CEDH : légitime défense d’un gendarme

Publié le 19/05/2022

Les requérants sont les parents d’un homme décédé des suites d’un coup de feu tiré par un gendarme en réaction à l’agression violente de sa collègue, lors de son transfèrement au tribunal. Sa collègue ayant brusquement été agressée alors qu’elle se tenait aux côtés du fils du requérant, ce que l’enquête démontrera, des traces ADN ayant été retrouvées sur l’arme dont ce dernier s’était saisi, le gendarme fut placé en garde à vue et auditionné à quatre reprises.

Le vice-président chargé de l’instruction rendit une ordonnance de non-lieu au motif de la légitime défense face au danger de mort imminent qu’encourait sa collègue, compte tenu des tentatives répétées de s’emparer de son pistolet approvisionné et chargé, la riposte du gendarme était proportionnée et absolument nécessaire. Il releva, notamment, que l’examen médical réalisé sur la collègue et la découverte du bouton ensanglanté de son vêtement au sol confirmaient la violence des coups qu’elle avait subis. Les constatations médico-légales confirmaient la version du gendarme selon laquelle il avait tenté par d’autres moyens, en plus de sommations, de faire lâcher prise au fils des requérants, par l’usage de sa force physique, puis du bâton de défense.

Les requérants soutiennent que le recours à la force ayant entraîné la mort de leur fils n’était ni absolument nécessaire ni rigoureusement proportionné à l’un des objectifs mentionnés par l’article 2 § 2 de la Convention.

La Cour relève d’emblée que les juridiction internes ont examiné la question de savoir si l’action du gendarme avait pour but d’assurer la défense de sa collègue contre une violence illégale.

Elle note ensuite que les déclarations des deux gendarmes sont corroborées par des examens techniques en matière balistique, génétique et médico-légale.

La crédibilité des déclarations de la collègue, décrivant notamment les violences subies par une « pluie de coups », a également été confirmée par l’expert médico-légal qui, lors de reconstitution des faits, a déclaré ses propos compatibles avec les constatations initiales et le rapport du médecin légiste qui l’avait examinée. Les expertises ont pu conduire le juge d’instruction à déduire qu’était caractérisée la préhension volontaire de l’arme de la collègue du gendarme.

De plus, la Cour observe que les investigations ont permis d’établir qu’avant d’effectuer le tir qui s’est avéré mortel, le gendarme a vainement tenté, à plusieurs reprises, de mettre fin à l’agression de sa collègue par des moyens non létaux, qu’il s’agisse des sommations, du recours à la force physique ou de l’usage d’un bâton de défense. Certes, comme le note le requérant, le gendarme n’a pas utilisé la bombe lacrymogène à sa disposition et il n’était pas équipé d’un pistolet à impulsion électrique. Cependant, la Cour ne saurait spéculer dans l’abstrait sur l’opportunité d’employer d’autres moyens, sa tâche ne consistant pas à substituer sa propre appréciation de la situation à celle d’un agent ayant dû réagir dans le feu de l’action, et à imposer ainsi que l’on use de moyens neutralisants avant de se servir d’armes à feu. Bien qu’il soit souhaitable que de tels moyens soient répandus si l’on veut limiter progressivement le recours aux méthodes susceptibles d’entraîner la mort, établir une telle obligation de principe sans tenir compte des circonstances d’une affaire donnée imposerait à l’État et à ses agents chargés de l’application des lois une charge irréaliste qui risquerait de s’exercer aux dépens de leur vie et de celle d’autrui, eu égard notamment au caractère imprévisible de la nature humaine. En tout état de cause, la Cour relève que la chambre de l’instruction de la cour d’appel a expressément constaté que l’usage de la bombe lacrymogène par le gendarme dans les circonstances de l’espèce lui aurait fait courir le risque d’asperger sa collègue et lui-même en retour, ce qui n’aurait vraisemblablement pu qu’aggraver la situation dans laquelle ils se trouvaient.

La Cour entend également souligner le fait que le gendarme a dû intervenir à la suite d’une agression aussi vive qu’impromptue, l’obligeant à réagir sans préparation, d’autant plus qu’en sa qualité de gendarme adjoint volontaire, il n’avait pas l’expérience d’un gendarme militaire de carrière. Ainsi, et eu égard à la difficulté de la mission des forces de l’ordre dans les sociétés contemporaines, à l’imprévisibilité du comportement humain et à l’inévitabilité de choix opérationnels en termes de priorités et de ressources, il y a lieu d’interpréter l’étendue de l’obligation positive pesant sur les autorités internes de manière à ne pas imposer à celles-ci un fardeau insupportable.

Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime donc, avec les juridictions nationales dont les décisions sont particulièrement motivées, que le gendarme a agi avec la conviction honnête que la vie de sa collègue était menacée, ce qui l’autorisait à faire usage de moyens appropriés pour assurer la défense de sa collègue. Elle considère au demeurant que la décision du gendarme d’utiliser son arme n’a donné lieu qu’à un tir unique, effectué après des sommations et alors que ses autres tentatives pour faire cesser l’agression avaient échoué. La Cour note au demeurant, outre la violence illégale avérée dont la collègue était victime et du risque qui aurait incontestablement été encouru par elle et son collègue en cas de saisine de son arme, que le danger encouru par les gendarmes a été confirmé par l’expertise balistique, dont les conclusions ont été reprises par la chambre de l’instruction, qui démontre qu’une seule pression suffisante sur la queue de détente était nécessaire pour réaliser un tir et que les manœuvres nécessaires pour y parvenir étaient réalisables sans difficulté particulière pour une personne qui, à l’instar du fils des requérants, aurait eu les poignets entravés. De plus, aucun élément factuel ne permet de conclure, au regard du danger immédiat auquel les gendarmes se trouvaient confrontés, qu’il serait réaliste de considérer que le gendarme aurait pu viser d’autres parties du corps pour mettre fin à l’agression et protéger la vie de sa collègue.

Sources :
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