Découverte d’une œuvre de maître sous un repeint : un trésor ?

Publié le 26/12/2017

Aux termes de l’article 716 du Code civil, le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard.

Selon l’arrêt rapporté, seules peuvent recevoir cette qualification les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées et, comme telles, susceptibles d’appropriation.

Tel ne serait pas le cas de la découverte d’une œuvre ancienne, attribuée à un maître, dissimulée sous la peinture visible d’un tableau peint sur bois dont un brocanteur avait acquis la propriété.

Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, no 16-19340, FS-PBI

1. Cas de figure exceptionnel, bien que le procédé de dissimulation employé soit courant en période troublée – voire en vue d’une fraude , que celui tranché en droit par la première chambre civile dans l’arrêt rapporté, promis à une très large diffusion en dépit de la rareté des faits1 comme de la question posée à la Cour de cassation2.

Car les faits de cette espèce sont peu communs : à l’occasion d’une vente d’objets d’origine religieuse organisée par une association paroissiale, un brocanteur avait notamment acquis une peinture sur panneau de bois sans qualité artistique manifeste ni valeur particulière, représentant trois personnages religieux. Lors d’une visite chez ce brocanteur, un antiquaire de sa connaissance examinait l’œuvre et repérait quelques traces de dorure sous une écaille de la peinture ; sans s’en porter acquéreur, il conseillait au brocanteur de confier l’objet, pour nettoyage, à un restaurateur d’art. Ce dernier découvrait, sous la couche de peinture visible, un travail ancien d’une extrême qualité, un chef-d’œuvre représentant cinq personnages que l’on pouvait dater avec vraisemblance du début du XVe siècle. Ultérieurement, les recherches historiques et scientifiques ont conduit des spécialistes à attribuer la réalisation de cette peinture « d’époque gothique », nommée le Christ de pitié, à un maître d’origine néerlandaise, Johan Maelwael, auteur de plusieurs œuvres majeures répertoriées sous le nom de Jean Malouel, qui travaillait particulièrement pour les ducs de Bourgogne, à Dijon, où il était décédé en 1415.

2. À l’issue de ces recherches, la réunion des musées nationaux, en l’occurrence pour le compte du musée du Louvre, a acquis du brocanteur cette œuvre de maître pour un prix fort important, non sans avoir préalablement purgé, par transaction, tout risque d’une revendication de la propriété au titre des biens communaux.

De là est né le litige : l’antiquaire et le restaurateur d’art, ce dernier s’étant, semble-t-il, désisté en cours d’instance, prétendant être les découvreurs d’un trésor – il est vrai, traité comme tel par le musée du Louvre, mais en « trésor national », notion autrement plus ambitieuse que celle en cause , ont soutenu en être les inventeurs au sens de l’article 716 du Code civil. Or, on sait que les deux alinéas de l’article 716 attribuent à ceux qui découvrent, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, une appartenance « pour moitié » de ce bien, qualifié de « trésor », avec le « propriétaire du fonds ». Mais ici, à l’évidence, seul le partage du prix de rétrocession de l’œuvre découverte, et non sa propriété, était l’enjeu du conflit avec le brocanteur qui avait acquis le panneau de bois peint.

3. À la vérité, deux questions étaient posées aux juridictions saisies :

  • les demandeurs pouvaient-ils être qualifiés d’« inventeurs » au sens de l’article 716 ;

  • l’œuvre de maître révélée sous le repeint devait-elle recevoir la qualification juridique de « trésor », en vue de la soumettre à la copropriété qu’édicte le texte ?

Il ressort du pourvoi, rappelant la motivation des juges du fond, que la réponse à la première question a été négative, alors que la réponse à la seconde était plutôt positive, selon l’analyse qu’ils ont conduite en déboutant les demandeurs. Or, tout en rejetant le pourvoi formé par l’un des demandeurs, la première chambre civile n’a motivé son rejet que sur la seconde question, en concluant curieusement à l’inverse de la cour d’appel sur la qualification du chef-d’œuvre litigieux comme un « trésor ».

I – Sur la qualité d’inventeur d’un trésor

4. Aux termes de l’article 716, l’inventeur d’un trésor, autre que le propriétaire de celui-ci, est le tiers qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie dans le fonds d’autrui, sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété3.

Il y aura lieu de revenir sur l’application de la notion de « chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété » qui caractériserait tout « trésor » selon l’article 716 (v. infra II) car les deux critères qui déterminent de façon cumulative l’attribution de la qualité d’inventeur d’un trésor sont la « découverte » de celui-ci et le rôle qu’y a joué le « hasard ». Les juges du fond avaient mis en œuvre l’un et l’autre de ces critères pour dénier la qualité d’inventeur de trésor à chacun des demandeurs.

5. Au sens du premier critère, l’inventeur d’un trésor serait donc la personne qui découvre ce qui était caché, c’est-à-dire qui trouve ce dont la présence était ignorée ou qui en révèle l’existence. Or, l’application prétorienne de ce critère à l’antiquaire qui avait attiré l’attention du brocanteur sur la présence d’une dorure sous une écaille de la surface peinte ne pouvait être favorable au prétendu découvreur : à proprement parler, ce n’est pas lui qui a révélé l’existence du chef-d’œuvre qui était recouvert par une couche superficielle de peinture, pas davantage qu’il n’a trouvé cette œuvre d’un maître du XVsiècle ; la présence du Christ de pitié sur le panneau de bois était ignorée de lui comme du brocanteur lors de la visite chez ce dernier. Résultat du travail du restaurateur, la découverte a été ultérieure.

Il en résulte que, comme l’ont souligné les juges du fond, le rôle de l’antiquaire s’était limité à conseiller au brocanteur de confier le tableau, en l’état où sa peinture était lors de son acquisition, à un restaurateur d’art en vue d’un nettoyage. À suivre cette analyse fonctionnelle des interventions de chacun, qui distribue rationnellement les rôles, il conviendrait de distinguer, d’une part, l’intervention faite à titre de simple conseil dans le processus de découverte, et, d’autre part, l’intervention active, la véritable investigation qui conduit à découvrir un prétendu « trésor ».

6. Au regard du second critère, celui fondé sur le « hasard » qui devrait avoir présidé à la découverte de ce qui était caché, la conjonction des faits n’était pas davantage favorable à l’antiquaire car l’observation par lui d’une dorure que révélait un soulèvement de la surface visible de peinture n’était pas nouvelle. En effet, plusieurs témoignages précédents, et même un ancien registre paroissial qui avaient été versés au dossier, confirmaient l’absence de nouveauté de l’observation, de sorte que le constat fait par l’antiquaire n’avait rien d’accidentel ou de fortuit : son seul rôle positif, au-delà de ce qui avait été constaté à plusieurs reprises avant lui, avait consisté à formuler un conseil, celui de faire nettoyer le tableau.

Le hasard était donc étranger à la découverte puisque le caractère superficiel de la couche de peinture visible était connu et qu’il était aisé de deviner qu’elle recouvrait une autre œuvre. Quant au simple conseil d’un nettoyage, il était insuffisant, comme l’ont aussi souligné les juges du fond, à caractériser la révélation d’un trésor par l’antiquaire.

7. C’est également l’absence de hasard qui avait conduit ces magistrats à débouter l’autre demandeur, le restaurateur de tableaux. Certes, celui-ci pouvait prétendre que son travail de restauration seul avait mis à jour le chef-d’œuvre dissimulé sous une peinture superficielle ; en ce sens, il était bien le découvreur au regard de la matérialité de son travail de nettoyage. Mais cette découverte n’était pas vraiment, à son égard, le fruit du hasard puisqu’elle résultait directement de la mission qui lui avait été confiée, à partir de la suspicion qu’avait générée l’observation faite par l’antiquaire, au demeurant après d’autres observateurs de la réalité d’un recouvrement d’œuvres sur le panneau de bois : dans de telles circonstances, la mise à jour du Christ de pitié par le restaurateur du tableau était dépourvue du caractère fortuit indispensable à la qualification juridique de cette découverte.

Les juges du fond avaient donc, en considération des deux critères pris de façon conjointe  découverte et hasard , débouté les demandeurs de leurs prétentions, alors cependant que ces magistrats étaient assez clairement tentés d’attribuer au chef-d’œuvre révélé par le travail du restaurateur la qualification de « trésor ». La Cour de cassation a, au contraire, centré son analyse sur cette qualification pour l’écarter, sans que l’on soit pleinement convaincu par la motivation retenue.

II – Sur la qualification de trésor

8. Il ressort, en effet, des motifs de l’arrêt d’appel, repris par le pourvoi, que l’œuvre de maître recouverte par un repeint aurait pu être qualifiée de « trésor » car elle semblait correspondre à la définition de l’article 716, comme une « chose cachée » dans le fonds d’autrui « sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété ».

Et il est vrai que le Christ de pitié, dont le peintre Maelwael dit Malouel serait l’auteur, est une œuvre qui était dissimulée sous une autre peinture et sur laquelle nul ne pouvait justifier de la propriété puisque, si le brocanteur avait bien acquis un tableau, il n’avait pas acquis un chef-d’œuvre de Maelwael, mais une peinture religieuse sans intérêt particulier ; en ce sens, retenir la qualification juridique de trésor aurait été justifié. Telle n’est pas la position qu’a arrêtée la première chambre civile.

9. À la lecture de son arrêt, l’analyse adoptée par la Cour de cassation pour écarter la qualification repose sur un seul critère, objectif pour ne pas dire purement physique : seule importerait, selon la Cour, l’existence ou l’absence d’une faculté de dissocier matériellement la « chose cachée ou enfouie » du fonds dans lequel elle est trouvée, les hauts magistrats complétant, en outre, le terme générique « chose » par l’adjectif « corporelle » qui ne figure pourtant pas à l’article 716.

L’application de ce critère matériel  la faculté ou non de dissocier  doublé d’une restriction du domaine de la qualification aux seules « choses corporelles » conduit la haute juridiction à conclure que l’œuvre attribuée à Maelwael étant, selon la Cour, « indissociable de son support matériel » dont la propriété au profit du brocanteur était établie, « ne constitue pas un trésor au sens » de l’article 716. À l’évidence, les œuvres d’art peintes seraient ainsi exclues d’une potentielle qualification juridique de trésor car, indissociables de leur support, d’une part, elles relèveraient, d’autre part, de la catégorie des biens incorporels.

10. Il semble néanmoins que les hauts magistrats aient méconnu les possibilités techniques qu’utilisent les restaurateurs pour dissocier les œuvres peintes de leur support – notamment, par marouflage, de sorte qu’il est quelque peu hardi d’affirmer que le Christ de pitié était indissociable de son support matériel dont la propriété avait été acquise par le brocanteur lequel, par extension, serait ainsi devenu propriétaire d’un chef-d’œuvre par le plus grand des hasards.

Surtout, les hauts magistrats auraient dû se remémorer les débats suscités par une fameuse affaire, il est vrai, vieille de plus de 30 ans, celle du sort fâcheux de fresques romanes qui ornaient les murs d’une chapelle catalane4. En effet, dans ce dossier, l’assemblée plénière avait cru devoir juger, de façon fort contestable en droit et désastreuse pour le sort de ces fresques, qu’une fois détachées des murs sur lesquels elles avaient pourtant été peintes alla fresca  ce qui, au séchage, incorpore les couleurs au revêtement mural , elles étaient devenues des meubles, dont l’appropriation pouvait être distincte de celle des murs ; de la sorte, avait été justifiée la dispersion définitive de ces fresques chez les amateurs d’art.

11. Preuve était ainsi faite que ce qui avait été voulu indissociable par les artistes inconnus, auteurs de ces fresques, avait cependant été dissocié pour d’évidentes raisons pécuniaires, avec l’approbation de la plus haute formation de la Cour. En toute hypothèse, cela démontre l’insuffisance du critère objectif fondé sur la possibilité ou l’impossibilité matérielle d’une dissociation des biens lorsqu’il s’agit de les qualifier.

Lors de cette recherche d’une qualification appropriée, nous avons,, pour notre part,, défendu le nécessaire recours, en complément du critère objectif, à un critère subjectif fondé sur ce qu’ont voulu les concepteurs ou les créateurs du bien sous analyse ; cette recherche nous avait conduit à soutenir que l’on ne pouvait faire abstraction du choix fait par les artistes catalans qui, en incorporant leur œuvre aux murs de la chapelle, avaient entendu l’y inclure à perpétuelle demeure, déterminant de la sorte pour l’avenir la nature immobilière de cette œuvre, comme le confirme la technique que ces artistes avaient employée pour fixer les fresques5.

12. Le recours à ce critère subjectif pourrait, selon nous, fonder plus solidement la position adoptée par la première chambre en l’espèce ici rapportée. L’important ne nous paraît pas que l’œuvre de Maelwael soit matériellement indissociable de son support en bois – car cette affirmation est techniquement fragile ; l’important est que l’artiste ait choisi de peindre sur panneau de bois, et d’y incorporer son travail à perpétuelle demeure, l’œuvre et son support formant pour lui une seule et même « chose », pour reprendre la terminologie de l’article 716.

Si, en l’espèce, il n’y a donc pas « trésor », ce n’est pas seulement parce qu’il serait difficile de dissocier physiquement la peinture de son support, mais parce qu’aussi l’artiste a voulu l’y incorporer – tout au moins le présumera-t-on à partir de la technique qu’il a utilisée. Reste à savoir si cette présomption est susceptible de preuve contraire, ce qui relancerait la question : un bien incorporel pourrait-il être qualifié de trésor ? À la lecture de cet arrêt, la réponse très matérielle de la Cour de cassation est, pour l’instant, négative ; mais, par exemple, les trésors que recèle l’informatique laissent entrevoir que la découverte fortuite d’un fichier caché au sein du disque dur d’un vieil ordinateur pourraient poser à nouveau la question, un jour…

Notes de bas de pages

  • 1.
    De façon générale, la faible fréquence des litiges que suscite la découverte de trésors justifie sans doute le peu de développements que les auteurs consacrent aux difficultés juridiques que ces différends génèrent (v. par ex. récemment l’excellent ouvrage du professeur Grimaldi C., Droit des biens, 2016, LGDJ, nos 634, 640 et s.).
  • 2.
    V. égal. D. 2017, p. 1472.
  • 3.
    Pour une illustration de la découverte, par le pur effet du hasard, d’objets précieux cachés mais non qualifiés de « trésors » car la propriété a pu en être prouvée : Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-22471 : Bull. civ. II, n° 279 ; LPA 9 mai 2003, p. 12, note Barbièri J.-F., et les réf. citées ; JCP G 2003, I 172, n° 2, obs. Périnet-Marquet H. ; D. 2003, Somm., p. 2049, obs. Mallet-Bricout B. – sur la qualité d’inventeur, v. aussi : Cass. crim., 20 nov. 1990, n° 89-80529 : Bull crim., n° 395 ; D. 1991, Somm., p. 272, obs. Azibert M. ; RTD civ. 1991, p. 765, obs. Zenati F.
  • 4.
    Cass. ass. plén., 15 nov. 1988, nos 85-10262 et 85-11198 : Bull. ass. plén., n° 4 ; JCP G 1988, II 21066, rapp. Grégoire, note Barbièri J.-F. ; D. 1988, Jur., p. 325, concl. Cabanne J., note Maury J. ; RTD civ. 1989, p. 345, obs. Zenati F.
  • 5.
    Nos obs. préc. ss Cass. ass. plén., 15 nov. 1988, préc.
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