Saisie pénale et dommages-intérêts : l’affaire des époux B. devant la Cour de cassation

Publié le 30/06/2021

Il résulte de l’article 131-21, alinéa 6, du Code pénal que, lorsque la loi le prévoit, la confiscation de patrimoine peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.

Pour ordonner la confiscation, sous réserve des droits des nus-propriétaires du bien immobilier des époux et dire que leurs quote-parts indivises de la nue-propriété de ce bien seront restitués aux nus-propriétaires, l’arrêt constate que les propriétaires l’ont acquis entre 1986 et 1990, qu’ils en sont les usufruitiers légaux depuis la donation-partage consentie à leurs enfants de la nue-propriété dudit bien et que celui-ci est grevé par une hypothèque légale au profit du Trésor public concernant l’usufruit des demandeurs.

Les juges ajoutent que la loi du 27 mars 2012 prévoyant la réserve des droits des propriétaires indivis de bonne foi lors de la confiscation d’un bien commande de réserver les droits des nus-propriétaires de bonne foi en cas de démembrement de la propriété du bien et que, dans les deux cas, les personnes qui ne sont pas visées par la peine complémentaire, doivent recevoir les sommes représentant la valeur de leurs droits après confiscation du bien.

Ils relèvent que la donation-partage du bien immobilier, passée devant un notaire et enregistrée conformément à la loi, ne présente pas de caractère frauduleux et que l’enquête ne démontre pas que les enfants du couple ne seraient pas nus-propriétaires de bonne foi et retiennent que la situation personnelle des époux leur permettra de vivre dans des conditions dignes malgré la confiscation de l’usufruit de leur domicile actuel.

En prononçant ainsi, alors que les demandeurs étaient seulement titulaires des droits d’usufruit sur le bien, et qu’elle ne constate pas qu’ils ont la libre disposition dudit bien, la cour d’appel, qui ne pouvait dès lors ordonner que la seule confiscation des droits d’usufruit et non la confiscation en pleine propriété de ce bien, fût-ce en ordonnant la restitution aux nus-propriétaires des sommes représentant la valeur de leurs droits, méconnaît le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

Aux termes de l’article 2 du Code de procédure pénale, l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention, appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.

Tel est le cas de l’État français qui, par suite de la commission du délit de blanchiment de fraude fiscale, a été amené à conduire des investigations spécifiques générées par la recherche, par l’administration fiscale, des sommes sujettes à l’impôt, recherche rendue complexe en raison des opérations de blanchiment.

En revanche, n’entrent pas dans les prévisions de ce texte les frais liés aux investigations judiciaires, lesquels restent à la charge de l’État et sans recours contre le condamné en application de l’article 800-1 du Code de procédure pénale.

Pour condamner solidairement les époux et leur à payer à l’État, partie civile, la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages- intérêts et in solidum à payer à l’État français une somme de 30 000 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, l’arrêt attaqué rappelle que les époux ont été placés sous contrôle judiciaire avec l’obligation pour chacun de verser un cautionnement de 1 000 000 euros garantissant leur représentation à tous les actes de la procédure à concurrence de 10.000 euros et le paiement de la réparation des dommages causés par l’infraction, les restitutions et les amendes à concurrence de 990 000 euros, qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, d’une part, la solidarité entre les individus condamnés pour un même délit s’applique également à ceux déclarés coupables de différentes infractions rattachées entre elles par des liens d’indivisibilité ou de connexité, d’autre part, il n’y a pas lieu de prononcer un partage de responsabilité entre les coauteurs du dommage dont la réparation a été ordonnée.

Les juges ajoutent que les époux ont mis en œuvre pendant sept ans, de façon habituelle, des mécanismes sophistiqués de dissimulation, de conversion et de placement de leurs revenus et de leur patrimoine immobilier à l’étranger, qu’ils ont fait procéder par des financiers suisses à la création de sociétés situées dans plusieurs paradis fiscaux (Liechtenstein, Panama, Seychelles), bénéficiant, pour ce faire, de l’action frauduleuse de leur fils qui, en signant et produisant en justice des contrats de bail fictifs en vue de permettre à ses parents de dissimuler la propriété de leur bien, s’est rendu coupable de blanchiment de fraude fiscale et a été définitivement condamné.

Ils relèvent que l’ensemble des manœuvres des condamnés a obligé l’État à la mobilisation de ses services afin d’identifier le patrimoine dissimulé à l’étranger, ce qui a nécessité un très important travail de ses agents, outre les frais de fonctionnement correspondants, et que ces dépenses sont distinctes de celles engagées pour la représentation et le soutien de l’action civile de l’État devant les juridictions de première instance et d’appel qui sont indemnisées par les sommes allouées au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.

Ils soulignent que deux institutions ont été mobilisées, à savoir les finances publiques et la police judiciaire, chacune dans leur domaine, même si les investigations de l’une, sous réserve du principe de spécialité, appuyaient les investigations de l’autre, que quatre ans d’investigations conduites par deux magistrats instructeurs ont été nécessaires, collectées dans quarante tomes de procédure, que vingt-deux commissions rogatoires internationales ont été délivrées sur quasiment les cinq continents pour démêler l’écheveau de sociétés off-shores élaboré par les époux et leurs gestionnaires de fortune.

La cour d’appel retient qu’au vu de ces éléments, le préjudice direct subi par l’État français est incontestable, que la dissimulation des biens et des droits éludés a nécessairement engendré pour l’État des frais financiers importants, compte tenu de la pérennité, de l’habitude et de l’importance de la fraude, entraînant la mise en œuvre de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances, indépendamment du préjudice économique et budgétaire déjà actuel, caractérisé par l’absence de rentrée des recettes fiscales dues.

Elle conclut que la demande de la partie civile est justifiée tant dans son principe que dans son montant et confirme la condamnation des prévenus avec leur fils à verser solidairement à l’État la somme de 1 000 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de blanchiment et la somme de 30 000 euros in solidum sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, les divers procédés utilisés, constitutifs de blanchiment, ayant obligé l’État à la mise en œuvre de multiples recherches, investigations et procédures pour espérer pouvoir recouvrer les impositions éludées.

En prononçant ainsi, la cour d’appel ne justifie pas sa décision.

En effet, d’une part, elle retient le coût des procédures judiciaires pour évaluer le préjudice de l’État.

D’autre part, elle ne pouvait, sans mieux s’en expliquer, fixer à 1 000 000 euros le montant des dommages-intérêts.

Sources :
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