Attention aux commentaires publiés sur votre page Facebook

Publié le 03/09/2021

Le requérant est un ressortissant français qui, à l’époque des faits, était maire et président du groupe

Rassemblement national au Conseil régional d’Occitanie. Il posta sur le mur de son compte Facebook, qu’il gérait personnellement et dont l’accès était ouvert au public, un billet concernant son adversaire politique et qu’un tiers avait commenté par ces mots : Ce grand homme a transformé Nîmes en Alger, pas une rue sans son khebab et sa mosquée, dealers et prostitués règnent en maître, pas étonnant qu’il est choisi Bruxelles capital du nouvel ordre mondial celui de la charia…. Merci l’UMPS au moins ça nous fait économiser le billet d’avion et les nuits d’hôtels…. J’adore le Club Med version gratuite…. » La compagne de l’adversaire politique prit connaissance de ces commentaires. Se sentant insultée directement et personnellement par des propos qu’elle qualifia de « racistes », elle se rendit immédiatement au salon de coiffure géré par ce tiers, qu’elle connaissait personnellement. Ce dernier supprima aussitôt son commentaire. Puis elle écrivit au procureur de la République pour déposer plainte en raison des propos litigieux publiés sur Facebook du requérant. Ce dernier afficha sur le mur de son compte Facebook un message invitant les intervenants à « surveiller le contenu de [leurs] commentaires », mais n’intervint pas sur les commentaires publiés.

Le requérant soutient que sa condamnation pénale, en raison de propos publiés par des tiers sur le mur de son compte Facebook, est contraire à l’article 10 de la Convention.

La Cour observe que les juridictions internes ont déclaré le requérant pénalement coupable le tiers qui avait publié le commentaire de provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en général, en particulier, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non‑appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée.

La Cour note d’emblée que les commentaires publiés sur le mur du compte Facebook du requérant étaient de nature clairement illicite.

Elle rappelle que la tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste. Il en résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, toutes les formes d’expression qui propagent, encouragent, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance (y compris l’intolérance religieuse), si l’on veille à ce que les formalités, conditions, restrictions ou sanctions imposées soient proportionnées au but légitime poursuivi.

En l’espèce, il s’agissait du mur d’un compte Facebook librement accessible au public, utilisé dans le contexte d’une campagne électorale, forme d’expression visant à atteindre l’électorat au sens large, donc l’ensemble de la population. La Cour a déjà dit que grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et diffuser de grandes quantités de données, les sites Internet, qui incluent les blogues et les médias sociaux, contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information. Cependant, si la possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constitue un outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression, les avantages de ce média s’accompagnent d’un certain nombre de risques, avec une diffusion comme jamais auparavant dans le monde de propos clairement illicites, notamment des propos diffamatoires, haineux ou appelant à la violence.

Or, dans un contexte électoral, si les partis politiques doivent bénéficier d’une large liberté d’expression afin de tenter de convaincre leurs électeurs, en cas de discours raciste ou xénophobe, un tel contexte contribue à attiser la haine et l’intolérance.

La Cour rappelle que la responsabilité particulière des hommes politiques dans la lutte contre le discours de haine. Elle a examiné les textes litigieux publiés par des personnes qui n’étaient au demeurant pas eux-mêmes des hommes politiques ou les membres actifs d’un parti politique s’exprimant au nom de celui-ci et considère que les conclusions des juridictions internes concernant ces publications étaient pleinement justifiées. La Cour rappelle, à toutes fins utiles, que l’incitation à la haine ne requiert pas nécessairement l’appel à tel ou tel acte de violence ou à un autre acte délictueux. Les atteintes aux personnes commises en injuriant, en ridiculisant ou en diffamant certaines parties de la population et des groupes spécifiques de celle-ci ou l’incitation à la haine et à la violence à l’égard d’une personne à raison de son appartenance à une religion, comme cela a été le cas en l’espèce, suffisent pour que les autorités privilégient la lutte contre de tels agissements face à une liberté d’expression irresponsable et portant atteinte à la dignité, voire à la sécurité de ces parties ou de ces groupes de la population. L’intention d’inciter à commettre des actes de violence, d’intimidation, d’hostilité ou de discrimination peut être établie dès lors que l’auteur du discours de haine invite sans équivoque autrui à le faire mais peut aussi être présumée au regard de la virulence des termes employés et d’autres circonstances pertinentes, telle la conduite antérieure de l’auteur du discours.

Par ailleurs, la Cour relève que le requérant ne s’est pas vu reprocher l’usage de son droit à la liberté d’expression, en particulier dans le débat politique, mais son manque de vigilance et de réaction concernant certains commentaires publiés sur le mur de son compte Facebook. La Cour rappelle avoir déjà souligné que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle-même pour comprendre et apprécier les problèmes sociétaux spécifiques dans des communautés et des contextes particuliers. Dans cette perspective, la Cour estime que la connaissance de proximité de la cour d’appel de Nîmes quant au contexte local dans lequel s’inscrivaient les faits litigieux, lui permettait de mieux appréhender qu’elle le contexte des commentaires et en déduit que tant le tribunal correctionnel que la cour d’appel ont fondé leur raisonnement quant à la responsabilité du requérant sur des motifs pertinents et suffisants au regard de l’article 10 de la Convention.

Aux yeux de la Cour, il existe sans aucun doute une responsabilité partagée entre le titulaire d’un compte sur un réseau social et l’exploitant de ce dernier. Les conditions d’utilisation de Facebook soulignent d’ailleurs l’interdiction des propos haineux, l’accès à ce réseau social valant acceptation de cette règle pour tous les utilisateurs.

Dès lors, au vu des circonstances spécifiques de la présente affaire, la Cour estime que la décision des juridictions internes de condamner le requérant, faute pour celui-ci d’avoir promptement supprimé les propos illicites publiés par des tiers sur le mur de son compte Facebook utilisé dans le cadre de sa campagne électorale, reposait sur des motifs pertinents et suffisants, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficie l’État défendeur. Dès lors, l’ingérence litigieuse peut passer pour nécessaire dans une société démocratique et il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Sources :
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