminent seules le périmètre de la clôture partielle demandée sans que le juge puisse le modifier d’office.

Néanmoins, cela n’interdit pas en pratique une discussion sur le périmètre de la césure entre le juge et les avocats.

La possibilité de séquencer des prétentions est déterminante : la césure exige ainsi notamment une séparabilité des prétentions.

Il impose donc que le futur jugement partiel soit totalement indépendant du reste de la matière litigieuse et se suffit à lui seul.

On peut d’ores et déjà appréhender les difficultés pouvant surgir quant à la segmentation précise des prétentions des parties.

3° Peut-on demander la clôture partielle aux fins de césure ?

C’est toute la nouveauté du dispositif et le substratum sur lequel repose la césure préconisée.

Le nouvel article 807-1 du Code de procédure civile crée une nouvelle catégorie d’ordonnance de clôture, la clôture partielle aux fins de césure. À l’instar de l’ordonnance de clôture, cette nouvelle ordonnance demeure une mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours, en ce qu’elle ne cause aucun grief aux parties.

Le juge de la mise en état, s’il fait droit à la demande de césure, ordonne la clôture partielle de l’instruction.

L’ordonnance de clôture partielle doit être limitée à la liste des prétentions déterminées par les parties. La circulaire indique que la décision du juge de la mise en état d’ordonner on non la clôture partielle de l’affaire doit être prise en opportunité au regard de considérations de bonne administration de la justice.

En cas de rejet de la demande d’ouverture d’une césure du procès, le dossier reprend son cours devant le juge de la mise en état.

En cas d’ordonnance de clôture partielle aux fins de césure, la mise en état est poursuivie quant aux prétentions qui sont hors du champ de la clôture partielle. Ce nouveau cas de clôture partielle est distinct dans son esprit et son objet de la clôture partielle sanctionnant le défaut de diligence d’un avocat prévue par l’article 800 du Code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture partielle aux fins de césure peut toujours faire l’objet d’une révocation conformément à l’article 803 du Code de procédure civile.

Article 803 du Code de procédure civile :

« L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue ; la constitution d’avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

 Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l’instruction, l’ordonnance de clôture n’est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout.

 L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal.

 L’ordonnance de clôture peut également être révoquée, après recueil de l’avis des parties, afin de permettre au juge de la mise en état, conformément à l’article 785, de décider de la convocation des parties à une audience de règlement amiable selon les modalités prévues aux articles 774-1 à 774-4. »

Article 807-1 du Code de procédure civile :

« À tout moment, l’ensemble des parties constituées peut demander au juge de la mise en état la clôture partielle de l’instruction.

 Elles produisent à l’appui de leur demande un acte contresigné par avocats qui mentionne les prétentions à l’égard desquelles elles sollicitent un jugement partiel.

 S’il fait droit à la demande, le juge ordonne la clôture partielle de l’instruction et renvoie l’affaire devant le tribunal pour qu’il statue au fond sur la ou les prétentions déterminées par les parties. L’acte contresigné par avocats est annexé à l’ordonnance.

 La date de la clôture partielle doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries.

 L’article 798, les alinéas 2 à 4 de l’article 799 ainsi que les articles 802 à 807 sont applicables à la présente sous-section. »

4° Dans quel cas peut intervenir un jugement partiel ?

Le nouvel article 807-1 du Code de procédure civile précité crée une nouvelle catégorie de jugement, le jugement partiel, par lequel la formation de jugement statue sur la ou les prétentions déterminées par les parties dans l’acte de procédure contresigné par avocats. Autrement dit, le tribunal est saisi uniquement des prétentions faisant l’objet de la clôture partielle.

Le jugement partiel est rendu à l’issue d’une audience de plaidoirie, sauf à ce qu’il soit recouru à une procédure sans audience.

L’exécution provisoire n’est pas de droit, mais elle peut être ordonnée par le tribunal dans les conditions du droit commun.

Attention, le nouvel article 807-3 du Code de procédure civile précise que la clôture de l’instruction prévue au 1er alinéa de l’article 799 ne peut intervenir avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou, lorsqu’un appel a été interjeté, avant le prononcé de la décision statuant sur ce recours.

Article 544 du Code de procédure civile :

 « Les jugements partiels, les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal.

 Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l’instance. »

Article 807-3 du Code de procédure civile :

 « La clôture de l’instruction prévue au 1er alinéa de l’article 799 ne peut intervenir avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou, lorsqu’un appel a été interjeté, avant le prononcé de la décision statuant sur ce recours. »

5° Quel est le recours contre les jugements prononçant la césure ?

L’article 544 du Code de procédure civile a été modifié par l’article 3 du décret du 29 juillet 2023 afin d’ajouter les jugements partiels prononcés dans le cadre d’une césure du procès à la liste des décisions susceptibles d’appel immédiat.

Afin d’éviter un allongement des délais à raison de l’appel immédiat formé à l’encontre du jugement partiel, l’appel sera traité selon la procédure à bref délai au sens de l’article 905 du Code de procédure civile.

Attention comme l’indique la circulaire ministérielle l’appel du jugement partiel n’est pas un motif d’interruption du délai de péremption de l’instance. En conséquence, la mise en état se poursuit sur les prétentions subséquentes restant en débat.

Cela risque donc se traduire concrètement par un croisement entre un contentieux de première instance toujours pendant au niveau du juge de la mise en état et un nouveau contentieux d’appel qui portera sur une décision résultat de la césure et dont l’issue impactera nécessairement le débat de première instance. En effet, la césure vise à circonscrire le débat sur la question juridique décisive qui est tranchée par le juge sur le fond des conséquences à tirer de la solution judiciaire apportée à cette question décisive. Cependant, il est évident que le problème touchant aux conséquences entraînées par une responsabilité reconnue peut difficilement être séparé par celui portant sur la question décisive portant sur cette responsabilité. En clair, la question de la césure et de la décision qui s’y greffe devra à notre sens impérativement être réglée en amont en cas d’appel afin de purger ce point et d’assurer ainsi une sécurité juridique procédurale au niveau de la première instance.

 Article 544 du Code de procédure civile :

 « Les jugements partiels, les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal.

 Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l’instance. »

Article 905 du Code de procédure civile :

« Le président de la chambre saisie, d’office ou à la demande d’une partie, fixe les jours et heures auxquels l’affaire sera appelée à bref délai au jour indiqué, lorsque l’appel :

 1° Semble présenter un caractère d’urgence ou être en état d’être jugé ;

 2° Est relatif à une ordonnance de référé ;

 3° Est relatif à un jugement rendu selon la procédure accélérée au fond ;

 4° Est relatif à une des ordonnances du juge de la mise en état énumérées aux 1° à 4° de l’article 795 ;

 5° Est relatif à un jugement statuant en cours de mise en état sur une question de fond et une fin de non-recevoir en application du neuvième alinéa de l’article 789 ;

 6° Est relatif au jugement prévu à l’article 807-2.

 Dans tous les cas, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 778 et 779. »

6° La césure interrompt-elle la procédure de mise en état en cours ?

La mise en état se poursuit relativement aux prétentions des parties qui n’entrent pas dans le périmètre de la césure, indépendamment de la procédure de césure.

En conséquence, le juge de la mise en l’état conserve tous ses pouvoirs issus des articles 780 à 799 du code de procédure civile. Il peut ainsi ordonner une mesure d’instruction, constater la conciliation des parties, ordonner la clôture de l’instruction et renvoyer l’affaire en plaidoirie.

Les parties peuvent ainsi continuer de conclure et éventuellement de former de nouvelles demandes. Elles peuvent aussi parvenir à un accord sur le « reste » des prétentions, en recourant notamment à la médiation, à la conciliation voire à une ARA, et formaliser leur accord selon les règles de droit commun. Elles pourront notamment présenter au juge de la mise en état ou au juge du fond une demande d’homologation de leur accord, accompagnée d’une demande de désistement d’instance.

Attention cependant à l’article 807-3 du Code de procédure civile qui dispose que la mise en état ne peut être totalement close (sur les prétentions non concernées par la clôture partielle puis le jugement partiel) que lorsque le jugement partiel ne peut plus faire l’objet d’un appel, soit parce que le délai d’appel est expiré, soit parce qu’un appel a été interjeté sur lequel la cour a statué.

Il opère ainsi un équilibre entre le risque de contradiction entre les décisions rendues dans la même instance, d’une part, et l’allongement excessif du procès qui résulterait de l’exigence d’une décision irrévocable, d’autre part, tout en permettant aux parties de poursuivre leurs échanges dans le cadre de la mise en état sur les prétentions qui ne sont pas l’objet du jugement partiel.

Nous notons ici la fragilité de la césure du procès qui risque de donner lieu à des cascades de procédures croisées avec une audience de fond et d’appel qui vont se dérouler parallèlement avec un risque d’insécurité juridique évident.

Article 807-3 du Code de procédure civile :

 « La clôture de l’instruction prévue au 1er alinéa de larticle 799 ne peut intervenir avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou, lorsqu’un appel a été interjeté, avant le prononcé de la décision statuant sur ce recours. »

7° La césure est-elle éligible à l’aide juridictionnelle ?

 Dans le tableau 1 de l’annexe 1 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n°91-697 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles.

En conséquence, la majoration de 6 UV en cas de conclusion d’une convention participative aux fins de mise en état est également applicable aux demandes des parties aux fins de clôture partielle dans le cadre de la césure du procès.

En conclusion, l’introduction de la procédure dite de « césure » a fait l’objet d’interrogation quant à son efficacité réelle. Les commissions textes et MARD du Conseil national des barreaux (Rapport conjoint présenté par les commissions des textes et des MARD présenté par Bernard Fau, Maya Assi, président et membre de la commission des textes et Laurence Joly, membre de la commission ad hoc MARD à l’assemblée générale du 10 mars 2023 indiquent ainsi que la procédure de césure « risque de complexifier davantage la procédure et d’engendrer un contentieux supplémentaire et de rallonger les délais » en précisant de manière pertinente que « le goulot d’étranglement dans la pratique judiciaire se situe souvent au stade de l’expertise judiciaire, souvent indispensable pour statuer sur la responsabilité ».

Ces réserves rejoignent celles exposées lors d’une assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers de France par la présidente de sa commission civile, Madame le bâtonnier Hélène Moutardier, ancienne bâtonnière du barreau d’Évry.

Si les intentions du ministre de la Justice sont très louables et nous partageons l’idée de mettre plus d’amiable dans les conflits, le justiciable risque de ne pas être gagnant au final avec le procédé de la césure avec les contentieux complexes qui risquent de s’y greffer.

L’important est avant de simplifier la procédure afin qu’elle réponde aux souhaits du justiciable qui souhaite avant tout avoir une réponse de fond suite à sa saisine de l’institution judiciaire. Il convient de rappeler sur ce point que la Cour de Strasbourg a, dans son arrêt rendu le 9 juin 2022 sanctionné la France pour le formalisme procédural excessif imposé par l’une de ses juridictions judiciaires :

« 57. S’il ne lui appartient pas de remettre pas en cause le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation pour infirmer la solution retenue par la cour d’appel de Douai (paragraphes 49-50 ci-dessus), la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès. Or, elle considère, dans les circonstances de l’espèce, que les conséquences concrètes qui s’attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif » (Cour européenne des droits de l’Homme, 9 juin 2022, X. L. c/ France, requête n° 15567/20).

Le chemin de l’amiable que nous soutenons ne peut toutefois sombrer dans un formalisme excessif qui risque de générer plus de contentieux qu’il n’apportera de solutions consenties et consensuelles. Tel semble être le risque a priori du procédé de la césure qu’il conviendra certainement de recalibrer au regard des retours et des contentieux que ce nouveau dispositif ne manquera pas potentiellement de générer.

 

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