Délégation d’autorité parentale : appréciation concrète au cas d’espèce

Publié le 29/09/2022

Les parents d’un enfant né à Papeete saisissent un juge aux affaires familiales d’une demande de délégation de l’exercice de l’autorité parentale sur leur enfant au profit d’un autre couple.

Aux termes de l’article 16-7 du Code civil, les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui sont nulles.

Ces dispositions reposent sur les principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, qui interdisent, sauf exceptions prévues par la loi, de conclure une convention portant sur un élément du corps humain ou de disposer librement de sa qualité de père ou de mère.

Il en résulte que le projet d’une mesure de délégation d’autorité parentale, par les parents d’un enfant à naître, au bénéfice de tiers souhaitant le prendre en charge à sa naissance, n’entre pas dans le champ des conventions prohibées par ce texte.

En effet, il n’existe pas d’atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, dès lors, d’une part, que l’enfant n’a pas été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation, d’autre part, que la mesure de délégation, qui n’est qu’un mode d’organisation de l’exercice de l’autorité parentale, est ordonnée sous le contrôle du juge, est révocable et est, en elle-même, sans incidence sur la filiation de l’enfant.

La cour d’appel ayant constaté que la mesure de délégation d’autorité parentale avec prise de contact d’une famille en métropole n’a été envisagée par les parents de l’enfant qu’au cours de la grossesse, en déduit exactement que la mesure sollicitée ne consacre pas, entre les délégants et les délégataires, une relation fondée sur une convention de gestation pour autrui.

Aux termes de l’article 377, alinéa 1er, du Code civil, les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l’aide sociale à l’enfance.

Ces dispositions n’interdisent pas la désignation de plusieurs délégataires lorsque, en conformité avec l’intérêt de l’enfant, les circonstances l’exigent.

Si ces dispositions ouvrent la possibilité de désigner comme délégataire une personne physique qui ne soit pas membre de la famille, c’est à la condition que celle-ci soit un proche digne de confiance.

Ne saurait être considérée comme un proche, au sens du texte précité, une personne dépourvue de lien avec les délégants et rencontrée dans le seul objectif de prendre en charge l’enfant en vue de son adoption ultérieure.

Au demeurant, une telle désignation ne serait pas conforme à la coutume polynésienne de la Faa’mu, qui permet d’organiser une mesure de délégation de l’autorité parentale dès lors qu’elle intervient au sein d’un cercle familial élargi ou au bénéfice de personnes connues des délégants.

En conséquence, c’est en méconnaissance du texte susvisé que la cour d’appel, après avoir constaté que les délégataires étaient entrés en relation avec les délégants à la suite de recherches d’une famille adoptante en métropole, accueille la demande en délégation de l’exercice de l’autorité parentale.

Cependant, si une jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été réalisé antérieurement à celle-ci et, le cas échéant, sur la base et sur la foi d’une jurisprudence ancienne, la mise en œuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que, en ces circonstances, le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu’il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s’il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste.

En l’occurrence, il doit être relevé, en premier lieu, que l’utilisation de la procédure de délégation d’autorité parentale s’inscrit dans un contexte de carence du pouvoir réglementaire. En effet, si les articles L. 224-1 à L. 225-7 du Code de l’action sociale et des familles, relatif aux pupilles de l’État et à leur adoption, sont applicables en Polynésie française, selon les adaptations qui y sont prévues aux articles L. 562-1 à L. 562-5, les dispositions réglementaires d’application de l’article L. 224-2 du même code, relatif à la composition et aux règles de fonctionnement des conseils de famille institués en Polynésie française, ne sont toujours pas adoptées à ce jour, créant de ce fait une incertitude juridique sur les modalités d’adoption d’un enfant âgé de moins de deux ans sur ce territoire.

En deuxième lieu, il doit être rappelé que, dans ce contexte de vide réglementaire imputable à l’État, les autorités locales ont aménagé le Code de procédure civile applicable en Polynésie française en prévoyant, pour les enfants dont la filiation est établie mais dont les parents souhaitent dès leur naissance mettre en œuvre un projet d’adoption, une mesure préalable de délégation d’autorité parentale. De manière spécifique, l’article 555, alinéa 3, de ce code, édicte ainsi que la requête en délégation d’autorité parentale doit être accompagnée, lorsque les délégataires ne résident pas en Polynésie française, de l’enquête sociale et de l’avis motivé émanant de l’organisme habilité à le faire suivant la loi de leur domicile ou résidence habituelle.

En troisième lieu, il doit être souligné que la délégation aux fins d’adoption a été admise sur ce territoire par une jurisprudence trentenaire de la cour d’appel de Papeete, jusqu’à présent jamais remise en cause.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’à la date de la naissance de l’enfant, les parents légaux, comme le couple candidat à la délégation, se sont engagés dans un processus de délégation d’autorité parentale en vue d’une adoption qu’ils pouvaient, de bonne foi, considérer comme étant conforme au droit positif.

Dans ces conditions, il apparaît que l’application immédiate de la jurisprudence nouvelle sanctionnant un tel processus porterait une atteinte disproportionnée aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

En outre, de manière concrète, la remise en cause des situations existantes serait de nature à affecter irrémédiablement les liens qui se sont tissés ab initio entre l’enfant et les délégataires. En effet, la fin de la mesure de délégation d’autorité parentale, en supprimant tout lien juridique entre eux, peut conduire à une rupture définitive des relations de l’enfant avec ceux qui l’élèvent depuis sa naissance, dans un contexte où le projet a été construit en accord avec les parents légaux et où ceux-ci conservent la faculté de solliciter la révocation de la mesure, si tel est l’intérêt de l’enfant.

Dès lors, l’application immédiate de la jurisprudence nouvelle porterait également une atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Ces circonstances exceptionnelles justifient par conséquent de déroger à l’application immédiate de la jurisprudence nouvelle aux situations des enfants pour lesquels une instance est en cours.

Sources :
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