CEDH : détention provisoire au secret et droits de la défense
Le requérant, soupçonné d’avoir commis des infractions en lien avec l’organisation terroriste ETA, fut arrêté en France sur la base d’un mandat d’arrêt européen en et extradé vers l’Espagne.
Il nia appartenir à cette organisation. Les poursuites dirigées contre lui furent abandonnées la même année.
Dans le cadre d’une seconde enquête, le requérant fut placé en détention provisoire au secret en vue de préserver l’intégrité des investigations. Un avocat commis d’office fut désigné pour assister l’intéressé, mais celui-ci ne fut pas autorisé à s’entretenir avec lui ni à rencontrer un autre avocat. La détention du requérant fut prolongée au vu des éléments de preuve recueillis lors de la perquisition de son domicile, parmi lesquels figuraient des explosifs et des informations trouvées sur des disques durs. Interrogé par la police, l’intéressé déclara qu’il avait collaboré avec l’ETA, notamment en participant à des tentatives d’enlèvement et en lui fournissant des informations sur des policiers.
Durant sa détention provisoire, il se plaignit auprès du médecin qui le consultait chaque jour que la police avait menacé d’arrêter sa compagne.
Il fut condamné à une peine de dix-sept ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste et détention d’explosifs.
Le requérant déclare avoir été privé, lors de son interrogatoire par la police, de la possibilité d’être assisté d’un avocat de son choix. Il a affirmé qu’il était vulnérable parce qu’il avait parcouru une longue distance en voiture et qu’il n’avait pas dormi avant le premier interrogatoire de police. De plus, sa défense n’avait été ni pratique ni efficace. Le représentant de l’aide juridictionnelle n’a pas eu accès au dossier et il n’a pas été autorisé à le rencontrer avant ou après l’interrogatoire de police. De l’avis du requérant, les déclarations qu’il a faites pendant sa détention au secret n’étaient pas fondées et la police s’en est servie pour obtenir les preuves qui ont par la suite servi à justifier sa condamnation.
La Cour observe qu’à l’époque des faits en question, le Code de procédure pénale espagnol refusait aux détenus placés en détention au secret, comme dans les affaires de terrorisme, la possibilité d’être assistés par un avocat de leur choix bien qu’il ait stipulé qu’ils devaient être désignés par un représentant de l’assistance judiciaire dès le moment de leur arrestation. La détention au secret ne peut être ordonnée par un juge d’instruction que dans des circonstances exceptionnelles et uniquement aux fins prévues par la loi. S’agissant des affaires de terrorisme, un juge d’instruction ne peut autoriser la détention au secret qu’au moyen d’une décision motivée faisant référence aux circonstances particulières.
La Cour a déjà jugé que, en principe, si un suspect bénéficie de l’assistance d’un avocat qualifié, tenu par la déontologie, plutôt que d’un autre avocat qu’il aurait préféré désigner, cela ne suffit pas en soi démontrer que l’ensemble du procès a été inéquitable – sous réserve qu’il n’y ait aucune preuve d’incompétence manifeste ou de partialité.
Cependant, en l’espèce, durant la détention au secret du requérant, les décisions qui restreignaient son droit à l’assistance d’un avocat de son choix avaient un caractère général et se fondaient sur une disposition générale du droit. Elles n’impliquaient pas d’appréciation au cas par cas et n’étaient pas soumises à autorisation judiciaire au vu des faits concrets, mais tenaient compte de soupçons généraux selon lesquels le requérant avait participé à une organisation terroriste et avait dissimulé des explosifs susceptibles d’avoir prétendument été utilisé d’une manière présentant un risque grave pour la vie d’autrui.
Par ailleurs, les juges nationaux n’ont fourni aucune justification quant à la nécessité de la restriction et n’ont fourni aucune motivation sur ce point. Le fait que le juge doive motiver la détention au secret en général n’implique pas une justification quant à la nécessité de la restriction du droit d’accès à un avocat de son choix. Les juridictions nationales n’ont pas démontré en quoi l’intérêt de la justice exigeait que le requérant ne puisse pas choisir son conseil.
En conclusion, le droit d’accès du requérant à un avocat de son choix au stade de la mise en état a été restreint, et il n’y avait pas de motif pertinent et suffisant pour cette restriction, qui ne reposait pas sur une appréciation individuelle des circonstances particulières de l’affaire lors de l’adoption de la décision judiciaire de placer le requérant en détention au secret et revêtaient, à ce titre, un caractère général et impératif. Reste que la Cour doit encore apprécier l’équité globale de la procédure.
La Cour observe que la condamnation du requérant, comme il le soutient également, repose en partie sur les preuves obtenues à la suite des déclarations qu’il a faites au poste de police alors qu’il était détenu au secret. Ce n’est qu’à la suite de ses déclarations que la police trouva des données et des preuves solides que le requérant avait commis les infractions en question.
Bien qu’il y ait eu d’autres éléments de preuve contre le requérant, l’impact significatif probable de ses aveux initiaux sur le développement ultérieur de la procédure pénale dirigée contre lui ne peut être ignoré. L’équité de la procédure exige qu’un accusé puisse bénéficier de l’ensemble des services spécifiquement liés à l’assistance judiciaire. À cet égard, l’avocat doit pouvoir assurer sans restriction les aspects fondamentaux de la défense de cette personne. Le rôle de la Cour n’est pas de statuer dans l’abstrait ou d’harmoniser les différents systèmes juridiques, mais d’établir des garanties pour que la procédure suivie dans chaque affaire soit conforme aux exigences d’un procès équitable, eu égard aux circonstances particulières de chaque accusé. Du point de vue de l’équité de la procédure dans son ensemble, le fait d’avoir empêché l’avocat commis d’office du requérant de voir son client au moment opportun et d’avoir empêché ce dernier de se faire assister par un défenseur de son choix a eu pour conséquence de nuire à l’équité du procès pénal dans la mesure où la déclaration incriminante initiale du requérant a été versée au dossier.
La Cour conclut à la violation de l’article 6 et 3 de la Convention.
Si le Code de procédure pénale a été modifiée par la loi organique du 5 octobre 2015, qui impose désormais une appréciation individuelle de la situation particulière des personnes tenues au secret, cette modification ne s’appliquait pas à l’époque.
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